lundi 9 novembre 2015

Serrer la main d'une femme

ב״ה

Serrer la main d'une femme


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  1. Introduction

À la lumière de l'article précédent, on peut se poser la question suivante : un homme peut-il serrer la main d'une femme ?

Avant de répondre à la question, j'aimerais clarifier trois points :

  1. Je ne suis ni libéral ni extrémiste. Je le précise, car certaines personnes peuvent avoir l'impression que je suis trop indulgent en lisant certains articles, tandis que d'autres peuvent avoir l'impression inverse à la lecture d'autres articles. Ainsi, les gens qui pensent que je suis libéral doivent savoir que pour d'autres je suis, au contraire, un extrémiste religieux, tandis que ceux qui pensent que je suis un extrémiste doivent savoir que pour d'autres, au contraire, je suis un libéral. Mais les étiquettes ne m'intéressent pas. Mes positions en tant que Talmidh HaRamba''m ne sont pas motivés par ce que je pense ou ce que je désire, mais par ce que dit la Tôroh et la Halokhoh de nos Sages de mémoire bénie. De ce fait, lorsque d'un point de vue halakhique il faut être strict et rejeter les innovations et erreurs de la majorité des Juifs d'aujourd'hui, je penche vers la rigueur, tandis que lorsque, toujours d'un point de vue halakhique, on doit être indulgent et rejeter les excès et mesures fanatiques de certains, je penche vers l'indulgence ;
  2. Trancher un sujet vers l'indulgence (parce que telle est réellement la Halokhoh) ne signifie pas que l'on est soi-même indulgent sur la question dans sa propre pratique. Les gens peuvent adopter pour leur propre pratique personnelle des mesures de rigueur même lorsque la Halokhoh tranche vers l'indulgence. Mais il y a deux choses qu'on ne peut pas faire lorsqu'on s’impose des mesure de rigueur : 1) les imposer aux autres, et 2) prétendre que ces mesures de rigueur sont la Halokhoh ;
  3. Je ne vais traiter cette question que d'un point de vue strictement halakhique et expliquer le Din (la lettre de la loi). Mais toute personne a la liberté d'aller Lifnim Mishourath Haddin (au-delà de la lettre de la loi) et s'imposer la rigueur, car je ne vais traiter que du minimum requis.

  1. Toucher

Comme cela a été expliqué dans l'article précédent, il n'existe halakhiquement parlant aucune interdiction catégorique de toucher une ´arwoh (une femme qui nous est interdite, ou avec laquelle on n'est pas marié). Même Rabbi Yôséf Qa`rô ז״ל (je le cite, car certaines communautés ont inventé une fausse doctrine selon quoi nous serions tenus de nous soumettre au Shoulhon ´oroukh de Rabbi Yôséf Qa`rô, qui devrait donc constituer le socle de la Halokhoh actuelle. C'est une doctrine qui n'a aucune base. En outre, il existe bon nombre de règles énoncées dans le Shoulhon ´oroukh que ces mêmes communautés ne suivent pas du tout), bien qu'il interdise catégoriquement le moindre contact entre un homme et sa femme lorsque cette dernière est Niddoh1, il n'émet pas une interdiction si radicale vis-à-vis des autres ´aroyôth. Ainsi, bien qu'il interdise, en recopiant les propos du Ramba''m ז״ל, diverses formes d'interactions avec des ´aroyôth, comme par exemple leur faire des clins d’œil, les regarder avec plaisir, respirer leur parfum, admirer leurs tenues, etc., simplement les toucher sans intention d'affection ne fait pas partie de ce qu'il interdit. C'est ainsi qu'en commentant l'interdiction du Shoulhon ´oroukh2 de toucher sa femme lorsqu'elle est Niddoh, le Rov Wosner ז״ל écrit3 :

[Il] ne peut pas la toucher [sa femme Niddoh] : C'est-à-dire même sans intention de désir et d'affection, alors qu'il n'y a pas même d'interdiction rabbinique [de toucher d'autres] ´aroyôth.

Pour ceux qui ne seraient pas au courant, le Rov Shamou`él Wosner (1913-2015) fut l'un des membres éminents de la Edah HaCharedit, le Béth Din des communautés hassidiques antisionistes en Terre Sainte. Il ne faisait donc pas partie du camp des « indulgents », et plusieurs de ses fils sont les dirigeants de diverses communautés Satmar à travers le monde. Mais qu'il était d'obédience Satmar, cela ne l'a pas empêché d'écrire qu'effectivement il n'y avait pas d'interdiction, pas même rabbinique, à toucher une ´arwoh.

De même, le Ta''z ז״ל (Rabbi Dowidh Halléwi Segal, 1586-1667) parle de « ...l'épouse de son ami [avec laquelle] il a l'interdiction de dormir dans le même lit. Mais toucher est permis ».4

Nous allons à présent rapporter deux cas talmudiques « extrêmes » montrant que dans certaines circonstances certains contacts physiques ne posent pas de problème. La Gamoro` rapporte dans soh 25b que Rov Nahmon ז״ל autorisa sa femme Yalto` ז״ל à sortir אאלונקי « `a`alônqi ». Rash''i ז״ל explique qu'un homme plaçait sa main sur l'épaule d'un autre et l'autre plaçait sa propre main sur l'épaule du premier, formant ainsi une espèce de place pour qu'une troisième personne puisse s'asseoir « sur sa chaise sur leurs épaules ». D'après cette explication de Rash''i, il est au moins possible que Yalto` s'est assise sur une chaise portée par les deux hommes sans qu'il n'y ait de contact physique direct entre eux. Néanmoins, Rash''i fait ici une erreur ou de l'apologie. En effet, juste avant de traiter du cas de Yalto`, la Gamoro` rapporte l'anecdote d'un vieil homme qui fut transporté de cette manière, et il n'y avait de chaise. Le Mé`iri ז״ל explique que Yalto` s'est assise directement sur leurs bras sans chaise entre eux, et telle est également l'explication de Rabbénou Hanon`él ז״ל, qui a expliqué que le terme « `a`alônqi » désignait une selle d'épaule sans mention d'une chaise (et cela est en tout point conforme au contexte de tous les passages talmudiques où cette expression est employée). En outre, la Gamoro` explique que dans une telle position la personne que l'on portait ainsi plaçait ses mains sur les têtes des deux porteurs. Elle pose alors la question de savoir comment on a pu permettre à cette femme de placer ses mains sur les têtes de ses porteurs ? Et la Gamoro` répond simplement : « Parce qu'elle était nerveuse ». En d'autres mots, dans une telle position, une femme est nerveuse car elle craint de tomber. Par conséquent, le fait qu'elle place ses mains sur les têtes de ses porteurs ne constitue rien d'indécent, car c'est simplement pour lui éviter de tomber. Ainsi, après avoir cité l'explication que donne Rabbénou Hanon`él du terme « `a`alônqi », le ´oroukh ajoute que : « Une femme a peur de tomber, [et] pour cette raison il lui était permis de se soutenir par ses mains sur leurs têtes et ne pas tomber ».

Un deuxième cas « extrême » nous est rapporté dans Kathoubbôth 17a, où il est mentionné le fait que lors d'un mariage, Rov `aho` ז״ל se permit de porter la mariée sur ses épaules et danser avec elle. Les Rabbins lui dirent : « Pouvons-nous le faire aussi ? ». Il leur répondit : « Si elles sont pour vous comme des poutres en bois, c'est permis ; si ce n'est pas le cas, [vous ne pouvez] pas ! ».

Évidemment, cela ne veut pas dire qu'il n'y a aucun problème à faire ces choses. Ces anecdotes nous sont rapportées dans un but bien précis : clairement illustrer, par des exemples pouvant paraître « extrêmes », que ce n'est pas le contact physique en lui-même qui est interdit, mais ce qui anime le contact et s'il y a eu ou pas un désir. Dans les deux cas présentés dans la Gamoro`, les hommes qui ont porté ces femmes n'avaient aucune mauvaise intention, ni même désir ou plaisir sexuel en le faisant. De même, si une femme tombe et que pour quelque raison que ce soit elle ne parvient pas à se lever seule, un homme peut lui tendre la main ou la la prendre par les bras pour la remettre sur pied. Et il en est de même dans le cas inverse, c'est-à-dire s un homme tombe et a besoin d'aide pour se relever, une femme peut l'aider. De la même manière, il n'y a aucun problème à placer de l'argent directement dans la main de la caissière d'un magasin ou de recevoir dans notre main la monnaie qu'elle nous rend, et on ne doit pas se soucier de l'éventualité que les mains se touchent. À l'évidence, si on a spécifiquement l'intention de toucher la main de la caissière et d'en tirer un plaisir de par la sensation que procure la proximité des mains, cela est strictement interdit.

  1. L'interdiction de « Lô` Thiqravou »

Il y a deux versets étranges dans la Tôroh. Le premier déclare5 : אִישׁ אִישׁ אֶל-כָּל-שְׁאֵר בְּשָׂרוֹ, לֹא תִקְרְבוּ לְגַלּוֹת עֶרְוָה « Qu'aucun homme ne s'approche de sa parente consanguine pour découvrir la nudité ». Le deuxième déclare6 : וְאֶל-אִשָּׁה, בְּנִדַּת טֻמְאָתָהּ--לֹא תִקְרַב, לְגַלּוֹת עֶרְוָתָהּ « N'approche pas d'une femme dans la séparation de son impureté pour découvrir sa nudité ». Plutôt que simplement et explicitement interdire d'avoir des relations avec elles, la Tôroh prévient de ne pas s'en approcher. Le Ramba''m applique, comme nous l'avons expliqué dans l'article précédent, cette interdiction toranique, non seulement aux relations sexuelles, mais également aux comportements pré-sexuels et proto-sexuels, tels qu'embrasser et enlacer, en précisant que les rapports sexuels sont punis de Koréth (retranchement), tandis que les autres actes ne sont punissables qu'en cas de désir et plaisir. En y regardant de plus près, nous comprenons que les comportements pré-sexuels et proto-sexuels interdits sont les « préliminaires ». Le terme « préliminaires » doit se comprendre ici dans un sens plus large de tout acte ou même discours de nature sexuelle pouvant servir de préliminaires à des rapports sexuels ou accompagner une relation sexuelle.

Cette condition exclut les serrages de main sociaux d'être classés dans la catégorie de « Lô` Thiqravou », puisqu'un serrage de main n'est pas un acte préliminaire à des rapports sexuels. Il en est ainsi même si le serrage de main inclut un élément d'affection ; l'affection seule, sans élément de désir, n'est pas une interdiction. Le Sha''h ז״ל, en commentant le Ramba''m, l'avait déjà explicitement écrit en disant : « c'est le contact par désir et affection faisant partie de l'intimité sexuelle, et pas simplement l'affection ».7

Il y a une preuve claire de cette distinction dans le Séfar Hammiswôth du Ramba''m lui-même, où il écrit8 : האזהרה שהוזהרנו מלהתענג באחת מכל העריות ואפילו בלי ביאה, כגון החיבוק והנישוק וכיוצא בהן מפעלות שאדם נהנה בהן « Il s'agit de l'avertissement qui nous a été lancé concernant le fait d'avoir des contacts avec n'importe laquelle de celles qui font partie des ´aroyôth, même sans rapport sexuel, comme par exemple enlacer et embrasser, et ce qui leur ressemble parmi les activités de promiscuité par lesquels l'homme jouit ». Le Rov Qappa`h ז״ל, qui commenta toutes les œuvres du Ramba''m pour les communautés yéménites, les Dôr Da´im et Talmidhé HaRamba''m, rapporte9 que par l'expression « parmi les activités de promiscuité par lesquels l'homme jouit », le Ramba''am parle clairement des activités que l'on retrouve dans les ébats amoureux. C'est pour cela qu'enlacer ou embrasser une femme est interdit, car ce sont des actes que l'on retrouve dans les ébats amoureux. Ce sont tous les actes de cette nature-là qui sont interdits. Le Ramba''m le répète en fait également dans son Mishnéh Tôroh, où il précise à nouveau que c'est le fait de se rapprocher des ´aroyôth d'une quelconque façon indécente, de débauche (il emploie l'expression « Middarkhé Hazzanouth – parmi les voies de la prostitution » ou « parmi les voies de la débauche ») qui est interdit.10 À l'évidence, serrer une main ne fait pas partie des préliminaires et n'est pas non plus un acte de débauche ou de prostitution. En outre, aussi bien dans son Séfar Hammiswôth que dans son Mishnéh Tôroh11, où il cite le Sifro´, le Ramba''m insiste sur le fait que l'interdiction de « Lô` Thiqravou » n'inclut que des activités qui mènent habituellement à des relations sexuelles. Serrer une main n'en fait pas partie !

Une preuve supplémentaire provient du Taroumath Haddashan ז״ל.12 En commentant le Ramba''m, il écrit que ce qui est interdit sont les actes dont les gens tirent plaisir durant les rapports sexuels. À l'évidence, serrer une main n'en fait pas partie.

Nous pouvons inclure dans les actes interdit le fait de caresser des cheveux, une poitrine, les fesses, les joues, mettre les mains sur les hanches d'une femme, etc., mais le fait de serrer une main n'entre clairement pas dans cette catégorie d'actes interdits.

À présent, nous pouvons comprendre pourquoi le fait que deux hommes portèrent sur leurs épaules une femme pour l'aider à se déplacer ne fut pas considéré comme un problème par le Talmoudh : ce n'est pas une activité pouvant être inclue dans des préliminaires. En outre, aucune de ces personnes n'avaient de mauvaises intentions, il n'y avait pas d'actes de désir ou de plaisir, et elle les toucha par peur de tomber. Nous pouvons citer un autre exemple talmudique tiré de Sôtoh 19a. Là, en décrivant la procédure d'examen de la femme Sôtoh, le Talmoudh relève que le Kôhén procédant à l'examen a l'obligation de placer ses mains sous celles de la femme Sôtoh. Puis, il lève leurs mains collées l'une sur l'autre et les secoue ensemble de la manière prescrite. Les commentateurs s'interrogent quant à savoir comment un Kôhén peut-il faire cela avec une femme mariée. Diverses réponses sont apportées pour expliquer en quoi cela n'était pas indécent ou inapproprié, et l'une des réponses est qu'il est peu probable d'en arriver à être excité par un si bref contact avec une femme.13 De la même manière, serrer une main ne constitue pas un problème, car cela ne dure que quelques brèves secondes et il est improbable que cela fasse naître des pensées sexuelles.

Comme nous l'avons mentionné à la fin de l'article précédent, Rabbénou Yônoh ז״ל est le principal Ri`shôn à avoir explicitement écrit que tout contact physique, de quelque nature que ce soit, était interdit en raison de « Lô` Thiqravou ».

Ceux qui veulent suivre Rabbénou Yônoh et les Pôsqim stricts peuvent le faire. Mais ils ne peuvent pas prétendre que c'est la Halokhoh ! En fait, quand bien même cela ne se ferait pas dans les milieux dits « froum » ou « Harédhi », la grande majorité des Pôsqim n'ont pas interdit le fait de serrer une main. Certains ont préconisé toutefois de ne le faire que lorsque la femme est la première à tendre la main. En d'autres mots, ce n'est pas à l'homme d'initier le serrage de main, mais si c'est la femme qui tend la main en premier il peut la serrer afin d'éviter de lui faire honte. Mais ce raisonnement n'est pas satisfaisant pour moi. Moi-même qui m'abstiens généralement de serrer la main d'une femme, je n'ai jamais rencontré de femme à qui cela a dérangé ou embarrassé. Il suffit d'expliquer gentiment, avec un sourire et une explication rationnelle que vous préférez ne pas lui serrer la main, et généralement cela passe très bien. Il n'est pas nécessaire d'agir comme ces religieux écervelés qui vont jusqu'à cracher par terre juste parce qu'une femme leur a adressé la parole. Chaque fois qu'il est possible d'éviter de serrer la main, sans qu'il n'y ait de conséquences, il est préférable de le faire. Autrement, ce n'est pas un crime en soi de lui serrer la main.

Ajoutons qu'il y a de nombreux cas où serrer la main se fait juste par protocole, comme par exemple lorsqu'on est présenté à un client ou un employeur, à un médecin, ou à une personne influente. Dans aucun de ces cas le serrage de main n'est un signe d'affection, d'amitié, ou de relation personnelle, et serait permis. Toutefois, encore une fois, s'il est possible d'éviter de serrer la main sans qu'il n'y ait de conséquence, il est préférable d'éviter de le faire. Autrement, ce n'est pas un crime.

Enfin, quand bien il pourrait être permis dans certaines circonstances de serrer le main d'une personne du sexe opposé, si la personne le fait par désir, afin d'en tirer un plaisir, flirter, ou qu'il s'agit d'une femme pour qui il aurait des sentiments, etc., il sera strictement interdit de le faire. Dès lors que l'on touche quelqu'un pour en retirer quelque chose, le contact est strictement prohibé. C'est à chaque homme et savoir quelles sont ses limites, ses forces et ses faiblesses, et ne pas se mettre dans des situations de tentations.

À tous ceux qui s'offusqueraient par ce qui a été dit, sachez qu'il fut un temps pas si lointain que cela où les Pôsqim et rabbins permettaient sans problème à une femme d'embrasser la main, car c'était considéré comme un acte décent de saluer quelqu'un ou l'honorer.14 Entre nous, qu'est-ce qui est le plus « scandaleux » ; serrer une main ou l'embrasser ?

Il y aurait encore beaucoup à dire, mais l'essentiel a été dit.

1Yôréh Dé´oh 195:2
2`évan Ho´azar 21:1
3Sha`ouré Shévét Halléwi, 3ème édition, Hilkôth Niddoh, page 252
4`ôrah Hayim 615:1
5Wayyiqro` 18:6
6Ibid., verset 19
7Yôréh Dé´oh 157:10 et 195:20
8Miswath Lô` Tha´asah n°353
9Séfar Qadhoushoh, page 21, note de bas de page 41
10Hilkôth Sanhédhrin 19:4
11Hilkôth `issouré Bi`oh 21:1
12Taroumath Haddashan, Tashouvoh n°250
13Voir Pané Môshah, ou encore `oz Nidhbarou, Yôréh Dé oh 51

14´ôdh Yôséf Hay, Parashath Shôftim