vendredi 26 février 2016

Le Jeûne d'Esther

ב״ה

Le Jeûne d'Esther


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Si nous jetons un coup d’œil dans la littérature talmudique, nous serons frappés de voir qu'il n'y a aucune mention à ce que l'on appelle communément aujourd'hui תַּעֲנִית אֶסְתֵּר « Ta´anith `astér – Jeûne d'Esther ». Pourquoi cette omission ? Y a-t-il ou pas un jeûne la veille de Pourim ? Que disent les sources anciennes à ce sujet ?

Bien que le Ramba''m ז״ל ne mentionne pas la Ta´anith `astér dans les Hilkôth Maghilloh Wahanoukkoh (où il traite des lois relatives à Pourim et Hanoukkoh), il la mentionne bien, en passant, dans les lois relatives aux jeûnes (Hilkôth Ta´aniyôth), et il nous dit la chose suivante1 :

Et tous les Israélites se sont accoutumés, en ces temps-ci, à jeûner le treize du mois de `adhor, en souvenir des jeûnes qui furent observés durant les jours de Homon, car il est dit2 : « en ce qui concerne les jeûnes et les lamentations ».
וְנָהֲגוּ כָּל יִשְׂרָאֵל בִּזְמַנִּים אֵלּוּ, לְהִתְעַנּוֹת בִּשְׁלוֹשָׁה עָשָׂר בַּאֲדָר, זֵכֶר לְתַעְנִית שֶׁנִּתְעַנּוּ בִּימֵי הָמָן, שֶׁנֶּאֱמָר דִּבְרֵי הַצּוֹמוֹת, וְזַעֲקָתָם

Chaque mot employé par le Ramba''m, dans son Mishnéh Tôroh, est précis et minutieusement pesé pour éviter toute ambiguïté.

Tout d'abord, le Ramba''m écrit וְנָהֲגוּ כָּל יִשְׂרָאֵל בִּזְמַנִּים אֵלּוּ « tous les Israélites se sont accoutumés, en ces temps-ci ». Il s'est quasiment uniquement appuyé sur le Talmoudh pour la rédaction de son Mishnéh Tôroh. Mais chaque fois qu'il rapporte une Halokhoh qui ne provient pas du Talmoudh, comme par exemple lorsqu'il émet sa propre opinion, il l'indique clairement dans le texte. Et de par la façon dont il a rapporté la pratique susmentionnée, en employant les termes « en ces temps-ci », il indique par-là que ce n'est pas une Halokhoh talmudique, mais une coutume qui s'est répandue après l'ère talmudique.

Quand exactement le Jeûne d'Esther s'est-il frayé un chemin dans la pratique religieuse juive est un sujet de débat. Ce jeûne n'est mentionné nulle part dans le Talmoudh, comme cela a été dit plus haut. En outre, la Maghillath Ta´anith (« Rouleau du Jeûne »), un texte ancien, connu déjà durant l'ère talmudique puisqu'il est cité à plusieurs reprises dans le Talmoudh lui-même (la rédaction de ce rouleau a commencé en l'an 7 de l’Erre Courante., par Hananyo` ban Hizqiyohou ban Garôn ז״ל, et qui fut achevé après la destruction du Béth Hammiqdosh par son propre fils, `al´ozor), énumère tous les jours de l'année où il est strictement interdit de jeûner en raison de fêtes observées ces jours-là, et dont les origines ont été divisées en quatre groupes :

  • les fêtes pré-maccabéennes
  • les fêtes anté-sadducéennes
  • les fêtes anté-romaines
  • les fêtes de la Diaspora (ceux qui furent instituées après la destruction du Béth Hammiqdosh).

La Maghillath Ta´anith rapporte qu'il est interdit de jeûner à la date du du 13 `adhor (qui est devenue la date du prétendu « Jeûne d'Esther »), car il s'agit d'un jour de fête appelé « Jour de Nicanor », qui marque la défaite du général Grec Nicanor durant les guerres menées par les Hashmounna`im, du temps de Hanoukkoh. Cela indique donc clairement que le Jeûne d'Esther fut institué bien plus tard après que le Talmoudh ne fut scellé, d'où la raison pour laquelle le Ramba''m précise « tous les Israélites se sont accoutumés, en ces temps-ci, à jeûner le treize `adhor », car ce jeûne n'est mentionné dans aucune source ancienne du Judaïsme, mais est né aux alentours de l'époque du Ramba''m.

La référence la plus ancienne de l'existence présumée d'un « Jeûne d'Esther » se retrouve dans les Sha`iltôth du Rov Hay Go`on ז״ל, à la Parashath Wayyaqhél 87, où il est rapporté que certains avaient la coutume de faire le « Jeûne d'Esther » dans les temps mishnaïques. Or, le Rov Hay Go`ôn fait partie des Ga`ônim, c'est-à-dire, des rabbins qui sont venus juste après que le Talmoudh fut achevé, et cette affirmation selon quoi certains respectaient déjà ce jeûne dans les temps mishnaïques n'a jamais pu être démontrée, ni au niveau historique, ni au niveau textuel, comme l'ont fait remarquer de nombreux rabbins de différentes époques. Il y a beaucoup de pratiques actuelles que certaines personnes essaient de faire remonter au temps de la Mishnoh ou du Talmoudh, alors que ni la Mishnoh ni le Talmoudh n'en font la moindre mention. (Exactement comme ceux qui utilisent la carte de la « Qabboloh » pour justifier certaines pratiques n'étant pourtant pas mentionnées dans le Zôhar.) Par conséquent, ce n'est en rien une preuve démontrant que les gens jeûnaient le 13 `adhor du temps de la Mishnoh.

Apparemment, du temps du Ramba''m, jeûner le 13 `adhor était donc devenu une pratique acceptée et suivie par « tous les Israélites », quoique la nature « obligatoire » de ce jeûne n'a aucun fondement, puisqu'il est post-talmudique. C'est la raison pour laquelle le Ramo''` ז״ל, dans ses gloses sur le Shoulhon ´oroukh3, tranche avec beaucoup d'indulgence sur la nature contraignante de ce jeûne par rapport à tous les autres de l'année. C'est pourquoi, si quelqu'un ne désire pas du tout jeûner le 13 `adhor, rien ne l'en oblige. De même, si quelqu'un décide de jeûner ce jour-là, mais ressent une gène, aussi minime soit-elle, comme un léger mal de tête, son jeûne peut être interrompu, ce qui n'est pas le cas pour les autres jeûnes.

Pour revenir au Mishnéh Tôroh, le Ramba''m mentionne un verset de la Maghillath `astér qui parle de « jeûnes » au pluriel. Ce verset semble anodin, mais il est pourtant d'une importance capitale pour comprendre un fait méconnu de beaucoup. L'intégralité du passage biblique nous dit ceci4 :

Et on expédia des lettres à tous les Juifs dans les cent vingt-sept provinces de l'empire de `ahashwérôsh, comme un message de paix et de vérité, à l'effet d'instituer ces jours de Pourim à leurs dates, comme le Juif Mordokhay et la reine `astér les avaient acceptés pour leur compte et pour le compte de leurs descendants, en ce qui concerne les jeûnes et les lamentations y afférentes.
וַיִּשְׁלַח סְפָרִים אֶל-כָּל-הַיְּהוּדִים, אֶל-שֶׁבַע וְעֶשְׂרִים וּמֵאָה מְדִינָה--מַלְכוּת, אֲחַשְׁוֵרוֹשׁ: דִּבְרֵי שָׁלוֹם, וֶאֱמֶת. לְקַיֵּם אֶת-יְמֵי הַפֻּרִים הָאֵלֶּה בִּזְמַנֵּיהֶם, כַּאֲשֶׁר קִיַּם עֲלֵיהֶם מָרְדֳּכַי הַיְּהוּדִי וְאֶסְתֵּר הַמַּלְכָּה, וְכַאֲשֶׁר קִיְּמוּ עַל-נַפְשָׁם, וְעַל-זַרְעָם: דִּבְרֵי הַצּוֹמוֹת, וְזַעֲקָתָם

De quels jeûnes (au pluriel) parle-t-on ici ?

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, on ne parle pas du tout des trois jours qui précèdent Pourim. Mordokhay ע״ה, `astér ע״ה et les Israélites de Perse n'ont pas jeûné trois jours avant Pourim, mais le 14, le 15 et le 16 Nison. Cette année-là, ils ont donc « transgressé » la Halokhoh en jeûnant à partir du premier jour de Pésah, à cause des conditions difficiles qui prévalaient en ce temps-là, où la joie n'était pas possible, alors que le peuple était sous une menace d'annihilation. Ils n'avaient donc d'autres choix que de jeûner pendant Pésah afin d'éveiller la miséricorde Divine par leur repentir.

`astér 5:1 nous dit que le troisième jour de Pésah, c'est-à-dire le 16 Nison, `astér demanda au roi d'organiser le soir-même un festin auquel serait convié Homon ימש״ו. Deux jours plus tard, c'est-à-dire, le 18 Nison, Homon fut pendu. Deux mois plus tard, le 23 Siwon5, le roi permis à Mordokhay et `astér d'écrire des lettres demandant aux Juifs de se préparer à se défendre le 13 `adhor de cette année-là, ce qui laissait huit mois et demi aux Juifs pour se préparer à la guerre contre leurs ennemis. Finalement, le 13 `adhor, ils prirent les armes et combattirent leurs ennemis. Le lendemain, le 14 `adhor, les Juifs de la majorité des provinces défirent leurs adversaires, tandis que ceux de la capitale, Suse (Shoushon), furent totalement délivrés le 15 `adhor.

Comme jeûner durant le mois de Nison est interdit d'après la Halokhoh, ces trois jours de jeûnes mentionnés dans la Maghillath `astér furent replacés en `adhor, à des dates non précisées, car dépendant de chacun.

En réalité, on ne devrait même pas jeûner la veille de Pourim ! En effet, le Tour6 ז״ל explique qu'il est interdit de jeûner la veille de toute fête mentionnée dans la Maghillath Ta´anith, tout comme il est interdit d'y faire des éloges funèbres. De ce fait, la pratique universelle des Juifs consistant à jeûner la veille de Pourim, le 13 `adhor, est erronée (sans compter que la Maghillath Ta´anith indique également explicitement que jeûner le 13 `adhor est également interdit, ce qui sous-entendant que jeûner le 12 l'est aussi). Donc, pourquoi les Juifs « Orthodoxes » jeûnent-ils le 13 `adhor, alors que cette pratique n'est mentionnée nulle part dans le Talmoudh, et qu'elle pourrait, en fait, contrevenir à la Halokhoh qui interdit de jeûner à la veille des fêtes et aux fêtes-mentionnées dans la Maghillath Ta´anith ?

Certains Ri`shônim disent que c'est parce que les Juifs de Perse ont jeûné le 13 `adhor, qui est le jour du combat contre leurs ennemis. Ils disent que c'était également un jour de Salihôth (prières de pénitence). Mais il y a quatre problèmes qui furent soulevés face à cette hypothèse :

  • le Talmoudh n'en dit pas un mot, alors que tous les versets du TaNa''Kh y sont commentés ;
  • nous n'avons aucune source historique attestant que les Juifs ont jeûné ce jour-là, alors qu'ils combattaient leurs ennemis ;
  • de nombreux Pôsqim affirment qu'il est interdit de jeûner lorsqu'on va au front, car on a besoin de toute sa force physique. Comment donc purent-ils jeûner le jour où ils combattaient leurs ennemis ? ;
  • il est interdit, comme nous l'avons dit plus haut, de jeûner la veille d'une fête. Jeûner le 13 n'est donc pas permis.

À l'origine, `astér, Mordokhay et le peuple avaient jeûné les 14, 15 et 16 Nison. Mais comme jeûner en Nison n'est pas permis (ce fut seulement à cause de la situation dramatique exceptionnelle qui prévalait à ce moment-là qu'ils ont jeûné en Nison), cette pratique ne fut pas reproduite, et on reporta ces trois jours de jeûne en `adhor. En effet, le Tour cite également la pratique des pieux de `aras Yisro`él qui jeûnaient durant trois jours (n'importe lesquels, mais pas le 13 `adhor, veille de la fête) en `adhor en souvenir des trois jours de jeûnes mentionnés dans la Maghillath `astér. Ils ne voulaient pas jeûner en Nison, car c'est le mois de la délivrance d’Égypte, ainsi que le mois durant lequel le Béth Hammiqdosh fut dédicacé. Ainsi, quand la Maghillath `astér nous parle הַצּוֹמוֹת, וְזַעֲקָתָם « des jeûnes et des lamentations » relatives à la fête de Pourim, c'est une demande faite à tous les Juifs et leurs descendants de consacrer, en souvenir de Pourim, trois jours de jeûne durant le mois de `adhor. Ainsi, chacun devrait se choisir trois jours du mois de `adhor où il jeûnera comme `astér, Mordokhay et les Juifs de cette époque-là, mais aucun de ces trois jours ne devrait tomber le 13 `adhor, qui est la veille de Pourim. À l'origine, les gens jeûnaient sans rien manger, ni boire, la nuit et le jour, durant trois jours consécutifs, comme cela est mentionné dans la Maghillath `astér. Il est fort probable qu'étant donné qu'il est devenu difficile de jeûner de la sorte, cette pratique fut abandonnée et remplacée après l'ère talmudique par la coutume qu'on connaît aujourd'hui, qui consiste à jeûner le 13 `adhor au lieu de trois jours consécutifs. Mais ils choisirent une date pouvant halakhiquement être problématique.

Certains Pôsqim conscient que le « Jeûne d'Esther » n'avait aucune source talmudique sur laquelle s'appuyer, ont avancé comme hypothèse que le « Jeûne d'Esther » pourrait en fait n'être rien d'autre qu'un exercice servant à obtenir une expiation Divine et faire à l'avance amende honorable pour tout excès ou comportement inapproprié qui pourrait se produire à Pourim.7 Et d'autres Pôsqim encore affirment qu'étant donné que ce jeûne n'est pas observé à sa date d'origine (puisque les Juifs du temps de Pourim avaient jeûné en Nison et non en `adhor, et durant trois jours consécutifs, et non pas un seul jour), jeûner le 13 `adhor n'est pas même un précepte rabbinique, mais une simple coutume.8

Tout cela nous montre davantage comment beaucoup de Juifs font des choses sans même savoir pourquoi ils les font, et d'où proviennent les pratiques qu'ils observent !

1Mishnéh Tôroh, Hilkôth Ta´niyôth 5:5
2`astér 9:31
3`ôrah Hayim 686:2
4`astér 9:30-31
5Voir `astér 8:9
6`ôrah Hayim 686
7Pisqé Tashouvôth 686:2

8Béth Yôséf 468