mercredi 16 mars 2016

Les Juifs ont-ils commis un massacre à Pourim ?

ב״ה

Les Juifs ont-ils commis un massacre à Pourim ?

Illustration : Juifs perses, début du 20ème siècle

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Dans le chapitre de conclusion de la Maghillath `astér, nous lisons qu'après que le décret de Homon ימש״ו contre les Juifs fut révoqué, et qu'ils furent donc préservés de la destruction, les Juifs ne se sont pas arrêtés là. Plutôt, ayant obtenu la permission royale de frapper leurs ennemis, y compris les femmes et les enfants, les Juifs tuèrent plus de 75 000 personnes ! `astér demanda et obtint par la suite un jour de massacre supplémentaire.

Cet épisode biblique fut longtemps utilisé pour nourrir des sentiments négatifs contre les Juifs parmi les Chrétiens. C'est ainsi qu'au dix-neuvième siècle, le commentateur biblique Allemand Friedrich Bleek concluait que :

Par conséquent, nous pourrions soutenir, avec vérité, qu'un esprit juif très étroit de vengeance et persécution prévaut dans le livre, et qu'aucun autre livre de l'Ancien Testament est si éloigné que ce lui-ci de l'esprit de l’Évangile.1

En Amérique, l'influent pasteur Washington Gladden décrivait la Maghillath `astér en ces termes :

Une épidémie diabolique de cruauté fanatique... Le fait que l'histoire a été racontée, qu'elle a atteint une grande popularité parmi les Juifs, et qu'elle fut récemment considérée par certains comme l'un des livres les plus sacrés de leur canon, n'est rien d'autre qu'une révélation pour nous de l'importance que peuvent avoir les passions les plus sinistres et horribles au nom de la religion... Qu'il [ce livre] puisse demeurer comme un fond obscur sur lequel la moralité chrétienne doit reposer resplendissante ; comme un exemple frappant du genre d'idées que les Chrétiens ne devraient pas nourrir, et du genre de sentiments qu'ils ne devraient pas chérir.2

Il existe d'innombrables autres expressions de dégoût et d’indignité parmi les commentateurs Chrétiens lorsqu'il s'agit de Pourim et de la Maghillath `astér.

Mais une lecture minutieuse du récit des événements, et une prise en compte du contexte, révèle un tableau tout à fait différent. Commençons par le verset central dans lequel les Juifs reçurent la permission de massacrer leurs ennemis Perses3 :

que le roi autorisait les Juifs, dans chaque ville, à se rassembler et à défendre leur vie, en détruisant, en tuant et en annihilant tout attroupement de populace qui les attaquerait, y compris les femmes et les enfants, et à faire main basse sur leur butin;
אֲשֶׁר נָתַן הַמֶּלֶךְ לַיְּהוּדִים אֲשֶׁר בְּכָל-עִיר-וָעִיר, לְהִקָּהֵל וְלַעֲמֹד עַל-נַפְשָׁם--לְהַשְׁמִיד וְלַהֲרֹג וּלְאַבֵּד אֶת-כָּל-חֵיל עַם וּמְדִינָה הַצָּרִים אֹתָם, טַף וְנָשִׁים; וּשְׁלָלָם, לָבוֹז

Plusieurs points importants doivent être signalés ici. L'un d'eux est que les Juifs reçurent la permission d'attaquer uniquement ceux qui les attaqueraient ! Contrairement aux descriptions faite par Bleek, qui qualifie ce massacre d'acte de vengeance, ce fut plutôt un acte d'autodéfense. Bien qu'il y eut un sursis du plan de Homon, il n'y avait aucune garantie qu'un tel danger ne se poserait plus. C'était en réalité le seul moyen possible pour les Juifs de s'en sortir. En effet, comme nous l'apprenons dans la Maghillath `astér4, le roi `ahashwérôsh signala que d'après la loi perse, un édit signé du sceau du roi ne pouvait être révoqué. Par conséquent, on ne pouvait annuler le décret de Homon, mais seulement le contourner en autorisant la massacre de tous ceux qui désireraient accomplir le décret de Homon.

Qu'en est-il des femmes et des enfants ? Il existe plusieurs possibilités à prendre en compte. La première est que nous ne devons pas faire l'erreur de juger des actes ayant eu lieu il y a plusieurs millénaires d'ici en employant les normes morales d'aujourd'hui. Dans les temps anciens, les femmes et les enfants étaient toujours considérés être les extensions du mari. Ce n'était pas une innovation juive ; c'était le modèle standard dans le monde antique. Et ce n'était pas seulement la perception d'une réalité ; c'était la réalité, étant donné que les femmes étaient de loin moins indépendantes. Tuer vos ennemis ne signifiait pas seulement les mâles adultes ; cela incluait toujours leurs familles. Bien que cette réponse pourrait ne pas être émotionnellement satisfaisante d'un point de vue moderne, on ne peut pas la balayer d'un revers de la main. Mais il existe d'autres alternatives.

La deuxième consiste à ne pas considérer cet épisode comme une bataille entre deux groupes d'individus, mais plutôt comme une guerre contre deux nations : les Juifs et les Amalékites. Il n'est pas du tout aléatoire de supposer que les familles de ces hommes qui auraient tué les Juifs étaient elles-mêmes assez partisanes de cette idéologie. Et même ces enfants trop jeunes que pour se forger une opinion, font partie de ce même groupe social. En cela, ce n'est pas différent de l'ordre donnée par la Tôroh d'éradiquer de la surface de la Terre Sainte les nations de ´amoléq et les Sept Nations Cananéennes.

Mais en réalité, la réponse est plus que simple. Ce n'est pas parce que le nouveau décret permettait aux Juifs de massacrer les femmes et les enfants, que cela signifie qu'ils l'ont fait. En réalité, il n'existe aucune preuve, ni textuelle ni historique, attestant que les Juifs de Perse avaient bel et bien massacré les femmes et les enfants. Ce nouveau décret doit se comprendre à la lumière du décret d'origine, promulgué par Homon. Voici ce que nous lisons5 :

Et par les courriers, les lettres furent expédiées dans toutes les provinces du roi, [ordonnant] de détruire, exterminer et anéantir tous les Juifs jeunes et vieux, enfants et femmes en un seul jour, à savoir le treizième jour du douzième mois, qui est le mois de `adhor, et de faire main basse sur leur butin.
וְנִשְׁלוֹחַ סְפָרִים בְּיַד הָרָצִים, אֶל-כָּל-מְדִינוֹת הַמֶּלֶךְ--לְהַשְׁמִיד לַהֲרֹג וּלְאַבֵּד אֶת-כָּל-הַיְּהוּדִים מִנַּעַר וְעַד-זָקֵן טַף וְנָשִׁים בְּיוֹם אֶחָד, בִּשְׁלוֹשָׁה עָשָׂר לְחֹדֶשׁ שְׁנֵים-עָשָׂר הוּא-חֹדֶשׁ אֲדָר; וּשְׁלָלָם, לָבוֹז

Comme nous pouvons le voir, le nouveau décret était exactement le même que le décret d'origine. En d'autres mots, le nouveau décret accordait simplement aux Juifs de faire à leurs ennemis exactement ce que ces derniers étaient censés leur faire ! Ce nouveau décret n'était donc pas une autorisation donnée aux Juifs d'exterminer gratuitement leurs ennemis, mais n'était rien d'autre qu'une contre-réponse symétrique au décret d'origine. Il accordait aux Juifs les mêmes possibilités qu'à leurs ennemis. Mais le fait que cela soit mentionné dans le nouveau décret n'indique pas que les Juifs ont bel et bien massacré femmes et enfants. En effet, nous avons vu que ce même décret autorisait les Juifs à s'emparer du butin (des possessions) de leurs ennemis. Or, la Maghillath `astér nous indique clairement que les Juifs ne l'ont pas fait6 :

Les Juifs, qui étaient à Shoushon (Suse), se rassemblèrent donc encore le quatorzième jour du mois de `adhor et firent périr à Shoushon trois cents hommes; mais ils ne touchèrent pas au butin. Les autres Juifs, établis dans des provinces du roi, s'étaient rassemblés pour défendre leur vie et se mettre à l'abri de leurs ennemis et avaient tué 75 000 de ceux qui les haïssaient, sans mettre la main sur le butin.
וַיִּקָּהֲלוּ היהודיים (הַיְּהוּדִים) אֲשֶׁר-בְּשׁוּשָׁן, גַּם בְּיוֹם אַרְבָּעָה עָשָׂר לְחֹדֶשׁ אֲדָר, וַיַּהַרְגוּ בְשׁוּשָׁן, שְׁלֹשׁ מֵאוֹת אִישׁ; וּבַבִּזָּה--לֹא שָׁלְחוּ, אֶת-יָדָם. וּשְׁאָר הַיְּהוּדִים אֲשֶׁר בִּמְדִינוֹת הַמֶּלֶךְ נִקְהֲלוּ וְעָמֹד עַל-נַפְשָׁם, וְנוֹחַ מֵאֹיְבֵיהֶם, וְהָרוֹג בְּשֹׂנְאֵיהֶם, חֲמִשָּׁה וְשִׁבְעִים אָלֶף; וּבַבִּזָּה--לֹא שָׁלְחוּ, אֶת-יָדָם

Nous voyons donc très clairement que les Juifs se refusèrent de tirer profit de tout ce que le roi `ahashwérôsh (Assuérus) leur avait pourtant permis. Bien qu'ils pouvaient s'emparer du butin de leurs ennemis, ils ne l'ont pas fait, car cela ne les intéressait pas. Les Juifs n'ont pas tué par vengeance, ni pour jouir des biens de leurs ennemis, ou pour quelque autre intérêt que ce soit. Ce ne fut que pour sauver leurs vies face à ceux qui les menaçaient qu'ils se sont battus. Ceux qui ne furent pas une menace pour eux ne furent pas tués. D'ailleurs, la majorité des Perses ne cherchèrent pas du tout à s'en prendre aux Juifs, et rien ne leur arriva ; ils ne furent ni attaqués, ni tués par les Juifs. En outre, de nombreux Perses se convertirent au Judaïsme à la suite de ces événements.7 Nous ne pouvons donc parler de vengeance, et encore moins de « massacre ». Il n'y a de ce fait aucune preuve, de quelque nature que ce soit, pouvant attester que les Juifs ont effectivement tué les femmes et les enfants. Les preuves attestent uniquement que nous ne nous en sommes pris qu'à ceux qui souhaitaient notre mort. Peut-être que cela n'est pas compatible avec la doctrine chrétienne selon quoi on devrait tendre l'autre joue, mais dans notre religion on a le droit de nous défendre lorsqu'on est menacé et attaqué, et c'est précisément ce que nous avons fait. Comme l'ont enseigné nos Sages8 : « La Tôroh a dit : si un homme vient pour te tuer, lève-toi tôt et tue-le en premier ». Cet enseignement est déduit par HaZa''l du verset de Shamôth 22:1, qui déclare qu'il est légitime de tuer un cambrioleur qui se préparait à commettre un meurtre. Là encore, cela pourrait ne pas être acceptable pour la religion « pacifique » des Chrétiens, mais ce n'est pas notre problème. L'histoire à travers les siècles démontre que les Juifs ne sont pas un peuple violent. Tuer est d'ailleurs interdit par la Tôroh, excepté dans les cas d'autodéfense (et d'autres rares cas). Et c'est uniquement dans ce cadre-là que les Juifs ont tué leurs ennemis.

Le seul fait qu'ils ne se sont pas emparés des biens de leurs ennemis, alors qu'ils y avaient droit d'après le décret royal, indique clairement qu'ils ne considéraient pas cette bataille comme une bataille ordinaire de survie. Ils la percevaient plutôt comme n'étant rien d'autre qu'une bataille d'autodéfense, et qu'ils ne devaient donc pas dépasser ce cadre-là. Par conséquent, ils n'ont touché ni aux femmes, ni aux enfants, ni aux possessions matérielles de leurs ennemis. Cela montre également à quel point les Juifs se sentaient bien en Perse, malgré cette menace de Homon, ce qui fait qu'ils n'avaient pas d'animosité envers les Perses et leurs biens, mais seulement envers ceux qui en voulaient à leurs vies.

Dans toute chose, il faut mettre la passion de côté et analyser les faits avec un regard objectif.

Pourim n'est donc pas la célébration d'un massacre, car de massacre il n'y en a pas eu !

1Bleek, Introduction à l'Ancien Testament, Volume 1, page 450
2Gladden, Qui a écrit la Bible, page 164
3`astér 8:11
4Ibid., verset 3
5Ibid., 3:13
6Ibid., 9:15-16
7Ibid., 8:17

8Talmoudh, Barokhôth 58a