vendredi 11 mars 2016

Mayim `aharônim : une Halokhoh ou une superstition ?

ב״ה

Mayim `aharônim : une Halokhoh ou une superstition ?


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Dans son fameux ספר המסגיק לעובדי השם « Séfar Hammaspiq La´ôvadhé HaShem », un ouvrage plus que passionnant, le fils du Ramba''m ז״ל, Rabbénou `avrohom ז״ל, traite, à un moment donné, des מַיִם אַחֲרוֹנִים « Mayim `aharônim » (le lavage des mains qui suit un repas, avant la Birakhath Hammozôn). Lorsqu'on demande la raison de cette Halokhoh, l'explication traditionnelle consiste à dire que ce lavage des mains sert à retirer le מֶלַח סְדוֹמִית « Malah Sadhômith » (sel sodomite) qui se serait accroché aux mains pendant que l'on mangeait. Apparemment, le sel utilisé durant les repas adhérait aux mains et pouvait être dangereux s'il finissait dans l’œil. Par conséquent, un lavage des mains fut rescrit pour éviter ce danger. C'est ainsi que le Ramba''m écrit ceci dans son Mishnéh Tôroh1 :

Chaque fois [que quelque chose contient] du sel, il est nécessaire de se laver les mains par la suite, par crainte que s'il y avait du sel sodomite ou du sel dont la nature est comparable à celle du sel sodomite, et qu'on passait ses mains sur ses yeux on s'aveuglerait. C'est à cause de cela qu'ils ont imposé de laver les mains à la fin de tout repas ; à cause du sel. Dans un camp [militaire], nous exemptons du lavage des mains au début [d'un repas], parce qu'ils sont impliqués dans une guerre. Mais nous obligeons [au lavage qui vient] après [le repas], à cause du danger.
כָּל אֶת הַמֶּלַח, צָרִיךְ נְטִילַת יָדַיִם בָּאַחֲרוֹנָה--שֶׁמֶּא יֵשׁ בּוֹ מֶלַח סְדוֹמִית אוֹ מֶלַח שֶׁטִּבְעוֹ כְּטֶבַע מֶלַח סְדוֹמִית, וְיַעְבִיר יָדָיו עַל עֵינָיו וְיִסָּמֵה; וּמִפְּנֵי זֶה חִיְּבוּ לִטֹּל יָדַיִם בְּסוֹף כָּל סְעוֹדָה, מִפְּנֵי הַמֶּלַח. וּבַמַּחֲנֶה, פְּטוּרִין מִנְּטִילַת יָדַיִם בַּתְּחִלָּה, מִפְּנֵי שְׁהֶן טְרוּדִין בַּמִּלְחָמָה; וְחַיָּבִין בָּאַחֲרוֹנָה, מִפְּנֵי הַסַּכָּנָה

Rabbénou `avrohom écrit ceci :

Extérieurement, la raison donnée par la Halokhoh pour les Mayim `aharônim est afin de prévenir les risques causés par le sel sodomite. D'après moi, la raison des Mayim `aharônim et pourquoi les Rabbins les a rendu plus importantes que le lavage qui précède le repas ainsi qu'ils l'ont dit, « Le lavage qui précède le repas est une Miswoh ; le lavage qui suit le repas est une obligation ; et dans un camp [militaire], on n'a pas l'obligation de se laver avant un repas, mais on est obligé de se laver après le repas », est que l'on a besoin de se préparer à la Birakhath Hammozôn, qui est une obligation toranique et une prière mineure. Ils ont invoqué le danger comme raison exotérique et l'ont énoncée dans la Halokhoh afin que les gens la prennent au sérieux et ne soient pas négligents, les faisant craindre pour leur vie. Je rapporte une chose similaire de mon père ע״ה sur les propos suivants des Rabbins « On ne doit pas manger en paires, ni boire en paires »2. Il a dit que la raison de cette interdiction est afin d'éloigner les gens de la coutume consistant à faire des doublons dans le Béth Hammiqdosh, les gens le faisant afin d'être [doublement] bénis. Par conséquent, les Rabbins dirent cela et l'attachèrent à un danger afin de les empêcher de le faire.

Rabbénou `avrohom rapporte donc que son père, le Ramba''m, a expliqué la fameuse interdiction des זוּגוֹת « Zoughôth » (paires), qui est traitée dans la Gamoro` de Pésahim. La raison supposée telle qu'elle est donnée par la Gamoro` est que les paires sont dangereuses, apparemment pour des raisons mystiques ou spirituelles, et pourraient nuire à celui qui les consomme. Le Ramba''m était dérangé par cette raison, car elle semble soutenir la superstition. Par conséquent, il a expliqué qu'il existait une superstition parmi les gens qui se rendaient au Béth Hammiqdosh, qui cherchaient toujours à ne consommer un aliment que par multiples de deux, comme un talisman, et les Rabbins avaient cette croyance en horreur. Pour dissuader les gens de le faire, les Rabbins prétendirent que cette pratique était dangereuse et nuisible, sachant pertinemment bien que c'était là la seule chose qui pouvait dissuader les masses de continuer à s'y adonner. Rabbénou `avrohom poursuit :

Ce qui a attiré mon attention et m'a fait réanalyser la raison des Mayim `aharônim est la règle selon quoi « immédiatement après s'être lavé [les mains], on doit faire la bénédiction » et l'interdiction d'utiliser de l'eau chaude, parce que l'eau chaude ne nettoie pas. Si la raison pour le lavage qui suit le repas était le danger, ces restrictions n'auraient pas été appliquées. En outre, les Rabbins donnèrent l'explication pour justifier d'utiliser une bonne huile [sur les mains après le repas] : « parce qu'une personne sale n'a pas la permission d'adorer [dans le Béth Hammiqdosh] ».3 C'est une preuve pour ma thèse, pour celui qui comprend ! Ce n'est pas juste une allusion. Faîtes soigneusement attention, car c'est un secret qui n'est compris que par les érudits !

Rabbénou `avrohom argue que si la raison de l'obligation de se laver les mains après un repas est afin d'éviter une situation dangereuse, pourquoi est-ce qu'alors la Halokhoh interdit-elle explicitement de repousser la bénédiction après s'être lavé les mains ? Le fait de devoir faire la bénédiction immédiatement après le lavage des mains indique que ce lavage est bien à des fins d'une Miswoh, et non pas en raison d'un danger, car on ne fait jamais de bénédiction pour un précepte rabbinique ayant été institué en raison d'un danger ! Il renvoie ensuite à la Gamoro` qui exige qu'une huile de qualité soit utilisée pour oindre les mains après le repas, et explique cette exigence en comparant la Birakhath Hammozôn au service dans le Béth Hammiqdosh. À l'évidence, les Rabbins considéraient donc la Birakhath Hammozôn comme un remplacement ou un processus similaire à celui qui se faisait dans le Béth Hammiqdosh (d'ailleurs, ils ont enseigné qu'en l'absence du Béth Hammiqdosh, notre table sur laquelle nous mangeons remplace l'autel des Qorbonôth). Tous les services réalisés dans le Béth Hammiqdosh nécessitaient un lavage des mains, et de même en est-il de la Birakhath Hammozôn. En fait, nous savons que les Rabbins considéraient la prière comme équivalent aux Qorbonôth.4

De nombreuses leçons peuvent être tirées de cette discussion. La coutume générale qui prévaut de nos jours consiste à apporter après le repas une petite coupe ou un plateau en argent avec une toute petite coupe pour les Mayim `aharônim afin de laver uniquement les bouts des doigts. Cette pratique est basée sur les Tôsofôth5 ז״ל qui disent qu'à nos époques, il n'y a plus d'inquiétude à avoir concernant le Malah Sadhômith, puisque ce genre de sel n'est plus disponible. Par conséquent, les Mayim `aharônim ne sont plus obligatoires. Les gens se lavent donc uniquement de façon symbolique plutôt qu'afin de réaliser une Miswoh, d'où la pratique consistant à ne se laver que les bouts des doigts et non la main entière. Mais de l'autre côté, le Ramba''m ne fait pas cette distinction, rendant obligatoires les Mayim `aharônim même à nos époques, comme nous pouvons le voir au Chapitre 6 des Hilkôth Barokhôth de son Mishnéh Tôroh (qui est d'ailleurs téléchargeable sur le blog, dans la colonne de droite). Il est donc clair que les Mayim `aharônim doivent se réaliser de la même façon que l'on réaliserait le lavage des mains qui précède le repas, c'est-à-dire en utilisant un Kali (récipient), en versant au moins une Ravi´ith sir chaque main jusqu'aux poignets, etc. L'explication donnée par Rabbénou `avrohom confirme cela.

En outre, cela concorde également avec les raisons des autres lavages des mains halakhiquement obligatoires. Nous nous lavons les mains avant le repas en guise de préparation à la consommation du pain (qui est un aliment d'une grande importance) ; nous nous lavons les mains avant la prière (ou le Shama´) en guise de préparation à cette activité spirituelle. De la même manière, concernant les Mayim `aharônim qui précèdent la Birakhath Hammozôn, Rabbénou `avrohom explique que la Birakhath Hammozôn est une Miswoh biblique qui a le statut d'une prière mineure. Or, la prière a été organisée de façon à ressembler au service qui se faisait dans le Béth Hammiqdosh ; tout comme le lavage des mains était requis avant de pouvoir apporter le Qorban Tomidh, le lavage des mains est requis avant la prière. Cette idée est également mentionnée par le Béth Yôséf, où il cite une Tashouvoh du Rashba''` ז״ל. Le Ramba''m aussi fait ce parallèle dans les Hilkôth Tafilloh Ouvirakhath Kôhanim 4:3. Rabbénou `avrohom l'applique donc également au Mayim `aharônim, et conclut que c'est un lavage nécessaire pour se préparer à la Birakhath Hammozôn (une mini prière), tout comme on fait des ablutions pour se préparer à la prière (les Shamônah ´asréh). Et notre pratique consiste effectivement à faire les Mayim `aharônim de la même manière que nous faisons le lavage des mains qui précède le repas, et également avec la bénédiction de « ´al Natilath Yodhoyim ». (Et c'est aussi ce que défend d'autres Ri`shônim, comme par exemple le Ra`ava''d ז״ל.)

Ce qui est particulièrement intéressant dans tout cela est le contexte qu'utilise Rabbénou `avrohom pour introduire cette idée. Il réfléchit et n'accepte pas la raison donnée par la Gamoro` pour les Mayim `aharônim, car à première vue cela n'a aucun sens pour lui. Il compare ensuite son objection à la raison du danger donnée pour justifier les Mayim `aharônim à la raison donnée pour l'interdiction des Zoughôth. Cela indique qu'il considérait clairement l'explication du danger du sel sodomite comme de la pure superstition plutôt qu'un fait scientifique. Il a donc fouillé dans le Talmoudh et découvert que ce ne pouvait être la raison réelle de cette Halokhoh. Nous avons ici une approche très rationnelle, voire straussienne, de la Halokhoh, où une raison ésotérique est combinée à une raison exotérique. Rabbénou `avrohom ajoute que la raison pour laquelle la vraie raison fut gardée secrète est parce que cela n'aurait pas garanti que le peuple de cette époque-là y adhère. Les Rabbins ont alors donné une raison qui pousserait les masses à suivre leur décret.

Cela donne un excellent exemple de la manière dont le Talmoudh devrait être étudié, de sorte que tout puisse concorder avec la raison.

1Hilkôth Barokhôth 6:4
2Pésahim 109b ; c'est-à-dire que l'on ne doit pas manger ou boire deux aliments ou un multiple de deux aliments
3Barokhôth 53b
4Voir le Mishnéh Tôroh, Hilkôth Tafilloh Ouvirakhath Kôhanim 1:5, ou l'article intitulé « Les lois relatives à la prière – Première Partie »

5Sur Barokhôth 53b