jeudi 29 août 2019

La Kashrouth de la cochenille


בס״ד

La Kashrouth de la cochenille


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Dans la question qu'il m'avait soumise au sujet de la Kashrouth de la gélatine, Yaacov B. avait également inclus une question sur la Kashrouth de la cochenille. Pour revoir la question, voir l'article intitulé « La Kashrouth de la gélatine ». Pour des raisons évidentes de clarté, et afin de ne pas être trop long, j'ai fait le choix de répondre séparément à ces questions, car il s'agit de deux sujets différents, quoique liés l'un avec l'autre. Ainsi, après avoir répondu concernant la gélatine, je vais à présent en faire de même au sujet de la cochenille. Mais pour cela, je vais devoir faire deux digressions : tout d'abord expliquer ce qu'est la cochenille, et ensuite la base du débat entre les Pôsaqim concernant son statut de Kashrouth. Soyez donc patients, car tous ces éléments sont nécessaires à établir avant d'apporter une quelconque réponse.

Que nous le sachions ou pas, et que nous l'apprécions ou pas, bon nombre de nos aliments sont colorés par une horde d'agents colorants ; certains proviennent de produits alimentaires, tels que des betteraves, des baies, du sucre, du safran et du roucou ; tandis que d'autres proviennent de matériaux non comestibles tels que le charbon ou le pétrole, des sources dont la plupart des consommateurs préféraient ignorer la présence dans leurs aliments. Bien que les colorants industriels puissent compromettre la Kashrouth d'un produit fini, peu de colorants alimentaires sont eux-mêmes obtenus de matériaux non Koshér. Cependant, deux pigments alimentaires tirent leurs sources de substances non Koshér : l'un est le carmin, également appelé cochenille, qui est une couleur rouge abondamment employée pour colorer des fruits, des yaourts, des jus, des cerises au marasquin, etc., et l'autre est l'œnocyanine, une couleur rouge ou pourpre qui est tout autant employée dans des boissons, des fourrages aux fruits et des confiseries. L'origine de la carmine provient d'une cochenille.

Lorsque les Espagnols colonisèrent le Nouveau Monde, ils découvrirent une cochenille, appelée punaise cochenille, qui affichait une couleur rouge huit fois plus brillante que le kermès. Les Espagnols chérirent cet insecte, développant et commercialisant son pigment rouge carmin. C'est depuis lors que la cochenille est employée comme colorant dans la nourriture.

Une fois que tout cela est connu, le colorant à base de cochenille est-il Koshér ? Pour répondre à cette question, nous devons faire notre seconde digression : quelle est l'origine du débat existant sur le statut de Kashrouth de la cochenille ?

Les artisans chargés de la construction du Mishkon utilisaient une teinture, תּוֹלָעַת שָׁנִי « Tôlo´ath Shoni », qui est souvent supposé être le « sang » d'un insecte, dans la fabrication des vêtements du Kôhén Godhôl. Cette couleur était-elle Koshér ? Elle était aussi utilisée pour teindre les rideaux et les couvertures du Mishkon. En outre, produire les cendres de la Poroh `adhoumoh1, purifier un Masôro´ et décontaminer une maison devenue Tomé` nécessitaient également l'usage de la Tôlo´ath Shoni2. Comme nous allons le découvrir, identifier correctement la Tôlo´ath Shoni n'affecte pas seulement ces Halokhôth et celles relatives au Béth Hammiqdosh, mais également le statut de Kashrouth des aliments et boissons que nous mangeons et buvons.

Comme cela est évident à partir du verset suivant, אִם-יִהְיוּ חֲטָאֵיכֶם כַּשָּׁנִים כַּשֶּׁלֶג יַלְבִּינוּ, אִם-יַאְדִּימוּ כַתּוֹלָע כַּצֶּמֶר יִהְיוּ « Si vos fautes étaient comme les Shonim, elles blanchiront comme la neige ; si elles rougissaient comme le Tôlo´, elles deviendront comme la laine »3, la Tôlo´ath Shoni est une couleur rouge. Sur base de cela, quelques Pôsaqim identifient la Tôlo´ath Shoni comme du kermès, une nuance d'écarlate que l'on obtient à partir des insectes cochenilles4. Les anciens dérivaient une teinture rouge à partir des corps séchés d'espèces appelées « ilices kermès », qui servaient d'un des pigments les plus importants durant des milliers d'années. D'ailleurs, le mot « cramoisi » découle de cette ancienne teinture.

Mais la Tôlo´ath Shoni et le kermès sont-ils même identiques ? Nous devrions noter que le mot Hébreu תּוֹלַעַת « Tôla´ath », qui est généralement traduit par « ver », pourrait inclure aussi bien des insectes que d'autres petits invertébrés. Ainsi, il se pourrait très bien que la Tôlo´ath Shoni dont parle la Tôroh soit un insecte coccoidea qui produit une teinture rouge. Et le Rada''q ז״ל déclare que cette teinture provient du ver de terre. De même, le Rambo''m ז״ל définit la Tôlo´ath Shoni de la manière suivante5 : הוּא הַצֶּמֶר הַצָּבוּעַ בַּתּוֹלַעַת « c'est de la laine teinte avec la Tôla´ath ».

Mais Ribbénou Bahayyé ז״ל s'offusque de cette approche6, et insiste plutôt sur le fait que seules des espèces Koshér pourraient être utilisées pour la fabrication du Mishkon et les vêtements des Kôhanim. Il se base sur la déclaration du Talmoudh selon quoi « seuls des éléments qu'il est autorisé de consommer sont utilisés pour la ´avôdhath HaShem », et le Talmoudh déclare que cela nous enseigne que l'on ne peut utiliser que des éléments Koshér dans la fabrication des Taphillin.7 Ribbénou Bahayyé fait une extrapolation et suppose que le Mishkon, dont le but était de servir HaShem ית׳, nécessite donc lui aussi obligatoirement que tous ses matériaux soient Koshér.

Comment répond-t-il alors au fait que la Tôlo´ath Shoni est décrite comme provenant d'un ver de terre ?

Ribbénou Bahayyé explique que la teinture appelée Tôlo´ath Shoni ne découle pas de l'insecte même, mais plutôt d'un fruit ou d'une baie qui contient un insecte. Le Rambo''m8 et Rash''i9 ז״ל expliquent tous deux également la Tôlo´ath Shoni de cette manière-là. Ainsi, nous pourrions modifier l'explication précédemment donnée sur les propos du Rambo''m, הוּא הַצֶּמֶר הַצָּבוּעַ בַּתּוֹלַעַת « c'est de la laine teinte avec la Tôla´ath », comme voulant plutôt dire « c'est de la laine teinte avec un fruit qui contient un ver ».

De ce fait, Ribbénou Bahayyé, et possiblement le Rambo''m et Rash''i aussi, identifient la Tôlo´ath Shoni comme un fruit qui possède à l'intérieur un ver de terre, alors que le Rada''q comprend la Tôlo´ath Shoni comme un dérivé de l'insecte kermès lui-même. Comment donc le Rada''q résout-il le problème soulevé par Ribbénou Bahayyé selon quoi seuls des éléments Koshér pourraient être utilisés pour accomplir des Miswôth ? Il existe quatre façons de répondre à cela :

  1. Certains soutiennent que seule la substance de base utilisée pour accomplir la Miswoh doit être Koshér, mais pas une teinture qui recouvre simplement la surface.10 Par conséquent, la Tôlo´ath Shoni pourrait bien provenir d'une source non Koshér, étant donné que ce n'est pas le matériau utilisé pour la Miswoh, mais sert uniquement à colorer les matériaux utilisés.

  1. D'autres soutiennent que l'interdiction d'utiliser des éléments non Koshér pour des Miswôth ne s'appliquent qu'aux Taphillin, Mazouzôth et autres Miswôth qui nécessitent d'employer le nom de HaShem ou des versets du TaNa''Kh, mais que l'on pourrait utiliser des éléments non Koshér dans le Béth Hammiqdosh.11 D'après cette approche, la Tôlo´ath Shoni est acceptable pour le Béth Hammiqdosh, même si elle est considérée non Koshér.

  1. Une troisième approche soutient que la teinture de kermès est Koshér, étant donné que sa source originelle ne peut plus être identifiée. Cette approche est basée sur les Ri`shônim, qui soutenaient qu'une nourriture interdite devenait Koshér lorsqu'elle était transformée complètement en une nouvelle substance. Le Rô`''sh12 ז״ל cite Ribbénou Yônoh, qui permet d'utiliser du musc, un parfum tiré de la glande de quelques animaux différents, dont beaucoup ne sont pas Koshér, comme arôme alimentaire, parce qu'il a déjà été transformé en une nouvelle substance ne pouvant plus être identifiée à sa source. De même, le Rambo''m identifie le musc comme l'un des ingrédients dans l'encens brûlé dans le Béth Hammiqdosh. Sur base de ces Ri`shônim, qui sont unanimes, on peut théoriser que bien que la source du kermès ne soit pas Koshér, la teinture est en elle-même Koshér. (Presque comme nous l'avions dit concernant la gélatine.)

  1. D'autres, enfin, soutiennent que la coloration du kermès est Koshér, étant donné que ces créatures sont préalablement séchées –et de la poudre dérivée d'un insecte séché durant douze mois (ou l'équivalent) est considérée être insignifiante et, par conséquent, Koshér.13

Nous avons donc différentes façons d'expliquer comment la Tôlo´ath Shoni pourrait effectivement bien être identifiée au kermès égyptien tout en étant néanmoins une teinture acceptée pour des objets liés à une Miswoh, tels que les vêtements des Kôhanim, et les rideaux et couvertures du Mishkon. Analyser les différentes opinions sur la Tôlo´ath Shoni mène à une discussion pratique quant à savoir si le kermès ou la cochenille est un colorant alimentaire Koshér.

La Kashrouth des pigments de kermès et de cochenille repose sur l'acceptabilité ou pas du kermès dans la teinture des vêtements des Kôhanim. Voilà pourquoi cette longue digression était nécessaire. Repassons en revue les quatre approches susmentionnées et voyons comment cela impacte la Kashrouth de la cochenille :

  • L'approche 1) susmentionnée permettait de teindre un objet de Miswoh avec un matériau non Koshér, étant donné que ce dernier n'est pas l'objet principal, mais seulement une coloration. Ceux qui suivent cette approche interdisent d'utiliser une couleur provenant d'une source non Koshér dans un produit que l'on compte consommer.

  • L'approche 2) tranchait que les objets d'une Miswoh qui ne contiennent ni le nom de HaShem ni un verset du TaNa''Kh pourraient être produits à partir de substances non Koshér. Ceux qui suivent cette approche interdisent aussi l'usage des colorants de kermès ou de carmin pour la nourriture.

Néanmoins, les approches 3) et 4) susmentionnées autorisent d'utiliser du colorant de cochenille dans un produit Koshér.

  • L'approche 3) soutenait que la couleur est à présent transformée en une substance complètement différente et a par conséquent perdu son statut non Koshér.

  • L'approche 4) soutenait que les écailles du kermès sont séchées au point où elles ne constituent plus un élément non Koshér. C'est pour cette raison que plusieurs Pôsaqim soutiennent que le carmin (cochenille) est Koshér14. D'ailleurs, il y a quelques années d'ici, il était possible de voir le carmin être certifié Koshér par des Talmidhé Hakhomim responsables et instruits. Mais aujourd'hui, à cause du radicalisme dans les milieux orthodoxes, et aussi suite au bannissement de tout type d'étude scientifique dans les milieux orthodoxes (ce qui cause une ignorance abyssale parmi les religieux, qui tranchent des interdictions sur des sujets qu'ils ne maîtrisent même pas), toutes les agences de Kashrouth que je connais traitent le colorant de la cochenille comme étant non Koshér.

Il existe une dernière approche, qui est une approche de compromis. Le Shoulhon ´oroukh15 et d'autres autorités16 tranchent comme les Ri`shônim, qui permettent une substance non Koshér après qu'elle ait été transformée, mais ajoutent que ce n'est le cas que si la substance n'était pas interdite à la consommation Min Hattôroh. Si sa consommation était interdite par injonction rabbinique, beaucoup d'autorités permettent son usage une fois transformée.17

Comme vous pouvez le constater, il existe de nombreuses approches, dont certaines autorisent la consommation de la cochenille sans aucun problème. Puisque la question n'est pas tranchée, ceux qui consomment des aliments contenant de la cochenille ont sur qui s'appuyer.

Cet article est aussi une réponse à l'ironie d'un lecteur du blog qui faisait remarquer, le ton un peu moqueur, qu'il était impossible de répondre à des questions contemporaines en ne s'appuyant que sur le Talmoudh ou le Rambo''m, et qu'il fallait donc, selon lui, uniquement se référer aux décisionnaires contemporains. Cet argument démontre de la part de celui qui l'avance une ignorance profonde de la manière dont une Halokhoh est tranchée, car même les décisionnaires contemporains ne tranchent jamais une question moderne sans se référer au préalable à des problèmes analogues que l'on retrouve dans les écrits antérieurs. Comme je l'ai fait remarquer à cette personne, il serait étonné de voir comment les sources anciennes contiennent en réalité tout ce dont nous avons besoin pour trancher des questions modernes et contemporaines. Et la question de la Kashrouth de la cochenille en est une belle illustration, car bien qu'utiliser la cochenille pour colorer les aliments n'était pas une technique connue dans les temps bibliques et talmudiques, puisque cette technique ne fut inventée que par les Espagnols, son statut de Kashrouth dépend en réalité d'une discussion analogue concernant la permissivité d'utiliser des éléments non Koshér pour le Mishkon.

Ainsi, sachez que tous les problèmes contemporains ont toujours nécessairement des sources antérieures que l'on peut utiliser pour parvenir à une réponse érudite et bien argumentée.
1Bamidhbor 19:6
2Wayyiqro` 14:4, 49
3Yasha´yohou 1:18
4Voir le commentaire du Rada''q sur 2 Divré Hayyomim 2:6
5Mishnéh Tôroh, Hilkôth Kalé Hammiqdosh Waho´ôvadhim Bô
6Voir son commentaire sur Shamôth 25:3
7Shabboth 28a
8Mishnéh Tôroh, Hilkôth Poroh `adhoumoh Chapitre 3
9Voir son commentaire sur Yasha´yohou 1:18
10Shou''th Nôdha´ Biyhoudhoh II, `ôrah Hayyim #3
11Le Ra''n sur Rô`sh Hashshonoh 26b ; Shou''th Nôdha´ Biyhoudhoh II, `ôrah Hayyim #3
12Barokhôth 6:35 ; Shou''th 24:6
13Voir Pishé Tashouvoh, Yôréh Dé´oh 87:20 ; Darakhé Tashouvoh, Yôréh Dé´oh 87:20 et 102:30 ; Shou''th Minhath Yishoq 3:96:2
14Pishé Tashouvoh, Yôréh Dé´oh 87:20 ; Shou''th Minhath Yishoq 3:96:2
15Yôréh Dé´oh 114:2
16Voir le Ramo''`, `ôrah Hayyim 467:8 ; Moghén `avrohom 216:3
17Le Pari Maghodhim, le Hatho''m Sôphér, le `imré Yôshér ou encore le Mishnoh Barouroh