vendredi 12 février 2016

Le mythe des Hallôth de Shabboth

ב״ה

Exposer les fausses notions

Le mythe des Hallôth de Shabboth


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Lorsqu'on demande aux gens de dire ce qui leur vient à l'esprit quand ils entendent le mot « Shabboth », l'une des premières réponses qu'ils donneront est חַלּוֹת « Hallôth », le nom communément associé aux deux pains tressés que pratiquement toutes les femmes Juives préparent en l'honneur des repas du Shabboth. Il y a quelques temps, on m'a demandé s'il y avait la moindre obligation de préparer spécifiquement des « Hallôth » pour Shabboth, et d'où venait cette Halokhoh.

Pour commencer, le Talmoudh déclare ceci1 :

Nos Rabbins ont enseigné : Comment de repas quelqu'un a-t-il l'obligation de consommer à Shabboth ? Trois !
ת"ר כמה סעודות חייב אדם לאכול בשבת שלש

Les trois repas dont il est question sont celui du Vendredi soir, du Samedi matin et du Samedi en fin d'après-midi. Un repas n'a le statut halakhique de « repas » que lorsque du pain a servi et qu'il est mangé tout au long. De là, nous comprenons que nous consommons du pain à trois moments différents au cours du Shabboth.

Mais le pain de Shabboth n'a jamais été appelé « Hallôth » dans toute la littérature rabbinique jusqu'au Moyen-âge. C'est ainsi que parlant du nombre de pain à avoir pour chaque repas, le Talmoudh rapporte ceci2 :

Rébbi `abbo` a dit : « À Shabboth, quelqu'un a l'obligation de rompre sur deux miches, car il est écrit3 : ''double pain'' ».
אמר רבי אבא: בשבת חייב אדם לבצוע על שתי ככרות, דכתיב לחם משנה

L'obligation de chaque fois avoir deux miches de pain provient du fait que, dans la Tôroh, lorsque les Israélites étaient dans le désert, HaShem ית׳ faisait tomber pour eux de la manne. Chaque jour, du Dimanche au Jeudi, les Israélites récoltaient une portion de manne pour leurs besoins quotidiens. Mais le Vendredi, ils avaient droit à une double portion de pain (la manne était du pain) pour leurs besoins alimentaires du Vendredi et du Shabboth, afin qu'ils n'aient pas à collecter de la manne pendant Shabboth, ni la faire cuire, ce qui constituerait des transgressions du Shabboth. En souvenir de ce « double pain » qu'HaShem leur accordait chaque Vendredi, nous utilisons pour chaque repas de Shabboth deux miches de pain.

Notez que le Talmoudh emploie l'expression שְׁתֵּי כִּכְּרוֹת « Shatté Kikkarôth », à savoir, « deux miches [de pain] ». C'est le cas dans tous les textes de la littérature rabbinique. Les Ga`ônim l'employaient également, tous comme les Ri`shônim. C'est ainsi que le Ramba''m ז״ל écrit :

Quant au Shabboth et aux Yomim Tôvim, on a l'obligation de rompre sur deux miches : on prend les deux dans sa main et on rompt l'un d'eux.
וּבַשַּׁבָּת וּבְיָמִים טוֹבִים, חַיָּב לִבְצֹעַ עַל שְׁתֵּי כִּכְּרוֹת; נוֹטֵל שְׁתֵּיהֶן בְּיָדוֹ, וּבוֹצֵעַ אַחַת מֵהֶם

Deux points importants doivent être signalés. Qu'entendons-nous par « rompre » et comment est-ce possible de prendre deux miches de pain dans une seule main ?

Les pains consommés par les Israélites dans les temps passés n'avaient rien à voir avec ceux que l'on consomme en occident aujourd'hui. Il ne s'agissait pas de grosses miches de pain. Le pain des Israélites était une pâte fermentée qui avait une forme ronde. C'est en raison de cette forme qu'il est désigné dans le TaNa''Kh par le nom de כִּכַּר לֶחֶם « Kikkar Laham », c'est-à-dire, une miche de pain ronde.4 D'où l'appellation talmudique de כִּכְּרוֹת « Kikkarôth », qui est tout simplement le pluriel de « Kikkar ». Ainsi, lorsque le Talmoudh parle de « deux miches », il faut en fait traduire par « deux pains ronds ». En fait, ce pain est en tous points identique à ce qu'on appelle aujourd'hui « pain palestinien » (puisque les Arabes de la région continuent encore à faire le pain comme il y a plusieurs siècles d'ici) :



Puisque les Kikkarôth ne sont pas très épaisses (bien qu'elles puissent être volumineuses), on peut facilement en prendre deux dans une seule main, et faire ainsi la bénédiction de « Hammôsi` ». En outre, étant donné qu'il s'agit de pains qui ne sont pas durs, on les coupait en les rompant, c'est-à-dire avec les mains.

Jamais ce pain n'a été appelé « Hallôth ». En fait, ce terme désigne tout simplement la Miswoh qui consistait à extraire de sa pâte une portion que l'on offrait alors aux Kôhanim qui servait dans le Béth Hammiqdosh.5 Du temps où le Béth Hammiqdosh existait, les gens le faisaient chaque fois qu'ils comptaient cuire du pain. C'était comme le salaire des Kôhanim, qui pouvaient ainsi avoir de quoi manger chaque jour. חַלָּה « Halloh » (qui est le singulier de « Hallôth ») signifie « portion de pâte ».

Selon certains, la première fois qu'il fut employé pour se référer à du pain est dans un ouvrage allemand datant du 15ème siècle, intitulé « Laqat Yôshér », où nous lisons ceci6 :

Je me souviens qu'à chaque ´arav Shabboth ils faisaient trois Hallôth fines qui étaient pétries avec des œufs, de l'huile, et un peu d'eau. La Halloh de taille moyenne était placée [à la tombée de] la nuit sur la table, au milieu de la table, puisque la table était carrée, [on la déposait] sur la nappe du milieu. En-dessous de la Halloh il y avait une grande Kikkar qui était entière... Le matin, on plaçait la grande Halloh et une grande Kikkar sur la table comme durant la nuit [précédente]. Pour le troisième repas, on prenait la petite Halloh et un pain entier.
וזכורני שבכל ע”ש עושין לו ג’ חלות דקות הנילושות בביצים ושמן ומעט מים. וחלה האמצעית נתן בלילה על השלחן באמצע שלחנו, כי שלחנו היה מרבע, על המפה האמצעית. ותחת החלה היה ככר גדול שהוא שלם... ובשחרית נתן החלה הגדולה וככר גדול על השלחן כמו בלילה. ולסעודה ג’ לקח החלה הקטנה ולחם שלם

Ce passage ne peut absolument pas être utilisé pour prouver que c'est à ce moment-là que le terme « Halloh » fut employé pour désigner les pains du Shabboth. En effet, il est dit que les Hallôth étaient à chaque fois accompagnées d'une Kikkar. Or, puisque le terme Kikkar désigne précisément les pains du Shabboth, c'est que le terme Halloh ne désigne pas la même chose. En outre, il décrit ces Hallôth comme étant fines. Or, les pains appelés de nos jours « Hallôth » sont tout sauf fines. En fait, dans cet ouvrage, « Halloh » est employé de la même manière qu'il l'est dans le TaNa''Kh :

Et de la corbeille de Massôth placée devant `adhônoy, il prit une Halloh de Massoh, une Halloh de pain à l'huile, et une galette.
וּמִסַּל הַמַּצּוֹת אֲשֶׁר לִפְנֵי יְהוָה, לָקַח חַלַּת מַצָּה אַחַת וְחַלַּת לֶחֶם שֶׁמֶן אַחַת--וְרָקִיק אֶחָד

Dans le TaNa''Kh, l'aliment appelé « Halloh » est une espèce de pain perforé à la forme circulaire , qui est d'ailleurs encore jusqu'à nos jours consommé par les Palestiniens et les autres Arabes de la région. En voici une illustration :


Vous remarquerez tout de suite que sa surface avec ses petits grains ressemble exactement à la surface des pains de Shabboth modernes que l'on appelle « Halloh ».

C'est quelque part après le 15ème siècle que fut faîte l'association entre les pains de Shabboth et le terme « Halloh » dans les pays des communautés ashkénazes, qui ont emprunté leur forme et leur recette à des pains tressés qui étaient consommés par les non Juifs d'Europe de l'Est lors d'occasions particulières. En voici deux exemples :

Du karavai, qui n'est consommé par les Slaves que lors des mariages

Du kalah, un pain russo-ukrainien servi uniquement aux repas particuliers

Puisque ces pains n'étaient consommés que pour des occasions spéciales, les Juifs d'Europe de l'Est décidèrent de ne les préparer que pour Shabboth. Et en raison de leur forme circulaire, ils leur donnèrent le nom de « Hallôth », comme les pains perforés à la forme circulaire.

Est-ce que cela signifie qu'il ne faut plus consommer de « Hallôth » ? Absolument pas ! N'importe quelle sorte de pain peut être consommée à Shabboth. Le but de cet article est simplement d'expliquer qu'il n'y a aucune obligation de spécifiquement préparer des « Hallôth » pour Shabboth, d'autant plus que c'est seulement après le 15ème que ce genre de pains fît son apparition dans les communautés juives. Que l'on utilise de la baguette, des pains ronds, des pains perforés, des pains tressés, du pain-pita, ou quelques sortes de pain que ce soit, même des tartines, tout est valable ! Il y a des gens qui pourraient donner l'impression d'être au seuil de la mort, simplement parce qu'ils n'ont pas pu avoir de « Hallôth » pour Shabboth ! Cela ne vaut pas la peine de se mettre dans tous ses états, puisque n'importe quel pain peut être utilisé !

En outre, l'autre but de cet article est de vous conscientiser sur le fait que vous ne devez jamais considérer qu'une chose fait partie de la « tradition », simplement parce que cela fait longtemps qu'elle a cours parmi les communautés juives, ou parce qu'une majorité de Juifs la pratiquent.

Et enfin, il est essentiel d'utiliser les termes appropriés :

  • Le terme « Hallôth » désigne, au niveau des Miswôth, la portion de pâte que l'on extrayait pour la remettre aux Kôhanim, tandis qu'au niveau alimentaire, il désigne un pain perforé à la forme circulaire.
  • Le terme « Kikkar » désigne une miche de pain rond.

Il faut cesser d'appeler les pains tressés de Shabboth » Hallôth », car ce ne sont pas des Hallôth ! En fait, il existe de nombreux termes pour désigner ces pains tressés, et « Hallôth » ne fut jamais le terme universel. Il existe par exemple les termes « Birkhès » (ou « Barkhès ») et « Dakhn », qui étaient employés en Allemagne et en Europe Centrale. Ces deux termes, l'un en Hébreu ashkénaze et l'autre Yiddish, signifient simplement « bénédiction », pour indiquer le fait que pouvoir manger du pain est une marque des bénédictions que Dieu nous accorde. Il y a aussi le terme « Koylatsh », qui était communément employé par les Juifs de Pologne et de Russie pour désigner ce pain tressé. D'ailleurs, Rash''i ז״ל, déjà au 11ème siècle, l'employait pour désigner un espèce de pain long et fin, comme une baguette, consommé par les Juifs et non Juifs Français. Le terme Shtritsl (de l'allemand médiéval « Struz », qui signifie « un gonflement », comme lorsqu'une pâte lève) était aussi employé (quoique essentiellement pour désigner un pain que les Chrétiens préparaient pour leurs fêtes). Et enfin, il y a aussi le terme « Kitke » qui, jusqu'à nos jours, est employé par les Juifs d'Afrique du Sud, et qui vient de l'allemand « kitt », qui signifie « mastic », pour désigner du plâtre ou du ciment qui seiche rapidement et est utilisé comme adhésif, ainsi que pour la production de motifs ou de figures décoratives sur des surfaces telles que des murs et des plafonds. En fait, en Lituanie, ce terme était employé, non pour désigner le pain tressé en lui-même, mais les décorations que l'on faisait sur le pain (à savoir, les tresses et les grains).

Il existe donc de nombreux mots beaucoup plus appropriés que « Hallôth » pour désigner ces pains tressés.

1Shabboth 117b
2Ibid.
3Shamôth 16:22
4Shamôth 29:23 ; Shôftim 8:5
5Bamidhbor 15:17-21

6Page 49