vendredi 30 octobre 2015

Une femme doit-elle ou pas porter des bas ?

ב״ה

Une femme doit-elle ou pas porter des bas ?


Cet article peut être téléchargé ici.

Question :

D'un point de vue strictement halakhique, une femme doit-elle ou pas porter des bas pour couvrir ses jambes ? En regardant autour de soi, on peut remarquer différentes pratiques à ce niveau. Comment expliquer cela ?

Réponse :

Effectivement, lorsqu'on regarde autour de soi, on ne trouve aucune règle uniforme : dans certaines communautés, les femmes couvrent leurs jambes avec es bas opaques ; dans d'autres, elles ne les couvrent pas du tout ; dans d'autres encore, elles les « couvrent », mais avec des bas couleur de chair (on se demande à quoi cela sert-il).

Pour comprendre ces différences de pratiques, il faut retourner à la source, et la source de toute Halokhoh doit toujours être le TaNa''Kh et le Talmoudh. Nous lisons ceci dans la Gamoro`1 :

Rov Hisdo` a dit : Le Shôq d'une femme est une nudité, car il est dit2 : « découvre le Shôq, traverse les rivières », et il est écrit [juste après]3 : « Ta nudité sera découverte, même ta honte sera vue ».
אמר רב חסדא שוק באשה ערוה שנאמר גלי שוק עברי נהרות וכתיב תגל ערותך וגם תראה חרפתך

La Gamoro` démontre magistralement bien que le Shôq d'une femme est considéré d'un point de vue biblique comme une « nudité », c'est-à-dire une partie attractive du corps de la femme qui est censée être couverte. Mais le « problème », pour ainsi dire, est qu'il y a eu une divergence quant au sens à donner au terme שׁוֹק « Shôq ». D'un côté, des Pôsqim tels que le Pari Maghadhim ז״ל, le Hofés Hayim ז״ל, HoRov Môshah Feinstein ז״ל, ou encore le Hozôn `ish ז״ל, sont d'avis que le terme « Shôq » désigne la partie supérieure de la jambe, et tranchent donc qu'une jupe ou une robe doit couvrir la jambe de la femme au moins jusqu'au genou, mais que couvrir la jambe en-dessous du genou n'est qu'une question de Minhogh. De ce fait, d'après les Pôsqim qui souscrivent à cette définition-là de « Shôq », porter des bas pour couvrir l'intégralité de la jambe dépendra du Minhogh local.

D'autres Pôsqim, tels que les Tôsofôth et le Ba''h ז״ל, pensent plutôt que le terme « Shôq » désigne la partie inférieure de la jambe d'une femme, du genou jusqu'en bas. Par conséquent, ces Pôsqim qui souscrivent à cette deuxième école tranchent que toute la jambe, même en-dessous du genou, doit être couverte. C'est la raison pour laquelle il existe différentes pratiques, d'une communauté à l'autre.

Pour le dire sans détour, la deuxième position est ridicule !

Comment est-il possible d'avoir une divergence d'opinion sur la définition d'une partie bien connue de l'anatomie d'une personne ? De nombreux passages talmudiques démontrent que HaZa''l savaient pertinemment bien ce que voulait dire le mot « Shôq ». Il n'y a pas une seule divergence d'opinion dans tout le Talmoudh lorsque le mot « Shôq » est employé (et il est très régulièrement employé dans le Talmoudh). Il rapporte d'ailleurs l'enseignement de Rov Hisdo` ז״ל, qui rappelle que le « Shôq » d'une femme est une nudité, sans amples explications, impliquant par-là que n'importe qui lisant le Talmoudh devrait automatiquement comprendre ce que le mot signifie. C'était un mot hébreu utilisé dans la vie de tous les jours.

Voici ce que nous lisons dans la Tôroh4 :

Et la cuisse droite vous la donnerez en oblation au Kôhén, de vos sacrifices pacifiques.
וְאֵת שׁוֹק הַיָּמִין, תִּתְּנוּ תְרוּמָה לַכֹּהֵן, מִזִּבְחֵי, שַׁלְמֵיכֶם

Ici, en parlant d'un animal, la Tôroh emploie clairement le terme « Shôq » pour désigner une cuisse. Rash''i ז״ל le confirme également en citant pour preuve le passage talmudique de Houllin 134b. Et nos Sages ont toujours employé ce terme dans son sens biblique, à savoir, une cuisse, en parlant des animaux  ! C'est ainsi que dans ´avôdhoh Zoroh 25a, le Talmoudh emploie là encore le terme « Shôq » en parlant d'un animal et fait clairement comprendre que l'on parle de la cuisse. Si ce terme signifie « cuisse », d'où vient alors la confusion ?

Elle fut causée par les Tôsofôth5, qui écrivent que l'anatomie de l'homme est différente de celle de l'animal, et donc que le « Shôq » d'un animal ne peut pas correspondre au « Shôq » d'un être humain. Ils soutiennent donc que chez les êtres humains, le terme « Shôq » désigne la partie inférieure de la jambe. Un soutien à cette position peut être trouvé dans la Mishnoh de `ôhalôth 1:8 qui, parlant d'un être humain, emploie le terme « Shôq » pour désigner un mollet, qui se trouve évidemment dans la partie inférieure d'une jambe. Ainsi, les Pôsqim de la deuxième école soutiennent que chez un être humain, le terme « Shôq » désigne la partie inférieure de la jambe. Mais ce n'est, en fait, une preuve de rien du tout !

Premièrement, le fait que dans ce passage-là de la Mishnoh le terme soit employé pour désigner le mollet plutôt que la cuisse ne veut rien dire, si ce n'est qu'il pouvait y avoir des cas où le terme, suivant le contexte, pouvait désigner autre chose que la cuisse, mais pas tout le temps. Prenez par exemple le mot רֶגֶל « Raghal ». Littéralement, il signifie « pied », et c'est ainsi qu'il est employé dans la majorité des cas. Mais parfois, il peut avoir la signification de « jambe ». Deuxièmement, en général, lorsqu'en Hébreu nous avons un terme général, il peut désigner l'ensemble de la partie ou, d'autres fois, une partie spécifique de l'ensemble, suivant le contexte. Et très souvent, un autre terme employé dans la phrase nous permet de le savoir. Dans le passage de la Mishnoh utilisé pour preuve que le mot « Shôq » désigne un mollet chez un être humain, on comprend que le terme « Shôq » désigne le mollet que parce que la Mishnoh choisit d'employer le terme יָרֵך « Yorékh » pour désigner la cuisse. En effet, « Yorékh » et « Shôq » sont des termes synonymes pour désigner une cuisse. Mais puisque la Mishnoh avait décidé d'employer « Yorékh » plutôt que « Shôq » pour décrire la cuisse d'un homme, afin de ne pas se répéter et causer une confusion, elle a alors utilisé « Shôq » pour désigner le mollet. De la même manière, si dans une même phrase on parle d'une jambe et d'un pied, plutôt que dire deux fois « Raghal », qui peut signifier à la fois « jambe » et « pied », on pourra employer « Raghal » pour dire « pied » et כֶּרַע « Kara´ » pou dire « jambe », bien que « Kara´ » veuille aussi dire « genou ». Mais dans le contexte, puisque « Raghal » fut employé pour dire « pied », on comprend alors qu'on doit donner à « Kara´ » le sens de « jambe ». Pareil dans le cas qui nous intéresse ; c'est seulement parce qu'un autre mot a été employé pour désigner la cuisse que la Mishnoh a alors choisi, pour ne pas se répéter et créer la confusion, d'utiliser « Shôq » pour désigner un mollet plutôt qu'une cuisse. Et enfin, il suffit simplement de jeter un coup d’œil sur le verset cité par Rov Hisdo` pour clore le débat. Citons-le contextuellement6 :

Descends, assieds-toi dans la poussière, vierge, fille de Bovél ; assieds-toi à terre, plus de trône, fille des Chaldéens, car on ne continuera plus de t'appeler « délicate », « douillette ». Prends les meules, écrase le grain ; dépose ton voile, expose ta jambe, découvre ta cuisse, traverse les rivières. Ta nudité sera découverte, même ta honte sera vue ; Je prendrai vengeance, Je ne ménagerai personne.
רְדִי וּשְׁבִי עַל-עָפָר, בְּתוּלַת בַּת-בָּבֶל--שְׁבִי-לָאָרֶץ אֵין-כִּסֵּא, בַּת-כַּשְׂדִּים: כִּי לֹא תוֹסִיפִי יִקְרְאוּ-לָךְ, רַכָּה וַעֲנֻגָּה. קְחִי רֵחַיִם, וְטַחֲנִי קָמַח; גַּלִּי צַמָּתֵךְ חֶשְׂפִּי-שֹׁבֶל גַּלִּי-שׁוֹק, עִבְרִי נְהָרוֹת. תִּגָּל, עֶרְוָתֵךְ--גַּם תֵּרָאֶה, חֶרְפָּתֵךְ; נָקָם אֶקָּח, וְלֹא אֶפְגַּע אָדָם

Tous les verbes employés dans le verset 2 sont à l'impératif : קְחִי « Qahi – prends », גַּלִּי « Galli – découvre », et חֶשְׂפִּי « Haspi – expose », alors qu'au verset 3 ce sont des futurs passifs qui sont employés, à savoir, תִּגָּל « Tiggol – elle sera découverte » et תֵּרָאֶה « elle sera vue ». Le message est clair : si elle découvre son Shôq, sa nudité (un terme qui fait évidemment référence à ses parties intimes) sera révélée, même involontairement. Le Shôq et ses parties intimes sont adjacents l'un de l'autre, et découvrir l'un aura pour effet de découvrir l'autre.

Il est donc évident qu'ont raison tous les Pôsqim qui disent que « Shôq » se réfère à la partie supérieure de la jambe d'une femme. C'est toujours ainsi qu'a été compris le terme « Shôq » dans la Tôroh, mais également dans le Talmoudh, et rien que le fait d'avoir cité ce verset démontre que Rov Hisdo` pensait à la cuisse et non au mollet, et comme ce terme avait toujours été compris pour désigner une cuisse, aussi bien chez les animaux que chez les hommes, la Gamoro` n'avait pas besoin de clarifier qu'il employait ce terme dans le même sens qu'il est utilisé dans la Tôroh. Le Prophète Yasha´yohou ע״ה décrit une femme qui expose son Shôq afin de traverser des rivières. Si le Shôq était situé en-dessous du genou et qu'elle était vêtue jusqu'aux chevilles pour le couvrir, soulever sa jupe/robe jusqu'au genou pour traverser la rivière n'aurait été d'aucune utilité et n'aurait pas facilité sa traversée, et en plus, cela n'aurait jamais amené à ce que ses parties intimes et ses fesses soient révélées. Il est donc clair et évident que la seule mention du Shôq d'une femme dans le TaNa''Kh se réfère à la partie supérieure de sa jambe, à savoir, la cuisse. Car ce n'est qu'en exposant ses cuisses qu'elle révèle également ses parties intimes. De ce fait, même si on disait que dans le Talmoudh « Shôq » désigne un mollet, il est clair que dans le TaNa''Kh, aussi bien pour les animaux que pour les êtres humains, « Shôq » désigne une cuisse. Et il est improbable que Rov Hisdo` ait pu penser à un mollet tout en citant un passage se référant clairement à une cuisse ! Notez également qu'avant les Tôsofôth, il n'y a jamais eu de débat sur le fait que « Shôq » voulait dire autre chose qu'une cuisse. Si on déduit d'un verset biblique que le Shôq est une nudité, il va sans dire que c'était la définition biblique de Shôq qu'utilisait Rov Hisdo`. C'est la raison pour laquelle les Pôsqim de la première école souscrivent au fait que « Shôq » désigne la partie supérieure de la jambe.

De ce fait, d'un point de vue strictement halakhique, une femme doit couvrir au moins la partie supérieure de sa jambe, de la taille au genou. Ce qui est en-dessous du genou peut être montré et n'a pas le statut de « nudité ». C'est pourquoi, de nombreuses femmes religieuses ont la pratique d'exposer la partie inférieure de leurs jambes et ne portent pas de bas. Néanmoins, le Talmoudh nous fait comprendre à plusieurs reprises que les mesures de rigueur au niveau de la Sani´outh (pudeur) font partie de la « Dath Yahoudhith », c'est-à-dire qu'elles dépendent de la communauté locale. De ce fait, si la communauté locale a la pratique d'exiger de couvrir toute la jambe, il faudra alors prendre soin de se couvrir également en-dessous des genoux. Mais il convient de préciser que par « communauté locale », on ne parle pas de la communauté à laquelle on appartient, mais de la règle qui est en vigueur dans la localité où l'on se trouve. De ce fait, si on se trouve dans une ville où toutes les communautés juives locales sont uniformes sur cette question, on doit alors suivre cette pratique et couvrir toute la jambe. Par contre, si on se trouve dans une ville qui compte plusieurs communautés ayant chacune leurs propres pratiques et positions, ce n'est pas considéré qu'il y ait une coutume locale, et de ce fait, celles qui voudront se couvrir toute la jambe pourront le faire, tandis que celles qui ne voudront se couvrir que jusqu'aux genoux pourront le faire aussi. Ainsi, certaines femmes religieuses ne portent pas de bas à Flatbush, car il n'y a pas de règle uniforme sur le fait d'en porter. Par contre, lorsqu'elles doivent faire des courses à Boro Park, elles mettent des bas, car c'est obligatoire dans ce quartier-là.

Il convient de signaler que l'écrasante majorité des Pôsqim souscrivent à l'opinion selon laquelle les femmes ne sont tenues de se couvrir que jusqu'aux genoux. Ce qui est sous le genou n'est pas halakhiquement considéré comme une nudité. En outre, même si on souscrit à l'opinion selon laquelle c'est toute la jambe d'une femme qui est une nudité, cela ne veut pas dire que les femmes doivent porter des bas pour couvrir leurs jambes. Elles peuvent, en effet, très bien couvrir toute la jambe avec une longue jupe/robe. Les textes ne font jamais mention de bas, mais parlent de la longueur de la jupe/robe. De plus, on peut s'interroger sur la nécessité de porter des bas pour couvrir ses jambes. En hiver, cela est tout à fait compréhensible pour avoir chaud, mais les bas sont fabriqués à la base, non pas pour se tenir au chaud, mais pour améliorer l'apparence et l’attractivité de la femme, comme n'importe quelle créatrice/créateur de mode vous le dira. Les parties de la jambe d'une femme qui doivent être couvertes doivent l'être par une jupe ou une robe. Des bas ou des chaussettes ne sont pas des substituts, tout comme personne n'en viendrait à dire qu'une femme pourrait sortir en public simplement en collant de corps !

Étant donné que la longueur de la jupe/robe est un sujet qui dépend largement de la pratique locale, la majorité des Ri`shônim n'ont émis aucune décision sur la question, puisque le minimum est de se couvrir jusqu'au genou, et cela a toujours été clair, tandis que se couvrir l'intégralité de la jambe dépend de la pratique locale ou de la propre rigueur qu'une femme désire adopter. Vous ne trouverez aucune directive claire dans le Mishnéh Tôroh ou le Shoulhon ´oroukh sur ces questions. De ce fait, il n'y a aucune Halokhoh pour imposer de couvrir toute la jambe. Mais celles qui le font par pudeur ou parce qu'elles se sentent mieux ainsi agissent bien, et chacun a le droit de s'imposer ses propres mesures de rigueur quand il s'agit de la Sani´outh (dès lors que cela reste, évidemment, raisonnable.)

1Barokhôth 24a
2Yasha´yohou 47:2
3Ibid., 47:3
4Wayyiqro` 7:32
5Commentaire sur Manohôth 37

6Yasha´yohou 47:1-3