mardi 29 décembre 2020

Le Piyout de « ˋél ´odhôn »Le Piyout de « ˋél ´odhôn »

 

בס״ד

 

Le Piyout de « ˋél ´odhôn »

 


Cet article peut être téléchargé ici.

 

J’ai reçu la question suivante :

 

J’avais une question. Pour les bénédictions du Chema du Shabboth matin, qui sont plus longues que celles de la semaine, on a l’habitude d’insérer « El Adon Al Kol Hamaassim, etc. ». Comment ce Piyout a-t-il été introduit et pourquoi ? Le Talmud en parle-t-il ou est-ce un ajout récent ? Est-ce halakhiquement valable ? Doit-on le chanter ou est-ce facultatif ?

 

Ce sont toutes des questions très intéressantes auxquelles je vais essayer d’apporter des réponses.

 

Comme vous le notez, la Barokhoh de יוֹצֵר אוֹר « Yôṣér ˋôr » est unique en ce que le texte de cette Barokhoh est différente le Shabboth par rapport à la version des jours de semaine et de Yôm Tôv. En fait, c’est la seule Barokhoh de toute la liturgie juive dont le texte n’est différent qu’à Shabboth. Pourquoi ? On aurait pu penser que la réponse à cette question soit simple. Mais comme vous allez le voir, c’est une question très difficile à résoudre.

 

Cela commence par le fait que le Ṭalmoudh (ni aucun autre ouvrage de la littérature de nos Sages) ne fait jamais mention des Piyoutim de הַכֹּל יוֹדוּךָ « Hakkôl Yôdhoukho », אֵל אָדוֹן « ˋél ˋodhôn » ou לָאֵל אֲשֶׁר שָׁבַת « Loˋél ˋashar Shovath ». Cela répond à l’une des discussions : non, le Piyout de « ˋél ˋodhôn » n’a pas d’origine talmudique, et est donc un ajout ultérieur, comme les autres Piyoutim susmentionnés ajoutés dans la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr », qui la rallongent par rapport à la version de semaine. La question naturelle qui se pose donc est celle-ci : Pourquoi cette Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » a-t-elle été modifiée et rallongée par des Piyoutim le jour du Shabboth ?

 

Le Siddour de Ribbénou Shalômôh ban Ribbénou Shimshôn de Worms ז״ל donne la réponse suivante :

 

Et ils ont allongé à Shabboth par les louanges parce qu’il n’y a pas de temps gaspillé vis-à-vis du travail à Shabboth.

והאריכו בשבת בשבחות משום שאין ביטול מלאכה בשבת

 

En d’autres mots, étant donné qu’à Shabboth nous ne travaillons pas, et avons donc davantage de temps libre, certaines personnes ont estimé approprié de combler ce temps libre par un allongement de cette Barokhoh, en y insérant de nombreux Piyoutim, car à Shabboth nous n’aurions rien d’autre à faire que prier ! C’est la réponse la plus communément donnée encore aujourd’hui pour justifier la longueur de la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » à Shabboth

 

Le Siddour ´avôdhath Yisroˋél offre une réponse différente :

 

À Shabboth, qui est le jour le plus honorable de la semaine, ils rallongent les louanges dans la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr ».

בשבת שהוא יום מכובד מכל הימים מאריכים בשבחים בברכת יוצר אור

 

En d’autres mots, le fait que le Shabboth soit le jour de la semaine le plus honorable mérite de faire de plus longues louanges que les autres jours de la semaine.

 

Mais les deux réponses sont faibles, parce qu’elles n’expliquent pas pourquoi, entre toutes les Barokhôth et prières faites à Shabboth, c’est la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr », qui appartient à la Qiryath Shama´, qui fut choisie pour être rallongée par de nombreux Piyoutim.

 

Ce qui est davantage troublant est qu’en dépit de l’absence de sources talmudiques sur laquelle s’appuyer, il semblerait qu’aucun des Riˋshônim et ˋaḥarônim n’ait vu le moindre problème dans le fait d’altérer le texte de la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » à Shabboth. La seule exception notoire est le Séphar Ho´iṭṭim. Voici ce qu’il écrit au Simon 172 (comme le texte est relativement long, je ne vais faire que la traduction en français, mais vous pouvez lire par vous-même le texte en hébreu ici et ici) :

 

Et après qu’ils aient répondu au « Borakhou », ils commencent par étendre la Shama´ avec deux [Barokhôth] avant elle : « Boroukh ˋaṭṭoh Hashshém ˋalôhénou Malakh Ho´ôlom Yôṣér ˋôr Ouvôréˋ Ḥôshakh ´ôséh Shôlom Ouvôréˋ ˋath Hakkol ». Et ils se sont accoutumés dans de nombreuses localités à dire aux Shabbothôth « Hakkôl Yôdhoukho Wahakkôl Yashabbaḥoukho » jusqu’à « Sarophim ´im ˋôphané Haqqôdhash », « Loˋél ˋashar Shovath Mikkôl Hamma´asim Bayyôm Hashshavi´i Nith´allah Wayoshav, etc. » jusqu’à « Bashshomayim Mimma´al Wa´al Kol Shavaḥ Ma´aséh Yodhakho », et il achève la Barokhoh comme à chaque jour. C'est ce qui a été écrit par le Rov ´amrom et c'est ainsi que la plupart des localités se conduisent. À mon avis, cette coutume n'a aucun fondement et est une erreur. Nous ne trouvons pas dans la littérature rabbinique que nos Sages nous ont ordonné de faire référence au Shabboth dans aucune prière sauf dans les Shamônah ´asréh, dans la quatrième Barokhoh, et dans la Birkhath Hammozôn dans la Barokhoh de « Bonéh Yarousholayim ». Quiconque mentionne le Shabboth dans n'importe quelle autre Barokhoh se trompe et ne remplit pas son obligation parce qu'il change la formulation que les Sages avaient prévue pour être utilisée dans les Barokhôth. Le fait que nous mentionnions le Shabboth dans les Shamônah ´asréh est parce qu'après avoir récité les trois premiers Barokhôth, ˋovôth, Gavourôth et Qadhoushshath Hashshém, il est approprié d'inclure une section traitant du Shabboth. Sinon, c'est une erreur de mentionner le Shabboth dans n'importe quelle autre Barokhoh. Il faut réprimander quiconque le fait. Quiconque évite une telle action et récite la Barokhoh de « Yôṣér » telle qu’elle est récitée les jours de semaine sans aucun ajout car elle a été composée par la Grande Assemblée, un groupe de 120 Grands Hommes comprenant des Anciens et parmi eux des Prophètes, méritera une récompense de Hashshém. De même, il y a ceux qui ajoutent « Hakkôl Yôdhoukho » et terminent par le thème du Shabboth en récitant « Loˋél ˋashar Shovath ». Eux aussi se trompent. Premièrement, ils ajoutent le thème du Shabboth à une Barokhoh, ce qui n'était pas autorisé par les Sages. Ils ne récitent pas non plus la Barokhoh telle qu'elle est récitée pendant la semaine et y ajoutent d'autres sujets.[1] Enfin, pourquoi cette Barokhoh a-t-elle été choisie pour être la Barokhoh devant être modifiée pour ajouter le thème du Shabboth ? Le texte qui est récité les jours de semaine n'est-il pas approprié pour Shabboth ? Ce n'est pas un texte qui fait des requêtes comme le sont les Barokhôth qui composent les Shamônah ´asréh. Ne sommes-nous pas obligés de réciter la Barokhoh telle que nos Sages l'ont composée, pour la lire de la même manière un jour de semaine et un Shabboth ? Par conséquent, la manière appropriée d'agir si l'on croit qu'il est nécessaire d'ajouter la prière de « Hakkôl Yôdhoukho » et les autres prières est de réciter ces paragraphes après le « Borakhou » mais avant de réciter la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » ; puis réciter la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » et réciter les paragraphes qui ont été établis pour être récités les jours de semaine comme nos Sages l'avaient ordonné sans aucun ajout ni changement. Ceux qui prient dans un endroit où ces paragraphes sont lus dans le Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » et le Shaliaḥ Ṣibbour récite ces paragraphes dans la Barokhoh et il n'a pas le pouvoir de changer leurs pratiques mais veut toujours agir de manière appropriée ne devraient pas réciter la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » avec le Shaliaḥ Ṣibbour, mais devrait d'abord lire les paragraphes supplémentaires qui concernent le Shabboth, puis se dépêcher de rejoindre la communauté à la Qadhoushshoh de « Yôṣér » et mettre fin à la Barokhoh avec la communauté. C'est la manière de se conduire et de cette manière, vous remplissez votre obligation.

 

Le Séphar Ho´iṭṭim semble être la seule voix dissonante sur cette question et de façon surprenante, aucun commentateur venu après lui n’a adopté sa position. En outre, sa position n’est jamais citée et n’est jamais contestée ou commentée. La question qui se pose est donc : le Séphar Ho´iṭṭim est-il une source fiable ? Oui ! Ribbénou Yahoudhoh ban Barzillaˋy de Barcelone ז״ל, surnommé le Séphar Ho´iṭṭim, s’est fait connaître à la fin du 11ème siècle et début du 12ème. Il a rédigé de nombreux ouvrages, dont la plupart ont été perdus en raison de leur grande longueur. Ses écrits halakhiques sont principalement basés sur les Ṭashouvôth des Gaˋônim, les Halokhôth de Ribbénou Shamouˋél Hannoghidh ז״ל, et les décisions et Ṭashouvôth du Ri’’ph ז״ל. Les Riˋshônim venus après lui firent beaucoup usage de ses ouvrages. Fut-il véritablement le seul à s’être opposé à la pratique d’ajouter des Piyoutim dans la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » à Shabboth ? Absolument pas ! Voici notamment ce que rapporte le Liqqouté Mahari’’kh :[2]

 

 

Traduction :

 

Et vois dans le saint Zôhar, [Poroshath] Ṭaroumoh et dans Wayyaqhél, et tu verras qu’il n’y est pas mentionné qu’on ajoute quoique ce soit à la Barokhoh de « Yôṣér » à Shabboth, excepté « ˋél ˋodhôn », mais « Hoˋél Happôthéaḥ » et « Loˋél ˋashar Shovath » n’y sont pas mentionnés. Dans le Rambo’’m, même « ˋél ˋodhôn » n’est pas mentionné comme étant ajouté dans la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr ». Mais on retrouve tous ces paragraphes mentionnés dans le Siddour du Rov ´amrom, dans le Maḥzôr Witri, dans le ˋabboudrohom et le Kôl Bô.

 

Nous pouvons voir de cette source que même dans le Zôhar, excepté le Piyout du « ˋél ˋodhôn », tous les autres Piyoutim présents dans la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » du Shabboth ne s’y trouvent pas. La source mentionne également le Rambo’’m ז״ל. Non seulement ce dernier ne fait mention d’aucun Piyout à insérer dans la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » dans son Mishnéh Ṭôroh, mais en outre, dans l’une de ses Ṭashouvôth il déclare explicitement qu’il est interdit de le faire.

 

Mais ce qui surprendra davantage l’orthodoxie juive est que cette pratique consistant à insérer des Piyoutim dans la Barokhoh de « Yôṣér ˋôr » fut combattue par nul autre que Ribbi Yôséph Qaˋז״ל ! Voici ce qu’il tranche dans son Shoulḥon ´oroukh :[3]

 

Il y a des localités qui font des interruptions dans les Barokhôth de la Qiryath Shama´ pour dire des Piyoutim. Mais il est correct de s'abstenir de les dire, parce qu'ils constituent une interruption.

יֵשׁ מְקוֹמוֹת שֶׁמַּפְסִיקִים בְּבִרְכוֹת קְרִיאַת שְׁמַע לוֹמַר פִּיּוּטִים, וְנָכוֹן לִמְנֹעַ מִלְּאָמְרָם, מִשּׁוּם דְּהָוֵי הֶפְסֵק

 

Cela est ironique, puisque l’orthodoxie juive prétend suivre le Shoulḥon ´oroukh ! Or, le Shoulḥon ´oroukh, ici, s’oppose à cette pratique, et déclare que ceux qui récitent ces Piyoutim dans les Barokhôth du Shama´ commettent des interruptions, car ces Piyoutim n’ont aucun lien avec les Barokhôth du Shama´ et qu’il est halakhiquement interdit d’interrompre une Barokhoh en y insérant des paroles n’ayant pas de lien avec le thème de la Barokhoh !

 

Tout cela répond aux autres questions posées : ces Piyoutim ne sont pas requis, et d’un point de vue halakhique il est problématique de les réciter en plein milieu des bénédictions du Shama´. Si on se trouve dans une synagogue où la communauté locale a la coutume d'entonner des Piyoutim en plein milieu des bénédictions du Shama´, comme c'est le cas dans la majorité des communautés d'aujourd'hui, on doit, d'après le Rambo’’m et Ribbi Yôséph Qa`rô, s'abstenir de chanter avec la communauté, car si on chante, on aurait fait une interruption en plein milieu d'une bénédiction, ce qui n'est évidemment pas permis. C’est un exemple supplémentaire d’une pratique populaire qui contrevient en réalité à la Halokhoh !



[1] La Halokhoh interdit effectivement d’ajouter des éléments dans une bénédiction qui ne sont pas en adéquation avec le thème central de cette bénédiction.

[2] aphillath Shaḥrith Lashabboth

[3] ˋôraḥ Ḥayyim 68 :1