vendredi 14 novembre 2014

Parashath Hayyéi Soroh : Rivqoh avait-t-elle trois ans quand elle a épousé Yishoq ?

בס״ד

Parashath Hayyéi Soroh

Rivqoh avait-t-elle trois ans quand elle a épousé Yishoq ?


  1. Introduction

Cette semaine, nous parlerons abondamment du commentaire « choc » émis par Rashî זצ״ל selon quoi Rivqoh ע״ה n'avait que trois ans lorsqu'elle épousa Yishoq ע״ה. Cela nous permettra de parler des dangers de l’exégèse Biblique lorsqu'on ne la maitrise pas, ainsi que du rôle et l'importance des Midroshîm (doit-on les comprendre littéralement ? Si non, comment doit-on les interpréter ? Quel message les Midroshîm veulent-ils nous transmettre ?, etc.).

  1. Les âges des protagonistes

Béré`shîth 23:1-2
Les vies de Soroh furent de cent vingt-sept ans; telle fut la durée de ses vies. Soroh mourut à Qiryath `Arba', qui est Hèvrôn, dans le pays de Kéno'an; `Avrohom y vint pour dire sur Soroh les paroles funèbres et pour la pleurer.
וַיִּהְיוּ חַיֵּי שָׂרָה, מֵאָה שָׁנָה וְעֶשְׂרִים שָׁנָה וְשֶׁבַע שָׁנִים--שְׁנֵי, חַיֵּי שָׂרָה וַתָּמָת שָׂרָה, בְּקִרְיַת אַרְבַּע הִוא חֶבְרוֹן--בְּאֶרֶץ כְּנָעַן; וַיָּבֹא, אַבְרָהָם, לִסְפֹּד לְשָׂרָה, וְלִבְכֹּתָהּ

Les deux versets suivant nous fournissent trois détails :

  1. l'âge de Soroh ע״ה au moment de son décès
  2. le lieu de son enterrement
  3. l'arrivée de `Avrohom ע״ה à ce lieu-là pour élogier sur sa défunte épouse.

Le texte en lui-même ne nous fournit aucun indice quant aux raisons du décès de Soroh.

Les quelques détails qui nous sont fournis dans ces deux versets nous permettront de dresser un petit tableau d'ensemble sur la séquence des événements. Ainsi, le fait de savoir l'âge de Soroh peut être utilisé pour calculer les âges respectifs de `Avrohom et Yishoq au moment de son décès. Rappelez-vous que la Tôroh avait indiqué à la veille de la naissance de Yishoq que `Avrohom avait 100 ans et que Soroh en avait 901. Soroh est décédée à l'âge de 127 ans, 37 ans après avoir donné naissance à Yishoq, son fils unique. Par conséquent, au moment du décès de sa femme, `Avrohom avait 137 ans, et Yishoq en avait 37. En eux-mêmes, ces détails chronologiques pourraient n'avoir aucune importance, et pourtant, nous verrons, qu'en fait, ils sont essentiels.

L'autre détail chronologique qui pourrait avoir une grande importance concerne le mariage de Yishoq avec Rivqoh, sa cousine de premier degré. Selon ce qui est écrit dans la Paroshoh de la semaine prochaine, Parashath Tôlédôth, Yishoq avait בֶּן-אַרְבָּעִים שָׁנָה, בְּקַחְתּוֹ אֶת-רִבְקָה בַּת-בְּתוּאֵל הָאֲרַמִּי, מִפַּדַּן אֲרָם--אֲחוֹת לָבָן הָאֲרַמִּי, לוֹ לְאִשָּׁה « quarante ans lorsqu'il prit pour épouse Rivqoh, fille de Béthou`él, l'Araméen, du territoire de `Arom, sœur de Lovon, l'Araméen »2. Ainsi, si Yishoq avait trente-sept ans au moment du décès de sa mère, et qu'il en avait quarante quand il épousa Rivqoh, cela signifie que son mariage eut lieu trois ans après le décès de Soroh. Là encore, bien que ce calcul puisse sembler insignifiant, il a des conséquences exégétiques très importantes, comme cela sera montré.

  1. La cause du décès de Soroh

Jusque là, bien que nous soyons parvenus à dresser un tableau chronologique plus compréhensif, il nous reste encore à déterminer les causes précises de son décès. Nous est-il possible de reconstruire la chronologie ainsi que les événements ayant entouré sa mort ?

Selon Rashî, la réponse est « Oui » !

Rashî sur Béré`shîth 23:2
Le récit de la mort de Soroh fait immédiatement suite à celui de la 'Aqédath Yishoq. Lorsqu’elle a appris que son fils avait été ligoté sur l’autel, prêt à être égorgé, et qu’il s’en était fallu de peu qu’il fût immolé, elle en a subi un grand choc et elle est morte.
נִסְמְכָה מִיתַת שָׂרָה לַעֲקֵדַת יִצְחָק לְפִי שֶׁעַל יְדֵי בְּשׂוּרָת הָעֲקֵדָה שֶׁנִּזְדַּמֵּן בְּנָהּ לִשְׁחִיטָה וְכִמְעָט שֶׁלֹּא נִשְׁחָט פָּרְחָה נִשְׁמָתָהּ מִמֶּנּוּ וּמֵתָה

Pour Rashî (qui cite en fait ici les Pirqéi DéRabbî `Èlî'èzèr 32) et les nombreux commentateurs qui lui emboîtèrent le pas, Soroh est morte à la suite de la 'Aqédoh. Textuellement parlant, cette explication est déduite d'une règle d'interprétation très importante de la Tôroh : chaque fois que deux épisodes se suivent dans la Tôroh, et semblent n'avoir, à première vue, aucun lien entre eux, ils sont en fait liés. Par conséquent, si le récit du décès de Soroh suit le récit de la 'Aqédath Yishoq, c'est que les deux événements ont un lien l'un avec l'autre.

En fait, aucun épisode significatif n'intervient entre ces deux événements, puisque le dernier épisode rapporté dans la Paroshoh de la semaine dernière, Parashath Wayéro`, fut la 'Aqédath Yishoq3. Rappelez-vous qu'HaShem venait de demander au vieux `Avrohom de renoncer à son fils bien-aimé, Yishoq, en le ligotant sur l'autel en signe de foi absolue en Lui. Au dernier moment, alors que le couteau avait déjà été levé, l'ange d'HaShem retint sa main, et `Avrohom offrit à la place de son fils un bélier. La foi absolue de `Avrohom fut récompensée par une promesse de bénédiction et de réussite pour le peuple qui sortira un jour de Yishoq, son fils. Le récit de la 'Aqédath Yishoq se conclut par la phrase suivante : וַיָּשָׁב אַבְרָהָם אֶל-נְעָרָיו, וַיָּקֻמוּ וַיֵּלְכוּ יַחְדָּו אֶל-בְּאֵר שָׁבַע; וַיֵּשֶׁב אַבְרָהָם, בִּבְאֵר שָׁבַע « `Avrohom retourna vers ses serviteurs; ils se remirent en route ensemble pour Bé`ér Shova'. Et `Avrohom s'installa à Bé`ér Shova' »4. Remarquez que Yishoq n'est pas du tout mentionné dans ce verset. On nous dit que « `Avrohom retourna vers ses serviteurs ». Mais il ne nous est pas dit « `Avrohom et Yishoq retournèrent » Où est passé Yishoq ? De la nous déduisons qu'en voyant `Avrohom revenir sans Yishoq, et ayant entendu dire que `Avrohom était parti le sacrifier, le voyant revenir seul, Soroh en a déduit que Yishoq était mort, et ce fut la cause de son décès.

Après cela, le texte nous fait une parenthèse et nous parle de la généalogie de Rivqoh5. A part cette parenthèse, plus rien ne sépare la 'Aqédath Yishoq du décès de Soroh.

  1. Calculer l'âge de Rivqoh

De par tous ces éléments rassemblés et réunis, Rashî et de nombreux autres soutiennent que ce fut la nouvelle effrayante du décès de Yishoq qui provoqua le propre décès de Soroh. De plus, Rashî soutient que la parenthèse de l'énonciation de la généalogie de Rivqoh entre les récits de la 'Aqédath Yishoq et le décès de Soroh n'a pas pour unique but de nous informer des liens familiaux qu'elle avait avec son futur époux, Yishoq, mais que cela est également d'une grande importance pour des raisons chronologiques :

Rashî sur Béré`shîth 22:20
A son retour du Mont Môrîyoh, `Avrohom réfléchissait et se disait : « Si mon fils avait été immolé, il serait mort sans descendance. Il faut que je lui fasse épouser l’une des filles de 'Onér, `Èshkôl ou Mamré` ». C’est alors que le Saint, béni soit-Il, lui a annoncé la naissance de Rivqoh, sa future épouse.
בְּשׁוּבוֹ מֵהַר הַמּוֹרִיָּה הָיָה אַבְרָהָם מְהַרְהֵר וְאוֹמֵר אִלּוּ הָיָה בְּנִי שָׁחוּט כְּבָר הָיָה הוֹלֵךְ בְּלֹא בָּנִים הָיָה לִי לַהֲשִׂיאוֹ אִשָּׁה מִבְּנוֹת עָנֵר אֶשְׁכּוֹל וּמַמְרֵא בִּשְּׂרוֹ הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא שֶׁנּוֹלְדָה רִבְקָה בַּת זוּגוֹ

Pour Rashî (qui cite ici le Midrosh Béré`shîth Rabboh 57:3), l'énumération de la généalogie de Rivqoh, qui est une parenthèse entre la 'Aqédath Yishoq et l'annonce du décès de Soroh, doit par conséquent être comprise comme étant l'annonce de la naissance de Rivqoh. Elle vint au monde juste au moment où le vieux `Avrohom et son fils Yishoq revenait de leur rencontre avec HaShem au Mont Môrîyoh, événement qui provoqua le décès tragique de Soroh.

Rassemblant toutes ces informations, Rashî en arrive à la conclusion suivante :

Rashî sur Béré`shîth 25:20
Lorsque `Avrohom est revenu du Mont Môrîyoh, il a appris la naissance de Rivqoh. Yishoq était alors âgé de trente-sept ans, puisque Soroh est morte à ce moment-là, et qu’il s’est écoulé cette durée entre sa naissance et son sacrifice, et donc la mort de Soroh. Soroh avait en effet quatre-vingt-dix ans à la naissance de Yishoq et elle est morte à cent vingt-sept ans, ainsi qu’il est écrit : « la vie de Soroh fut de cent ans et vingt ans et sept ans » . Yishoq avait par conséquent trente-sept ans à la naissance de Rivqoh. Il a attendu qu’elle ait trois ans et l’a alors épousée.
שֶׁהֲרֵי כְּשֶׁבָּא אַבְרָהָם מֵהַר הַמּוֹרִיָּה נִתְבַּשֵּׂר שֶׁנּוֹלְדָה רִבְקָה וְיִצְחָק הָיָה בֶּן שְׁלֹשִׁים וְשֶׁבַע שָׁנָה שֶׁהֲרֵי בּוֹ בַּפֶּרֶק מֵתָה שָׂרָה וּמִשֶּׁנּוֹלָד יִצְחָק עַד הָעֲקֵדָה שֶׁמֵּתָה שָׂרָה שְׁלֹשִׁים וְשֶׁבַע שָׁנָה וּבַת תִּשְׁעִים הָיְתָה כְּשֶׁנּוֹלָד יִצְחָק וּבַת קכ"ז כְּשֶׁמֵּתָה שֶׁנֶּאֱמַר וַיִּהְיוּ חַיֵּי שָׂרָה וְגוֹ' הֲרֵי לְיִצְחָק שׁלֹשִׁים וְשֶׁבַע שָׁנִים וּבוֹ בַּפֶּרֶק נוֹלְדָה רִבְקָה הִמְתִּין לָהּ עַד שֶׁתְּהֵא רְאוּיָה לְבִיאָה שָׁלֹשׁ שָׁנִים וְנָשְׂאָה

Selon Rashî, Rivqoh aurait donc eut trois ans lorsqu'elle se maria à Yishoq !!!

La source principale de Rashî, lorsqu'il s'agit d'établir des chronologies, est le vénérable « dèr 'ölom Rabboh », un très ancien ouvrage midrashique consacré uniquement à la datation chronologique de tous les événements rayant eu lieu depuis la création du monde jusqu'à la révolte ratée de Bar Kôzîvo`, c'est à dire plus de 4 000 ans d'histoire ! Ce livre est abondamment cité tout au long du Talmoud. Selon le Chapitre Un de cet ouvrage, « Yishoq `Ovînou avait 37 ans quand il fut ligoté et placé sur l'autel. À ce moment-là, Rivqoh naquit. Ainsi, Yishoq `Ovînou se maria à Rivqoh quand elle avait 3 ans ».

  1. Le texte et le contexte contredisent Rashî

L'explication de Rashî provoque en fait un certains nombre de problèmes exégétiques lorsqu'on relit soigneusement le texte de la Tôroh.

Rappelez-vous que la 'Aqédoh est considérée comme étant la dixième et plus difficile épreuve de `Avrohom pour tester sa foi en HaShem. On lui demande de sacrifier ce qui lui est le plus cher, le fruit de ses plus anciennes aspirations, le seul espoir de voir sa légende se perpétuer, sa propre chair et son propre sang, Yishoq !

Le récit biblique présente sans l'ombre d'un doute cette histoire comme étant l'épreuve de `Avrohom, et de `Avrohom seul ! Son fils est décrit dans le texte comme un participant inconscient dont la confiance aveugle qu'il a en son père l'empêche de comprendre l'horreur qui va lui arriver. Ce n'est qu'au dernier moment qu'il semble comprendre. La lecture intuitive de l'histoire indique que Yishoq est un jeune garçon qui croit d'une foi absolue en son adorable père, comme n'importe quel enfant le ferait. Même la pensée incompréhensible de la mort ne peut pas souiller son innocence enfantine. Mais si Yishoq est un homme mature et bien développé de 37 ans au moment de la 'Aqédoh, alors l'épreuve de la 'Aqédoh est réellement la sienne et non celle de `Avrohom. Il accepta de bon cœur de sacrifier sa propre vie pour HaShem, et la 'Aqédoh n'est donc pas à créditer à `Avrohom !

Est-il réellement possible de réconcilier le texte biblique de la 'Aqédoh, qui semble indiquer que Yishoq n'était qu'un gamin, avec le commentaire de Rashî, selon qui Yishoq avait 37 ans ?

De même, la notion selon laquelle Rivqoh était âgée de 3 ans au moment de son mariage avec Yishoq n'est pas soutenable bibliquement parlant. Le texte en lui-même contredit non seulement totalement cette hypothèse, mais la rend même impossible !

Souvenez-vous qu'après la mort de Soroh, le vieux `Avrohom envoie son serviteur le plus loyal, `Èlî'èzèr, vers Horon, où vivent le frère et une grande partie de la famille de `Avrohom. `Èlî'èzèr s'en va avec une caravane de dix chameaux chargés de cadeaux et de bijoux précieux, avec pour mission de trouver dans la propre famille de `Avrohom une épouse appropriée pour Yishoq. S'approchant de la région de Horon, lui et ses bêtes sont épuisés et ont soif. `Èlî'èzèr décide alors de prier HaShem pour qu'Il lui accorde un signe indiquant qu'Il est avec lui et que sa mission sera couronnée de succès :

Béré`shîth 24:14
Que la jeune fille à qui je dirai : « Veuille pencher ta cruche, que je boive » et qui répondra : « Bois, puis je ferai boire aussi tes chameaux », puisses-Tu l'avoir destinée à ton serviteur Yishoq et puissé-je reconnaître par elle que Tu t'es montré favorable avec mon maître !
וְהָיָה הַנַּעֲרָ, אֲשֶׁר אֹמַר אֵלֶיהָ הַטִּי-נָא כַדֵּךְ וְאֶשְׁתֶּה, וְאָמְרָה שְׁתֵה, וְגַם-גְּמַלֶּיךָ אַשְׁקֶה--אֹתָהּ הֹכַחְתָּ, לְעַבְדְּךָ לְיִצְחָק, וּבָהּ אֵדַע, כִּי-עָשִׂיתָ חֶסֶד עִם-אֲדֹנִי

HaShem répondit instantanément à la requête pure faite par `Èlî'èzèr ! À peine cette prière était sortie de sa bouche qu'une jeune femme passa par-là pour se rendre au puits. S'approchant de cette jeune femme qui portait une lourde cruche sur son épaule, `Èlî'èzèr tenta de lui demander à boire. Sans aucune hésitation, non seulement cette jeune femme lui accorda à boire, mais en plus, elle offrit à boire aussi aux dix chameaux !

À présent, le texte fait clairement comprendre que puiser de l'eau du puits exigeait qu'on descende dans le puits avant d'y remonter6. Bien que nous ne connaissions pas le degré de soif de `Èlî'èzèr, ce que nous savons c'est que les chameaux sont des buveurs d'eau voraces ! Les chameaux du désert peuvent vivre de longs jours sans manger ni boire en convertissant la graisse en énergie, perdant ainsi un tiers de leur poids corporel entre chaque repas. Mais quand les chameaux se mettent à boire, ils peuvent consommer jusqu'à 65 litres d'eau ! Comment est-ce qu'une gamine de 3 ans pourrait-elle descendre dans un puits, remplir sa lourde cruche, en remonter et abreuver dix chameaux ? Ce n'est tout simplement pas possible ! Nous sommes forcés de conclure que Rivqoh ne pouvait à l'évidence pas être âgée de 3 ans.

  1. Interprétations opposées à Rashî

À la lumière de tout cela, il est difficile d'adopter l'explication et la chronologie offerte par Rashî.

Remarquez toutefois que ce qui pose problème ici n'est pas le fait de considérer la possibilité qu'un homme de 37 ans puisse se marier à une gamine de 3 ans. Après tout, cela se faisait certainement dans le monde oriental d'antan, et plus couramment qu'on pourrait le penser. Ce qui pose plutôt problème, c'est l'incohérence textuelle que cela cause, car le texte biblique ne semble pas soutenir une telle thèse.

Les détails subtils que la Tôroh nous offre rendent impossible l'application littérale de l'interprétation offerte par Rashî, car en lisant le texte de la Tôroh il n'est pas possible que Rivqoh puisse avoir 3 ans à ce moment-là, mais qu'elle est sans aucun doute possible plus âgée.

Lorsqu'on rejette un quelconque lien chronologique entre la 'Aqédoh, la naissance de Rivqoh et la mort de Soroh, les commentateurs, autres que Rashî et ses partisans, furent capables d'interpréter le texte sans tous les problèmes auxquels se confronte le commentaire de Rashî. C'est le cas notamment du `Ibn 'Èzro` זצ״ל :

`Ibn 'Èzro` sur Béré`shîth 22:4
« Nos Sages disent que Yishoq avait 37 ans au moment de la 'Aqédoh » Si c'est une tradition authentique, alors nous l'acceptons ! Mais d'un point de vue logique, cela ne peut pas être exact, car sinon le texte aurait sans aucun doute célébré la justice de Yishoq dans cet épisode, et sa récompense aurait dû alors être doublée par rapport à celle de son père pour s'être volontairement sacrifié par l'égorgement. Mais le texte ne rapporte rien du tout concernant Yishoq, mais indique clairement que c'était l'épreuve de `Avrohom.

`Ibn 'Èzro` poursuit alors son commentaire (qui se heurte aussi à certaines difficultés textuelles lorsqu'on s'y penche de plus près) en disant que Yishoq avait 13 ans au moment de la 'Aqédoh, plaçant ainsi l'événement quelques 20 ans avant la mort de Soroh, et ne le connectant donc pas à la naissance de Rivqoh.

De même, dans son très long commentaire, le Ramban זצ״ל explique ceci :

Ramban sur Béré`shîth 23:2
L'ordre de D.ieu concernant la 'Aqédoh fut communiqué à `Avrohom à Bé`ér Shova', car c'est là qu'il demeurait et c'est là qu'il retourna... C'est la raison pour laquelle le trajet jusqu'au Môrîyoh prit trois jours... Hèvrôn, à l'inverse, est proche de Yérousholayim. Après la 'Aqédoh, `Avrohom et Yishoq retournèrent vers Bé`ér Shova', comme le rapporte le verset (Béré`shîth 22:19), et y restèrent pendant de nombreuses années. S'il en est ainsi, Soroh n'est donc pas morte à ce moment-là... Après de nombreuses années, ils quittèrent le pays des Pélîshtîm (Bé`ér Shova') et se rendirent à Hèvrôn, et c'est là que Soroh mourut.

Bien que dans la suite de son commentaire, le Ramban offre une deuxième interprétation qui soutient l'opinion de Rashî, il ne renie pas sa lecture initiale de ces passages.

Concernant la nouvelle de la naissance de Rivqoh, `Ibn 'Èzro` et le Ramban sont tous deux d'accord pour dire qu'il n'y a aucune preuve textuelle pour soutenir l'affirmation de Rashî selon laquelle l'énonciation de la généalogie de Rivqoh équivaut chronologiquement à sa naissance. La signification de ce passage est seulement qu'il fallait indiquer la généalogie de Rivqoh pour démontrer qu'elle était bien de la famille de `Avrohom et Soroh, à l'inverse de Yishmo'`él, qui épousa des femmes étrangères ne provenant pas de la famille de `Avrohom. Il n'est par conséquent pas possible de déterminer avec certitude l'âge de Rivqoh au moment de son mariage avec Yishoq.

  1. Que nous reste-t-il à élucider ?

Ayant établit tout cela, deux missions importantes restent à accomplir. La première consiste à tenter de délimiter les paramètres de l'autorité du Midrosh. En d'autres mots, comment est-il possible que `Ibn 'Èzro` et le Ramban rejettent une source rabbinique qui est universellement acceptée (le Sédèr 'ölom Rabboh, qui est la source de Rashî) ? Pouvons-nous aussi leur emboiter le pas et décider comme ça de rejeter les commentaires basés sur des Midroshîm ? Et deuxièmement, si l'interprétation de Rashî est aussi impossible qu'il le semble, comment lui-même, qui est notre commentateur de la Tôroh le plus respecté, a-t-il pu l'accepter ? En d'autres mots, il ne fait aucun doute que Rashî et les auteurs du Sédèr 'ölom Rabboh étaient des géants de la Tôroh et qu'ils n'ont jamais émis le moindre commentaire inutile ou dans lequel nous devrions douter ! Ils pesaient chaque fois très minutieusement leurs mots et prenaient soin de ne jamais contredire le Péshat des versets de la Tôroh. Or, Rashî est connu pour ne commenter la Tôroh que d'une façon qui nous permettra d'en comprendre le Péshat ! Il ne fait donc aucun doute que si Rashî et le Sédèr 'ölom Rabboh ont choisi d'interpréter ainsi ces passages-là, c'est que, non seulement il y a une bonne raison, mais qu'en plus, cela ne contredit pas le Péshat ! La question évidente est donc : Comment devons-nous alors comprendre ces explications selon quoi Yishoq avait 37 ans au moment de la 'Aqédoh et que Rivqoh avait 3 ans au moment où elle s'est mariée avec lui, deux explications qui, à première vue, sont en opposition totale avec le Péshat des versets de la Tôroh ?

  1. Le Ramban et le Midrosh

Vers la fin de sa vie, le Ramban fut forcé de défendre sa foi et la foi de son peuple contre les tentatives missionnaires des Dominicains fanatiques qui jouissaient du soutien du roi Jacques d'Aragon. Dans un célèbre débat qui eut lieu à Barcelone en 1263 en présence du roi et de ses ministres, le Ramban fut confronté au juif apostat Pablo Christiani, converti au Christianisme, et qui représentait la puissante Église Catholique. Pablo, de par ses origines juives, se considérait comme un expert dans les questions juives. Mais de par son débat avec le Ramban, il en ressorti qu'il n'était en fait rien d'autre qu'un profond ignorant. Au cours du débat, Pablo tenta d'apporter des preuves de la messianité de `Ôthô Ho`Îsh à partir de divers Midroshîm qu'il avait soigneusement cités hors de leurs contextes. Le Ramban réfuta aisément ses affirmations, mais non sans attiser la colère de l'Église.

Parmi ses remarques, qui causèrent par la suite des débats vifs et passionnés dans les milieux Juifs, le Ramban énonça une distinction entre le Midrosh Halokhoh et le Midrosh `Aggodoh :

  • le Midrosh Halokhoh a pour but d'expliquer les Miswôth et comment est-ce qu'elles doivent être mises en pratique
  • le Midrosh `Aggodoh est purement homilétique de nature, et sert à illustrer certains enseignements.

L'exposition de la Halokhoh est formelle et rigoureuse. Des mots précis sont employés pour définir correctement la mise en pratique appropriée des Miswôth. De l'autre coté, la `Aggodoh est moins exacte et plus libre, et traite que très rarement de la doctrine. Son but est d'inspirer et non de définir. La Halokhoh signifie « voie » ou « sentier », et délimite les actes qui forment la colonne vertébrale des rites Juifs et le comportement éthique. La `Aggodoh signifie « raconter » ou « histoire », et examine les récits de la Bible en les illustrant par des paraboles qui ont pour objectif de développer l'intérêt et renforcer la foi spirituelle du lecteur. Comme le dit le Ramban :

Livre de la Dispute de Barcelone, paragraphe 39
Nous possédons trois genres de littérature : la première est la Bible ou TaNaKh, et chacun d'entre nous tous croyons dans une foi complète en chacun des mots qui y sont rapportés. La deuxième est le Talmoud, qui est une explication des Miswôth de la Tôroh, car la Tôroh contient 613 Miswôth. Il n'y en a pas une qui ne soit pas expliquée dans le Talmoud. Nous croyons dans le Talmoud, car c'est l'explication des Miswôth. La troisième sorte de littérature que nous possédons est le Midrosh, qui est une espèce de rassemblement de sermons. Concernant ce rassemblement [de sermons], celui qui y croit, très bien. Quant à celui qui n'y croit pas, rien de mal ne lui arrivera.

En d'autres mots, nous devons faire la différence entre les traditions qui expliquent et clarifient les 613 Miswôth et ont une incidence pratique, et de l'autre côté celles qui ne sont que des explications ou illustrations de passages qui n'ont rien à voir avec les Halokhôth ou mise en pratique des Miswôth, mais concernent plutôt des récits. Concernant ces dernières traditions, l'interprétation peut être plus libre, et les accepter est beaucoup moins dogmatique. De ce fait, on ne tombe pas sous le coup de l'hérésie si on rejette un Midrosh `Aggodoh. En outre, nous avions déjà vu dans l'article suivant que nous ne devions pas déduire une doctrine ou trancher une Halokhoh sur la base d'un Midrosh `Aggodoh. D'ailleurs, de nombreuses pratiques que nous observons de nos jours sont basées sur des Midroshîm douteux. Par contre, concernant les traditions qui concernent la Halokhoh, nous avons l'obligation de les accepter comme étant à 100% authentiques, et quiconque en doute est un hérétique.

Pour illustrer cela en des termes plus concrets, la Tôroh déclare7 : עַיִן תַּחַת עַיִן, שֵׁן תַּחַת שֵׁן, יָד תַּחַת יָד, רֶגֶל תַּחַת רָגֶל « œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied ». Le Talmoud discute de ce passage en long et en large et rapporte que de tout temps, Môshèh Rabbénou ע״ה nous a enseignés que la Tôroh parle ici de compensations financières et non pas de vengeances physiques et corporelles8. Cela signifie que si quelqu'un a cassé les dents d'un autre, il est condamné à lui verser des compensations financières pour le préjudice causé, l'hospitalisation, l'opération, ainsi que le nombre de jours où la personne n'a pas pu aller travailler à cause de ses dents cassés. Et de ce fait, celui qui lui aura cassé les dents saura ce que cela fait d'être privé de dents. De la même manière, celui qui a rendu handicapé quelqu'un sera condamné à payer pour l'invalidité et tous les frais médicaux, etc., et il saura ce que cela fait d'être handicapé. Ce verset n'a jamais voulu dire que si quelqu'un m'arrache un bras, je dois aussi lui arracher son bras ! C'est ce que nous explique le Talmoud, et cette explication est en réalité soutenue par le texte biblique lui-même. Et bien qu'à première vue cette tradition remontant à Môshèh Rabbénou semble ne pas concorder avec le sens littéral de ce verset, nous sommes néanmoins obligés d'accepter la tradition du Talmoud, parce qu'ici, nous avons à faire avec l'explication des Miswôth. (En outre, comme cela a été dit, nous pouvons, en réalité, déduire, à partr du texte biblique lui-même, que c'est bien de cette manière-là qu'il faut comprendre le verset susmentionné.)

De l'autre coté, concernant l'histoire de l'âge de Yishoq au moment de la 'Aqédoh, ou l'âge de Rivqoh au moment de son mariage, ces Midroshîm n'ont aucune incidence ou pertinence de quelque nature que ce soit sur l'accomplissement d'une quelconque Miswoh. Par conséquent, `Ibn 'Èzro` et le Ramban ont parfaitement le droit de remettre en cause cette tradition affirmant que Yishoq avait 37 ans, ou encore celle qui rapporte que Rivqoh avait 3 ans au moment de son mariage.

  1. Comprendre autrement le commentaire de Rashî

Rashî n'est pas infaillible, comme nous l'avions montré dans l'article suivant, par conséquent il peut tout à fait s'être trompé ici ! Néanmoins, il est possible de donner une interprétation différente à ses propos !

`Avrohom est appelé à sacrifier l'être le plus précieux qu'il possède, son fils bien-aimé. Mais il y a une autre dimension à la 'Aqédoh, que nous-mêmes avons expérimenté tout au long de notre exil, à laquelle nous sommes appelés, à savoir, sacrifier nous-mêmes nos propres vies pour démontrer notre foi et attachement à HaShem, ce qu'on appelle mourir 'Al Qîddoush HaShem. Nous ne devons pas le faire d'une façon infantile et comme des robots sans émotions, mais plutôt comme des adultes sensibles, réfléchis et matures, en pleine connaissance de cause de l'acte important que nous nous apprêtons à accomplir. Et c'est cela le message important supplémentaire que viendrait nous apprendre l'interprétation de Rashî. Bien que Yishoq était un adolescent au moment de la 'Aqédoh, il s'est comporté comme un adulte de 37 ans !

En fait, dans les commentaires de Rashî, Yishoq est le vrai héros de la 'Aqédoh (c'est pourquoi, cette épreuve n'est pas appelée « l'épreuve de `Avrohom » mais « la ligature de Yishoq »). et la façon extraordinaire avec laquelle il a accepté d'être ligoté et sacrifié nous sert d'exemple à nous tous pour les actes de morts en martyr réalisés par ses descendants après lui, des actes de sacrifices nés d'une foi délibérée, réfléchie et entière en HaShem. Comme l'écrit le Rambam זצ״ל dans sa discussion sur le fait de mourir en martyr :

Mishnéh Tôroh, Hilkhôth Yésôdéi Hattôroh 5:4
Et quiconque pour qui il a été dit qu'il doit se faire tuer et ne pas transgresser, s'il se laisse tuer et ne transgresse pas, voici, celui-là a sanctifié le Nom. Et si cela s'était produit au milieu de dix [membres du peuple d']Israël, voici, celui-là a sanctifié le Nom en public, comme Donîyé`l, Hananyoh, Mîsho`él et 'Azaryoh, ainsi que comme Ribbî 'Aqîvoh et ses compagnons. Ces derniers sont ceux qui furent mis à mort par les autorités, et il n'existe pas de plus haut niveau que le leur. C'est les concernant qu'il est dit9 : « Mais pour Toi, nous subissons chaque jour la mort ; on nous considère comme des brebis destinées à l’abattage ». C'est [aussi] les concernant qu'il est dit10 : « Rassemblez-Moi Mes pieux serviteurs, qui ont contracté Mon alliance par un sacrifice ».
וְכָל מִי שֶׁנֶּאֱמָר בּוֹ יֵהָרֵג וְאַל יַעֲבֹר, וְנֶהְרַג וְלֹא עָבַר--הֲרֵי זֶה קִדַּשׁ אֶת הַשֵּׁם. וְאִם הָיָה בַּעֲשָׂרָה מִיִּשְׂרָאֵל--הֲרֵי זֶה קִדַּשׁ אֶת הַשֵּׁם בָּרַבִּים, כְּדָנִיֵּאל חֲנַנְיָה מִישָׁאֵל וַעֲזַרְיָה וּכְרִבִּי עֲקִיבָה וַחֲבֵרָיו; וְאֵלּוּ הֶם הֲרוּגֵי מַלְכוּת, שְׁאֵין מַעֲלָה עַל מַעֲלָתָם, וַעֲלֵיהֶם נֶאֱמָר "כִּי-עָלֶיךָ, הֹרַגְנוּ כָל-הַיּוֹם; נֶחְשַׁבְנוּ, כְּצֹאן טִבְחָה", וַעֲלֵיהֶם נֶאֱמָר: אִסְפוּ-לִי חֲסִידָי--כֹּרְתֵי בְרִיתִי, עֲלֵי-זָבַח

De l'autre coté, concernant l'acte de compassion dont Rivqoh fit preuve envers `Èlî'èzèr et ses chameaux, à la lumière du commentaire de Rashî, nous pouvons le comprendre de deux façons.

Il y a Rivqoh l'adulte, la femme jeune, mature, qui a d'une façon tout à fait altruiste offert de l'eau à un étranger et ses bêtes. C'est la lecture évidente du texte. Mais là encore, Rashî nous propose une lecture plus profonde qui lie Rivqoh à une petite gamine de 3 ans. Quelle est la différence entre les deux ? Parfois, lorsque nous accomplissons des actes de bonté, nous avons beaucoup d'objectifs cachés à l'esprit. Nous faisons souvent les choses pour en retirer un certain honneur ou plaisir personnel, ou pour que les autres nous en remercient, etc. Et même lorsque nous le faisons d'une manière désintéressée, ce n'est pas complètement désintéressé. Ça, c'est « l'altruisme » des adultes, et parfois cet altruisme est tout de même imprégné d'un élément de calcul délibéré. Après tout, `Èlî'èzèr l'étranger amenait avec lui dix chameaux remplis de cadeaux et de bijoux. En voyant toute cette richesse, peut-être qu'il y avait quelque chose à gagner en accomplissant un acte de bonté pour lui et ses chameaux. D'ailleurs, nous voyons très bien que c'est pour ces richesses-là que Lovon, le propre frère de Rivqoh, accueillit à bras ouverts `Èlî'èzèr11.

Mais Rashî pourrait vouloir nous faire comprendre qu'il existe un autre degré d'altruisme dans lequel nous mettons complètement de coté toute pensée de gain personnel, nous concentrant plutôt pleinement sur l'acte de compassion en lui-même. Dans cette sorte d'altruisme, l'acte de compassion a en lui-même une qualité pratiquement entièrement naïve et enfantine, plus particulièrement lorsque cela demande de nous des efforts physiques conséquents (en effet, qui accepterait d'accomplir un acte d'altruisme lorsque cela demande des efforts physiques importants de sa part ?). En décrivant Rivqoh comme une gamine de 3 ans qui prit naturellement soin de `Èlî'èzèr et ses dix chameaux en descendant dans un puits profond et en en remontant avec une cruche lourde remplie d'eau pour leur offrir à boire, Rashî pourait vouloir nous faire comprendre la pureté et la naïveté 100% altruiste de Rivqoh. Et c'est ce niveau d'altruisme caractéristique des petits enfants que Rashî nous demanderait de considérer et d'immiter. Nous devrions nous comporter comme Rivqoh qui, bien qu'elle était déjà une jeune femme, se comporta en tous points comme une gamine de 3 ans qui fait les choses sans intérêt ni motif ultérieur, mais avec un altruisme totale !

Dans cette façon de lire le texte que nous propose Rashî, Yishoq, le jeune adolescent qui s’apprêtait à être sacrifié, s'est avéré être un adulte mature doté d'une foi impressionnante et absolue, alors que Rivqoh, une jeune femme expérimentée dans le puisement d'eau et qui pouvait facilement détecter les voyageurs riches, s'est avérée être pure comme une enfant de 3 ans qui ne désire rien d'autre que faire du bien et soulager les voyageurs et les animaux assoiffés.

La leçon que nous pourrions tirer de l'interprétation de Rashî est celle-ci : comme Rivqoh, soyez bons et compatissants, sans rien vouloir en gagner, sans aucun désir de récompense, mais n'agissez que parce que vous estimez être de votre devoir d'agir. Mais de l'autre coté, soyez comme Yishoq, des serviteurs d'HaShem, prêts à tout pour Lui, en pleine connaissance de cause, avec maturité et intelligence, avec sensibilité et conscience, et non pas d'une façon immature et irréfléchie.

Ce pourrait être une explication pour comprendre la chronologie rapportée par Rashî... sauf qu'elle ne semble pas coller avec le Péshat des propos de Rashî, dont tout laisse à penser qu'il croyait sincèrement et littéralement que Rivqoh avait bien 3 ans quand elle a épousé Yishoq !

Mais nous ne sommes pas liés à ce genre de traditions !

  1. La Tôroh n'est pas écrite selon un ordre chronologie continu

Il est bien connu que les histoires mentionnées dans la Tôroh ne sont pas toujours rapportées en suivant l'ordre chronologique des moments où elles ont eu lieu. Ainsi, il arrive très souvent qu'un récit soit mentionné avant un autre, alors que l'autre s'est chronologiquement passé avant le premier événement rapporté. Comme l'ont dit nos Sages, « Il n'y a pas d'avant ni d'après dans la Tôroh ».

Et en réalité, le récit du décès de Soroh n'est pas du tout lié à la 'Aqédath Yishoq. L'une des indications que nous avons pour le soutenir est le fait que `Avrohiom aurait été accompagné par Yishmo'`él et `Èlî'èzèr lorsqu'il se rendit au Môrîyoh pour sacrifier Yishoq. En effet, sur le verset de Béré`shîth 22:3, qui nous dit simplement que `Avrohom partit vers le Môrîyoh avec ses deux jeunes hommes. Sur ce verset, Rashî commente ceci :

Ses deux jeunes hommes : Yishmo'`él et `Èlî'èzèr, parce qu'un homme distingué ne doit pas sortir de chez lui sans une escorte de deux personnes.
אֶת שְׁנֵי נְעָרָיו : יִשְׁמָעֵאל וֶאֱלִיעֶזֶר שֶׁאֵין אָדָם חָשׁוּב רַשָּׁאי לָצֵאת לַדֶּרֶךְ בְּלֹא שְׁנֵי אֲנָשִׁים

Si dans le chapitre précédent la Tôroh raconte que `Avrohom chassa Yishmo'`él avec sa mère, Hogor, mais qu'ici Rashî nous informe que l'un des deux jeunes hommes qui l'accompagna au Môrîyoh avec Yishoq était Yishmo'`él, cela indique alors clairement que la Tôroh n'a pas rapporté les événements en suivant l'ordre chronologique dans lequel ils se sont déroulés. Ainsi, bien que la 'Aqédath Yishoq fut rapportée après, elle eut lieu avant que `Avrohom ne chasse Yishmo'`él de chez lui ! Et cela démolit du coup l'affirmation selon quoi la mort de Soroh serait liée à la 'Aqédath Yishoq, et accrédite plutôt le fait qu'elle soit décédé quelques temps après cet événement, qui lui-même eut lieu avant, et non après, que Yishmo'`él ne fut chassé !

Il n'y a donc aucun lien chronologique direct entre la 'Aqédath Yishoq et le décès de Soroh.

Dans la Tôroh, il n'y a pas d'avant ni d'après. L'ordre dans lequel les histoires sont mentionnées n'indique pas une quelconque suite chronologique.

1Béré`shîth 17:17 ; 21:5
2Ibid., 25:20
3Ibid., 22:1-19
4Ibid., 22:19
5Ibid., 22:20-24
6Ibid., 24:16
7Shémôth 21:24
8Talmoud, Bavo` Qammo` 84a
9Téhîlîm 44:23
10Ibid., 50:5
11Béré`shîth 24:29-32