בס״ד
Les
origines troubles du Tiqqoun Lél Shovou´ôth
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La
pratique répandue dans de nombreuses communautés de passer toute la
nuit de Shavou´ôth à étudier la Tôroh tire sa source du Zôhar,
publié au 13ème siècle par Môshah Shém Tôv de Lé`ôn.
À
la Parashath `Amôr, le Zôhar rapporte que les Hasidhim
Hori`shônim (pieux d'autrefois) ne dormaient pas la nuit de
Shovou´ôth mais la passaient à étudier la Tôroh. Le deuxième
paragraphe faisant mention de cette pratique dans le Zôhar se trouve
dans l'introduction (page 8a), où il est rapporté que Rébbi
Shimôn ban Yôho`y זצ״ל,
qui serait l'auteur du Zôhar (voir l'article « Qui
a écrit le Zôhar ? »), suivait également cette
pratique : « Rébbi Shim´ôn s'asseyait et étudiait
la Tôroh toute la nuit quand la marié était sur le point de s'unir
à son époux, puisque nous avons appris que l'on a besoin des amis
de la maison dans le palais de la mariée cette nuit où la mariée
se prépare pour sa rencontre le lendemain avec son époux sous le
dais nuptial ». Durant cette nuit, la reine se prépare à
s'unir à son mari, le roi, et les deux demeurent à la tête de
Rébbi Shim´ôn et ses « amis » (ou « compagnons »),
qui sont les proches de la mariée qui décorent les bijoux de sa
couronne.
Le
« Tiqqoun » a, de ce fait, deux sens dans le Zôhar :
- C'est une réparation ou correction de la Tôroh, que l'on réalise en l'étudiant d'un cœur pur et avec la meilleure des intentions.
- C'est la décoration de la couronne de la mariée céleste avec vingt-quatre bijoux, qui correspondent aux vingt-quatre livres du TaNaKh que Rébbi Shim´ôn et ses compagnons ont étudiés. Leur programme fut même détaillé : Rébbi Shim ôn et ses amis « ont étudié la Tôroh, passant des Cinq Livres de Môshah aux Prophètes, et des Prophètes aux Hagiographes, puis aux Midhroshim des versets et les secrets de la sagesse, ces [études] sont ses atours et ses parures ».
Il
y a de nombreux problèmes avec ces passages du Zôhar, notamment le
fait que ce Tiqqoun décrit dans le Zôhar est une source littéraire
dépourvue de toute référence historique. Avant la publication du
Zôhar au 13ème siècle, personne n'avait jamais entendu parler de
cette pratique, et aucune source ancienne ne rapporte que les
Hasidhim Hori`shônim ne dormaient pas la nuit de Shovou´ôth.
Le tout premier « Tiqqoun Lél Shovou´ôth » historique
auquel ont participé d'éminents rabbins eut lieu à Thessalonique
en 1533. Rabbi Yôséf Qa`rô (auteur du Shoulhon ´Oroukh),
son ami Rabbi Shalômôh HaLéwi `Alqabés (auteur du Piyyout
de « Lakhoh Dhôdhi ») et leurs collègues kabbalistes
s'assemblèrent pour rejouer la description faite dans le Zôhar.
Rabbi
Shalômôh `Alqabés rédigea une lettre détaillée décrivant
ce qui s'est passé cette nuit-là. Il commence par faire mention de
la décision qu'ils ont prise de rester éveillé toute la nuit :
« Sache que nous nous sommes mis d'accord, le Pieux1,
moi, son humble serviteur, et les compagnons, de nous abstenir de
sommeil la nuit de Shavou´ôth ». Commençant trois jours
avant la fête, ils s'immergèrent au Miqwah et se purifièrent,
exactement comme les Bané Yisro`él l'avaient fait avant de se tenir
au pied du Mont Sinaï.
Cela
dit en passant, le terme « amis » ou « compagnons »
était un terme utilisé pour désigner le cercle de ceux qui
acceptaient le Zôhar, par opposition aux nombreux rabbins et savants
qui l'ont rejeté lorsqu'il fut publié par Môshah de Lé`ôn.
Ainsi, lorsque Rabbi `Alqabés se réfère aux participants de
ce Tiqqoun par le terme « amis » ou compagnons »,
ce n'est pas pour désigner un groupe arbitraire de savants mais des
savants qui furent choisis d'avance pour y participer, certainement
un petit groupe de gens membres de la Yashivoh d'Espagne qui étudiaient avec le Rov Qa`rô et le Rov `Alqabés. Plus tard,
trois d'entre eux furent réprimandés pour ne pas s'être présenté
la première nuit de Shovou´ôth, indiquant bien que tous les
participants avaient été désignés d'avance et s'étaient engagés
à assister à ce Tiqqoun.
Ainsi,
la nuit de Shavou´ôth, ils s'assemblèrent et commencèrent à
étudier. Ils suivirent le plan d'étude décrit par le Zôhar et
étudièrent donc des passages tirés du TaNaKh, de la Mishnoh et des
textes ésotériques tirés du Zôhar. Les textes choisis
concernaient la création du monde, la révélation au Mont Sinaï,
et le récit du retour de ´Azro` ע״ה
et
Nahamyoh ע״ה
à
Yarousholayim pour reconstruire le Béth Hammiqdhosh. Les contenus
des textes formaient un triangle (création, révélation et
rédemption), symbolisant la chronologie de l'histoire juive, de
l'exil à la rédemption.
Rejouant
la description que le Midhrosh fait du Don de la Tôroh, le Rov
`Alqabés écrit que le groupe étudia la Tôroh en chantant
si merveilleusement que les anges se turent et un mur invisible les
encercla. Puis, à minuit, « nous entendîmes une voix
s'exprimant de la bouche du Pieux. C'était une forte voix
s'exprimant clairement. Cette voix était agréable, s'intensifiant à
chaque fois. Nous tombâmes sur nos faces et l'esprit de chacun de
nous s'en alla ». Le Rov `Alqabés raconte que c'était la
voix de la Tôroh, la Mariée Céleste, qu'il appelait « la
Shakhinoh », émanant de la bouche de Rabbi Yôséf Qa rô, et
c'était, disait-on, la première fois qu'une telle visite se produisait en
public.
Certains
faits troublants sur Rabbi Yôséf Qa`rô doivent être rapportés
ici afin de bien comprendre notre histoire. Avant 1533, il était
déjà reconnu comme un éminent savant de la Halokhoh, un membre des
Bathé Dinim de Salonique, et en plein milieu de la rédaction du
Béth Yôséf, son tout premier ouvrage de nature halakhique. Déjà
avant cela, il disait déjà avoir des révélations prophétiques
d'un messager céleste, un archange androgyne de la Yashivoh Céleste
qui parlait à travers sa gorge et sa bouche. D'ailleurs, Rabbi Yôséf
Qa`rô croyait qu'il était doté du don de la prophétie, et voyait
une corrélation entre ces prétendues révélations célestes et la
façon dont HaShem parlait avec Môshah Rabbénou, « Je lui
parle face à face ».2
Ainsi, il se voyait carrément au niveau de Môshah Rabbénou !
Rien que cela ! (Concernant les qualités uniques de la
prophétie de Môshah Rabbénou, voir le Chapitre
7 des Hilkhôth Yasôdhé Hattôroh.)
En
outre, Rabbi Shalômôh `Alqabés était un Léwi, et avec
Rabbi Yôséf Qa`rô ils formaient un couple, un prophète et un
prêtre, comme Môshah Rabbénou et `Aharôn Hakkôhén. Leur groupe
de kabbalistes représentait les Israélites quittant l’Égypte. En
d'autres mots, le Tiqqoun Lél Shovou´ôth de l'an 1533 était la
récréation de la révélation publique ayant eu lieu au Mont Sinaï,
lorsque le ciel s'ouvrit et que le peuple entier entendit la voix
d'HaShem. Nous avons donc ainsi tous les composants du Mathan Tôroh :
- Un prophète, Rabbi Yôséf Qa`rô, qui joue le rôle de Môshah Rabbénou
- Un prêtre, Rabbi Shalômôh `Alqabés, qui joue le rôle de `Aharôn Hakkôhén
- Le peuple d'Israël, représenté par les compagnons, le groupe de kabbalistes
- Une révélation Divine en public, en l'occurrence ici la voix de la Shakhinoh qui parla à travers la bouche de Rabbi Yôséf Qa`rô
- Une alliance : l'engagement prit par les « amis » rappelle l'alliance contractée entre HaShem et les Bané Yisro`él au Mont Sinaï.
La
reproduction de la révélation ayant eu lieu au Mont Sinaï avait
pour but d' « ouvrir les portes du ciel », tout comme
cela s'était produit lors du Mathan Tôroh. Et Rabbi `Alqabés
raconte qu'ils y parvinrent, puisque la Shakhinoh leur est apparue et
les a bénis de la façon suivante : « Amis, élus
parmi les élus, que la paix soit avec vous, compagnons bien-aimés.
Heureux êtes-vous dans ce monde et heureux dans le suivant, car vous
avez résolu de m'orner en cette nuit ». La voix de la
Shakhinoh se mit à trembler en décrivant comment elle a été jetée
au sol, avec personne pour la consoler. HaShem l'avait abandonnée,
et ses fils dormaient en rêvant d'idoles en or en argent, préférant
rester en exil et l'oublier. Entendant cela, les compagnons furent
profondément émus. « Nous fondîmes tous en larmes en
entendant l'angoisse que la Shakhinoh subit à cause de nos péchés »,
écrit le Rov `Alqabés.
La
Shakhinoh offrit néanmoins des paroles de réconfort et
d'encouragement : « Ne cessez pas d'étudier, car un
fil de miséricorde est étendu au-dessus de vous et votre étude de
la Tôroh plaît au Saint, béni soit-Il. Dressez-vous sur vos pieds
et élevez-moi ».
Puis,
soudainement, sa voix changea. Elle se tourna vers le groupe et
ordonna ceci : « Montez en `Aras
Yisro`él, car tous les moments [pour le faire] ne sont pas
opportuns... Que vos yeux n'aient pas pitié de vos biens matériels,
car vous mangerez les bontés de la terre la plus élevée ».
La
voix les décrivit comme les « quelques élus » et
insista pour qu'ils jurent de monter en `Aras Yisro`él.
« Quiconque quitte votre groupe et s'en détourne, que son
sang soit sur sa tête ! », lança-t-elle en guise
d'avertissement, sous-entendant ainsi que quiconque violerait le
serment mourrait. « Montez en `Aras
Yisro`él... car je pourvois à vos besoins ici et je pourvoirai à
vos besoins là-bas. La paix sera votre lot, ainsi que celui de vos
maisons et tout ce qui vous appartient ».
Ainsi,
une dépendance mutuelle entre la Shakhinoh et ce groupe d'élus fut
scellée : ils monteront en `Aras Yisro`él pour la
délivrer de l'exil, et elle les délivrerait de leur exil. (C'est le
sens poétique de la phrase « Dressez-vous sur vos pieds et
élevez-moi ».)
Ce
serment les obligeait à pourvoir chacun aux besoins des autres
membres du groupe. « Que
chacun aide son prochain et lui dise ''Frère, sois fort ! Que
le faible dise Je suis fort !'' ».
Quelques
mois après le Tiqqoun Lél Shovou´ôth, en 1534 une plaie s'abattit
en Salonique. En quelques semaines, Rabbi Yôséf Qa`rô perdit sa
femme, deux fils et une fille. L'ange céleste avec lequel il disait
communiquer régulièrement disparut et cessa de parler à travers sa
bouche. Rabbi Yôséf Qa`rô interpréta cela comme une punition
Divine pour avoir tardé à monter en `Aras
Yisro`él comme il l'avait promis.
À
la fin de l'année de deuil, Rabbi Yôséf Qa`rô se remaria et
s'installa avec sa nouvelle épouse à Nikopol, une petite bourgade
en Bulgarie située sur les berges du Danube. Mais il n'y trouva pas
la paix. Il était persuadé que sa première épouse et ses enfants
étaient morts parce qu'il n'avait pas respecté son serment. À
l'âge de 46 ans, il était passé d'un homme qui possédait tout à
un homme qui n'avait plus rien.
Rabbi
Yôséf Qa`rô tomba malade. Sa condition empira, et aux alentours du
Rô`sh Hashonoh de 1536 il était au seuil de la mort. Rabbi Shalômôh
`Alqabés
se précipita de Thessalonique pour le voir. Quand il arriva à son
chevet, un miracle se serait produit. Rabbi Yôséf Qa`rô commença
à se remettre de sa maladie. La voix céleste réapparut, lui
faisant la promesse que sa nouvelle vie lui permettrait d'engendrer
de nouveaux enfants. Lors d'un Shabboth de Février 1536, l'ange se
fit entendre à travers la bouche de Rabbi Yôséf Qa`rô en présence
de Rabbi `Alqabés,
et leur demanda à tous les deux de respecter leur serment. Lorsque
le Shabboth fut terminé, Rabbi `Alqabés
rédigea sa fameuse lettre dans laquelle il décrivit les événements
du Tiqqoun Lél Shovou´ôth qui avait eu lieu presque trois ans
auparavant.
Plusieurs
années plus tard, le `AriZal se donna pour mission de formaliser le
rituel du Tiqqoun Lél Shovou´ôth et composa des prières et un
texte standard à lire et étudier la nuit de Shovou´ôth. Ce texte
est composé d'extraits tirés du début et de la fin de chacun des
24 livres du TaNaKh et des 613 Masékhtôth de la Mishnoh. Viennent
ensuite une lecture de Séfar Yasiroh,
des 613 Miswôth
telles que formulées par le Rambam זצ״ל,
et des extraits du Zôhar. Tout cela est précédé et suivi par des
prières particulières composées par le `AriZal
C'est
là l'histoire cachée derrière cette pratique du Tiqqoun Lél
Shovou´ôth, qui se répandit d'abord dans les milieux des
kabbalistes pour ensuite être acceptée dans de nombreuses autres
communautés juives à travers le monde. Mais si vous voulez mon avis
personnel, je ne crois rien de cette histoire, mais suis convaincu
que tout a été inventé par ce petit cercle d'élus pour gagner en
notoriété, tout comme Rabbi Môshah de Lé`ôn composa le Zôhar en
faisant croire qu'il venait de Rébbi Shim´ôn ban Yôho`y,
ou encore comme ceux qui justifient la bénédiction de « Boroukh
Sha`ômar »
(qui n'est jamais citée dans le Talmoudh) en racontant que cette
bénédiction fut révélée aux Hommes de la Grande Assemblée via
un manuscrit descendu du ciel sur lequel se trouvaient les paroles de
cette bénédiction. Nous avons de nombreuses histoires inventées
dans le folklore kabbalistique qui n'ont ni tête ni queue, mais qui
sont très attirantes pour les ignorants et les gens en recherche de
choses extraordinaires ou d'expériences « mystiques »,
et elles permettent de justifier des pratiques n'ayant aucune source
dans la tradition.
Ceux
qui suivent cette pratique pensent qu'elle permet de réparer la
faute commise par nos ancêtres qui, selon le Midhrosh, furent
incapables de se réveiller tôt le jour du Mathan Tôroh, et Môshah
Rabbénou dû se charger lui-même de les réveiller afin qu'ils ne
manquent pas la révélation au Sinaï. Ils estiment donc que le
rituel du Tiqqoun Lél Shovou´ôth permet de corriger cette erreur,
puisqu'en ne dormant pas la nuit et en la passant à étudier, ils
seront éveillés et prêts à prier très tôt matin, tout comme le
Mathan Tôroh eut lieu très tôt le matin. Mais en quoi est-ce que
le fait que nos ancêtres furent incapables de se lever tôt pour le
Don de la Tôroh implique-t-il d'aller à l'autre extrême et ne pas
dormir de la nuit ? Le texte du Midhrosh n'a jamais suggéré de
corriger cette erreur en ne dormant pas la nuit. Pourquoi ne pas
simplement dormir tôt la nuit de Shovou´ôth pour se réveiller
suffisamment en forme pour la prière du matin ? Notons
d'ailleurs que plusieurs de ceux qui suivent cette pratique du
Tiqqoun Lél Shovou´ôth ont ensuite des têtes de zombies à la
Synagogue. Est-ce honorant d'être dans un tel état le jour où nous
commémorons le Don de la Tôroh ? En outre, on ne tire pas de
Halokhôth à partir de Midhroshim. C'est pourtant une règle bien
connue ! Par conséquent, le fait que le Midhrosh nous raconte
que nos ancêtres ne surent pas se réveiller tôt n'exige pas
d'établir une règle stipulant qu'il ne faille pas dormir du tout la
nuit de Shovou´ôth.
Ce
n'est qu'un Minhogh qui n'a aucune nature obligatoire. Mais lorsqu'on
se penche de plus près sur les origines troubles de ce Minhogh, tout
justifie le fait de ne pas le suivre. Tous ces récits kabbalistiques font la risée du Judaïsme. Boroukh HaShem, cette pratique
n'est pas suivie dans de nombreuses communautés. Et quand bien même
ces communautés seraient minoritaires, la majorité n'a pas toujours
raison ; elle se trompe même très souvent !
1C'est
ainsi que le Rov `Alqabés surnommait Rabbi Yôséf Qa`rô
2Bamidhbor
12:8