jeudi 5 septembre 2019

La Kashrouth de l'espadon


בס״ד

La Kashrouth de l'espadon


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J'ai reçu l'e-mail suivant :

Bonjour Rav

J'ai écouté votre cours audio sur la cacherout du Zébu qui était comme toujours claire et très documenté. Ma question est celle ci (et va dans le même sens, si j'ose dire, que le Zébu) : l'espadon est il casher à notre époque  ?

J'entends beaucoup de choses contradictoires dessus. Certains Poskim autorisent sur la base que des communautés séfarades en consommaient pendant fort longtemps (et savaient quelle espèce d'espadon consommer). Mais beaucoup de Poskim interdisent ce poisson également (car c est un poisson qui ne possède pas d'écailles ; mais certains disent qu'il perdrait ses écailles une fois sorti de l eau comme le thon) et qu'il ne fait pas partie de l’espèce des thons.

Pourriez-vous m'en dire un peu plus du point de vue de la Torah et du Rambam ?

Merci Rav !

Kol Touv

Respectueusement

Yaacov

L'espadon est une des créatures marines les plus fascinantes. C'est l'un des plus grands, des plus rapides, et des plus agressifs des poissons osseux. Il commence sa vie en ayant la taille d'un grain de riz et peut grandir pour dépasser facilement les 450 kg.

La fonction de son épée, qui fait un tiers de la longueur de son corps et éventre parfois des bateaux, est inconnue. L'espadon se retrouve dans le monde entier et est traditionnellement péché au moyen d'un harpon comme une baleine. Est-il Koshér ?

Dans les milieux orthodoxes actuels, une croyance très répandue déclare que l'espadon serait, sans l'ombre du moindre doute, non Koshér. Or, cette croyance est tout bonnement inexacte, et est basée sur la croyance selon laquelle l'espadon perdrait ses écailles en grandissant, ou qu'il n'aurait tout bonnement pas d'écailles, ce qui le rendrait non Koshér. Mais comment se fait-il alors que tous les Rabbins, sans exception, autorisèrent sa consommation, et ce, jusqu'à la deuxième moitié du 20ème siècle ?

Pour être Koshér, un poisson doit posséder à la fois des nageoires et des écailles. Mais qu'adviendrait-il si un poisson ne faisait pousser des écailles qu'une fois devenu mature, ou les perdrait une fois péché ? Cela le rendrait-il non Koshér ? Le point de départ pour répondre à toute question consiste à voir si le Talmoudh dit quelque chose à ce sujet. Or, le Talmoudh en parle explicitement, dans Houllin 66a, où nous lisons ceci :

Nos Maîtres ont enseigné : Si un poisson n'a actuellement pas d'écailles mais les fera pousser après un certain temps, comme par exemple la Soultonith et le ´aphiyas, voici, celui-ci est autorisé. Il possède actuellement des écailles mais les perdra une fois qu'il a été attrapé et remonté de la mer, comme par exemple le `aqounas et le `aphounas, le Kasaphtiyas et le `akhsaphtiyas, ainsi que le `atounas, voici, ceci est autorisé.
תנו רבנן אין לו עכשיו ועתיד לגדל לאחר זמן כגון הסולתנית והעפיץ הרי זה מותר יש לו עכשיו ועתיד להשיר בשעה שעולה מן הים כגון אקונס ואפונס כספתיאס ואכספטיאס ואטונס ה"ז מותר

D'après la majorité des commentateurs, le poisson appelé ואכספטיאס « `akhsaphtiyas » correspond à l'espadon, et que ce nom est dérivé du grec « xiphias », l'appellation grecque de l'espadon. (En hébreu, la lettre « x » n'existe pas ; par conséquent, ce son se forme par une combinaison des lettres כס.) Le Talmoudh tranche donc très clairement que l'espadon est Koshér. Et grâce à la science moderne, nous pouvons mieux comprendre ce passage du Talmoudh : ce n'est pas que l'espadon perd ses écailles une fois qu'il a été sorti de l'eau ; plutôt, les écailles de l'espadon adulte se cache profondément dans la chair, lui donnant l'apparence d'avoir perdu ses écailles. Étant donné que ses écailles ne sont donc pas visibles lorsqu'il grandit (puisqu'elles s'enfoncent profondément à l'intérieur de sa chair), les Orthodoxes d'aujourd'hui supposent à tort que, soit ce poisson n'a pas d'écailles, soit il les a perdues. Or, ces deux suppositions sont fausses. Des études menées de concert en 2004 par de nombreux chercheurs Juifs (parmi lesquels le Rov Docteur Ari Zivotofsky) et non Juifs ont montré que les écailles de l'espadon apparaissent d'abord sur l'abdomen à une hauteur standard de 6 mm. Par la suite, de grandes écailles avec une seule colonne vertébrale augmentent en nombre antérieurement et postérieurement dans une rangée le long de l'abdomen et du bord ventral.

Une étude précédente de 1982 notait que l’espadon développait deux types d’écailles en tant que larves et juvéniles : des écailles de grande taille, à épines multiples et des écailles rostrales; et de petites écailles à une seule épine. À mesure que le poisson vieillit, passant de la larve à juvénile et à adulte, ses écailles persistent, mais sont de plus en plus enfouies dans le derme, la peau du poisson. Ce n'est pas que ces écailles diminuent. Au contraire, c'est l'épaisseur du derme qui augmente.

La confusion des Orthodoxes de notre génération concernant la présence ou l'absence d'écailles sur les espadons adultes est due à l'épaississement du derme au-dessus des écailles, lorsque les espadons juvéniles et larvaires se développent. Le résultat est que seules les pointes des écailles font saillies chez les adultes. Les écailles sont souvent fracturées et abrasées lorsque les poissons sont capturés et transformés par la pêcherie. La couche cuticulaire du tégument est également recouverte d'une épaisse couche de mucus, sécrétée par un réseau de canaux muqueux au sein de l'épiderme. Ce mucus lubrifie le tégument et rend les épines d'écailles moins visibles.

C'est ainsi, donc, que la biologie moderne corrobore l’affirmation faite dans le Talmoudh, selon laquelle, lorsque l’espadon adulte est capturé, il semble ne pas avoir d’écailles. Ainsi, l'espadon, qui correspond au xiphias, est parfaitement Koshér.

L'espadon, Xiphius gladius, fait partie d'un groupe de grands poissons prédateurs dotés de projections en forme d'épée, appelés poissons porte-épées. Les autres poissons porte-épées sont plusieurs espèces de makaires, d'espadons-voiliers et de rémoras des espadons (qui ont des becs relativement courts). Mais alors que les becs des autres poissons porte-épées ont une section transversale ronde - comme les lances - ceux de l’espadon ont une section transversale plate, comme des épées. Par conséquent, toute référence à un poisson nommé « porte-épée » fait uniquement référence à l’espadon.

En outre, les espadons sont de loin les espèces de poissons porte-épées les plus répandues de la Méditerranée. Si l’espadon n’était pas Koshér, le Talmoudh ne décrirait pas un autre poisson porte-épée comme étant Koshér et induirait les gens en erreur en leur faisant croire qu’il parlait de l’espadon plus commun.

C'est ainsi que, sur la base de la décision du Pôséq séfarade de renom, Horov Hayyim ban Yisro`él Benvenisti (1603-1673), qui a autorisé « le poisson avec l'épée », les Pôsaqim ont considéré pendant près de quatre siècles après que l'espadon était bien Koshér. C'est ainsi qu'en 1933, une liste de poissons Koshér publiée par nul autre que la `aggoudhath Horabbonim (la principale organisation orthodoxe du début du 20ème siècle, sous l'autorité du Rov `ali´azar Silver), incluait l'espadon. Et l'année suivante, sous la direction du Rov Yôséph Kanowitz, la liste fut réimprimée et incluait toujours l'espadon.

Pour revenir au Rov Hayyim ban Yisro`él Benvenisti, surnommé le Kanasath Haggadhôloh, il a écrit ceci :

Il est une coutume répandue parmi tous les Juifs de consommer le poisson avec l'épée, connu dans le langage vernaculaire sous le nom de fishei espada, bien qu'il n'ait pas d'écailles, parce qu'il est dit que lorsqu'il est sorti de l'eau, en raison de sa colère, il se met à trembler et se débarrasse de ses écailles.

Cette affirmation fut répétée sans la moindre divergence par un très grand nombre de Pôsaqim faisant autorité, parmi lesquels le Pari Maghodhim, le Darakhé Tashouvoh, le Hyda''`, ou encore le Kaph Hahayyim. Toutes les communautés Juives, ashkénazes ou séfarades, consommaient de l'espadon jusque dans les années 1950, et personne ne questionnait son statut de Kashrouth.

Tout changea en 1951, lorsque le Rov Docteur Môshah Tendler examina un espadon et ne trouva aucune écaille. Il fut convaincu qu'il s'agissait d'un poisson non Koshér et que cela ne pouvait pas être le poisson porte-épée mentionné par le Rov Hayyim ban Yisro`él Benvenisti. Le Rov Tendler lança alors une campagne contre la consommation de l'espadon.

Le Rov Isser Yahoudhoh Unterman réagit à cette interdiction avec une vive réaction, mais le Rov `ali´azar Waldenberg prit parti pour le Rov Tendler et un débat acharné éclata dans les journaux halakhiques dans les années 1960. (Malheureusement, toutes les parties souffraient d'un manque d'informations précises sur l'espadon et les autres poissons porte-épées.)

Pourtant, il est parfaitement clair que le Rov Hayyim ban Yisro`él Benvenisti faisait effectivement référence à l’espadon. Le nom qu’il utilise pour cela, fishei espada, est le nom de l’espadon dans de nombreux pays méditerranéens.

Le Rov Tendler affirma que le Rov Hayyim ban Yisro`él Benvenisti faisait référence à l'espadon-voilier (alors qu'on en trouve rarement en Méditerranée, et que le Kanasath Haggadhôloh parlait d'un poisson que l'on trouve couramment). Étant donné que les habitants de cette région mangeaient beaucoup d’espadon - le poisson porte-épée le plus courant -, il est inconcevable que le Kanasath Haggadhôloh utilisa l'appellation « fishei espada » pour désigner un poisson différent et ne mentionne aucun problème avec l’espadon. En outre, la conclusion du Rov Tendler selon quoi l'espadon n'a pas d'écailles est purement fausse ; il ne savait pas à son époque que l'espadon, en grandissant, enfouit ses écailles sous sa peau, car cette dernière devient si épaisse qu'elle recouvre les écailles, qui deviennent ainsi à peine visible.

(Notez que l'espadon est le seul poisson porte-épée pour lequel cela se produit. Avec tous les autres poissons porte-épées, la situation est exactement le contraire de celle décrite par le Talmoudh et le Kanasath Haggadhôloh : ils n'ont aucune écaille durant leur jeunesse, mais elles se développent au fur et à mesure de leur maturité. Preuve supplémentaire que les autres poissons porte-épées ne pourraient pas être le poisson décrit par le Talmud et le Kanasath Haggadhôloh.)

Depuis lors, les Orthodoxes contemporains se sont alignés derrière l'opinion erronée et anti-talmudique du Rov Tendler. Et une raison principale à cela, en plus d'être ignorants en matière scientifique (puisque les Orthodoxes d'aujourd'hui bannissent l'étude des sciences), est que les Conservatives autorisent l'espadon. Et chaque fois que les Conservatives (Massortim) autorisent quelque chose, par réactionnisme primaire les Orthodoxes interdisent automatiquement (sans même s'être sérieusement penché sur la question) de façon à paraître différents des Conservatives. Mais halakhiquement parlant, l'espadon est parfaitement Koshér, et d'ailleurs le rabbinat israélien ne l'a jamais formellement déclaré « non Koshér » ; c'est juste la pression de l'ignorance orthodoxe qui fait que même en Israël de l'espadon n'est pas servi.

Mais pour conclure, un problème pratique doit être mentionné concernant l'espadon. Bien qu'il soit Koshér, il convient de faire attention avant de se mettre à en manger. En effet, la taille de ce poisson est impressionnante, et son poids, comme mentionné plus haut, peut atteindre facilement les 450 kg. À cause de cela, vous ne trouverez jamais un espadon entier dans une poissonnerie ; au contraire, il est déjà découpé en plusieurs morceaux lorsqu'il est vendu. Or, cela peut poser un problème : étant donné que ses écailles ne sont pas visibles (au contraire du thon), à moins d'être un expert et de savoir reconnaître un morceau d'espadon, il n'y a aucun moyen pratique de déterminer que le morceau de poisson sans écaille que vous avez devant vous est réellement un morceau d'espadon et que ses morceaux ne se sont pas mélangés avec des morceaux d'une autre espèce de poisson non Koshér. Ainsi, à moins d'avoir les preuves et la certitude que ce que vous achetez est bien de l'espadon, il convient, dans le doute, de s'en abstenir.

Mais, au moins, vous avez la réponse à votre question : l'espadon est Koshér à 100%, n'en déplaise aux Orthodoxes ignorants qui le considèrent à tort comme ne l'étant pas.