lundi 1 février 2016

« Faisons l'homme à notre image ! »

ב״ה

« Faisons l'homme à notre image ! »


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Dans le tout premier chapitre de la Tôroh, nous tombons sur l'un des passages les plus « obscurs », celui qui concerne la création de l'homme. Il est dit ceci1 :

Et `alôhim dit : « Faisons un homme à notre image, suivant notre ressemblance, et qu'il domine le poisson de la mer, l'oiseau du ciel, l'animal domestique, toute la terre et tout ce qui se meut sur la terre ». Et `alôhim créa l'homme à Son image ; c'est à l'image de `alôhim qu'Il le créa. Mâle et femelle Il les créa.
וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ כִּדְמוּתֵנוּ; וְיִרְדּוּ בִדְגַת הַיָּם וּבְעוֹף הַשָּׁמַיִם, וּבַבְּהֵמָה וּבְכָל-הָאָרֶץ, וּבְכָל-הָרֶמֶשׂ, הָרֹמֵשׂ עַל-הָאָרֶץ. וַיִּבְרָא אֱלֹהִים אֶת-הָאָדָם בְּצַלְמוֹ, בְּצֶלֶם אֱלֹהִים בָּרָא אֹתוֹ: זָכָר וּנְקֵבָה, בָּרָא אֹתָם

Dans le tout premier chapitre de Son Môréh Navoukhim (Guide des Égarés), le Ramba''m ז״ל traite naturellement de la question qui se pose à la lecture du passage susmentionné, qui décrit l'homme comme ayant été créé dans le צֶלֶם « Salam » (image) et la דְּמוּת « Damouth » (forme/ressemblance) de Dieu. Il note que cette description a amené certains à croire faussement que le Judaïsme attribut des propriétés physiques à Dieu :

צֶלֶם « Salam » et דְּמוּת « Damouth ». - Il y a eu des gens qui croyaient que Salam, dans la langue hébraïque, désignait la figure d'une chose et ses linéaments, et ceci a conduit à la pure corporification [de Dieu], parce qu'il est dit : נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ כִּדְמוּתֵנוּ « Faisons un homme à notre image, suivant notre ressemblance ». Ils croyaient donc que Dieu avait la forme d'un homme, c'est-à-dire sa figure et ses linéaments, et il en résultait pour eux la corporification pure qu'ils admettaient comme croyance, en pensant que, s'ils s'écartaient de cette croyance, ils nieraient le texte [de l’Écriture], ou même qu'ils nieraient l'existence de Dieu s'Il n'était pas [pour eux] un corps ayant un visage et des mains semblables aux leurs en figure et en linéaments.

Le Ramba''m répond à cet argument en exposant le fait qu'il est né d'une mauvaise interprétation des mots « Salam » et « Damouth ». Il explique alors le mot « Salam » de la manière suivante :

Quant à צֶלֶם « Salam », il s'applique à la forme naturelle, je veux dire à ce qui constitue la substance de la chose, par quoi elle devient ce qu'elle est et qui forme sa réalité, en tant qu'elle est tel être [déterminé]. Dans l'homme ce quelque chose, c'est ce dont vient la compréhension humaine, et c'est à cause de cette compréhension intellectuelle qu'il a été dit de lui : בְּצֶלֶם אֱלֹהִים בָּרָא אֹתוֹ « c'est à l'image (Salam) de `alôhim qu'Il le créa ». C'est pourquoi aussi on a dit [en parlant des impies]2 : צַלְמָם תִּבְזֶה « Tu méprises leur image (Salmom) » ; car le mépris atteint l'âme qui est la forme spécifique, et non pas les figures des membres et leurs linéaments. Je dis de même que la raison pour laquelle les idoles étaient appelées צְלָמִים « Salomim », c'est que, ce qu'on cherchait dans elles était quelque chose qu'on leur supposait ; mais ce n'était nullement pour leur figure et leurs linéaments. Je dirai encore la même chose au sujet des mots3 : צַלְמֵי טְחֹרֵיכֶם « les images de (Salmé) vos Tahôrim » ; car ce qu'on y cherchait, c'était le moyen d'écarter le mal des Tahôrim, et ce n'était nullement la figure des Tahôrim. Si cependant il fallait absolument admettre que le nom de « Salam », appliqué aux images des Tahôrim et aux idoles, se rapportât à la figure et aux linéaments, ce nom serait un homonyme ou amphibologique4, et s'appliquerait non seulement à la former spécifique, mais aussi à la forme artificielle, ainsi qu'aux figures analogues des corps physiques et à leurs linéaments. Par les mots : נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ « Faisons un homme à notre image ». on aurait donc voulu parler de la forme spécifique, c'est-à-dire de la compréhension intellectuelle, et non de la figure et des linéaments.

En d'autres mots, « Salam » ne se réfère pas à l'apparence physique de l'entité décrite, mais plutôt à son essence, la qualité première qui fait d'elle ce qu'elle est. Puis, il explique le sens de « Damouth » (ressemblance) :

Quant à דְּמוּת « Damouth », c'est un nom [dérivé] de דמה (ressembler), et qui indique également une ressemblance par rapport à quelque idée ; car les paroles [du Psalmiste]5 : דָּמִיתִי, לִקְאַת מִדְבָּר « Je ressemble (Domithi) au pélican du désert », ne signifient pas qu'il lui ressemblait par rapport aux ailes et au plumage, mais que la tristesse de l'un ressemblait à la tristesse de l'autre. De même [dans ce passage]6 : כָּל-עֵץ, בְּגַן-אֱלֹהִים--לֹא-דָמָה אֵלָיו, בְּיָפְיוֹ « Aucun arbre dans le jardin de Dieu ne lui ressemblait (Domoh) en beauté », il s'agit d'une ressemblance par rapport à l'idée de beauté ; [de même dans ces autres passages] : חֲמַת-לָמוֹ, כִּדְמוּת חֲמַת-נָחָשׁ « Ils ont du poison semblable (Kidhamouth) au poison du serpent »7 ; דִּמְיֹנוֹ--כְּאַרְיֵה, יִכְסוֹף לִטְרֹף « Il ressemble (Dimyônô) à un lion avide de proie »8. Tous [ces passages indiquent] une ressemblance par rapport à une certaine idée, et non par rapport à la figure et aux linéaments. De même9 : דְּמוּת הַכִּסֵּא « La ressemblance (Damouth) du trône » est une ressemblance par rapport à l'idée d'élévation et de majesté, et non par rapport à la forme carrée, à l'épaisseur et à la longueur des pieds, comme le croient les esprits pauvres, et il en est de même de דְמוּת הַחַיּוֹת « la ressemblance (Damouth) des animaux sauvages »10.

En d'autres mots, en Hébreu, quelque chose qui « ressemble » à quelque chose d'autre ne partage pas nécessairement toutes ses propriétés ; il partage plutôt un ou plusieurs points de ressemblance avec cette autre chose.

Le concept de la création de l'homme dans le Salam et la Damouth de Dieu ne soutient, par conséquent, pas la conclusion selon quoi Dieu partage les caractéristiques physiques de l'homme. Cela signifie plutôt que l'essence de l'homme ressemble à celle de Dieu en ce qu'il a été doté de la capacité singulière de la pensée et de l'intellect. C'est ainsi que le Ramba''m poursuit en disant :

Or, comme l'homme se distingue par quelque chose de très remarquable qu'il y a en lui et qui n'est dans aucun des êtres au dessous de la sphère de la lune, c'est-à-dire par la compréhension intellectuelle, pour laquelle on n'emploie ni sens, ni mains, ni bras, [celle-ci] a été comparée à la compréhension Divine, qui ne se fait pas au moyen d'un instrument ; bien que la ressemblance n'existe pas en réalité, mais seulement au premier abord. Et pour cette chose, je veux dire à cause de l'intellect Divin qui se joint à l'homme, il a été dit de celui-ci qu'il était [fait] à l'image de Dieu et à Sa ressemblance, [et cela ne veut dire] nullement que Dieu le Très-Haut soit un corps ayant une figure quelconque.

Évidemment, la sagesse de Dieu est fondamentalement différente de celle de l'homme, mais le fait que l'homme (contrairement à toutes les autres créatures) possède des capacités intellectuelles, et est caractérisé par cette qualité, signifie qu'il est fait dans le Salam de Dieu, en ce qu'ils partagent la même caractéristique déterminante. La caractéristique déterminante de Dieu est précisément l'absence de propriétés physiques, le fait qu'Il soit une intelligence pure, et la qualité qui distingue l'homme de toutes les autres créatures est sa capacité à penser et comprendre.

Le fils du Ramba''m, Rabbénou `avrohom ban HaRamba''m ז״ל, dans son commentaire sur la Tôroh, utilise l'explication donnée par son père de l'expression צֶלֶם אֱלֹהִים « Salam `alôhim » (image de Dieu), et l'utilise pour nous faire comprendre la forme plurielle par laquelle la Tôroh rapporte la décision de Dieu de créer un homme : וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ כִּדְמוּתֵנוּ « Et `alôhim dit : ''Faisons un homme à notre image, suivant notre ressemblance'' ». Rash''i, en citant l'enseignement de nos Sages de mémoire bénie11, commente ce verset de la manière suivante : עַנְוְתָנוּתוֹ שֶׁל הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא לָמַדְנוּ מִכָּאן לְפִי שֶׁהָאָדָם הוּא בִּדְמוּת הַמַּלְאָכִים וְיִתְקַנְּאוּ בּוֹ לְפִיכָךְ נִמְלָךְ בָּהֶם « Nous apprenons ici la modestie du Saint, béni soit-Il. L’homme étant à l’image des anges, ceux-ci auraient pu être jaloux. C’est pourquoi Il les a consultés ».C'est évidemment un enseignement `aggadique, et nous avons déjà maintes fois expliqué qu'une `aggodhoh ne doit pas être compris littéralement. Ainsi, Rabbénou `avrohom ban HaRamba''m signale qu'il va de soi que les anges n'ont pris aucune part, ni joué le moindre rôle, dans la création de l'homme. Plutôt, les Sages veulent dire, par cet enseignement imagé, que l' « image » Divine dans laquelle l'homme fut créé tire ses origines du même domaine spirituel et incorporel dans lequel les anges furent créés aussi. Concernant les anges, le Ramba''m écrit12 : « Les anges sont de même incorporels ; ce sont des intelligences sans matière, mais ils sont néanmoins des êtres créés, et Dieu les a créés... ». À l'inverse de l'homme, qui est le produit d'une combinaison entre la matière et l'intelligence, les anges sont de la pure intelligence, sans matière. Lorsque Dieu a déclaré, נַעֲשֶׂה אָדָם « Faisons l'homme », Il Se référait au fait que la caractéristique déterminante et unique de l'homme tirera ses origines de la même source que celle des anges, c'est-à-dire que l'être humain ressemblera aux anges en possédant l'intelligence. Bien que l'être physique de l'homme tire son origine de la terre, de la même source que les animaux, sa caractéristique déterminante, à savoir, sa capacité intellectuelle, découle du domaine céleste spirituel, du domaine même à partir duquel les anges furent créés.

1Baré`shith 1:26-27
2Tahillim 73:20
31 Shamou`él 6:5
4Puisqu'il existe un autre mot en Hébreu pour désigner littéralement la forme ou l'image d'une chose, à savoir, תוֹאַר « Tô`ar »
5Tahillim 102:7
6Yahazqé`l 31:8
7Tahillim 58:5
8Ibid., 17:12
9Yahazqé`l 1:26
10Ibid., 1:15
11Talmoudh, Sanhédhrin 38b ; Midhrosh, Baré`shith Rabboh 8:7

12Môréh Navoukhim, Volume 1, Chapitre 49