jeudi 29 octobre 2020

Nishmath Kôl Ḥay

 

בס״ד

 

L’histoire des Barokhôth & Ṭaphillôth

 

Nishmath Kôl Ḥay

 


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J’ai reçu le message suivant :

 

Pendant la prière de chabbat il y a Nichmat kol 'Haï qu'on lit avant Yichtabba'h. Quelle est l'origine de cette prière ? Est-elle obligatoire ? (Je suppose que non,  puisqu’elle ne se trouve pas dans votre Siddour.) Est-elle tirée du Talmud ou de la Qabbalah ? Et pourquoi l'avoir insérée dans les Siddourim ?

 

Voici d’excellentes questions qui vont nous permettre de poursuivre notre série d’articles sur l’histoire des Barokhôth et Ṭaphillôth que l’on retrouve dans les Siddourim modernes ou que personne ne fait bien qu’elles soient mentionnées dans les sources traditionnelles.

 

La Ṭaphilloh de « Nishmath Kôl Ḥay » existe sous deux formes dans la liturgie contemporaine ; à la fin des Pasouqé Dhazimro` du Shabboth et Yôm Tôv, et à la fin de la Haggodhoh de Pasaḥ. Le placement de « Nishmath Kôl Ḥay » dans la Haggodhoh de Pasaḥ a une source dans le Ṭalmoudh :[1]

 

MISHNOH – Ils mélangent pour lui une troisième coupe. Il bénit concernant son repas. [Ils mélangent pour lui] une quatrième [coupe]. Il achève sur elle le Hallél, et dit sur elle la Birkhath Hashshir. Entre ces coupes s’il veut boire, qu’il boive. Entre la troisième et la quatrième il ne boira pas.

 

GAMORO` - Qu’est-ce que la Birkhath Hashshir ? Rov Yahoudhoh a dit : « Yahalaloukho Hashshém `alôhénou », tandis que Ribbi Yôḥonon a dit : « Nishmath Kôl Ḥay ».

משנה  מזגו לו כוס שלישי מברך על מזונו רביעי גומר עליו את הלל ואומר עליו ברכת השיר בין הכוסות הללו אם רוצה לשתות ישתה בין שלישי לרביעי לא ישתה

 

גמרא  מאי ברכת השיר רב יהודה אמר יהללוך ה׳ אלהינו ורבי יוחנן אמר נשמת כל חי

 

C’est le seul passage de tout le Ṭalmoudh Bavli qui fait mention de la Ṭaphilloh de « Nishmath Kôl Ḥay », et nous voyons qu’à l’origine il s’agissait d’une des deux bénédictions pouvant être appelées « Birkhath Hashshir » (la bénédiction du Chant ; en référence au Chant du Hallél) devant être récitée chaque fois après le Hallél. Il n’y a aucune mention talmudique préconisant la récitation du « Nishmath Kôl Ḥay » à Shabboth ou Yôm Tôv pendant les Pasouqé Dhazimro`. Et jusqu’à présent, si vous analysez vos Siddourim, vous verrez effectivement une bénédiction commençant par les mots « Yahalaloukho Hashshém `alôhénou » après le Hallél complet (comme préconisé par le Ṭalmoudh), alors que « Nishmath Kôl Ḥay » a été placé après les Pasouqé Dhazimro` (sans que cela soit préconisé par le Ṭalmoudh). Et une question évidente se pose : Lorsque nous voyons la longueur qu’ont les deux Ṭaphillôth de « Yahalaloukho » (très courte) et « Nishmath Kôl Ḥay » (excessivement longue) dans les Siddourim contemporains, récitons-nous actuellement la même version du « Nishmath Kôl Ḥay »  que le Ṭalmoudh Bavli surnomme « Birkhath Hashshir » ? La réponse est clairement NON ! A l’époque du Ṭalmoudh, la Ṭaphilloh de « Nishmath Kôl Ḥay » était aussi courte que celle de « Yahalaloukho » :

 


Comparez cette formulation avec celle de « Yahalaloukho » se trouvant dans vos Siddourim après le Hallél, et vous remarquerez que les deux bénédictions contiennent exactement les mêmes phrases à la fin et ont la même formule de conclusion ! Cela nous permet de mieux comprendre la divergence talmudique entre Rov Yahoudhoh ז״ל et Ribbi Yôḥonon ז״ל. Ils ne divergeaient pas sur l’identité de la bénédiction à faire après le Hallél, mais sur les mots d’introduction de cette bénédiction. En d’autres mots, doit-elle commencer par les mots « Yahalaloukho Hashshém `alôhénou » ou par les mots « Nishmath Kôl Ḥay Ṭavorékh `ath Shimkho » ? Telle est la divergence. Il s’agissait donc exactement de la même bénédiction, mais avec un début différent. Et ainsi, d’après le Ṭalmoudh, commencer cette bénédiction par les mots « Nishmath Kôl Ḥay Ṭavorékh `ath Shimkho » ou « Yahalaloukho Hashshém `alôhénou », équivaut à la même chose, car la fin et la conclusion sont identiques !

 

Cela nous permet de comprendre également comment « Nishmath Kôl Ḥay » s’est retrouvé à la fin des Pasouqé Dhazimro` dans les Siddourim contemporains, et spécialement lors des prières du Shabboth et Yôm Tôv, et non en semaine. Lorsqu’à un moment donné, après l’ère talmudique, les Pasouqé Dhazimro` gagnèrent un statut de quasi obligation, il fut considéré un devoir de les faire précéder et suivre par une bénédiction, à savoir « Boroukh Sha`omar » et « Yishṭabbaḥ » (dont nous avions traitées dans l’article intitulé « L’origine de la bénédiction de Boroukh Sha`omar »), les élevant ainsi au rang de « Miṣwoh ». Les Pasouqé Dhazimro` devinrent donc comme un « Shir », exactement comme le Hallél ; d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si, comme pour le Hallél, les Ṭahillim qui furent choisis pour composer les Pasouqé Dhazimro` (145 à 150) ont pour point commun de se terminer par le mot « Halalouyoh ». Raison pour laquelle les Ga`ônim composèrent la bénédiction de « Boroukh Sha`omar » en la faisant conclure par exactement la même formule que le « Nishmath Kôl Ḥay » / « Yahalaloukho » originel, à savoir : בָּרוּךְ אַתָּה יְיָ, מֶלֶךְ מְהֻלָּל בַּתִּשְׁבָּחוֹת. De même, dans les premiers Siddourim, nous voyons que la Barokhoh de « Yishṭabbaḥ », à la fin des Pasouqé Dhazimro`, se concluait originellement par cette même formulation. Par la suite, « Yishṭabbaḥ » et « Nishmath Kôl Ḥay » furent combinés, et on les allongea davantage en y ajoutant différents Piyoutim. De plus, on décida de changer la formule de conclusion du « Nishmath Kôl Ḥay », de façon à ce qu’on ne prononce pas deux bénédictions avec la même conclusion au cours de l’office. C’est ce qui a donné la forme longue du « Nishmath Kôl Ḥay » telle qu’on la connait aujourd’hui. Quant à la raison pour laquelle « Nishmath Kôl Ḥay » n’est combinée à « Yishṭabbaḥ » uniquement le Shabboth et Yôm Tôv, c’est tout simplement parce que, comme nous le voyons dans le Siddour du Rov Sa´adhyoh Go`ôn, qui fut l’un des tous premiers Siddourim, « Boroukh Sha`omar » et « Yishṭabbaḥ » furent originellement composées pour n’être récitées qu’à Shabboth et Yôm Tôv. D’où la récitation du « Nishmath Kôl Ḥay » qu’à Shabboth et Yôm Tôv. C’est plus tard, en France tout d’abord, qu’on commença à réciter « Boroukh Sha`omar » et « Yishṭabbaḥ »  tous les jours de la semaine, tout en réservant « Nishmath Kôl Ḥay » qu’à Shabboth et Yôm Tôv en souvenir de la pratique originelle de ne le réciter que ces jours-là, et pour marquer une différence entre les prières du Shabboth et les prières de la semaine ordinaire.

 

Enfin, comme cela a été indiqué plus haut, la longue version du « Nishmath Kôl Ḥay » existante de nos jours n’est pas la version d’origine, mais fut rallongée par différents Piyoutim de diverses époques. Plus précisément, cette prière est constituée de trois sections indépendantes :

1.     La première section se termine par les mots וּלְךָ לְבַדְּךָ אֲנַחְנוּ מוֹדִים ;

2.     La deuxième section se termine par les mots שֶׁעָשִׂיתָ עִמָּנוּ וְעִם אֲבוֹתֵינוּ ;

3.     La troisième section se poursuit après ces mots jusqu’à la fin de la Ṭaphilloh.

 

La première section fut composée à l’époque de la Mishnoh. La deuxième fut composée durant la période du Ṭalmoudh Bavli. Et la troisième fut composée du temps des premiers Ga`ônim. En effet, la deuxième section, qui commence par les mots וְאִלּוּ פִינוּ, est déjà mentionnée dans le Ṭalmoudh Bavli (Barokhôth 59b), qui nous apprend qu’il s’agit des paroles d’une prière à réciter pour remercier Hashshém ית׳ d’avoir fait tomber la pluie ! Cette prière se terminait par les mots אֵל הַהוֹדָאוֹת, qui est la formulation habituelle par laquelle on concluait les prières de reconnaissances / remerciements (comme, par exemple, dans le « Môdhim Darabbonon »). En outre, on retrouve dans cette prière de nombreux paragraphes appartenant à diverses demandes que l’on faisait à diverses occasions ou dans des situations particulières. Tout cela montre et confirme que la forme actuelle de la prière de « Nishmath Kôl Ḥay » n’est pas celle d’origine, mais qu’il s’agit d’une espèce de bricolage combinant ensemble des prières et Piyoutim indépendants d’époques et de thèmes différents.

 

Ainsi, pour répondre à vos questions :

 

·        Quelle est l'origine de cette prière ? : Elle remonte aux temps des Ga`ônim ;

·        Est-elle obligatoire ? : Oui et non !

·        Est-elle tirée du Talmud ou de la Qabbalah ? : A l’origine, « Nishmath Kôl Ḥay » n’a rien à voir avec les Pasouqé Dhazimro`, mais étant l’une des deux formulations possibles de la Birkhath Hashshir mentionnée dans le Ṭalmoudh, qui servait à conclure la récitation du Hallél. Dans ce sens, elle est talmudique et obligatoire, la récitation du Hallél étant une Miṣwoh des Ḥakhomim. Par contre, la récitation du « Nishmath Kôl Ḥay » après les Pasouqé Dhazimro` n’a pas de source talmudique sur laquelle s’appuyer.

·        Et pourquoi l'avoir insérée dans les Siddourim ? : Une fois que les Pasouqé Dhazimro` eurent atteint un statut quasi obligatoire (alors qu’à l’époque talmudique ils étaient optionnels), « Nishmath Kôl Ḥay » fut ajouté afin qu’elle serve de conclusion au Chant du Shabboth, de la même manière qu’à l’origine « Nishmath Kôl Ḥay » concluait le Chant des jours de fête, à savoir le Hallél. Le texte fut alors modifié et allongé pour y inclure des prières et Piyoutim d’époques et de thèmes différents, qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre (peut-être que le responsable de cette modification et allongement du « Nishmath Kôl Ḥay » était en manque d’inspiration et préféra simplement copier-coller des textes déjà existants).

 

À présent, vous comprenez pourquoi, ainsi que vous l’avez signalé, cette prière est absente de notre Siddour ; tout simplement parce qu’elle n’a pas sa place à cet endroit, mais est simplement une des deux possibilités de conclusion du Hallél. Par conséquent, celui qui désire réciter « Nishmath Kôl Ḥay » peut le faire à la conclusion du Hallél les jours de fête dans sa formulation courte originelle.



[1] Pasoḥim 117b-118a