dimanche 7 février 2016

Exposer les fausses notions : Comment faire la Haghbohoh d'une manière authentique ?

ב״ה

Exposer les fausses notions

Comment faire la Haghbohoh d'une manière authentique ?


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  1. Introduction

Il existe une pratique bien connue consistant à soulever le Séfar Tôroh (Rouleau de la Tôroh) et l'exposer dans toutes les directions afin que toute l'assemblée le voit. C'est ce que l'on appelle la הַגְבָּהָה « Haghbohoh » (soulèvement). Mais l'écrasante majorité des Juifs ne réalisent pas ce rite de la manière dont il devrait normalement l'être. Nous allons tenter d'y voir plus clair à partir des sources anciennes et authentiques du Judaïsme.

  1. Origine et sources

La pratique consistant à soulever le Séfar Tôroh afin qu'il soit vu de toute l'assemblée est déjà rapportée dans le TaNa''Kh lui-même. En effet, avant que ´azro` Hassôfér ע״ה ne commence la lecture publique de la Tôroh, il nous est dit ceci1 :

Et ´azro` ouvrit le Rouleau aux yeux de tout le peuple, car il surplombait tout le peuple, et lorsqu'il l'ouvrit, tout le peuple se mit debout. ´azro` bénit `adhônoy, le Dieu Grand, et tout le peuple répondit «  omén ! `omén ! » en levant les mains, et ils s'inclinèrent et se prosternèrent pour `adhônoy, face contre terre.
וַיִּפְתַּח עֶזְרָא הַסֵּפֶר לְעֵינֵי כָל-הָעָם, כִּי-מֵעַל כָּל-הָעָם הָיָה; וּכְפִתְחוֹ, עָמְדוּ כָל-הָעָם. וַיְבָרֶךְ עֶזְרָא, אֶת-יְהוָה הָאֱלֹהִים הַגָּדוֹל; וַיַּעֲנוּ כָל-הָעָם אָמֵן אָמֵן, בְּמֹעַל יְדֵיהֶם, וַיִּקְּדוּ וַיִּשְׁתַּחֲווּ לַיהוָה, אַפַּיִם אָרְצָה

Ce verset est la base de la pratique consistant à soulever le Séfar Tôroh, pratique qui est rapportée comme une Halokhoh à plusieurs reprises dans le Talmoudh, et codifiée dans le traité Sôfrim 14:13.2

Tout comme cela est rapporté dans le Séfar Nahamyoh, le traité Sôfrim stipule que la Tôroh doit être soulevée avant la lecture, et qu'à ce moment-là l'assemblée doit s'incliner3 :

Immédiatement après avoir déroulé le Séfar Tôroh jusqu'à trois colonnes on le soulève et montre le côté de son écriture au peuple qui se tient debout, à droite et à gauche, puis à nouveau devant soi et derrière soi, car il est une Miswoh pour tous les hommes et femmes de voir l'écriture [dans le Séfar Tôroh], de tomber à genou et dire « Et ceci est la Tôroh que Môshah plaça devant les Enfants de Yisro`él »4 ou « La Tôroh de `adhônoy est parfaite, elle restaure l'âme »5.
מיד גולל ספר תורה עד שלשה דפין ומגביהו ומראה פני כתיבתו לעם העומדים לימינו ולשמאלו ומחזירו לפניו ולאחריו שמצוה לכל האנשים ולנשים לראות הכתב ולכרוע ולומר זאת התורה אשר שם משה לפני בני ישראל או תורת יהוה תמימה משיבת נפש

Cette source du traité Sôfrim est citée par le Ramba''n6 ז״ל et de nombreux autres Ri`shônim7 dans leur exposition de la pratique de la Haghbohoh. C'est également ce traité qui forme la base de la Halokhoh formulée dans le Shoulhon ´oroukh8 :

Il doit montrer le côté de l'écriture du Séfar Tôroh au peuple qui se tient debout, à sa droite et à sa gauche, et à nouveau devant lui et derrière lui, car il est une Miswoh incombant à tous les hommes et femmes de voir l'écriture [dans le Séfar Tôroh], de tomber à genou et dire « Et ceci est la Tôroh, etc. », « La Tôroh d'HaShem est parfaite, etc. »
מראה פני כתיבת ספר תורה לעם העומדים לימינו ולשמאלו ומחזירו לפניו ולאחריו שמצוה על כל אנשים ונשים לראות הכתב ולכרוע ולומר וזאת התורה וגו' תורת ה' תמימה וגו׳

Dans toutes ces sources, les seules actes incombant à l'assemblée durant la Haghbohoh sont tomber à genou et réciter deux versets. Rien d'autres !

Il existe pourtant de nombreuses différences entre la façon dont la Haghbohoh est rapportée dans le traité Sôfrim, les écrits des Ri`shônim et le Shoulhon ´oroukh, et la manière dont elle est actuellement pratiquée. Et nous allons passer en revue ces différences.

  1. Avant ou après la lecture de la Tôroh ?

En accord avec le traité Sôfrim, Rabbi Yôséf Qa`rô ז״ל déclare dans son Shoulhon ´oroukh que la Haghbohoh a lieu avant la lecture de la Tôroh, ce qui était, en réalité, la pratique en vigueur durant tout l'ère talmudique.9 Mais dans ses gloses sur le Shoulhon ´oroukh, Rabbi Môshah `issarlès ז״ל (le Ramo''`) déclare que le Minhagh `ashkanazi consiste à faire la Haghbohoh après la lecture de la Tôroh, en dépit du fait que l'un des premiers ouvrages ashkénazes, le Kol Bô, citant le traité Sôfrim, indique que la Haghbohoh a bien lieu avant la lecture.10

Rabbi Hayim Banvénisti (1603-1673), un très important Pôséq turc, explique bien dans son ouvrage « Kanasath Haggadhôloh » (qui est un commentaire sur le Tour) que ce Minhagh `ashkanazi fut institué à cause du fait que les gens peu éduqués pensaient que voir la Tôroh au moment de la Haghbohoh était plus important qu'écouter la lecture de la Tôroh, d'autant plus que peu comprenaient l'Hébreu, et en raison de cela ils quittaient la synagogue directement après la Haghbohoh.11 En repoussant la Haghbohoh à plus tard, les gens ne quittaient la synagogue qu'après la lecture de la Tôroh. (C'est en réalité identique à la pratique contemporaine de certaines communautés qui placent le Piyout de אַנְעִים זְמִירוֹת « `an´im Zamirôth » en plein milieu du service plutôt qu'à la fin afin que les gens ne quittent pas la synagogue pendant que l'arche est ouverte.) Certaines autorités séfarades approuvèrent la nouvelle coutume ashkénaze, tandis que dans une minorité de communautés ashkénazes la Haghbohoh est faite avant la lecture de la Tôroh.12

  1. Le ou les versets à réciter au moment de la Haghbohoh

Le traité Sôfrim rapporte deux versets (Davorim 4:44 ; Tahillim 19:8) que l'assemblée récite durant la Haghbohoh. Il existe deux versions du passage du traité Sôfrim. L'une dit « ''Et ceci est la Tôroh que Môshah plaça devant les Enfants de Yisro`él' ou ''La Tôroh de `adhônoy est parfaite, elle restaure l'âme'' », indiquant par-là qu'il faut réciter seulement un de ces deux versets, suivant son choix, tandis qu'une autre version dit « ''Et ceci est la Tôroh que Môshah plaça devant les Enfants de Yisro`él' et ''La Tôroh de `adhônoy est parfaite, elle restaure l'âme'' », indiquant par-là qu'il faut réciter les deux versets l'un à la suite de l'autre. Il n'est donc pas étonnant de voir que dans le Nousoh `ashkanaz seul le verset de Davorim 4:44 est récité, tandis que le Nousoh ´édhouth Hammizroh, Davorim 4:44 est récité avec d'autres versets supplémentaires, mais pas Tahillim 19:8.

En fait, ces deux versets ne sont en rien une obligation. C'est juste un Minhogh, et c'est pour cela que toute communauté peut choisir elle-même quel(s) verset(s) réciter, dès lors qu'on y retrouve une allusion à la Haghbohoh ou au fait de devoir se lever.

Dans les Siddourim `ashkanazim contemporains, après le verset de Davorim 4:44, sont ajoutés les mots suivants : עַל-פִּי יְהוָה בְּיַד-מֹשֶׁה « sur la parole de `adhônoy par l'intermédiaire de Môshah ». Ils apparaissent pour la première fois dans le Siddour composé par le Rov Yasha´yoh Horowitz (1565-1630).appelé le Shané Louhôth Habbarith (qui est abrégé en « Shéla''h »).13 Mais cet ajout est étrange, étant donné qu'il ne s'agit que d'un extrait de verset qui semble n'avoir aucun lien avec Davorim 4:44 ou la Haghbohoh. Ces mots sont en fait tirés du verset suivant14 :

Sur la parole de `adhônoy ils campaient et sur la parole de `adhônoy ils décampaient, gardant ainsi l'observance de `adhônoy, sur la parole de `adhônoy par l'intermédiaire de Môshah.
עַל-פִּי יְהוָה יַחֲנוּ, וְעַל-פִּי יְהוָה יִסָּעוּ: אֶת-מִשְׁמֶרֶת יְהוָה שָׁמָרוּ, עַל-פִּי יְהוָה בְּיַד-מֹשֶׁה

Le Rov Hayim de Volozhin est d'avis qu'à l'origine, ce verset était récité intégralement après Davorim 4:44, mais fut par erreur abrégé (les erreurs dans les Siddourim sont légions, étant donné que les imprimeurs étaient généralement des ignorants. Plusieurs rabbins grammairiens à travers les siècles ont d'ailleurs corrigé dans leurs propres Siddourim de nombreuses erreurs). Ce verset est considéré approprié à réciter lorsque la Tôroh est soulevée et qu'on la déplace pour la retourner dans l'arche (souvenez-vous que la majorité des `ashkanazim font la Haghbohoh après la lecture de la Tôroh), tandis que la communauté l’escorte, pour ainsi dire, car cela rappelle le fait que les Israélites dans le désert s'arrêtaient et reprenaient leur errance chaque fois que HaShem ית׳ donnait l'ordre de camper ou de décamper. Il n'existe aucune preuve à partir de Siddourim antérieurs au Shéla''h qu'il était bien récité en entier. D'autres suggèrent que le verset n'était pas récité intégralement, mais qu'on ajouta les mots עַל-פִּי יְהוָה בְּיַד-מֹשֶׁה « sur la parole de `adhônoy par l'intermédiaire de Môshah » dans les Siddourim `ashkanazim, après Davorim 4:44, afin de contrer les affirmations chrétiennes selon lesquelles toute la Tôroh ne fut pas dictée par HaShem à Môshah.

Mais peu importe, car il n'y a pas d'obligation à réciter un verset spécifique. D'ailleurs, de nombreux Ri`shônim, comme le Ramba''m ז״ל, par exemple, ne rapportent aucun verset particulier, et laissent donc la possibilité de choisir le ou les versets que l'on estime appropriés.

  1. Se prosterner à la Haghbohoh

Alors qu'il est indiqué dans le traité Sôfrim que l'assemblée doit se prosterner durant la Haghbohoh, il est plus courant aujourd'hui de voir les gens pointer un doigt vers la Tôroh durant la Haghbohoh. Et cela, en dépit du fait que même le Shoulhon ´oroukh, comme nous l'avons vu plus haut, déclare qu'il faut tomber à genou. Le Ramo''` écrit dans ses gloses que c'était également la pratique du Mahari''l.15 Cette inflexion se fait de la même manière que nous le faisons dans les Shamônah ´asréh. De nombreux Pôsqim ont déploré le fait que certaines personnes aujourd'hui ne s'incline plus du tout durant la Haghbohoh. Diverses raisons ont été avancées pour justifier cela.

Rabbénou Yasha´yohou ban Ma`ali Hazzoqon de Trani (né aux alentours de 1180, mort aux alentours de 1250), surnommé le Ri`a''z, est cité dans les Shilté Gibbôrim16 comme ayant affirmé que l'on doit se tenir debout et ne pas s'incliner devant la Tôroh. Il explique qu'il n'existe aucune source nulle part indiquant qu'il faudrait s'incliner vers la Tôroh ou l'arche. Certains Pôsqim ont interprété ces paroles comme voulant dire qu'il était en fait interdit de se prosterner pour la Tôroh et que seul se tenir debout pour la Tôroh était permis.17 Ce Pasaq est considéré être la justification principale de ceux qui ne se prosternent pas durant la Haghbohoh.18 Cette affirmation du Ri`a''z est en totale contradiction avec le TaNa''Kh et le traité Sôfrim. Le Hyda''` (Rabbi Hayim Yôséf Dowidh `azoula`y, 1724-1807) réconcilie ce conflit flagrant en expliquant que le Ri`a''z ne se référait pas un Séfar Tôroh ouvert, mais seulement à un Séfar Tôroh fermé, et que l'on doit donc s'incliner devant un Séfar Tôroh ouvert durant la Haghbohoh.19 (Cette explication ne tient pas la route, puisque la Haghbohoh ne se fait, de toute façon, jamais avec un Séfar Tôroh fermé.) D'autres ont prétexté qu'il ne convenait pas de s'incliner durant la Haghbohoh parce que le Séfar Tôroh pourrait ne pas être Koshér20, ou parce que celui qui soulève le Séfar Tôroh se tient entre l'assemblée et le Séfar Tôroh (ce qui pourrait donner l'impression que l'on s'incline pour lui et non la Tôroh. Notons que le problème ne se pose pas chez les Safaradhim, puisque celui qui soulève la Tôroh est derrière le Séfar Tôroh et non devant. Il n'est donc pas entre le Séfar Tôroh et l'assemblée)21, ou que le traité Sôfrim voulait juste dire qu'il était une bonne chose, mais pas une obligation, de se prosterner durant la Haghbohoh.22 Peu importe la justification (aucune n'étant d'ailleurs crédible), aujourd'hui, dans de nombreuses communautés on pointe du doigt le Séfar Tôroh plutôt que de s'incliner ou se prosterner.

Notons que pointer du doigt le Séfar Tôroh durant la Haghbohoh n'est mentionné dans aucune source ancienne, ni dans les écrits des Ga`ônim ou des Ri`shônim, pas même dans le Shoulhon ´oroukh, ni même les nombreux commentaires sur le Shoulhon ´oroukh (Moghén `avrohom, Darakhé Môshah, Mishnoh Barouroh, ´oroukh Hashoulhon, etc.). Dans de nombreux ouvrages, il est même écrit qu'il n'existe aucune source authentique soutenant une telle coutume et qu'elle devrait être évitée à tous prix. Plusieurs éminents rabbins contemporains ne pointent pas du doigt la Tôroh durant la Haghbohoh.

La toute première mention de cette pratique se trouve dans le Divré Mordokhay, un livre compilant les Tashouvôth (responsas) de Rabbi Mordokhay Qrispin, un rabbin de Rhodes du 19ème siècle. Aucune source à cette coutume n'est rapportée par lui, mais il justifie néanmoins pourquoi elle n'est pas inappropriée. Il cite un passage du Midhrosh23 dans lequel Rébbi Hanino` ז״ל explique que bien qu'il soit généralement considéré insolent et passible de la peine de mort de pointer du doigt l'image d'un roi, à cause de Son immense amour pour le peuple d'Israël HaShem permet aux jeunes enfants de pointer du doigt Son Nom dans le Béth Hammidhrosh. Le Rov Qrispin écrit que c'est sur cela que s'appuient les gens lorsqu'ils pointent du doigt la Tôroh.24 Cette justification est citée par le Rov Hayim Palaghi (1788-1869), qui fut le Grand Rabbin de l'Empire Ottoman, dans son ouvrage Séfar Hayim.25 C'est le livre vers lequel on nous renvoie généralement pour soutenir ce Minhogh. Depuis lors, de nombreuses explications ont été apportées pour la justifier, et même expliquer pour quelles raisons il conviendrait de pointer vers le Séfar Tôroh avec tel ou tel doigt ! D'autres encore pointent le Séfar Tôroh avec un Sisith puis l'embrassent. Toutes ces pratiques sont sans fondement et leurs justifications souvent farfelues. Nous ne nous y attarderont pas ici.

  1. Conclusion

Pour diverses raisons, la majorité des communautés juives se sont éloignées des pratiques d'origine, remontant aux temps bibliques, qui avaient cours durant le rite de la Haghbohoh. C'est déplorable, d'autant plus que beaucoup des pratiques contemporaines sont basées sur des superstitions et autres références midrashiques tirées hors contexte (d'autant plus qu'on ne base pas une Halokhoh sur un Midhrosh). Dans le Siddour Shômré `amounoh, nous nous tiendrons à la pratique d'origine, telle que rapportée dans le TaNa''Kh et le traité Sôfrim.

1Nahamyoh 8:5-6
2Le traité Sôfrim ne fait pas partie en tant que tel du Talmoudh, mais date du tout début de l'ère des Ga`ônim, et est donc un texte halakhique très ancien
3Sôfrim 14:14
4Davorim 4:44
5Tahillim 19:8
6Commentaire sur Davorim 27:26
7Dont les noms et les références sont donnés dans le Béth Yôséf, `ôrah Hayim 134:2
8`ôrah Hayim 134:2
9Voir ´oroukh Hashoulhon, `ôrah Hayim 147:9
10Kol Bô, Simon 20 ; Darakhé Môshah, , `ôrah Hayim 147:4
11Kanasath Haggadhôloh, Béth Yôséf, `ôrah Hayim 134:2
12Voir Kaf Hahayim, `ôrah Hayim 134:17
13Siddour Hashéla''h, Sha´ar Hashomayim, page 117b
14Bamidhbor 9:23
15Darakhé Môshah, , `ôrah Hayim 147:4
16Qiddoushin 14b
17Voir Birké Yôséf 134:3, où le Hyda''` en parle abondamment
18Pisqé Tashouvôth, Volume 2, 134:7, page 105, n°28
19Birké Yôséf 134:3
20Divré Yassiv, `ôrah Hayim Volume 1, 76:6
21Pisqé Tashouvôth, Volume 2, 134:7, page 106, n°29
22Séfar Qoro` Rava''s, page 267
23Bamidhbor Rabboh 2:3
24Divré Mordokhay, Simon 9

25Séfar Hayim 3:6