בס״ד
Le problème soulevé par la dernière strophe du
« Mo´ôz Ṣour »
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Sans doute que certains d’entre vous avez remarqué des
versions alternatives de la dernière strophe du célèbre Piyout de Ḥanoukkoh
« Mo´ôz Ṣour », et que certains Siddourim omettent même cette
strophe. Quelle est l’origine de ces versions alternatives ?
L’auteur du Piyout de « Mo´ôz Ṣour »
était un certain Môrdokhay, un Juif qui vécut avant l’an 1250 de l’Ere Courante
dans l’un des états germaniques : Son époque exacte et là où il vécut
précisément ne sont pas connus avec certitude. Mais une partie du voile pourra
être retirée quant à ces questions en analysant très simplement la dernière
strophe du Piyout.
La formulation de la dernière strophe causa des
objections dans les provinces germaniques. Cela explique pourquoi elle est
omise dans la plupart des Siddourim du rite allemand. Dans un ouvrage intitulé לקט יושר (datant du 16ème siècle), nous trouvons la description
suivante concernant la pratique de Ribbi Yisroˋél ˋissarlés,
qui suivait généralement les pratiques des érudits d’Allemagne et
d’Autriche : Après avoir récité « Hannérôth Hallolou » il
récitait « Mo´ôz Ṣour », mais omettait occasionnellement une
partie du Piyout. Cette même pratique était suivie par d’autres. Certains
remplaçaient la dernière strophe par une nouvelle afin de combler le vide. Dans
le קיצור של״ה
nous retrouvons trois propositions de strophes de remplacement :
·
מעולם היית ישעי « Depuis
toujours Tu as été mon sauveur », attribuée à Ribbi Môshah ˋissarlés ;
·
ירים יחיד הוד והדר « Que l’Unique puisse causer la splendeur et la gloire »,
attribuée à Ribbi Yirmayoh ;
·
שמך יבורך לעולם מתוך קהל אמונים « Puisse Ton nom être béni à jamais au sein de l’assemblée des fidèles »,
attribuée à Ribbi Shamouˋél
Halléwi.
D’autres encore incluaient la dernière strophe mais ne
la traduisaient pas en yiddish, contrairement aux autres strophes du Piyout, ou
la traduisaient mais pas littéralement et lui donnaient ainsi un sens
totalement différent. D’autres en Allemagne qui tentaient d’être aussi fidèles
que possible à la formulation d’origine traduisirent la dernière strophe mais
changèrent l’ordre des mots. Au lieu de dire נְקֹם נִקְמַת עֲבָדֶיךָ
« Venge la vengeance de Ton serviteur », ils ajoutaient עֲשֵׂה נָא לְמַעַן שִׁמְךָ לִהְיוֹת לָנוּ
תְּשׁוּעַת « agis, de grâce, pour
Ton nom, afin d’être pour nous le salut de, etc. » ; au lieu de דְּחֵה אַדְמוֹן
« Daḥéh ˋadhmôn, etc. », ils écrivaient מְחֵה פֶּשַׁע וְגַם רֶשַׁע « efface
la rébellion et également l’impiété », ainsi que d’autres changements
similaires.
Reproduisons ici la dernière strophe afin de voir ce
qui était dérangeant :
Découvre le bras de Ta sainteté, et rapproche le
temps du salut. |
חֲשׂוֹף זְרוֹעַ קָדְשֶׁךָ וְקָרֵב קֵץ הַיְשׁוּעָה |
Venge la vengeance de Ton serviteur contre la vile
nation. |
נְקֹם נִקְמַת עֲבָדֶיךָ מֵאֻמָּה הָרְשָׁעָה |
Car le [temps du] salut nous a été rallongé, et il
n’y a pas de fin aux jours du mal. |
כִּי אָרְכָה לָנוּ הַיְּשׁוּעָה
וְאֵין קֵץ לִימֵי הָרָעָה |
Repousse le Roux à l’ombre de Ṣalmôn ; suscite
pour nous les sept bergers. |
דְּחֵה אַדְמוֹן בְּצֵל צַלְמוֹן הָקֵם לָנוּ רוֹעִים
שִׁבְעָה |
Les trois premières lignes parlent de la revanche qui
doit être prise contre la vile nation et du retard de l’avènement de rédemption
finale. Ensuite, on se réfère au fait que le retard est trop long et qu’il nous
est difficile de continuer à exister. En raison d’une volonté de promouvoir la
paix avec leurs voisins non juifs, les Juifs d’Allemagne retirèrent ces lignes
dans de nombreux Siddourim. Les Juifs de Grèce firent pareil avec le troisième
paragraphe. Dans le Siddour Haghyôn Lév on remplaça les mots יְוָנִים נִקְבְּצוּ עָלַי
« Les grecs se levèrent contre nous » par יְהִירִים נִקְבְּצוּ עָלַי
« Des arrogants se levèrent contre nous », afin de ne pas
mettre en colère le peuple grec.
Mais cela n’explique toujours pas la raison pour
laquelle il fut nécessaire d’éliminer la dernière strophe du « Mo´ôz Ṣour ».
Il est un fait quez de nombreux Pasouqim du ṬoNo’’Kh faisant référence au fait
que Hashshém Se venge des nations en faveur des Juifs se trouvent dans la
liturgie sans qu’aucun des Ḥakhomim n’ait émis la moindre objection.
Et n’avaient-ils pas institué dans les provinces germaniques après les
Croisades la pratique de réciter « ˋov Horaḥamim » dans lequel il est
dit : יִזְכְּרֵם אֱלֹהֵינוּ
לְטוֹבָה עִם שְׁאָר צַדִּיקֵי עוֹלָם. וְיִנְקֹם לְעֵינֵינוּ נִקְמַת דַּם
עֲבָדָיו הַשָּׁפוּךְ « Puisse notre D.ieu
Se souvenir d’eux pour le bien avec le reste des Ṣaddiqim du monde, et qu’Il
venge devant nos yeux la vengeance du sang versé de Ses serviteurs, etc. » ?
Ce qui a causé tant d’agitation furent les mots contenus
dans la dernière ligne : דְּחֵה
אַדְמוֹן בְּצֵל צַלְמוֹן הָקֵם לָנוּ רוֹעִים שִׁבְעָה
« Repousse le Roux dans l’ombre ; suscite pour nous les sept
bergers ». Ces mots étaient une diatribe contre l’empereur Frédéric
Barberousse (l’empereur à la barbe rousse). C’est Frédéric qui avait organisé
la Troisième Croisade à Jérusalem aux côtés de Richard Cœur de Lion, roi
d’Angleterre, et Philippe Auguste, roi de France, après que lui fut parvenu la
nouvelle que les Croisés avaient été chassés de Jérusalem par les armées de
Saladin (1187 de l’Ere Courante), après 88 ans de contrôle des Croisés sur
Jérusalem. La Troisième Croisade causa une énorme anxiété et détresse dans les
communautés juives des provinces germaniques parce que les blessures de la
Première Croisade n’avaient pas encore guéries. L’empereur Frédéric protégeait
les Juifs qu’il voyait comme des esclaves dont il avait hérités en vertu du
titre de « Saint Empereur Romain » qui lui avait été attribué.
En outre, les Juifs lui payaient des taxes substantielles qui lui permirent de
financer sa Croisade à Jérusalem. Voici ce qu’écrivait l’historien ˋaphroyim de Bonn en ces temps-là :
La nouvelle de la
Troisième Croisade se répandit à travers le Saint Empire Romain. Le peuple de
Jésus se leva contre le peuple de D.ieu afin de le détruire. Puisse D.ieu avoir
compassion de Son peuple et que leurs ennemis aient pitié d’eux ! Puisse
D.ieu convaincre le roi Frédéric de se satisfaire de la prise de quelques-unes
des richesses des Juifs et que le roi Frédéric ordonne au clergé chrétien de ne
pas menacer les Juifs.
Néanmoins, dans leurs cœurs les Juifs germaniques
priaient pour la défaite des Croisés qui avaient versé leur sang et souillé
Jérusalem. Tout le temps où les Croisés occupaient Jérusalem, peu de Juifs,
voire aucun, habitaient dans la Ville Sainte. Binyomin de Tolède, qui avait
visité Jérusalem durant cette période, rapporta qu’à Jérusalem il n’y trouva
qu’une seule famille juive. A ce moment, les Juifs avaient à leur esprit les
paroles suivantes du Prophète :[1]
וְהָיָה זֶה, שָׁלוֹם; אַשּׁוּר כִּי-יָבוֹא
בְאַרְצֵנוּ, וְכִי יִדְרֹךְ בְּאַרְמְנוֹתֵינוּ, וַהֲקֵמֹנוּ עָלָיו שִׁבְעָה
רֹעִים, וּשְׁמֹנָה נְסִיכֵי אָדָם « Et
ceci sera la paix : lorsque ˋashshour (l’Assyrie) viendra dans notre pays, et
lorsqu’il cheminera dans nos palais, nous susciterons alors contre lui sept
bergers, et huit conducteurs d’hommes ». Les Juifs d’Allemagne
priaient pour la venue des « sept bergers » afin qu’ils se
lèvent contre les Croisés. Dans leur esprit, les « sept bergers »
étaient représentés par la Maison de Saladin, un chef musulman de cette
époque-là. Ils priaient pour qu’il affronte les Croisés et cause leur déroute
par l’épée. Ils l’avaient à l’esprit parce que ce furent les armées de Saladin
qui avaient rouvert aux Juifs les portes de Jérusalem, ce qui avait initié la
Troisième Croisade. Yahoudhoh al-Harizi, un poète espagnol, rapporte
qu’il rencontra un Juif à Jérusalem au début du 13ème siècle et lui
demanda : « Quand les Juifs reviendront-ils à Jérusalem ? »
Il répondit : « Depuis le jour où Jérusalem fut capturé par les
musulmans, les Juifs ont commencé à repeupler Jérusalem ! »
Lorsque la nouvelle parvint en Allemagne que l’armée
de l’empereur Frédéric avait vaincu l’armée de Saladin et conquis la capitale
de Seljuk (en Turquie), ainsi que la capitale de Lycaonie (qui s’appelait
« Ṣalmôn » en hébreu) en Asie Mineure, qui se trouvait sur le
chemin vers Jérusalem, les Allemands organisèrent des célébrations car la
Lycaonie avait autrefois était le centre d’érudition des pères de la religion
chrétienne. Inutile de dire que les Juifs ne célébrèrent pas. L’auteur Reb Mördokhay
qui vivait en ce temps-là en Allemagne (1190 de l’Ere Courante) composa son
ardent chant en l’honneur de Ḥanoukkoh et ajouta dans la dernière
strophe une référence à la crise de son époque qui lui rappelait l’histoire de Ḥanoukkoh,
les allemands remplaçant les grecs :
Repousse le Roux (Frédéric Barberousse) à
l’ombre de Ṣalmôn (ceux qui vivent à l’ombre de la Lycaonie) ;
suscite pour nous les sept bergers (suscite « sept bergers »
pour affronter l’ennemi qui aproche de notre pays, Israël, et dont le but est
de piétiner nos palais. Déracine-les par l’épée). |
דְּחֵה אַדְמוֹן בְּצֵל צַלְמוֹן הָקֵם לָנוּ רוֹעִים
שִׁבְעָה |
Tel est le sens de cette strophe, qui reste
énigmatique pour la plupart des gens, car ils ne s’intéressent pas réellement à
l’histoire et signification des paroles qu’ils prononcent. Il est pourtant
essentiel et passionnant de s’intéresser à l’histoire de notre liturgie et de
nos prières.
Boroukh Hashshém, Frédéric Barberousse n’eut pas le
mérite d’achever Sa croisade, car il coula avec son navire dans le fleuve Göksu
Nehri (en Turquie). Peut-être par le mérite de cette prière, qui sait ?
En tous les cas, se référer au « Saint Empereur
Romain » et chef allemand Frédéric Ier Barberousse de la manière dont on
se réfère à lui dans la dernière strophe du « Mo´ôz Ṣour »
aurait été un acte très risqué pour les Juifs d’Allemagne. Par conséquent, les
Rabbonim d’Allemagne firent l’effort de cacher cette strophe et d’encourager
son omission.