jeudi 21 janvier 2016

Les trente-neuf Malo`khôth : Bishoul - Première Partie

ב״ה

Les trente-neuf Malo`khôth expliquées clairement

Bishoul – Cuire


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  1. Introduction

Si vous avez déjà été invité à un repas de Shabboth dans une famille « Orthodoxe », vous avez peut-être pu remarquer certaines choses « étranges » dans la cuisine. La cuisinière/gazinière est couverte d'une plaque métallique fine (ou plaque chauffante électrique), sur laquelle de la nourriture chauffe. Il pourrait y avoir également une mijoteuse sur le comptoir, et très souvent aussi une bouilloire.

Ces pratiques renvoient à un paradoxe central du Shabboth. D'un côté, vous ne pouvez pas cuire de la nourriture, ni la réchauffer de la manière ordinaire, mais dans le même temps, il est demandé de consommer un repas chaud à Shabboth. Nous allons essayer d'analyser tout cela et également voir les pratiques « Orthodoxes » susmentionnées sont réellement nécessaires. Et pour se faire, il nous faudra comprendre l'une des Malo`khôth les plus importantes du Shabboth, celle de ִישׁוּל « Bishoul » (cuire). Nous y consacrerons plusieurs leçons de façon à bien saisir chaque concept et application de cette Malo`khoh souvent mécomprise.

  1. Qu'est-ce qu'une « cuisson » d'un point de vue halakhique ?

Il existe en Langue Sainte deux termes pour désigner une cuisson. D'un côté, nous avons ִישׁוּל « Bishoul », qui désigne une cuisson sur le feu, et de l'autre côté, nous avons אוֹפֶה « `ôfah », qui désigne une cuisson dans un four. Les deux sont inclus dans la Malo`khoh générale de Bishoul. La cuisson est l'acte final dans la Siddouro` Dappath, la série de Malo`khôth nécessaires à la confection du pain, et que nous étudions jusqu'à présent.

Halakhiquement parlant, Bishoul est défini comme le fait d'utiliser de la chaleur pour opérer un changement positif dans la structure physique d'un objet. Le cas classique est celui de cuire du pain, ce qui est le paradigme que nous suivions jusqu'ici. Mais comme nous le verrons, la Malo`khoh de Bishoul s'applique autant aux aliments qu'aux objets qui ne sont pas de la nourriture.1

Commençons par comprendre les éléments qui constituent cette Malo`khoh.

  1. Le type de chaleur utilisé

Lorsqu'on parle de chaleur, nous ne parlons que de ce qui est littéralement du feu, ou qui est un dérivé du feu. L'expression « dérivé du feu » est souvent mal compris dans les milieux dits « Orthodoxes ». Ils la comprennent généralement comme également désigner l'électricité et toute source de chaleur. Or, comme nous le comprenons en lisant le Ramba''m ז״ל dans son Mishnéh Tôroh2 et Commentaire sur la Mishnoh3, un dérivé du feu désigne tout ustensile qui avait préalablement été chauffé sur du feu ou avec du feu. Par exemple, quelqu'un a chauffé de l'eau dans une casserole placée sur du feu. Pendant le Shabboth, il retire cette casserole du feu, mais profite qu'elle soit encore chaude pour placer à côté d'elle un œuf dur qui n'avait pas bien cuit afin qu'il cuisse davantage au contact de la chaleur de la casserole. C'est considéré comme cuire avec un « dérivé du feu », car la chaleur de cette casserole a été obtenue par le feu sur lequel il se trouvait précédemment. Cette casserole est donc une prolongation du feu lui-même. C'est pour cela que cuire avec quelque chose de chaud qui ne fut pas préalablement chauffé littéralement par un feu est permis, comme par exemple cuire au moyen du soleil, ou encore dans les sources naturellement chaudes de Tibèriade, et des choses semblables.4 Une plaque chauffante électrique n'a pas été préalablement placée sur une flamme pour ensuite en utiliser la chaleur pour cuire ; de ce fait, cuire sur une plaque chauffante n'est pas appelé « un dérivé du feu ».

  1. Quand se produit le Bishoul ?

La cuisson est un processus, et non une occurrence instantanée. Par conséquent, la Halokhoh déclare que vous n'êtes coupable d'un acte de Bishoul que lorsque la cuisson est terminée. Quand cela se produit-il ? Cela va dépendre s'il s'agit d'une chose solide ou liquide.

Avec des aliments solides, Bishoul est réalisé dès que l'aliment a atteint un stade où il est quelque peu consommable.5 Le Talmoudh décrit ce stade par l'expression de מְאַכֵּל בֶּן דְּרוּסַאי « Ma`akkél Ban Darousa`y – nourriture de Ban Darousa`y », du nom d'un illustre voleur qui ne mangeait les aliments qu'il volait que partiellement cuits, car il devait toujours s'enfuir et changer de lieu pour ne pas être pris (il n'avait donc pas le temps d'attendre que les aliments cuisent entièrement). Il existe une divergence d'opinion quant à savoir si ce stade est atteint lorsque l'aliment est cuit à moitié6 ou au un-tiers7. Une fois qu'un aliment a atteint ce niveau, il est considéré « cuit ».

Avec des objets solides qui ne sont pas de la nourriture, « cuire » signifie soit amener un objet tendre à durcir (par exemple, chauffer de l'argile dans un four), soit amener un objet dur à s'assouplir (par exemple, faire fondre du métal). Une fois que ce changement a commencé à se produire, l'acte de Bishoul a été réalisé.8

Quand il s'agit de liquides, aucun changement apparent ne se produit lorsqu'un liquide est chauffé. Ici, nous devons alors seulement nous intéresser au niveau de chaleur en lui-même. Le Bishoul a lieu lorsque ce liquide a été chauffé jusqu'au niveau de יַד סוֹלֶדֶת בוֹ « Yadh Sôladhath Bô », qui signifie littéralement « la main en est dégoûtée ». C'est le niveau où le liquide est tellement chaud que si on plaçait sa main contre le récipient qui le contient, la main reculerait d'elle-même par réflexe.9 La majorité des Pôsqim estiment que cela se produit lorsque l'eau est chauffée à 45°C, mais c'est en réalité sans importance. HaZa''l et les Ri`shônim n'ont jamais donné le degré de chaleur que devait atteindre le liquide, car tout dépendra de la sensibilité de chacun. Ce qui est chaud pour l'un ne l'est pas forcément pour l'autre. Par conséquent, un liquide n'atteint le niveau de Bishoul que si la personne recule sa main par réflexe en le touchant.

Gardons à l'esprit que nous parlons là encore d'aliments, d'objets solides et de liquides ayant été chauffés avec du vrai feu ou un dérivé du feu.

  1. Accélérer une cuisson

Jusqu'à présent, nous avons parlé d'aliments qui étaient crus et que l'on a exposés à la chaleur d'un feu (ou du dérivé d'un feu) afin qu'il cuise. Mais il existe d'autres moyens d'accomplir un acte de Bishoul pendant que l'aliment est en plein processus de cuisson.

Lorsque quelque chose est en train de cuire, tout acte qui amènera la cuisson à se produire plus rapidement est en lui-même un acte de Bishoul.10 Voici quelques exemples11 :

  • Remuer de la nourriture en cours de cuisson dans une casserole/marmite qui est sur le feu : cela permet à la chaleur de mieux se répandre dans la marmite/casserole.
  • Placer un couvercle sur une casserole/marmite qui se trouve sur le feu : cela concentre la chaleur à l'intérieur de la casserole/marmite.
  • Fermer la porte d'un four qui était ouvert : cela isole mieux la chaleur à l'intérieur de l'espace.

Par conséquent, tous ces actes susmentionnés ne sont pas permis à Shabboth.

  1. Chaleur indirecte

C'est là que la Malo`khoh de Bishoul devient très intéressante. Jusqu'à présent, nous nous étions principalement focalisés sur des situations où l'objet en train de cuire est connecté au feu (par exemple, sur une cuisinière/gazinière). Mais une fois que l'objet a été retiré du feu, l'histoire ne s'arrête pas là. Halakhiquement parlant, une « cuisson » peut encore se produire. La raison à cela est très simple à comprendre : les ustensiles utilisés pour cuire conservent de la chaleur du feu m^me après avoir été retirés du feu, et cette chaleur résiduelle a en elle-même le pouvoir de causer du Bishoul. C'est pour cela que cuire avec un « dérivé du feu » est également interdit, comme expliqué plus haut.

Nous devons donc à présent comprendre certains termes de base se rapportant aux ustensiles. Pour se faire, retrouvons Rivqoh, que nous avions mentionnée lorsque nous analysions la Malo`khoh de Dosh.

C'est Vendredi soir, et la cuisine de Rivqoh sent excellemment bon. Sur sa cuisinière/gazinière (dont les brûleurs sont recouverts d'une fine plaque métallique. Nous y reviendrons dans une autre leçon), on retrouve une marmite de soupe et un plat de cuisson contenant de la viande et d'autres bonnes choses. Chacun des ustensiles sur le feu est considéré être un ְלִי רִיאשׁוֹן « Kali Ri`shôn » (ustensile premier ou primaire). De nombreuses activités couvertes par la Malo`khoh de Bishoul se déroulent dans un Kali Ri`shôn.

En fait, il y a deux niveaux :

  1. Un ustensile primaire sur le feu (en Langue Sainte, ְלִי רִיאשׁוֹן עַל הָאֵשׁ « Kali Ri`shôn ´al Ho`ésh ») ; c'est-à-dire qu'il est directement connecté à la chaleur du feu.
  2. Un ustensile primaire pas sur le feu (en Langue Sainte, ְלִי רִיאשׁוֹן שֶׁלֹּא עַל הָאֵשׁ « Kali Ri`shôn Shallô` ´al Ho`ésh ») ; même après avoir été retiré de la chaleur du feu, l'ustensile conserve son statut d'ustensile primaire, quoique avec quelques différences pratiques que nous parcourrons plus tard.

En servant la soupe, Rivqoh verse une grosse louche dans le bol de chaque convive. Chaque bol devient donc un ְלִי שֵׁנִי « Kali Shéni » (ustensile secondaire), parce qu'il accueille à présent la nourriture chaude tirée de la marmite qui s'était trouvée sur le feu. Puisque le bol n'avait jamais été physiquement en contact avec la chaleur du feu, nous considérons cet ustensile secondaire comme étant moins susceptible de provoquer du Bishoul, comparé à l'ustensile primaire, pour deux raisons :

  1. la nourriture dans l'ustensile secondaire n'a plus les parois (métalliques) chaudes de l'ustensile primaire pour conserver son niveau de chaleur, et
  2. les parois froides de l'ustensile secondaire refroidissent en fait la nourriture qui a été versée à l'intérieur.12

Imaginons que Rivqoh veuille utiliser sa toute nouvelle soupière. Si elle a versé la soupe chaude de la marmite (un ustensile premier) dans la soupière (un ustensile secondaire), et qu'elle l'a ensuite servie à tout le monde, le bol de chaque convive deviendra alors un ְלִי שְׁלִישִׁי « Kali Shalishi » (ustensile tiers) »). Chaque fois que nous éloignons davantage un aliment cuit du feu qui l'a cuit, nous créons un niveau supplémentaire, parce que plus l'ustensile est éloigné du feu, moins il est capable de cuire quelque chose d'autre qu'il touche.

(Au niveau théorique, cette chaîne peut être infinie. Mais au niveau pratique, nous n'allons généralement pas au-delà d'un ustensile tiers, étant donné qu'il n'y a alors plus vraiment la moindre ramification halakhique.)

Avec tout cela, nous allons pouvoir explorer dans la prochaine leçon les Halokhôth s'appliquant à chaque catégorie d'ustensile.

1Talmoudh, Shabboth 106a ; Mishnéh Tôroh, Hilkôth Shabboth 9:6
2Hilkôth Shabboth 9:2
3Shabboth 3:2
4Mishnéh Tôroh, Hilkôth Shabboth 9:3
5Talmoudh, Shabboth 20a
6Mishnéh Tôroh, Hilkôth Shabboth 9:5
7Rash''i, sur Shabboth 20a
8Mishnéh Tôroh, Hilkôth Shabboth 9:5
9Talmoudh, Shabboth 40a
10Talmoudh, Bésoh 34a
11Tous ces exemples ne sont interdits que lorsque l'aliment n'était pas encore complètement cuit

12Tôsofôth, sur Shabboth 40b