lundi 8 avril 2019

Réflexions sur la bonne et mauvaise éducation torahique – Partie II


בס״ד

Réflexions sur la bonne et mauvaise éducation torahique – Partie II


Cet article peut être téléchargé ici.

  1. La Tôroh et la science

Puisque le même D.ieu a créé aussi bien la Tôroh que la science, il est axiomatique de considérer que la Tôroh et la science ne peuvent pas avoir de conflit fondamental. La Tôroh et la science sont des manifestations du D.ieu Unique, l'Auteur de la vérité. C'est la raison pour laquelle nos Sages ont enseigné qu'HaShem Se comprend à travers Ses œuvres de création. Et sur base de cela, Ribbénou consacre les quatre premiers chapitres de son Mishnéh Tôroh à traiter de la science, car la connaissance scientifique est indispensable dans la foi juive authentique. Si la Tôroh et la science paraissent s'opposer sur certains points, c'est soit parce que nous n'avons pas correctement compris la Tôroh, soit parce que nous n'avons pas bien révisé nos sciences.

La connaissance scientifique a énormément progressé depuis les temps anciens. Chaque génération a contribué au savoir cumulé de l'humanité, et ce processus se poursuit dans notre génération, il se poursuivra également dans les générations futures. Avec l’avènement de nouveaux outils de recherche, les scientifiques ont été capables d'étendre l'horizon de la connaissance scientifique. Si HaZa''l et les rabbins de l'ère médiévale croyaient que la Terre était plate, que la Terre était le centre de l'univers, ou que le soleil tournait autour de la Terre, cela ne peut pas surprendre, puisque c'était là le niveau de leurs connaissances scientifiques en ces temps-là. De même, on ne peut pas leur reprocher de ce ne pas avoir connu des choses qui ne furent découvertes ou théorisées que bien des années ou siècles après leurs morts. Rash''i pensait que l'Océan Atlantique était « l'extrémité du monde » : Ribbénou croyait que le système ptoléméen d'astronomie était correct ; HaZa''l croyaient que les éclipses étaient des signes de la fureur Divine, alors qu'il s'agit simplement de phénomènes naturels prévisibles. Ce serait absurde de défendre les opinions scientifiques caduques de ces Sages et illustres rabbins, puisque nous savons aujourd'hui que leurs opinions ont été démontrées incorrectes. Les Sages et Ri`shônim se basaient sur les meilleures informations scientifiques disponibles à leurs époques ; mais les recherches et découvertes ultérieures ont conduit vers des informations plus précises et exactes. Nous devons traiter les choses sur base du niveau actuel de connaissance scientifique. Penchons-nous donc sur la question de l'âge de l'univers, à la lumière de la tradition torahique et de la science moderne.

Les Sages anciens calculèrent l'âge de l'humanité en additionnant les âges des personnages bibliques depuis le temps de `odhom. Il y avait des divergences d'opinion quant à la datation exacte, étant donné que le récit biblique ouvre la porte à diverses interprétations.1 La Bible elle-même n'utilise jamais le anno mundi (depuis la création du monde) pour dater des événements, et le système que nous utilisons actuellement (5779 au moment de la rédaction de cet article) semble s'être répandu seulement après les temps talmudiques. Les Tôsophôth2 s'étonnaient de la permissivité, à leur époque, de dater les Gittin (documents de divorce) en prenant pour base la création du monde, alors qu'en fait les Gittin d'antan (et d'autres documents légaux) étaient datés sur base de l'année du roi régnant du pays dans lequel les Juifs résidaient.

En fait, bien que le système de datation actuel que nous utilisons ne prend pas pour référence la création du monde, mais celle de `odhom, les littéralistes supposent faussement que l'on pourrait atteindre l'âge de l'univers en ajoutant les cinq premiers jours de la création à l'âge de `odhom ! Cela signifierait que le monde aurait été créé moins de 6 000 ans auparavant, d'où l'impossibilité pour eux que quoique ce soit ait pu exister avant ce temps-là. Mais nous avons des preuves sans équivoque de fossiles d'êtres qui existaient des millions d'années de là, et d'autres preuves scientifiques que l'univers est venu à l'existence il y a des milliards d'années. Les littéralistes résolvent le dilemme en niant l'existence de la moindre chose avant 5779 ans d'ici. Ils considèrent les évidences scientifiques comme imprécises, fausses, ou basées sur de mauvaises suppositions scientifiques. Ils sont prêts à mettre leurs mains à couper que le monde n'a que 5779 ans. Les dinosaures ne peuvent donc pas avoir existé ; quand on voit des ossements de dinosaures, il s'agirait simplement d'ossements de chiens qui furent avalés durant le déluge de Nôah, ou d'ossements qu'HaShem a plantés juste pour nous tester afin de voir si l'on pourrait croire que le monde ait plus de 5779 ans, ou encore qu'il s'agirait d'ossements qui ont mal été datés en raison de l'incompétence des scientifiques.

Pourtant, la Tôroh exige-t-elle réellement que nous nions les évidences scientifiques afin de justifier le système de datation anno mundi ? Ribbénou répondrait que non, puisqu'il insiste à d'innombrables reprises sur le fait que nous devrions rechercher la vérité et nous rapprocher ainsi de l'Auteur de la vérité. Si la science a démontré au-delà de tout doute raisonnable que les dinosaures ont existé il y a plusieurs millions d'années en arrière, nous devons alors rejeter l'opinion littéraliste selon quoi le monde n'aurait que 5779 ans !

Plusieurs de nos Sages et rabbins ont, en outre, mis en avant le fait que les six jours de la création n'étaient pas des jours de 24 heures. En effet, le soleil ne fut créé qu'au quatrième jour ; il ne pouvait donc pas y avoir un coucher ou un lever du soleil lors des trois premiers « jours ». Le mot « jour », tel qu'il est employé au début de la Tôroh, doit plus exactement se comprendre par « période » d'une longueur indéterminée. À chaque période de la création, il y a eu un passage d'une phase plus simple à une phase plus complexe. Puisque ces six « jours » de la création pourraient avoir duré des milliards d'années par calculs humains, les dinosaures peuvent avoir largement le temps d'avoir vécu et disparu avant que `odhom et Hawwoh n'eurent été créés au sixième « jour ».

le Rov `aryéh Kaplan a cité dans ses ouvrages de nombreux textes traditionnels Juifs soutenant que le monde est bien plus âgé que ne les laissent supposer les 5779 ans de notre système de datation actuel. Par exemple, le Séphar Hattamounoh, qui fut rédigé par le Tanno` (Sage de l'époque de la Mishnoh) Ribbi Nahounyoh ban Hakkanoh, avance que d'autres mondes existaient avant que `odhom ne fut créé. Même le Midhrosh Baré`shith Rabboh 1:5 enseigne qu'il existait des « ordres de temps » avant le premier jour de la création rapporté dans la Tôroh. Quant au Talmoudh3, il rapporte l'opinion selon laquelle il exista 974 générations avant `odhom.

Le plus intéressant est l'opinion de Ribbénou Yishoq d'Acre, un disciple et collègue du Rambo''n et l'un des premiers kabbalistes de son époque. En examinant l'un des ouvrages les plus importants de Ribbénou Yishoq, `ôsar Hahayyim, le Rov Kaplan a découvert que Ribbénou Yishoq déduisit que l'univers aurait un peu plus de 15,3 milliards d'années ! Cette théorie avancée par un kabbaliste médiéval, sur la seule base d'interprétations des textes bibliques et rabbiniques, est remarquablement proche des calculs de la science moderne qui date le « Big Bang » à approximativement 15 milliards d'années d'ici.4 Ribbénou Yishoq ne considérait pas être un besoin d'offrir des explications farfelues et tirées par les cheveux pour justifier à tous prix la théorie des 5779 ans. Lui, et ses nombreux pieux collègues et disciples, n'avaient aucun problème à considérer un univers vieux de plusieurs milliards d'années ; ils ne considéraient pas un tel calcul comme compromettant la vérité et véracité de la Tôroh. Il est donc essentiel de retenir que nous possédons des traditions légitimes dans le judaïsme torahique qui estiment que l'univers est plus âgé que 5779 ans.

Nos écoles et les parents ne devraient pas enseigner aux enfants que les ossements de dinosaures seraient des ossements de chiens emportés dans le déluge. Ce n'est pas une éducation torahique, mais de la mauvaise éducation. Il n'y a non seulement aucune nécessité religieuse à enseigner une telle absurdité, mais c'est au contraire un impératif religieux de ne pas enseigner de fausseté. Habiller une fausseté dans des manteaux de religiosité, c'est compromettre la foi véritable.

De même, au sujet de l'emplacement de la trachée et de l’œsophage, c'est un travestissement de l'éducation et de la morale d'enseigner sans honte de fausses informations dans le but de « valider » les notions erronées des rabbins des générations antérieures. Le Talmoudh5 enseigne que s'accouder vers l'arrière ou sur le côté droit n'est pas une façon valable d'accomplir le précepte de Hasibboh (s'accouder en mangeant), et ajoute l'explication que s'accouder d'une façon incorrecte peut mettre en danger la personne en amenant la nourriture à descendre dans la trachée. Commentant ce passage talmudique, Rash''i déclare que cette explication fut donnée en référence au fait de s'accouder vers l'arrière. Mais le Rashba''m s'oppose à la compréhension de Rash''i et cite ses maîtres qui ont plutôt affirmer que la trachée se trouvait à droite ; ainsi, d'après les maîtres du Rashba''m, le Talmoudh interdisait de s'accouder à droite en raison du danger de s'étouffer. Bien que ni Ribbénou ni même le Shoulhon ´oroukh ne citent cette explication farfelue, elle fut reprise par le Moghén `avrohom et le Ta''z, et devint depuis lors un enseignement très répandu dans les milieux orthodoxes. Or, cette explication, qui a commencé par les maîtres du Rashba''m, est factuellement fausse, et ne doit, par conséquent, pas être enseignée pour expliquer la raison pour laquelle nous nous accoudons à gauche lorsque nous mangeons.

Lorsqu'on enseigne aux enfants qu'il faut s'accouder à gauche en mangeant (notamment la nuit du Sédhar de Pasah), la seule explication valide est que dans l'Antiquité les hommes libres mangeaient assis sur des couches. Ils s'accoudaient ensuite sur leur côté gauche pour deux raisons : premièrement pour marquer leur statut d'hommes libres, et deuxièmement parce qu'en s'accoudant de ce côté-là leur main droite était disponible pour prendre la nourriture. C'est aussi simple que cela ! Si quelqu'un demande : « Ne nous accoudons-nous pas à gauche parce que c'est là que se trouve notre œsophage ? », la réponse est : « Certaines personnes pensaient de façon erronée que telle était la raison de notre accoudement à gauche, mais ce n'est pas la raison correcte. l’œsophage et la trachée ne sont pas l'un à côté de l'autre, mais l'un derrière l'autre ! »

C'est un principe général d'insister auprès de nos enfants et élèves que les déclarations scientifiques de HaZa''l et des rabbins des générations antérieurs étaient basées sur le niveau de connaissances scientifiques disponible à leurs époques. Nos Sages ont eux-mêmes admis dans le Talmoudh6 que les hommes instruits parmi les Gôyim étaient de loin plus avancés qu'eux dans les sujets scientifiques, et régulièrement nos Sages se tournaient vers eux lorsqu'ils avaient des questions à ces sujets. Comment donc, tout d'un coup, les Orthodoxes prétendent-ils que nos Sages connaissaient tout ce qui touchait aux domaines scientifiques ? C'est du pur mensonge ! Voici ce que l'un de nos illustres rabbins, le Rov Hayyim Dowidh Halléwi, a remarqué7 :

S'il devient clair au moyen d'une méthode scientifique précise qu'une certaine idée exprimée par nos Sages est complètement incorrecte, cela ne diminue en rien leur grandeur intellectuelle, Hos Washolôm, ni même leur grandeur en tant que sages de la Tôroh. Leurs paroles qui se rapportent à la Tôroh furent émises par la puissance de la sainteté de la Tôroh avec une part de Rouah Haqqôdhash (inspiration Divine) ; mais leurs autres paroles émises sur des sujets généraux furent prononcées uniquement du fond de leur sagesse humaine.

À suivre...
1Ribbénou ´azaryoh de Rossi (1511-1578) énonça toutes les inexactitudes et contradictions dans les calculs rabbiniques dans son ouvrage « Mé`ôr ´énayim »
2Sur Gittin 80b
3Haghighoh 13b
4`aryéh Kaplan, Immortalité, Résurrection et l’Âge de l'Univers : Une Opinion Kabbalistique
5Pasohim 108a
6Ibid., 94b
7´aséh Lakho Rov 5:49