dimanche 28 septembre 2014

Prier sur les tombes des Saddiqim - Quatrième Partie

ב״ה

Prier sur les tombes des Saddiqim

Quatrième Partie


  1. Les morts peuvent-ils entendre ce que les gens demandent sur leurs tombes ?

Nous commencerons cette quatrième partie en citant le verset suivant1 :

Car les vivants savent qu'ils mourront, tandis que les morts ne savent quoi que ce soit, et qu'il n'y a plus pour eux de récompense, car leur souvenir s'efface.
כִּי הַחַיִּים יוֹדְעִים, שֶׁיָּמֻתוּ; וְהַמֵּתִים אֵינָם יוֹדְעִים מְאוּמָה, וְאֵין-עוֹד לָהֶם שָׂכָר--כִּי נִשְׁכַּח, זִכְרָם

HaZa''l débattent de ce verset dans Barokhôth 18a-b (sur deux pages). Mais il y a une divergence d'opinion parmi les commentateurs classiques du Talmoudh quant à savoir quelle est la conclusion de ce débat talmudique. Les Tôsofôth2 ז״ל comprennent la conclusion du débat de la façon suivante : les morts ne savent pas. Les vivants ne peuvent pas transmettre de messages aux morts. Cependant, si quelqu'un meure aujourd'hui, il peut informer ceux qui sont déjà morts de ce qu'il se passe ici, dans notre monde des vivants. En réalité, ces deux pages du Talmoudh sont très simples à comprendre (le texte est malheureusement trop long que pour le reproduire ici). Si nous devions faire un résumé de ces deux pages, nous dirions ceci : dans la plupart des cas, après le passage d'un an ou deux après un décès, la chair du défunt se désintègre et n'existe plus. Si les « oreilles » physiques ne sont plus là, comment peuvent-ils entendre ce que les vivants disent ? En outre, le mort est profondément enterré dans le sol. Comment peut-il donc physiquement entendre ce qui se dit par les gens au dessus du sol ? Quant à l'argument selon lequel nous conversons avec l'âme, comment pouvons-nous savoir que nous nous sommes « connectés » ? L'âme est un concept spirituel qui transcende l'espace. Par conséquent, qui dit qu'elle se trouve simplement là, dans le cimetière ? L'âme est partout, en ville, ainsi que dans le désert, n'étant plus confinée dans un seul espace en particulier, sans compter que le cimetière est un lieu impur. Par conséquent, la conclusion est : pourquoi se rendre au cimetière pour établir un « contact » ? Une fois qu'une âme a quitté un corps, le contact peut s'établir n'importe où. Aller au cimetière pour cela n'est pas nécessaire !

On pourrait alors rétorquer que tout comme, dans la deuxième partie, nous avions rejeté le sens simple et littéral des `aggodhôth précédentes, de même, ici aussi cette Soughyoh de Barokhôth 18a-b ne devrait pas être prise en compte dans notre discussion pour conclure qu'il ne sert à rien d'aller au cimetière pour s'adresser aux morts afin qu'ils intercèdent pour nous auprès d'HaShem. Sauf qu'ici, ce passage aggadique est clairement halakhique, car il traite de la Halokhoh suivante : est-il nécessaire de se rendre au cimetière plusieurs jours après l'enterrement de quelqu'un ? Nous savons que le הֶסְפֵּד « Haspédh » (éloge funèbre) principal se tient le jour-même des funérailles. Cela est également attesté par le Ramba''n ז״ל dans son Tôrath Ho odhom. Les éloges funèbres tenues le trentième jour et le douzième mois des périodes de deuil ne sont que des honneurs supplémentaires que le défunt lui-même n'entend pas du tout, mais on les organise afin que les proches et les disciples du défunt l'honorent de la façon appropriée.

L' « honneur » dont nous devons faire preuve envers les morts n'a rien à voir avec toutes les superstitions « mystiques » qui circulent de nos jours sur les morts. Nous savons, par exemple, que Rovo` ז״ל partait à reculons quand il quittait la présence de son illustre maître, Rov Yôséf ז״ל. Un jour, en marchant à reculons pieds nus (marcher pieds nus était la coutume chez les Babyloniens de cette époque), les pieds de Rovo` se heurtèrent violemment au seuil en pierre de la porte qui servait de paillasson. Le choc avait été si violent que le seuil fut couvert de sang. Rov Yôséf, étant aveugle, ne savait pas tout ce que Rovo` faisait pour l'honorer. Quand ses autres disciples lui en parlèrent, il se mit à bénir abondamment Rovo` et lui souhaita de devenir le futur Rô`sh Yashivoh de la ville.3

En quoi l'honneur de Rov Yôséf, qui était aveugle et ne savait donc pas comment le traitait son disciple,, fut-il accru par le comportement de Rovo` à son égard ? À l'évidence, l' « honneur » est déterminé sur la base des sentiments de celui qui honore, c'est-à-dire, comment ce comportement l'éduque vers l'humilité et lui apporte du mérite, et non sur ce que cela aura pour effet chez la personne honorée. De même, quand un fils mentionne le nom de son père décédé et ajoute זִכְרוֹנוֹ לִבְרָכָה « Zikhrônô Livrokhoh – que son souvenir soit invoqué pour la bénédiction », il est évident que son père, qui n'est plus là (et dont les restes sont certainement enterrés à des kilomètres de là où le fils se trouve), est incapable d'entendre ces paroles de bénédiction. Néanmoins, il est du devoir du fils d'honorer son père de cette façon-là, étant donné que l'honneur dû aux parents ne s'arrête pas avec leurs décès. En ajoutant cette formule chaque fois qu'il mentionne le nom de son défunt père, il s'ajoute donc des mérites personnels, puisqu'il continue à accomplir la Miswoh d'honneur dû aux parents. Tout cela n'a donc rien à voir avec le défunt en lui-même. De même, il y a une obligation d'honorer les défunts en faisant un Haspédh bien après les funérailles, même si les morts ne peuvent pas l'entendre, car cela ne se fait pas pour ajouter des mérites aux défunts, contrairement à ce qu'on dit dans les milieux Orthodoxes d'aujourd'hui, mais pour ajouter des mérites aux personnes présentes. Quand ils entendront de bonnes choses sur le défunt et les enseignements moraux qu'il a transmis de son vivant, ceux qui sont présents auront le cœur à faire Tashouvoh et à faire vivre ces leçons en les appliquant dans leurs propres vies, et en les transmettant à d'autres. C'est ainsi que nous continuons à faire vivre la mémoire du défunt : en vivant sur ce qu'il nous a laissé. Et c'est ce que veut nous dire le Talmoudh par l'enseignement selon lequel, même dans leur mort, les Saddiqim sont vivants, puisque leurs paroles continuent à être enseignées et vécues, et les promesses qu'HaShem leur a faites ne prennent pas fin avec leur mort, mais se réaliseront à un moment ou à un autre, comme nous le voyons dans le très célèbre passage talmudique suivant4 :

Rov Yôhonon a dit : « Ya´aqôv `ovinou n'est pas mort ! ». Il5 lui demanda : « Est-ce donc en vain qu'ils lui firent des éloges funèbres, qu'ils embaumèrent son corps et l'enterrèrent ? » Il lui dit : « C'est d'un verset que je le déduis, car il est dit6 : ''Quant à toi, n'aies pas peur, Mon serviteur Ya´aqôv, parole d'HaShem ; et ne pleure pas, Yisro`él, car voici, Je te secourrai de loin, ainsi que ta postérité du pays de leur captivité''. Le verset le relie à sa postérité ; tout comme sa postérité est vivante, lui aussi est vivant ! »
א"ר יוחנן יעקב אבינו לא מת א"ל וכי בכדי ספדו ספדנייא וחנטו חנטייא וקברו קברייא א"ל מקרא אני דורש שנאמר ואתה אל תירא עבדי יעקב נאם ה' ואל תחת ישראל כי הנני מושיעך מרחוק ואת זרעך מארץ שבים מקיש הוא לזרעו מה זרעו בחיים אף הוא בחיים

Tant que le peuple d'Israël continuera à exister, Ya´aqôv `ovinou ע״ה continuera lui aussi d'exister, car toutes les promesses qui lui ont été faites par HaShem pour sa postérité ne se sont pas encore réalisées. Si, que Dieu préserve, ces promesses ne se réalisaient pas, ou que, à Dieu ne plaise, le peuple d'Israël cessait d'exister, alors Ya´aqôv `ovinou cesserait lui aussi d'exister. Par conséquent, étant donné que nous croyons fermement que tout ce qui est dit dans le TaNa''Kh est vérité, et que toutes les promesses non encore matérialisées faites aux patriarches se réaliseront, nous pouvons dire que les patriarches sont bel et bien en vie, car bien qu'ils soient physiquement morts, HaShem tiendra parole et accomplira ce qu'Il leur a promis ! C'est ce que veut dire le Talmoudh par cet enseignement. Et remarquez que la question de Rov Nahmon ז״ל ne laisse planer aucun doute sur le fait que cet enseignement selon quoi Ya´aqôv `ovinou n'est pas mort ne doit pas être interprété littéralement !

Y a-t-il une période de temps après la mort où le défunt est capable d'entendre les paroles des vivants qui font ses éloges ? Le Ta''z7 ז״ל enseigne que les morts entendent ce qui est dit sur leurs tombes jusqu'au moment où la tombe est scellée. Il se base en cela sur le Talmoudh Yarousholmi.8

Le Talmoudh Bavli rapporte dans Shabboth 152b ceci :

Rébbi `avohou a dit : « Tout ce qui est prononcé près du mort, il peut l'entendre jusqu'à ce que la tombe soit scellée ». Mais Rov Hiyo` et Rébbi Shim´ôn, le fils de Rébbi, [ont une divergence] ; l'un dit que le cadavre peut entendre jusqu'à ce que la tombe soit scellée et l'autre dit qu'il peut entendre jusqu'à ce que sa chair soit décomposée.
א"ר אבהו כל שאומרים בפני המת יודע עד שיסתם הגולל פליגי בה רבי חייא ור"ש ברבי חד אמר עד שיסתם הגולל וחד אמר עד שיתעכל הבשר

Nous avions déjà mentionné le fait que lorsqu'il y a une divergence d'opinion dans le Bavli, tandis que dans le Yarousholmi il y a une opinion unanime, nous suivons le Yarousholmi. Et cette règle est la raison du Pasaq du Ta''z.

Mais en fait, le Bavli en arrive aussi à la même conclusion que le Yarousholmi. Rov ז״ל a enseigné que si quelqu'un désire savoir si le défunt mérite la vie du Monde-à-Venir, il doit écouter les conversations que tiennent les gens aux funérailles du défunt.9 Le Talmoudh se base en cela sur le verset suivant10 :

Et tes oreilles entendront ce qui est dit derrière toi, à savoir : « C'est cette voie [que suivait le défunt] que vous devez suivre ; ne vous en écartez ni à droite, ni à gauche ! »
וְאָזְנֶיךָ תִּשְׁמַעְנָה דָבָר, מֵאַחֲרֶיךָ לֵאמֹר: זֶה הַדֶּרֶךְ לְכוּ בוֹ, כִּי תַאֲמִינוּ וְכִי תַשְׂמְאִילוּ

Dans son commentaire sur le Talmoudh, Rash''i ז״ל commente :

Lorsque tu seras couché sur ta civière mortuaire et que tu entendras les endeuillés dire lors des funérailles : « C'est la voie qu'a suivi ce défunt, faites-en de même ! », tu pourras être certain d'être un fils du Monde-à-Venir.

Pourquoi Rash''i rajoute-t-il les mots « lorsque tu seras couché sur ta civière mortuaire » ? Le Haspédh et les louanges faites au défunt ne se tiennent-ils pas même plus tard, le septième jour du deuil ? Et à nouveau le trentième jour ? Et une dernière fois après le douzième mois du décès ? Clairement, Rash''i veut nous faire comprendre que les défunts ne peuvent plus rien entendre après l'enterrement, même si le Haspédh se tient à côté de sa tombe !

Un autre commentaire important de Rash''i sur Shabboth 153a doit être mentionné. Rov demanda à son disciple, Rov Shamou`él bar Shillat ז״ל, de faire preuve de beaucoup d'entrain lorsqu'il l'élogiera à ses funérailles afin d'éveiller l'émotion des endeuillés, « parce que je serai présent à ce moment-là ». Rash''i commente :

Quand je mourrai, applique-toi avec vigueur de sorte que les gens [aux funérailles] soient émus. Ils doivent ressentir de la compassion et pleurer au moment de ma mort.

Pourquoi Rash''i ajoute-t-il les mots « au moment de ma mort » ? Là encore, Rash''i veut insister sur le fait que les morts ne sont capables d'entendre qu'avant l'enterrement, mais plus après, se basant sur la Soughyoh de Barokhôth 18a-b, qui à présent a bel et bien une application pratique et halakhique.

Tout cela a des ramifications par rapport à la coutume qui s'est développée de nos jours, où des gens (et plus particulièrement des femmes) qui ont désespérément besoin de l'intervention d'un illustre ancêtre, d'un proche, ou d'un grand rabbin décédé, se rendent au cimetière et répandent « leurs cœurs » et informent les morts de leurs besoins. Je citerai ici les propos de Rov Danzinger ז״ל, l'auteur des ouvrages « Hayé `odhom » et du Hokhmath `odhom :

Hokhmath `odhom 89:7
La Tôroh11 interdit de prier les morts. Techniquement, cela fait référence à quelqu'un qui jeûne et passe la nuit dans le cimetière, ce qui a pour effet que les mauvais esprit reposent sur lui. Les femmes et certains ´ammé Ho`orsôth12 qui visitent des tombes pour parler aux morts de leurs problèmes commettent probablement le péché de s'adresser aux morts. Certains des anciens Ga`ônim désiraient interdire la coutume de se prosterner sur les tombes des morts.
איסור דורש אל המתים זה שמרעיב עצמו ולן בבית הקברות כדי שתשרה עליו רוח הטומאה ואותן נשים וכן עמי הארצות שהולכין על קברי מתים וכאילו מדברים עם המתים ואומרים להם צרותיהם, קרוב הדבר שהם בכלל זה. ונמצא שיש מן הגאונים היו רוצים לאסור להשתטח על קברי מתים

Et tout cela se produit dans les milieux Hassidiques de tout bord, sans exception ! Il y a des gens qui ont franchi la barrière entre demander l'intercession du Saddiq et celle de prier le Saddiq, et adressent directement leurs besoins à celui-ci. Mais il y a quatre choses qu'ils oublient :

  1. C'est de la ´avôdhoh Zoroh pure et simple, et contrevient à l'un des 13 principes de la foi israélite.
  2. Le cimetière est un lieu d'impureté.
  3. Le mort n'entend plus ce qui est dit près de sa tombe depuis le moment où il a été enterré.
  4. Le Saddiq est désormais esprit. Il n'y a donc pas besoin de se rendre au cimetière, puisqu'il peut être retrouvé partout.

Quant au passage du Talmoudh13 qui tranche que si quelqu'un a calomnié une personne qui est à présent décédée, et n'a donc pas eu la possibilité de lui demander pardon quand elle était encore en vie, il doit se rendre au cimetière et lui demander pardon, passage qui est souvent employé par ceux qui disent que les morts continuent donc à entendre ce qu'on dit sur leurs tombes, l'intention de ce passage est de nous dire qu'il faut demander pardon à HaShem et non au défunt. C'est une manipulation du texte du Talmoudh par ces gens. Voici le passage en question :

Et s'il est déjà mort, on doit rassembler dix fils de l'Homme, les faire tenir sur sa tombe et dire : « J'ai péché contre HaShem, le Dieu d'Israël, et envers celui-ci, que j'ai fait souffrir ! »
ואם מת, מביא עשרה בני אדם ומעמידן על קברו ואומר חטאתי לה' אלהי ישראל ולפלוני שחבלתי בו

Clairement, ce passage ne parle pas du tout du fait de s'adresser au mort, contrairement à ce que font certains Hasidhim, mais au Saint, béni soit-Il, car le mort ne peut plus entendre. Mais alors, pourquoi nous rendre au cimetière, alors que cela aurait pu se faire ailleurs, comme par exemple à la synagogue ? On pourrait également se demander : pourquoi faire venir dix hommes ? N'aurait-il pas été suffisant de demander pardon en présence de trois hommes, comme cela se fait normalement lorsqu'on demande pardon à quelqu'un de son vivant ?

L'intention de HaZa''l par cette Halokhoh est d'amener le pécheur à s'humilier, de l'encourager à se désister de cette mauvaise Middoh et prendre l'engagement de ne plus la répéter. Rassembler dix hommes et se donner la peine de tous les amener au cimetière est nécessaire, car ce péché implique désormais le Maître du Monde, étant donné que le péché doit à présent se régler avec HaShem, et non plus avec le défunt, qui est déjà dans un autre monde. Or, comme c'est une activité qui concerne uniquement HaShem, il est donc nécessaire de rassembler un Minyon (quorum de dix), tout comme pour tous les autres rituels religieux que nous accomplissons pour HaShem (lecture publique de la Tôroh, Qadhoushoh dans la ´amidhoh, récitation du Qaddish après une étude de la Tôroh en groupe, etc.). Comme HaZa''l nous l'ont enseigné, les morts, une fois qu'ils sont dans l'autre monde, ne se soucient plus d'avoir été calomniés.14 Ils sont à présent dans un monde spirituel supérieur où ces choses n'ont plus aucune importance pour eux.

Dans la cinquième et dernière partie, nous verrons si la coutume de notre époque consistant à visiter le cimetière le trentième jour ou lors du Yohrzeit, ou juste pour honorer le défunt, est appropriée, comme le font ceux qui visitent la tombe du Mahara''l de Prague, du Go`ôn de Wilno` ז״ל, du Ba´al Shém Tôv, de Rabbi Nahmon de Breslev, du Loubavitcher Rebbe, etc.

1Qôhalath 9:5
2Sur Sôtoh 34b
3Talmoudh, Yômo` 53a
4Ta´anith 5b
5Rov Nahmon, avec qui il discutait
6Yirmayohou 30:10
7Yôréh Dé´oh 344:1
8´avôdhoh Zoroh 3:1
9Shabboth 153a
10Yasha´yohou 30:21
11Davorim 18:11
12Ignorants
13Yômo` 87a

14Barokhôth 19a