vendredi 23 janvier 2015

Rabbénou `Avrohom bèn HaRambam concernant les Minhagim et le droit à la diversité des opinions

בס״ד

Rabbénou `Avrohom bèn HaRambam concernant les Minhagim et le droit à la diversité des opinions


Rabbénou `Avrohom bèn HaRambam זצ״ל (le fils aîné et successeur du Rambam זצ״ל), dans son Séfèr Hammaspiq, discute en longueur des décorations présentes dans une pièce au moment de la prière (quelles décorations sont permises et lesquelles ne le sont pas), du fait de savoir s'il faut s'asseoir ou se tenir debout pendant la prière (« s'asseoir », dans le langage des Ri`shônim, signifie s'asseoir par terre ou sur un tapis), dans quelle direction faut-il s'asseoir, précise que les gens devraient s'asseoir en rangées, etc. Bref, il parle de toute une série de lois et de règles, et c'est vraiment un livre très passionnant à lire, d'autant plus que Rabbénou `Avrohom était connu pour son franc-parler quant il s'agissait de dénoncer ceux qui inventaient des traditions et des Minhagim n'ayant jamais existé et abolissaient les vraies traditions et les Minhagim ancestraux du peuple d'Israël.

Une autre chose pour laquelle Rabbénou `Avrohom bèn HaRambam est connue, est le fait qu'il tenta de toutes ses forces de réintroduire ou préserver les prosternations jusqu'au sol durant certaines parties de la prière, plus particulièrement durant la récitation du Qaddish1, du Hallél, après chaque « HallalouYoh » dans les Pasiqéi DaZimroh, pendant les bénédictions de la Qiryath Shama´, etc...Il déclare que l'une des raisons pour lesquelles le Talmoud n'en a pas fait une obligation, bien que plusieurs le faisaient dans les temps talmudiques, est que les gens auraient eu difficile de se prosterner si souvent durant la prière, et par conséquent, la Halokhoh du Talmoud a limité l'obligation de se prosterner jusqu'au sol que pour le Borakhou, la ´Amidoh et le ´Aléinou2. Mais rien n'interdit de se prosterner à d'autres moments de la prière ; c'est juste que le Talmoud ne l'a pas rendu obligatoire pour ne pas imposer de fardeau à la communauté. C'est pourquoi, à l'exception de Borakhou, de la ´Amidoh et du '´Aléinou, ni le Rambam, ni Rabbénou `Avrohom, n'ont inscrit dans leurs ouvrages halakhiques l'obligation de se prosterner à d'autres moments que ces trois prières et bénédictions. Néanmoins, Rabbénou `Avrohom bèn HaRambam déclare clairement que selon lui, une adoration authentique d'HaShem יתברך doit inclure ces multiples prosternations. Et il prend pour exemple ce qui est écrit dans le traité Barokhôth du Talmoud au sujet de Rabbi ´Aqivo` זצ״ל qui, quand il priait, commençait à un endroit et finissait à un autre « à cause de ses nombreuses prosternations dans la prière ».

Il écrit beaucoup à ce sujet dans son Séfèr Hammaspiq avec un ton provocateur et polémique. Il est clair de la façon avec laquelle il s'exprime sur le sujet qu'il rencontra une vive opposition quand il chercha à propager cette idée. Mais il y a de très nombreux arguments très intéressants qu'il utilise pour défendre son opinion. Ensuite, il mentionne une à une les objections qui lui ont été présentées par ceux qui s'opposaient à faire des prosternations multiples une forme régulière de ´Avôdath HaShem et les récuse une à une. L'un des arguments qu'on lui opposa, et qui est souvent repris de nos jours, est que faire des prosternations multiples dans la prière est une coutume des non-Juifs. Certains accusèrent même Rabbénou `Avrohom d'être influencé par la théologie Musulmane soufie. Apparemment, Rabbénou `Avrohom fut confronté à plusieurs reprises à cet argument. Il y répond en longueur en expliquant notamment que ce n'est pas parce que d'autres religions, et encore plus quand ces religions découlent du Judaïsme, ont copié des rites Juifs que le rituel n'est plus légitime et doit être abandonné.

Une autre objection à laquelle s'attaque Rabbénou `Avrohom est celle selon laquelle il n'est pas dans les coutumes ou habitudes du peuple Juif de se prosterner durant la prière. Voici quelques extraits de sa réponse :

Quelqu'un pourrait s'opposer à ce que nous venons de clarifier et prouver qu'il ne faut pas se prosterner dans la prière en ayant recourt à l'argument selon lequel ces choses ne sont pas en accord avec le Minhag en vigueur et qu'il est difficile de changer un Minhag étant donné que la Mishnoh elle-même oblige chaque personne à garder le Minhag qui lui a été transmis...Cet argument n'a aucun sens, d'autant plus que les Minhagim que je propose et auxquels ils s'opposent sont très anciens et furent accomplis en présence de sages respectables, de Talmidéi Hakhomim et de décisionnaires de la Halokhoh, et qu'ils ne virent rien de mal à cela, tout comme ils ne proposèrent pas de les imposer au peuple. Ma proposition [de fréquemment se prosterner dans la prière] semble à leurs yeux comme une innovation et un éloignement par rapport aux [générations] précédentes.

Vous pouvez dire tout ce que vous voulez à ce sujet, mais cela nous ramènera à ce que j'ai dit plus tôt : que les Minhagim répandus, qu'ils soient populaires ou impopulaires, anciens ou récents, accomplis en présence de [Sages] respectables ou pas, si nous pouvons prouver qu'ils sont mauvais, nous n'avons alors pas le droit de les suivre. Car il n'est pas impossible pour des `Aharônim3 de clarifier des choses que les Ri`shônim4 étaient dans l'incapacité de clarifier ; il est assez courant que les `Aharônim construisent sur ce que les Ri`shônim ont déjà clarifié, leur donnant ainsi les outils nécessaires pour progresser davantage et arriver à des conclusions différentes de celles des Ri`shônim... Ce n'est pas parce que les `Aharônim sont en toutes circonstances meilleurs que les Ri`shônim, mais parce que les `Aharônim ont tout simplement l’opportunité d'analyser les enseignements des générations précédentes, de construire à partir de ces enseignements et d'apprendre d'eux. En utilisant les règles de déduction, ils [les `Aharônim] peuvent arriver à des conclusions qui nous obligent à les suivre, pourvu que ce qu'ils disent à du sens et est basé sur des règles de logiques acceptées... Par conséquent, il n'y a absolument aucune raison pour que quelqu'un de rationnel, dont l'intelligence est entière, s'oppose aux choses qui furent clarifiées par un sage tardif qui utilise des preuves correctes, en disant qu'il rejette ce que le sage tardif a dit car les autorités des générations précédentes ne sont pas arrivées à la même conclusion. Il est bien connu que les Ga`ônim attaquaient vigoureusement les sages les ayant précédés en expliquant des choses que ces derniers n'avaient pas découvertes.

Voyez les remarques très critiques que Rabbénou Yishoq5 a faites à l'encontre du Rov Haï Go`ôn6, en dépit du fait que ce dernier était doté d'une énorme intelligence et connaissance, tout comme ses critiques sur Rabbénou Nissim7... Et même Rabbénou Yôséf HaLéwi8, qui était pourtant un disciple du Rif, n'était pas d'accord avec lui sur de nombreux points. Mon propre père (le Rambam), bien qu'il se considérait comme étant leur disciple à tous les deux, et que dans son Mishnéh Tôroh il fait référence à eux deux comme étant « mes maîtres », parce que son père (Rabbénou Maïmôn) fut un disciple de Rabbénou Yôséf, et bien malgré tout cela, il n'était pas d'accord avec eux quand il découvrait des preuves véritables contre eux. Il s’opposait même à son père (Rabbénou Maïmôn) et a dit une fois : « Mon père fait partie de ceux qui l'ont interdit, mais moi je fais partie de ceux qui le permettent ! »9

Il n'y a rien de mal à ce que des sages et des hommes de science religieuse fassent cela. C'est uniquement les ignorants et les gens semblables qui doivent s'appuyer sur leurs dirigeants. Mais cela n'oblige PAS LES SAGES à suivre leurs traces !

C'est une lettre très passionnante. Rabbénou `Avrohom bèn HaRambam explique clairement qu'aucun Minhag n'est infaillible ou irremplaçable. Si un érudit, qu'il soit rabbin ou pas, mais sait étudier la Tôroh en profondeur de la façon traditionnelle, découvre qu'un Minhag est mauvais car interdit par nos Sages du Talmoud et d'autres sources de notre tradition, et qu'il sait le prouver en utilisant les règles que le système halakhique a développées, il peut suivre ses conclusions et changer ce Minhag, peu importe que le reste de la communauté suit un autre Minhag !

Un Minhag n'est pas nécessairement l'accomplissement d'un acte mais peut aussi être le fait de s'abstenir d'accomplir un certain acte, quand bien même la majorité de la communauté accomplirait cet acte. Si un érudit, qu'il soit rabbin ou pas, découvre dans les textes de la tradition qu'il faut accomplir un certain acte et ressent le besoin de l'accomplir alors que la majorité des Juifs ne le font pas, comme par exemple se prosterner dans la prière, il doit, avant de le faire, s'atteler à faire l'effort de démontrer que ce qu'il croit, même si c'est différent de ce que le reste de la communauté croit, est correct et approuvé par la Halokhoh. Il n'a rien à imposer aux autres, et les autres doivent respecter sa pratique si elle a une base légitime évidemment.

Il y a toutefois une condition, car sinon ce serait trop facile de contester tout ce que les rabbins disent et enseignent : celui qui souhaite changer ou abolir un Minhag, doit être un savant, quelqu'un qui passe beaucoup de temps à étudier et à creuser dans la Tôroh et la Halokhoh (et non pas parce qu'il a lu sur Internet), et il doit utiliser les outils fournis par la Halokhoh, sans inventer de Minhagim qui n'ont pas de base, juste pour le plaisir de s'opposer aux rabbins. Une personne qui ne suit pas la Halokhoh telle qu'elle a été tranchée par les Sages, juste parce qu'il n'en a pas envie et est incapable de prouver que sa position est exacte, est un rebelle, et la Tôroh interdit la rébellion. De plus, une fois qu'un Rov est consulté sur une question halakhique, il n'est pas permis par la Tôroh de ne pas écouter sa décision, à moins que l'on sache prouver qu'il s'est trompé. Si la personne remplie les conditions susmentionnées, alors quant il s'agit d'intégrité, les Minhagim adoptés par la communauté n'ont pas de valeur contraignante et peuvent être changés, réadaptés ou abolis (l'abolition n'est possible que s'il peut démontrer que ces Minhagim contreviennent à la tradition, à la Halokhoh, etc.) .

Ainsi, jusqu'à preuve du contraire, nous avons une obligation d'écouter TOUT ce que nous disent les rabbins et les sages. MAIS, si, parce qu'on s'est cosnacré à l'étude profonde de la Tôroh et de la Halokhoh, on sait prouver qu'il n'est pas convenable de suivre tel ou tel Minhag (ne pas confondre « Minhag » avec « Halokhoh »), sans inventer ses propres règles, mais en se basant sur les règles halakhiques énoncées par nos Sages, alors quand bien même la majorité de la communauté ferait autrement, nous avons le droit de suivre un chemin différent.

C'est la beauté de la foi israélite, une foi dans laquelle TOUT LE MONDE partage des bases communes, mais qui laisse aussi le champ libre à l'expression personnelle !

1La raison pour laquelle de nos jours le Shaliah Sibbour incline sa tête dans certaines phrases du Qaddish est que dans les temps passés les Rabbins devaient se prosterner jusqu'au sol à ces endroits-là.
2Contrairement à nos jours, le ´Aléinou n'était récité qu'à Rô`sh HaShonoh
3Décisionnaires des générations futures
4Décisionnaires des générations précédentes
5Le Rif, 1013-1103
6939-1038
7990-1062
81077-1141
9Mishnéh Tôroh, Hilkhôth Shakhitoh 11:10