mercredi 9 mars 2016

Les problèmes de la Hasidhouth Breslev

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Les problèmes de la Hasidhouth Breslev


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On me demande régulièrement, ici et là, mon opinion sur la Hasidhouth Breslev, et j'ai pu me rendre compte qu'en parler négativement ou émettre le moindre doute ou critique sur Rabbi Nahmon de Breslev, suscitait chez beaucoup de gens (même lorsqu'ils ne sont pas eux-mêmes des Breslevers) un lever de bouclier et une réaction très émotionnelle, parce qu'on a touché au « Saddiq ».

Les enseignements moraux de Rabbi Nahmon de Breslev touchent énormément de personnes, qui se reconnaissent d'ailleurs dans les nombreuses souffrances qu'il a endurées durant sa vie, et les messages d'espoir et de foi qu'il a pu transmettre en dépit de tout cela. Ce n'est absolument pas une mauvaise chose en soi, et n'importe qui d'objectif se doit d'admettre qu'il y a une réelle beauté et profondeur dans ces enseignements de Rabbi Nahmon. Mais cela éclipse toutes les choses qui ont été enseignées par lui, ou rapportées en son nom par son plus proche disciple, Rabbi Nothon. (En réalité, Rabbi Nahmon de Breslev n'a rien écrit. Tout ce que nous avons et savons de lui se trouve dans les écrits de Rabbi Nothon.) Les gens ne connaissent pas réellement les fondements de la Hasidhouth Breslev, mais uniquement la partie la plus belle, à laquelle ils ont eu accès à travers les traductions françaises de bon nombre de textes prétendant rapporter les paroles de Rabbi Nahmon sur tout sujet. Les Breslevers sont parvenus à vendre du « rêve », à habiller la doctrine de Rabbi Nahmon dans un grand esthétisme, et faire en sorte de toucher le plus large public possible, avec des publications à l'eau de rose, très spirituelles, sur des sujets qui parlent aux gens (comment contrôler la colère, comment être heureux dans son mariage, comment exprimer sa reconnaissance envers les gens, comment développer la patience, etc.). Le produit est tellement bien vendu qu'émettre la moindre réserve sur Rabbi Nahmon de Breslev, en particulier, et la Hasidhouth Breslev, en général, est un acte qui frôle l'hérésie pour beaucoup. Ils n'auraient aucun problème sur une analyse critique de Satmar, Loubavitch, Gour, et d'autres sectes hassidiques, mais il ne faut pas toucher à Rabbi Nahmon !

La raison doit toujours dominer sur les émotions ! Et Rabbi Nahmon est souvent traité, même si les gens ne l'admettent pas, comme un demi-dieu (il est même parfait pour ses Hasidhim, et même le Messie pour certains), au point d’oublier de faire preuve d'objectivité dans l'analyse de ses enseignements. Quels sont donc les problèmes de la Hasidhouth Breslev ?

  1. La doctrine du Saddiq

La doctrine principale de cette secte hassidique est le concept du צַדִּיק « Saddiq » (juste), tel que développé par Rabbi Nahmon. Pour examiner cela sérieusement, et en toute objectivité, nous devons d'abord comparer et voir jusqu'à quel point ce concept est enraciné dans les sources juives traditionnelles.

Nous voyons dans la Tôroh que Môshah Rabbénou ע״ה pria pour les Israélites après le péché du Veau d'Or, et HaShem Se retint de les détruire. Mais le portrait de Môshah Rabbénou qui est fait par HaZa''l, n'était pas celui d'un demi-dieu, d'un surhomme, d'un homme parfait, etc. Sa relation qu'il entretenait avec le peuple d'Israël est décrite comme étant celle d'un enseignant et transmetteur de la Tôroh.1 D'ailleurs, c'est pour cela que nous l’appelons « Rabbénou », c'est-à-dire, « notre maître ». Un rabbin est celui qui apprend la Tôroh et la Halokhoh à ses élèves, sa communauté. Il était donc un « rabbin », notre rabbin, Rabbénou ! Évidemment, l'esprit et le niveau de prophétie de Môshah Rabbénou devaient être exceptionnellement grands pour recevoir la Tôroh pour tout un peuple ; néanmoins, les sources traditionnelles ne parlent jamais d'une rédemption du peuple qui se ferait à travers une connexion à Môshah Rabbénou lui-même, et il n'y a aucun texte faisant de lui l'objet de la moindre vénération. L'idée de s'attacher ou se lier à Môshah Rabbénou est entièrement absente et étrangère aux sources juives traditionnelles.

L'idée du Sage en tant qu'enseignant de la Tôroh et également comme un exemple de traits de caractère admirables, aussi bien dans la piété que dans le comportement envers les autres, est sans aucun doute bien enracinée dans la littérature de HaZa''l, et elle se perpétua tout au long de la période des Ri`shônim. Il est vrai que HaZa''l parlent de certains hommes qui n'étaient pas forcément reconnus pour leur érudition en Tôroh mais plutôt pour leur « Hasidhouth » (piété), comme par exemple Rébbi Pinhos ban Yo`ir ז״ל ou encore Rébbi Hanino` ban Dôsso` ז״ל. Mais même là, HaZa''l n'en parlaient que comme des personnes à imiter ou de qui apprendre de belles leçons de morale et de comportement approprié dans certains domaines et pratiques, et non pas comme les « Rébbé`im » de la philosophie hassidiques, des hommes à qui l'on devrait se « connecter » pour élever son âme.

Il ne fait aucun doute que les « enseignements » de Môshah Rabbénou étaient uniques. Mais en quoi étaient-ils uniques ? Ils le sont en ce que ce n'était pas ses enseignements, mais plutôt une révélation Divine dont ont été témoins des centaines de milliers de personnes, et ne souffraient donc d'aucun doute. Mais cette place particulière n'est réservée, d'après le Judaïsme traditionnel, qu'à Môshah Rabbénou uniquement, car la Tôroh fut révélée par son intermédiaire à l'entièreté du peuple d'Israël.

Il est vrai que nous trouvons dans la littérature talmudique l'idée selon laquelle un Saddiq élèverait le monde par ses vertus. Par exemple, Rébbi Yôhonon ז״ל a dit que le monde entier pouvait subsister même grâce aux vertus d'un seul Saddiq.2 Nous lisons concernant Rébbi Shim´ôn ban Yôho`y ז״ל, ce Sage que Rabbi Nahmon lui-même considérait comme son prototype, qu'il déclara à son propre sujet qu'il était capable d'exempter le monde d'un jugement depuis le jour où le monde fut créé jusqu'à présent.3 L'insistance la plus frappante sur ce concept se retrouve sans aucun doute dans le Midhrosh4, où Rébbi Shim´ôn déclare que s'il ne devait y avoir qu'un seul Saddiq par qui le monde serait soutenu, ce serait lui. En outre, dans les sources de HaZa''l, Rébbi Shim´ôn est décrit comme un faiseur de miracles. Il y a également l'histoire de sa période de refuge dans une grotte telle qu'elle est rapportée dans le Talmoudh Bavli5, au cours de laquelle `éliyohou Hannovi` ע״ה lui serait apparu pour étudier la Tôroh avec lui. Par conséquent, il serait mensonger de prétendre que le concept de Saddiq enseigné par Rabbi Nahmon ne possède aucun précédent dans la littérature talmudique, que c'est quelque chose qu'il a inventé « à partir de rien ».

Cependant, les différences surpassent de loin les similitudes. Il faut premièrement signaler que le récit parallèle que l'on retrouve dans le Talmoudh Yarousholmi est beaucoup plus prosaïque et `éliyohou Hannovi` n'est pas mentionné, tout comme il n'est pas dit qu'il se trouvait en compagnie de son fils `al´ozor ע״ה. Dans l'ensemble, nous sommes plus qu'en droit de préférer la véracité historique du récit du Yarousholmi, qui, en tant que source de `aras Yisro`él, présente généralement une version plus historique et raisonnée de bon nombre d'événements (Hanoukkoh, la révolte de Bar Kôzivo`, etc.). Deuxièmement, et plus important encore, le tableau qui est fait de Rébbi Shim´ôn dans les sources de HaZa''l est qu'il était principalement apprécié en tant que Hokhom (sage). Troisièmement, des textes talmudiques eux-mêmes, il n'existe aucune indication que Rébbi Shim´ôn ait été à la tête d'une école ésotérique, et certainement pas d'une qui aurait été la précurseur des enseignements de base du Zôhar. Il est mentionné et apprécié pour sa connaissance de la Tôroh, pour être un Talmidh Hokhom, et c'est dans ce contexte-là que son nom apparaît une dizaine de fois dans le Midhrosh et d'autres œuvres de HaZa''l.

Mais la différence la plus significative se trouve dans la nature de la relation au Saddiq, et la description de son rôle. Nous ne trouvons aucune trace dans la littérature talmudique du fait que ses collègues ou disciples le vénéraient dans le sens du Saddiq exprimé dans les enseignements de Rabbi Nahmon, qui décrit Rébbi Shim´ôn comme étant le seul canal à travers lequel les enseignements de la Tôroh atteignent ce monde. Comme nous l'avons mentionné plus haut, le rôle du Saddiq, du point de vue traditionnel, consiste à disséminer la Tôroh et être peut-être un exemple de traits et comportements vertueux. Si sa vertu soutient le monde, c'est une affaire privée. Comme nous le voyons à travers de nombreux textes, on n'attendait pas des collègues de Rébbi Shim´ôn qu'ils se soumettent à lui ou acceptent ses opinions sur tous les sujets. En fait, à plusieurs reprises nos Sages tranchent contre lui ! Même ses disciples n'étaient pas astreints à accepter ses décisions tout le temps. En règle générale, la Halokhoh ne suit pas Rébbi Shim´ôn, mais plutôt Rébbi Yahoudhoh ז״ל, chaque fois qu'ils sont en conflit. Ainsi, bien que le concept de Saddiq, dont Rabbi Nahmon a fait la promotion, puisse se baser sur des précédents dans la littérature talmudique, une analyse plus minutieuse révèle que les similitudes sont superficielles et fragiles, tandis que les différences sont substantielles.

Rébbi Nahmon ne se basait en réalité pas tant sur HaZa''l, mais sur les innovations du `ari. Ce dernier développa une notion selon laquelle la révélation Divine est progressive dans le sens « vertical » ; c'est-à-dire que de nouvelles révélations Divines peuvent être transmises. Et bien qu'elles soient exprimées de façon à donner l'impression qu'elles ne sont que des prolongations fidèles de révélations antérieures, elles représentent en réalité des nouveaux concepts et systèmes de pensée qui prétendent constituer une source nouvelle d’autorité dans la Tôroh. Ces révélations nouvelles parviennent toujours à un homme, comme le `ari, en privée, et furent toujours expliquées et justifiées à travers des affirmations mystiques, comme par exemple : telle ou telle révélation m'est parvenue par l'intermédiaire de `éliyohou Hannovi, ou j'ai expérimenté une élévation dans les mondes supérieurs, etc. En raison de cela, et de par la promotion de telles révélations par les disciples de ceux qui prétendaient les avoir reçues, elles devinrent incontestables. Mais la déviation de cette Hashqofoh vis-à-vis du Judaïsme traditionnel est frappante, car le Judaïsme traditionnel a toujours jugé de la véracité d'un propos ou enseignement par rapport à sa concordance avec la Tôroh Écrite et Orale telle qu'exprimée par les Sages que nous appelons HaZa''l. Cela devint un principe de foi que ces nouveaux enseignements reflétaient la révélation originelle, et tous les textes mystiques avaient pour but d'expliquer comment il en était ainsi, mais dans la méthodologie et au niveau de l'autorité, et par la même occasion au niveau des conséquences, les deux approches ne peuvent jamais vraiment s'entremêler et coexister.

En gardant à l'esprit le fait que le mouvement hassidique, dès le départ, soutenait l'idée d'une révélation Divine progressive et des sources d'autorité nouvelles, nous pouvons revenir à ce que nous avions précédemment mentionné, à savoir, que le Judaïsme traditionnel n'a jamais fait de la connexion à un saint homme une vertu dans le sens entendu par le hassidisme. Et pourtant, une caractéristique significative du mouvement hassidique, qui est, certes, plus prononcée dans certaines branches par rapport à d'autres (par exemple, la Hasidhouth de Reb `élimalakh de Lizbensk), est que le Rebbe sert justement de canal vers Dieu, et que le Hosidh jouissait de nombreux bienfaits et bénédictions précisément en vertu du fait qu'il avait une relation avec un Saddiq, le Rebbe. Le mouvement hassidique a légitimé un certain type de sage et l'a élevé à un rang digne de vénération, ce qui est quelque chose qui était du jamais vu jusqu'alors. Quant à la nature de la relation avec le Rebbe, le hassidisme a dévié du Judaïsme a un degré plus ou moins plus grand encore, en fonction des écoles constituant le hassidisme. Il l'a fait en soulignant les bienfaits spirituels abondants accordés au Hosidh en vertu du fait d'être le Hosidh d'un certain Saddiq ou Rebbe. (Ce qui a mené et mène encore aujourd'hui à une compétition enfantine entre les Hasidhim, car chacun estime son Rebbe comme le plus grand, le plus beau, le plus merveilleux, etc.) En d'autres mots, la connexion elle-même élève spirituellement le Hosidh, et la personne du Saddiq devient l'objet d'un culte, d'une vénération. Dans sa forme la plus extrême, le Saddiq devient plus qu'un homme, une sorte de demi-dieu. Exactement comme chez les Catholiques ! (Et nous verrons qu'il y a d'autres similitudes entre le hassidisme et le catholicisme.)

Bien que le hassidisme a changé le rôle du Saddiq en ajoutant l'élément du bienfait spirituel (et il faudrait ajouter matériel également, de temps à autres) par le simple fait d'être un Hosidh, Rabbi Nahmon a amené ce concept plus loin encore à plusieurs égards. Tout d'abord, il a promulgué l'idée du Saddiq, le SEUL et UNIQUE Saddiq qui est la tête et le chef de tous les Saddiqim de la génération (et en fait, de toutes les générations), et le fondement du monde. Par exemple, dans le Liqqouté Mohara''n 20:1, nous lisons que le Saddiq est le canal par lequel les enseignements de la Tôroh parviennent au monde. Ailleurs, et il est important de resituer cet enseignement dans le contexte historique des efforts et de la ferveur messianique au sein de Breslev qui a échoué à porter des fruits tangibles, Rabbi Nahmon présente l'idée selon quoi le Saddiq peut être le chef de tous les autres, même si cela n'est pas extérieurement apparent ; mais intérieurement, à un niveau spirituel, ils lui sont tous soumis.6 Rabbi Nahmon parle à de nombreuses reprises du « Saddiq » ou déclare « il y a un Saddiq », et à chaque fois il est plus que clair qu'il parlait de lui-même !

En fait, il semble que Rabbi Nahmon considérait que parler autant de lui-même de cette manière-là à ses disciples était d'une importance capitale. En parlant de lui-même en des termes si élogieux et mystiques, il donnait l'impression à ses disciples qu'ils possédaient au milieu d'eux le don le plus précieux au monde. Il n'est, par conséquent, pas étonnant de voir la réaction de certaines personnes lorsqu'on émet la moindre réserve ou critique à l'égard de Rabbi Nahmon, puisqu'ils le considèrent comme LE SADDIQ, le plus grand de tous, et le surnomment même « Môshah-Moshiah », une combinaison de Môshah Rabbénou et du Roi-Messie ! Rien que ça ! Dans plusieurs de ses textes, il ressort clairement que Rabbi Nahmon peut être décrit comme narcissique, quelqu'un de fasciné, voire même dépassé, par ses complexes et sa personnalité énigmatique.

Mais ce qui est sans doute la caractéristique la plus dangereuse de ce développement radical est le fait que, d'après Rabbi Nahmon, le Saddiq (donc, lui-même) est investi de ce que l'on peut qualifier de rôle rédempteur, et est doté d'une âme rédemptrice qui inclut en elle-même les âmes de l'humanité. C'est-à-dire qu'en se connectant au Saddiq, ceux qui le suivent expient leurs âmes et se « délivrent » dans un sens spirituel. Cette caractéristique centrale de la relation au Saddiq ressort dans bon nombre des enseignements et déclarations de Rabbi Nahmon, comme lors de sa fameuse affirmation selon laquelle, si quelqu'un se rendait sur sa tombe à Ouman, y récitaient les dix Psaumes qui composent le תִּקּוּן הַכְּלָלִי « Tiqqoun Hakkaloli » (une innovation qu'il a introduite en 1805), et donnait de la Sadhoqoh, Rabbi Nahmon parcourrait alors la longueur et la largeur de la création pour lui venir en aide, et le retirer du Géhinnom par ses Pé`ôth. Cela se rapproche tellement clairement de la doctrine chrétienne du « salut » que l'on peut se demander s'il n'y aurait pas là quelques influences chrétiennes dans le hassidisme Breslev. En vérité, ce phénomène n'est pas unique, et nous voyons, au contraire, beaucoup de doctrines et pratiques hassidiques influencées par le milieu chrétien dans lequel cette religion (car je l'ai déjà dit, je ne considère pas bon nombre de Hasidhim comme pratiquant le Judaïsme) s'est développée.

Pour résumer et conclure sur ce point, à moins d'accepter la doctrine du Saddiq (ce qui n'est pas mon cas), Rabbi Nahmon doit être traité comme n'importe quel autre rabbin. Cela signifie que nous n'avons pas à nous sentir contraints d'accepter tout ce qui a été dit par lui, tout comme nous n'avons pas à nous sentir contraints d'accepter tout ce qui vient du Ramba''m ז״ל (et à travers de nombreux articles, j'ai déjà pu mettre en lumière certaines divergences que les Témonim et d'autres Talmidhé HaRamba''m avaient par rapport au Ramba''m, bien qu'on le considère comme le plus grand Pôséq et talmudiste).

Ce gros point, qui est le plus essentiel, ayant été abordé, nous pouvons à présent passer à d'autres objections.

  1. Le rejet du rationalisme

Rabbi Nahmon peut clairement être décrit comme appartenant à l'école des anti-rationalistes. Le Ramba''m, dans son Môréh Navoukhim (Guide des Égarés), bien qu'il fut un rationaliste, admet sans aucun problème que des fondements de la foi israélites tels que croire en Dieu sont admis sur la seule base de la foi et transcendent les preuves ou contre-preuves rationnelles. Le Ramba''m croit que Dieu existe, non pas parce qu'il peut le prouver, mais parce que c'est du domaine de la foi pure, quelque chose que l'on ne peut pas toujours expliquer rationnellement, avec des mots. On le sent, on le voit, on le vit ! Mais à part cela, il est faux d'affirmer, comme le promeut le hassidisme, que la recherche rationnelle doit être complètement rejetée, ou que l'on doit renoncer à ses facultés intellectuelles pour ne s'imprégner que des paroles du Rebbe. Ce serait comme un fabricant de voiture qui s'est donné beaucoup de peine à intégrer dans la voiture un système hautement complexe, et qui voit l'acheteur de sa voiture s'en débarrasser sans même ne avoir fait usage. On ne peut ignorer ou disputer cet élément de l'être humain dont on a été doté par Dieu et qui nous distingue de l'anomal. Et l'on ne doit pas prétendre que le faire constitue un degré supérieur et ultime de service Divin ! Des recherches rationnelles peuvent en fait servir à augmenter la foi et enrichir grandement notre compréhension de la Tôroh. À l'inverse, insister sur une foi simple et lobotomiser artificiellement l'être humain peut résulter en une foi immature, fragile et abrutissante. (Et sans manquer de respect aux Hasidhim, c'est précisément ce genre de foi qui est courante au milieu d'eux.)

  1. L’exagération abusive sur la « pureté sexuelle »

Rabbi Nahmon se focalise énormément sur la pureté sexuelle, ou ְמִירַת הַבְּרִית « Shamirath Habbarith – préservation de l'alliance ». Dans ses enseignements, il fait la promotion d'une vie sexuelle ascétique, au point que le moindre déversement de la semence, même involontaire (par exemple, lorsque c'est causé par un rêve nocturne), devient une calamité spirituelle majeure. D'ailleurs, à l'origine, il institua la récitation des dix Psaumes de son Tiqqoun Hakkaloli pour les cas de « pollution nocturne » ou de masturbation. Des « démons » seraient créés à chaque fois qu'il y a un déversement de semence « en vain », qui se chargeraient de tourmenter cet homme. Ainsi, de nombreux problèmes qu'il expérimentera dans sa vie, comme la pauvreté, les problèmes de couple, etc., sont en fait causés par ces « démons » qu'il a lui-même créés par son déversement de semence. Le désir sexuel, comme cela ressort de ses propres enseignements et du fait qu'il atteste avoir lutté lui-même pour l'annuler en lui, est quelque chose qui bloque la spiritualité. Or, en regardant les sources de HaZa''l, un tableau totalement différent émerge. Nous lisons dans le Talmoudh7 que la Halokhoh est qu'un homme peut faire tout ce qu'il désire avec sa femme et embrasser n'importe lequel des organes qu'il le désire, et cela est codifié par le Ramba''m et le Ro`''sh ז״ל, et une position que l'on retrouve également parmi les Tôsofôth ז״ל.

Concernant le déversement de la semence, le Talmoudh Yarousholmi8 mentionne qu'à l'occasion d'un certain Yôm Hakkippourim, Rébbi Yôsé ban Halfétho` ז״ל fut vu par certaines personnes en train de s'immerger en privée à cause d'une émission séminale. Ce récit est rapporté par le Yarousholmi pour démontrer que bien que l'on ne doit pas se laver à Yôm Hakkippourim, il est permis de s'immerger pour une émission de semence que l'on aurait eu la nuit de Yôm Hakkippourim. On parle d'une émission involontaire, étant donné que les relations intimes sont interdites cette nuit. Comme le Talmoudh lui-même le dit, il est évident que Rébbi Yôsé n'avait pas eu de rapports avec sa femme la veille de Yôm Hakkippourim, et que son immersion n'était pas non plus due au fait qu'il aurait oublié de s'immerger avant Yôm Hakkippourim. Ce qui est significatif pour nous ici, est que le Talmoudh mentionne en passant, et le fait que l'un des plus grands Tanno`im ait eu une émission séminale la nuit n'est pas du tout considéré comme quelque chose d’étrange, honteux, ou comme une catastrophe spirituelle. Au contraire, le Talmoudh en parle comme d'une occurrence normale, quelque chose de la vie, de biologique. HaZa''l n'avait pas une approche obsessive vis-à-vis de la sexualité ou de la « pureté sexuelle ». Il y a même des anecdotes talmudiques sur le comportement de certains de nos Sages durant leurs rapports intimes avec leurs épouses, pour montrer que ce sujet était traité comme n'importe quel autre sujet. De la même manière, tout en nous prévenant des excès possibles dans ce domaine-là, la Tôroh a une approche très modérée sur la sexualité, et accepte même le désir sexuel comme un aspect normal et sain de la nature humaine, même pour les plus grands personnages bibliques. Une telle approche est de loin plus saine que ce qu'offre la religion hassidique. L'obsession sur la « pureté sexuelle » et les maux du déversement de la semence ont des conséquences préjudiciables sur le peuple juif, et les Hasidhim en particulier, parmi lesquelles une répression sexuelle très poussée qui mène à certaines dérives inqualifiables.

  1. Les effets cosmiques des actes mondains

Un autre thème très présent dans les enseignements de Rabbi Nahmon est l'idée selon laquelle les actes mondains peuvent causer de grandes rectifications cosmiques. Cette idée des rectifications cosmiques (que l'on appelle תִּקּוּנִים « Tiqqounim » ; תִּקּוּן « Tiqqoun » au singulier) n'a pas été inventée par Rabbi Nahmon. En fait, c'est un fondement central de la Qabboloh du `ari. Ce que Rabbi Nahmon a fait, c'est l'étendre davantage pour inclure le domaine des activités qui ne sont pas des Miswôth, comme par exemple frapper des mains durant la prière et danser (c'est d'ailleurs pour cela que de nombreux Breslevers peuvent être vus en train de danser et frapper des mains en public. Ils croient que cela provoque des rectifications cosmiques). En outre, dans de nombreuses affirmations rapportées par son fidèle disciple, Rabbi Nothon, Rabbi Nahmon donne l'impression que le moindre mouvement, la moindre parole, était imprégné de nombreuses significations mystiques et cachées. Rien de ce qu'il faisait ne pouvait pas ne pas être doté d'une signification cosmique. Cette idée consiste à faire la promotion d'une conscience par laquelle chaque acte mondain (comme par exemple, mettre sa main devant la bouche lorsqu'on baille) est imprégné de toutes sortes de significations cachées. La conséquence de cela, dans sa forme la plus extrême, est l'incapacité à mener une vie de façon réaliste et proactive, car même les actes les plus simples deviennent des réceptacles de grands effets cosmiques et mystiques qui rapprochent de Dieu et rectifient le monde. En d'autres mots, c'est purement et simplement de la théurgie ! N'ayons pas peur des mots !

  1. Hithbôdhadhouth

Rabbi Nahmon a enseigné que la ´avôdhath HaShem devait être sincère. Il souligna abondamment l'importance de bâtir une relation personnelle solide avec Dieu. La ´avôdhath HaShem et plus particulièrement la prière devaient être passionnées et excitantes, et pas un exercice de routine. Ses enseignements sur la הִתְבּוֹדְדוּת « Hithbôdhadhouth » (le fait de s'isoler et répandre son cœur devant Dieu en s'adressant à Lui avec ses propres mots) s'appuient sans aucun doute sur des précédents dans les sources antérieures. Et pourtant, l'insistance sur cette pratique, ainsi que le style et le ton dans lesquels elle est présentée, sont principalement des innovations.

  1. La transformation des propos de HaZa''l et des versets de la Tôroh
Rabbi Nahmon était sans aucun doute très original et créatif dans sa méthode d'exposition, et on ne peut ressentir que de l'admiration pour la beauté et l’élégance de son style. Plus que n’importe qui d'autre, ses enseignements passent sans transition d'une idée à une autre dans un flux continu, mais sans qu'il n'y ait de réelle structure. Dans cette méthode d'exposition, Rabbi Nahmon est sans doute l'interprète le plus artistique, et en réalité, cette élégance et beauté est l'un des facteurs qui attirent beaucoup de gens vers ses textes. Mais il convient de signaler qu'une similitude linguistique entre deux mots apparaissant dans des contextes totalement différents ne fait pas de l'enseignement qui se base sur elle une parole nécessairement vraie et juste. De même, cela ne reflète pas non plus le sens simple et clair du verset cité, tout comme c'est le cas dans les expositions faites par HaZa''l ou d'autres commentateurs. C'est plutôt la méthode d'exposition que Rabbi Nahmon a choisi pour exprimer ses idées, et non pas ce que « la Tôroh dit ». C'est évidemment parfaitement légitime de choisir une méthode parmi d'autres. Là n'est pas le problème. Mais il faut alors que le lecteur soit en capacité de faire la distinction entre le contenu de l'enseignement et sa méthode d'expression.

Rabbi Nahmon, au moyen de son style particulièrement esthétique et artistique, a créé des enseignements d'une profonde beauté, mais tout cela n'est en rien indicateur de la véracité ou valeur des enseignements eux-mêmes.

  • Conclusion

Pour résumer : comme pour les enseignements de n'importe qui, on est en droit de ne pas accepter tout ce qui vient de Rabbi Nahmon ou Breslev. Et ce n'est pas parce que certaines choses sont belles à entendre qu'elles sont vraies ou fiables. En outre, l'idée même selon laquelle la voie menant à Dieu passe par un individu spécifique est étrangère au Judaïsme authentique.

Dans le même temps, même si quelqu'un n'accepte pas tous les enseignements de Rabbi Nahmon comme provenant du Sinaï, ou n'adhère pas à la notion du « Saddiq », tout ce qu'il a dit ne doit pas être ignoré. Il y a dans ses enseignements de belles choses, des choses vraies, des choses qui aident à avancer dans la vie et devenir quelqu'un de meilleur. Il incombe à chacun de pouvoir faire le tri, comme pour n'importe quel autre rabbin. On ne jette pas le bébé avec l'eau du bain !

1Voir, par exemple, Talmoudh, ´érouvin 54b
2Talmoudh, Yômo` 38b
3Talmoudh, Soukkoh 45b
4Baré`shith Rabboh 35:2
5Talmoudh, Shabboth 33b
6Liqqouté Mohara''n 56:1
7Nadhorim 20a

8Yômo` 8:1