בס״ד
Existe-t-il
une moralité sans Tôroh ?
Cet
article peut être téléchargé ici.
Y
a-t-il de la morale sans la Tôroh ? Tout au long de l'histoire
de la philosophie, les philosophes ont débattu de l'existence d'une
morale naturelle contraignante même en l'absence de règles éthiques
législatives. De même, les philosophes Juifs ont débattu de la
question de savoir s'il y aurait du bien et du mal moral objectif si
Hashshém ית׳
n'avait
pas révélé Sa volonté et nous avait commandé diverses
obligations morales, des sept lois noahides aux six cent
treize Miswôth de la Tôroh.1
Sous cette question s'en cache une autre : les Gôyim et
d'autres qui n'ont pas la Tôroh, sont-ils capables de mener une vie
morale et éthique sans elle, en déduisant par le simple fait de
leur raisonnement des règles de bon comportement ?
- Le `ésh Qôdhash : Il n'existe pas de moralité naturelle
Le
Rabbi de Piaseczno, dans sa collection de sermons appelée `ésh
Qôdhash,2
affirme qu'un Gôy qui agit de manière éthique le fait parce qu'il
croit en l'existence d'une vérité morale indépendante. D'après
cette conception, les commandements de Hashshém reflètent cette
vérité indépendante préexistante. Cependant, nous, Juifs, croyons
que Hashshém est la seule source valable de vérité morale. Selon
le Rabbi de Piaseczno, il est interdit de voler uniquement parce que
le vrai Dieu nous a ordonné de ne pas voler, et il est interdit de
tuer uniquement parce que le vrai Dieu a interdit le meurtre. Ces
commandements ont créé une vérité morale parce qu'ils émanaient
du vrai Dieu.
Il
prouve cette affirmation du fait que la Halokhoh autorise
les torts moraux dans certaines circonstances, ce qui ne serait pas
possible s'ils étaient objectivement interdits. Par exemple, le vol
est autorisé lorsqu'il est autorisé par le Béth Din (הֶפְקֵר
בֵּית דִּין הֶפְקֵר « Haphbqér
Béth Din Haphqér »). Plus radicalement, Hashshém
Lui-même a explicitement autorisé le meurtre dans le commandement
donné à `avrohom `ovinou ע״ה
de
sacrifier son fils Yishoq ע״ה,
ce qui constituait une obligation contraignante, bien qu'elle ait
finalement été annulée en raison de considérations extérieures.
Selon
cette approche, il n'y a pas de bien ou de mal moral objectif dans le
monde. Ce que nous appelons l'intuition morale naturelle n'est que
l'influence des modes de pensée laïques ou le fonctionnement
intelligent du Yésar Hora´. La seule source valable de
vérité est la révélation divine.
Cette
négation de toute vérité valable qui émerge du raisonnement ou de
l'intuition humaine nous semble très dévote et correspond en fait à
une répudiation générale des conclusions du raisonnement humain
non assisté, qui est omniprésente dans certaines communautés
religieuses. Mais cette perspective est-elle cohérente avec les
textes sources de notre tradition ?
- Deux passages talmudiques qui soutiennent une moralité naturelle
Nous
trouvons deux passages talmudiques dans lesquels les Hakhomim
se rapportent explicitement à la question théorique de ce qui
aurait été si Hashshém n'avait pas révélé Sa volonté dans la
Tôroh. Le Talmoudh déclare3 :
R.
Yôhonon a dit : Même si la Tôroh n'avait pas été
donnée, nous aurions appris la pudeur du chat [qui couvre ses
excréments], et que le vol est répréhensible de la fourmi [qui ne
prend pas le grain d'une autre fourmi], et les relations interdites
de la colombe [qui est fidèle à son / sa partenaire].
On
peut se demander pourquoi nous aurions appris la pudeur du chat et la
fidélité de la colombe, et non pas la violence mortelle du lion ou
la malice du serpent. Il semble que R. Yôhonon ז״ל
n'ait
pas l'intention de suggérer que nous imitions simplement ce que font
les animaux autour de nous, mais plutôt que nous utilisions notre
intuition morale naturelle pour observer les comportements des
différentes espèces animales et réaliser intuitivement lesquelles
de ces caractéristiques sont dignes de l’émulation et lesquelles
doivent être condamnées. En tout cas, R. Yôhonon déclare
clairement que même si Hashshém ne nous avait jamais révélé Sa
volonté, nous aurions été responsables d'apprendre la morale par
nous-mêmes.
De
même, nous trouvons ceci dans un autre passage talmudique4 :
Nos
Maîtres ont enseigné :
אֶת-מִשְׁפָּטַי
תַּעֲשׂוּ « Vous
ferez Mes Mishpotim »5
- [« Mes
Mishpotim »
sont une référence à] des sujets qui, même s'ils n'avaient pas
été écrits, il aurait été logique qu'ils soient écrits. Ce sont
les interdictions contre la ´avôdhoh
Zoroh, les relations sexuelles interdites, les effusions de sang, le
vol et la bénédiction de Hashshém6.
[Le Posouq se poursuit :] וְאֶת-חֻקֹּתַי
תִּשְׁמְרוּ
« Et
vous garderez Mes Houqqôth »
- [Ceci est une référence aux] sujets que le Soton conteste parce
que la raison de ces Miswôth
n'est pas connue. Ce son les interdictions de manger du porc et de
porter des sha´atnéz ; effectuer la cérémonie de Halisoh
avec une Yavomoh ;
la cérémonie de purification du Masôro´ ;
et le bouc émissaire. Et de peur que vous ne disiez que ce sont des
actes dénués de sens [car ils n'ont aucune raison], le Posouq
déclare alors : אֲנִי,
יְהוָה
« Je
suis `adhônoy »,
pour indiquer : Je suis le Seigneur - J'ai décrété ces
Houqqôth
et vous n'avez pas le droit de douter d'elles.
Le
Talmoudh déclare explicitement que les commandements de la Tôroh
qui sont étiquetés « Mishpotim » auraient été
légiférés même s'ils n'avaient pas été consignés dans la
Tôroh. En d'autres termes, nous sommes censés avoir de l'intuition
et suivre certaines règles de moralité même en l'absence de
révélation.
- Le Rambo''m et le Rambo''n soutiennent la moralité naturelle
C'est
également la position de Rambo''n ז״ל,
telle qu'exprimée dans son commentaire sur l'histoire du Mabboul.7
Le Rambo''n demande pourquoi, selon la tradition midhrashique, le
sort de la génération du Mabboul a été scellé à cause du péché
de vol, par opposition à leurs nombreuses perversions sexuelles. Il
répond que l'interdiction du vol est intuitive et s'impose donc même
en l'absence de révélation prophétique. La génération de Nôah
ע״ה
a
été punie pour avoir transgressé la loi morale naturelle, même en
l'absence de révélation. De même, Ribbénou Yôséph `albô ז״ל8
explique
qu'il existe trois types de lois, dont la première, appelée « loi
naturelle », est contraignante en tout temps et en tout
lieu, même sans acte de législation humaine ou divine.9
De
même, le Rambo''m ז״ל
écrit
que l'esprit humain sans aide peut déduire l'existence de divers
préceptes moraux. Il écrit explicitement que les sept lois noahides
peuvent être connues par notre intuition morale même en l'absence
de révélation,10
et il déclare qu'un Gôy qui obéit à ces sept commandements
noahides simplement à cause de l'inclinaison de la raison
humaine est considéré comme « Hokhom »
(sage), bien qu'il ne soit pas « Hosidh »
(pieux), parce qu'il suit le chemin de la sagesse même s'il ne tient
pas compte de la révélation.11
- Le Rov Sa´adhyoh Go`ôn
Le
Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל
est
peut-être le plus ambitieux dans sa formulation de l'importance de
la morale naturelle. Il explique que Hashshém a implanté dans la
psychologie humaine une intuition morale capable de discerner des
vérités morales universellement contraignantes.12
Le Rov Sa´adhyoh Go`ôn déclare clairement que
même avant la révélation de la Tôroh, nous étions obligés de
suivre les préceptes de la morale naturelle. Il suppose en outre que
la Tôroh ne peut pas contredire la morale naturelle, et affirme
hardiment que si Môshah Rabbénou ע״ה
était
descendu du Har Sinay et nous avait commandé une Tôroh qui
contredisait les préceptes de la morale naturelle, nous aurions été
tenus de la rejeter. Il suppose même que même Hashshém Lui-même
est lié par la morale naturelle, et c'était donc un impératif
moral pour Hashshém de promulguer les commandements trouvés dans la
Tôroh, parce que la morale naturelle dicte qu'un souverain sage qui
est capable d'encourager la pratique morale doit le faire.13
- En résumé
Le
`ésh Qôdhash affirme que d'un point de vue religieux, il n'y a pas
de vraie morale autre que celle révélée par le commandement divin.
Nous avons démontré, sur la base de deux passages talmudiques et
des déclarations des grands philosophes Juifs médiévaux, que d'un
point de vue juif, l'esprit humain est capable d'atteindre une
connaissance morale contraignante. Hashshém Lui-même, qui a
implanté une intuition morale chez les êtres humains, attend de
chacun qu'il suive les préceptes de la morale naturelle même en
l'absence de révélation, et Il nous tient pour responsables si nous
ne le faisons pas. Même un Juif peut donc convenir qu'il existe une
vérité morale objective indépendante des commandements divins.
1La
question de savoir si la morale existe en l'absence de révélation
divine n'est pas équivalente à la question de savoir si la morale
pourrait exister sans Hashshém. Il est certainement possible de
prétendre que la moralité ne peut pas exister en l'absence de
Hashshém mais pourrait exister sans révélation divine. Dans cet
article, nous n'analyserons pas la question de savoir s'il pourrait
y avoir de la morale si Hashshém n'existait pas. Puisque nous
croyons que le monde entier n'existerait pas si Hashshém n'existait
pas, il est impossible de se demander ce que serait le monde s'il
avait existé sans Hashshém. Au lieu de cela, nous supposerons
l'existence d'un monde créé par Hashshém et analyserons si
Hashshém nous obligerait à nous comporter de manière éthique
s'Il ne nous avait pas ordonné de le faire.
2Page
68. Ce sermon spécifique fut donné à Rô`sh Hashshonoh 5700
(1940), dans le ghetto de Varsovie.
3´érouvin
100b
4Yômo`
67b
5Wayyiqro`
18:4
6Un
euphémisme pour parler du fait de maudire Hashshém.
7Rambo''n
sur Baré`shith 6:13
8Séphar
Ho´iqqorim, Livre 1, Chapitre 7
9Ses
deux autres catégories sont le droit conventionnel, qui est
contraignant en raison de la législation humaine et vise à
améliorer la société conformément aux besoins spécifiques de
l'époque et du lieu, et le droit divin, qui est ordonné par la
révélation divine et vise à atteindre la spiritualité et
sainteté.
10Mishnéh
Tôroh, Hilkôth Malokhim Oumilhomôth
9:2
11Ibid.,
8:14. La position de Rambo''m
sur la nature de la connaissance morale est complexe. Dans les deux
textes des Hilkôth
Malokhim
Oumilhomôth,
le Rambo''m déclare que la logique penche vers ces préceptes
moraux, mais pas qu'elle démontre absolument leur exactitude. De
même, dans l'introduction de son commentaire sur la Masakhath
`ovôth, connu sous le nom de Shamônah
Paroqim,
le Rambo''m prend ombrage à la caractérisation du Rov Sa´adhyoh
Go`ôn de ces commandements qui chevauchent la morale naturelle en
tant que commandements « logiques » (Miswôth
Sikhliyôth), parce que le Rambo''m soutient que cette connaissance
morale n'a pas le même statut épistémologique que la connaissance
métaphysique et n'est pas soumise à une preuve logique stricte.
Voir les Shamônah Paroqim,
chap. 6; Môréh
Navoukhim Volume 1 Chapitre 2, et Volume 3
Chapitre 27.
12Les
philosophes ont présenté un certain nombre de théories concernant
la source de la morale naturelle. De nombreux philosophes ont émis
l'hypothèse que la morale naturelle consiste en ces obligations qui
peuvent être déduites de certains principes fondamentaux ou
primaires qui sont supposés axiomatiques, par exemple
l'utilitarisme ou l'impératif catégorique de Kant. À l'inverse,
le Rov Sa´adhyoh Go`ôn et d'autres philosophes
soutiennent que la source de la morale naturelle n'est pas un
système philosophique, mais plutôt une intuition morale qui se
trouve naturellement dans l'esprit humain. Selon cette conception,
il est possible qu'il existe une morale naturelle mais pas une loi
naturelle. En d'autres termes, nous pouvons connaître
intrinsèquement les principes généraux qui régissent le
comportement moral, mais pas nécessairement toutes les règles
spécifiques qui constituent l'application des principes moraux au
monde réel.
13Le
Rov Sa´adhyoh Go`ôn affirme que même les
parties de la Tôroh qui traitent de nos obligations rituelles
envers Hashshém et qui n'auraient pas pu être connues via la
morale naturelle relèvent néanmoins des obligations de la morale
naturelle. La morale exige que nous rendions grâce avec gratitude
et reconnaissance, et nous sommes donc moralement tenus de louer et
de servir Hashshém, parce qu'Il nous a créés. La morale
naturelle, cependant, ne spécifie pas les façons particulières
dont nous devons exprimer notre appréciation à Hashshém.