mercredi 20 mai 2015

Les origines troubles du Tiqqoun Lél Shovou´ôth

בס״ד

Les origines troubles du Tiqqoun Lél Shovou´ôth


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La pratique répandue dans de nombreuses communautés de passer toute la nuit de Shavou´ôth à étudier la Tôroh tire sa source du Zôhar, publié au 13ème siècle par Môshah Shém Tôv de Lé`ôn.

À la Parashath `Amôr, le Zôhar rapporte que les Hasidhim Hori`shônim (pieux d'autrefois) ne dormaient pas la nuit de Shovou´ôth mais la passaient à étudier la Tôroh. Le deuxième paragraphe faisant mention de cette pratique dans le Zôhar se trouve dans l'introduction (page 8a), où il est rapporté que Rébbi Shimôn ban Yôho`y זצ״ל, qui serait l'auteur du Zôhar (voir l'article « Qui a écrit le Zôhar ? »), suivait également cette pratique : « Rébbi Shim´ôn s'asseyait et étudiait la Tôroh toute la nuit quand la marié était sur le point de s'unir à son époux, puisque nous avons appris que l'on a besoin des amis de la maison dans le palais de la mariée cette nuit où la mariée se prépare pour sa rencontre le lendemain avec son époux sous le dais nuptial ». Durant cette nuit, la reine se prépare à s'unir à son mari, le roi, et les deux demeurent à la tête de Rébbi Shim´ôn et ses « amis » (ou « compagnons »), qui sont les proches de la mariée qui décorent les bijoux de sa couronne.

Le « Tiqqoun » a, de ce fait, deux sens dans le Zôhar :
  1. C'est une réparation ou correction de la Tôroh, que l'on réalise en l'étudiant d'un cœur pur et avec la meilleure des intentions.
  2. C'est la décoration de la couronne de la mariée céleste avec vingt-quatre bijoux, qui correspondent aux vingt-quatre livres du TaNaKh que Rébbi Shim´ôn et ses compagnons ont étudiés. Leur programme fut même détaillé : Rébbi Shim ôn et ses amis « ont étudié la Tôroh, passant des Cinq Livres de Môshah aux Prophètes, et des Prophètes aux Hagiographes, puis aux Midhroshim des versets et les secrets de la sagesse, ces [études] sont ses atours et ses parures ».

Il y a de nombreux problèmes avec ces passages du Zôhar, notamment le fait que ce Tiqqoun décrit dans le Zôhar est une source littéraire dépourvue de toute référence historique. Avant la publication du Zôhar au 13ème siècle, personne n'avait jamais entendu parler de cette pratique, et aucune source ancienne ne rapporte que les Hasidhim Hori`shônim ne dormaient pas la nuit de Shovou´ôth. Le tout premier « Tiqqoun Lél Shovou´ôth » historique auquel ont participé d'éminents rabbins eut lieu à Thessalonique en 1533. Rabbi Yôséf Qa`rô (auteur du Shoulhon ´Oroukh), son ami Rabbi Shalômôh HaLéwi `Alqabés (auteur du Piyyout de « Lakhoh Dhôdhi ») et leurs collègues kabbalistes s'assemblèrent pour rejouer la description faite dans le Zôhar.

Rabbi Shalômôh `Alqabés rédigea une lettre détaillée décrivant ce qui s'est passé cette nuit-là. Il commence par faire mention de la décision qu'ils ont prise de rester éveillé toute la nuit : « Sache que nous nous sommes mis d'accord, le Pieux1, moi, son humble serviteur, et les compagnons, de nous abstenir de sommeil la nuit de Shavou´ôth ». Commençant trois jours avant la fête, ils s'immergèrent au Miqwah et se purifièrent, exactement comme les Bané Yisro`él l'avaient fait avant de se tenir au pied du Mont Sinaï.

Cela dit en passant, le terme « amis » ou « compagnons » était un terme utilisé pour désigner le cercle de ceux qui acceptaient le Zôhar, par opposition aux nombreux rabbins et savants qui l'ont rejeté lorsqu'il fut publié par Môshah de Lé`ôn. Ainsi, lorsque Rabbi `Alqabés se réfère aux participants de ce Tiqqoun par le terme « amis » ou compagnons », ce n'est pas pour désigner un groupe arbitraire de savants mais des savants qui furent choisis d'avance pour y participer, certainement un petit groupe de gens membres de la Yashivoh d'Espagne qui étudiaient avec le Rov Qa`rô et le Rov `Alqabés. Plus tard, trois d'entre eux furent réprimandés pour ne pas s'être présenté la première nuit de Shovou´ôth, indiquant bien que tous les participants avaient été désignés d'avance et s'étaient engagés à assister à ce Tiqqoun.

Ainsi, la nuit de Shavou´ôth, ils s'assemblèrent et commencèrent à étudier. Ils suivirent le plan d'étude décrit par le Zôhar et étudièrent donc des passages tirés du TaNaKh, de la Mishnoh et des textes ésotériques tirés du Zôhar. Les textes choisis concernaient la création du monde, la révélation au Mont Sinaï, et le récit du retour de ´Azro` ע״ה et Nahamyoh ע״ה à Yarousholayim pour reconstruire le Béth Hammiqdhosh. Les contenus des textes formaient un triangle (création, révélation et rédemption), symbolisant la chronologie de l'histoire juive, de l'exil à la rédemption.

Rejouant la description que le Midhrosh fait du Don de la Tôroh, le Rov `Alqabés écrit que le groupe étudia la Tôroh en chantant si merveilleusement que les anges se turent et un mur invisible les encercla. Puis, à minuit, « nous entendîmes une voix s'exprimant de la bouche du Pieux. C'était une forte voix s'exprimant clairement. Cette voix était agréable, s'intensifiant à chaque fois. Nous tombâmes sur nos faces et l'esprit de chacun de nous s'en alla ». Le Rov `Alqabés raconte que c'était la voix de la Tôroh, la Mariée Céleste, qu'il appelait « la Shakhinoh », émanant de la bouche de Rabbi Yôséf Qa rô, et c'était, disait-on, la première fois qu'une telle visite se produisait en public.

Certains faits troublants sur Rabbi Yôséf Qa`rô doivent être rapportés ici afin de bien comprendre notre histoire. Avant 1533, il était déjà reconnu comme un éminent savant de la Halokhoh, un membre des Bathé Dinim de Salonique, et en plein milieu de la rédaction du Béth Yôséf, son tout premier ouvrage de nature halakhique. Déjà avant cela, il disait déjà avoir des révélations prophétiques d'un messager céleste, un archange androgyne de la Yashivoh Céleste qui parlait à travers sa gorge et sa bouche. D'ailleurs, Rabbi Yôséf Qa`rô croyait qu'il était doté du don de la prophétie, et voyait une corrélation entre ces prétendues révélations célestes et la façon dont HaShem parlait avec Môshah Rabbénou, « Je lui parle face à face ».2 Ainsi, il se voyait carrément au niveau de Môshah Rabbénou ! Rien que cela ! (Concernant les qualités uniques de la prophétie de Môshah Rabbénou, voir le Chapitre 7 des Hilkhôth Yasôdhé Hattôroh.)

En outre, Rabbi Shalômôh `Alqabés était un Léwi, et avec Rabbi Yôséf Qa`rô ils formaient un couple, un prophète et un prêtre, comme Môshah Rabbénou et `Aharôn Hakkôhén. Leur groupe de kabbalistes représentait les Israélites quittant l’Égypte. En d'autres mots, le Tiqqoun Lél Shovou´ôth de l'an 1533 était la récréation de la révélation publique ayant eu lieu au Mont Sinaï, lorsque le ciel s'ouvrit et que le peuple entier entendit la voix d'HaShem. Nous avons donc ainsi tous les composants du Mathan Tôroh :

  • Un prophète, Rabbi Yôséf Qa`rô, qui joue le rôle de Môshah Rabbénou
  • Un prêtre, Rabbi Shalômôh `Alqabés, qui joue le rôle de `Aharôn Hakkôhén
  • Le peuple d'Israël, représenté par les compagnons, le groupe de kabbalistes
  • Une révélation Divine en public, en l'occurrence ici la voix de la Shakhinoh qui parla à travers la bouche de Rabbi Yôséf Qa`rô
  • Une alliance : l'engagement prit par les « amis » rappelle l'alliance contractée entre HaShem et les Bané Yisro`él au Mont Sinaï.

La reproduction de la révélation ayant eu lieu au Mont Sinaï avait pour but d' « ouvrir les portes du ciel », tout comme cela s'était produit lors du Mathan Tôroh. Et Rabbi `Alqabés raconte qu'ils y parvinrent, puisque la Shakhinoh leur est apparue et les a bénis de la façon suivante : « Amis, élus parmi les élus, que la paix soit avec vous, compagnons bien-aimés. Heureux êtes-vous dans ce monde et heureux dans le suivant, car vous avez résolu de m'orner en cette nuit ». La voix de la Shakhinoh se mit à trembler en décrivant comment elle a été jetée au sol, avec personne pour la consoler. HaShem l'avait abandonnée, et ses fils dormaient en rêvant d'idoles en or en argent, préférant rester en exil et l'oublier. Entendant cela, les compagnons furent profondément émus. « Nous fondîmes tous en larmes en entendant l'angoisse que la Shakhinoh subit à cause de nos péchés », écrit le Rov `Alqabés.

La Shakhinoh offrit néanmoins des paroles de réconfort et d'encouragement : « Ne cessez pas d'étudier, car un fil de miséricorde est étendu au-dessus de vous et votre étude de la Tôroh plaît au Saint, béni soit-Il. Dressez-vous sur vos pieds et élevez-moi ».

Puis, soudainement, sa voix changea. Elle se tourna vers le groupe et ordonna ceci : « Montez en `Aras Yisro`él, car tous les moments [pour le faire] ne sont pas opportuns... Que vos yeux n'aient pas pitié de vos biens matériels, car vous mangerez les bontés de la terre la plus élevée ».

La voix les décrivit comme les « quelques élus » et insista pour qu'ils jurent de monter en `Aras Yisro`él. « Quiconque quitte votre groupe et s'en détourne, que son sang soit sur sa tête ! », lança-t-elle en guise d'avertissement, sous-entendant ainsi que quiconque violerait le serment mourrait. « Montez en `Aras Yisro`él... car je pourvois à vos besoins ici et je pourvoirai à vos besoins là-bas. La paix sera votre lot, ainsi que celui de vos maisons et tout ce qui vous appartient ».

Ainsi, une dépendance mutuelle entre la Shakhinoh et ce groupe d'élus fut scellée : ils monteront en `Aras Yisro`él pour la délivrer de l'exil, et elle les délivrerait de leur exil. (C'est le sens poétique de la phrase « Dressez-vous sur vos pieds et élevez-moi ».)

Ce serment les obligeait à pourvoir chacun aux besoins des autres membres du groupe. « Que chacun aide son prochain et lui dise ''Frère, sois fort ! Que le faible dise Je suis fort !'' ».

Quelques mois après le Tiqqoun Lél Shovou´ôth, en 1534 une plaie s'abattit en Salonique. En quelques semaines, Rabbi Yôséf Qa`rô perdit sa femme, deux fils et une fille. L'ange céleste avec lequel il disait communiquer régulièrement disparut et cessa de parler à travers sa bouche. Rabbi Yôséf Qa`rô interpréta cela comme une punition Divine pour avoir tardé à monter en `Aras Yisro`él comme il l'avait promis.

À la fin de l'année de deuil, Rabbi Yôséf Qa`rô se remaria et s'installa avec sa nouvelle épouse à Nikopol, une petite bourgade en Bulgarie située sur les berges du Danube. Mais il n'y trouva pas la paix. Il était persuadé que sa première épouse et ses enfants étaient morts parce qu'il n'avait pas respecté son serment. À l'âge de 46 ans, il était passé d'un homme qui possédait tout à un homme qui n'avait plus rien.

Rabbi Yôséf Qa`rô tomba malade. Sa condition empira, et aux alentours du Rô`sh Hashonoh de 1536 il était au seuil de la mort. Rabbi Shalômôh `Alqabés se précipita de Thessalonique pour le voir. Quand il arriva à son chevet, un miracle se serait produit. Rabbi Yôséf Qa`rô commença à se remettre de sa maladie. La voix céleste réapparut, lui faisant la promesse que sa nouvelle vie lui permettrait d'engendrer de nouveaux enfants. Lors d'un Shabboth de Février 1536, l'ange se fit entendre à travers la bouche de Rabbi Yôséf Qa`rô en présence de Rabbi `Alqabés, et leur demanda à tous les deux de respecter leur serment. Lorsque le Shabboth fut terminé, Rabbi `Alqabés rédigea sa fameuse lettre dans laquelle il décrivit les événements du Tiqqoun Lél Shovou´ôth qui avait eu lieu presque trois ans auparavant.

Plusieurs années plus tard, le `AriZal se donna pour mission de formaliser le rituel du Tiqqoun Lél Shovou´ôth et composa des prières et un texte standard à lire et étudier la nuit de Shovou´ôth. Ce texte est composé d'extraits tirés du début et de la fin de chacun des 24 livres du TaNaKh et des 613 Masékhtôth de la Mishnoh. Viennent ensuite une lecture de Séfar Yasiroh, des 613 Miswôth telles que formulées par le Rambam זצ״ל, et des extraits du Zôhar. Tout cela est précédé et suivi par des prières particulières composées par le `AriZal

C'est là l'histoire cachée derrière cette pratique du Tiqqoun Lél Shovou´ôth, qui se répandit d'abord dans les milieux des kabbalistes pour ensuite être acceptée dans de nombreuses autres communautés juives à travers le monde. Mais si vous voulez mon avis personnel, je ne crois rien de cette histoire, mais suis convaincu que tout a été inventé par ce petit cercle d'élus pour gagner en notoriété, tout comme Rabbi Môshah de Lé`ôn composa le Zôhar en faisant croire qu'il venait de Rébbi Shim´ôn ban Yôho`y, ou encore comme ceux qui justifient la bénédiction de « Boroukh Sha`ômar » (qui n'est jamais citée dans le Talmoudh) en racontant que cette bénédiction fut révélée aux Hommes de la Grande Assemblée via un manuscrit descendu du ciel sur lequel se trouvaient les paroles de cette bénédiction. Nous avons de nombreuses histoires inventées dans le folklore kabbalistique qui n'ont ni tête ni queue, mais qui sont très attirantes pour les ignorants et les gens en recherche de choses extraordinaires ou d'expériences « mystiques », et elles permettent de justifier des pratiques n'ayant aucune source dans la tradition.

Ceux qui suivent cette pratique pensent qu'elle permet de réparer la faute commise par nos ancêtres qui, selon le Midhrosh, furent incapables de se réveiller tôt le jour du Mathan Tôroh, et Môshah Rabbénou dû se charger lui-même de les réveiller afin qu'ils ne manquent pas la révélation au Sinaï. Ils estiment donc que le rituel du Tiqqoun Lél Shovou´ôth permet de corriger cette erreur, puisqu'en ne dormant pas la nuit et en la passant à étudier, ils seront éveillés et prêts à prier très tôt matin, tout comme le Mathan Tôroh eut lieu très tôt le matin. Mais en quoi est-ce que le fait que nos ancêtres furent incapables de se lever tôt pour le Don de la Tôroh implique-t-il d'aller à l'autre extrême et ne pas dormir de la nuit ? Le texte du Midhrosh n'a jamais suggéré de corriger cette erreur en ne dormant pas la nuit. Pourquoi ne pas simplement dormir tôt la nuit de Shovou´ôth pour se réveiller suffisamment en forme pour la prière du matin ? Notons d'ailleurs que plusieurs de ceux qui suivent cette pratique du Tiqqoun Lél Shovou´ôth ont ensuite des têtes de zombies à la Synagogue. Est-ce honorant d'être dans un tel état le jour où nous commémorons le Don de la Tôroh ? En outre, on ne tire pas de Halokhôth à partir de Midhroshim. C'est pourtant une règle bien connue ! Par conséquent, le fait que le Midhrosh nous raconte que nos ancêtres ne surent pas se réveiller tôt n'exige pas d'établir une règle stipulant qu'il ne faille pas dormir du tout la nuit de Shovou´ôth.

Ce n'est qu'un Minhogh qui n'a aucune nature obligatoire. Mais lorsqu'on se penche de plus près sur les origines troubles de ce Minhogh, tout justifie le fait de ne pas le suivre. Tous ces récits kabbalistiques font la risée du Judaïsme. Boroukh HaShem, cette pratique n'est pas suivie dans de nombreuses communautés. Et quand bien même ces communautés seraient minoritaires, la majorité n'a pas toujours raison ; elle se trompe même très souvent !

1C'est ainsi que le Rov `Alqabés surnommait Rabbi Yôséf Qa`rô

2Bamidhbor 12:8