ב״ה
La
formule du Kol Nidhré
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Poursuivons
notre analyse des pratiques et coutumes relatives aux fêtes du mois
de Tishri.
En
dépit de son immense popularité à notre époque, étudier
l'histoire et la structure du כָּל
נִדְרֵי « Kol
Nidhré » vous donnera quelques maux de tête. En effet,
personne ne connaît où, quand et sous quelles circonstances
particulières « Kol Nidhré » fut composé. Nous
ne savons pas qui en est l'auteur, si cette formule fut composée en
araméen ou en hébreu, ni à partir de quand et comment est-ce
qu'elle s'est frayée un chemin dans la liturgie relative à Yôm
Hakkippourim. Une chose est pourtant certaine : « Kol
Nidhré » est rempli de paradoxes. Pour n'en citer que
quelques-uns :
- Ce n'est pas une prière, mais plutôt une formule d'annulation de certains types de vœux.
- Le nom d'HaShem n'y est jamais mentionné.
- Le texte que nous avons est un mélange curieux et étrange d'araméen et d'hébreu.
- Le style est poétique, mais les mots employés très techniques.
- Bien que « Kol Nidhré » soit pratiquement associé de façon systématique à Yôm Hakkippourim, il ne fait pas, à proprement parler, partie de la liturgie de Yôm Hakkippourim. C'est en effet une déclaration qui est récitée avant le coucher du soleil qui initie Yôm Hakkippourim.
- Différentes versions existent, et chacune reflète des positions différentes, notamment sur le type de vœux inclus dans l'annulation, ou encore la période que couvre cette annulation (sont-ce les vœux de l'année dernière qui sont annulés, ou les vœux de l'année encourt), etc.
En
outre, le passage talmudique qui sert de base légale au « Kol
Nidhré » ne parle pas de Yôm Hakkippourim, mais de
Rô`sh Hashonoh1 :
Et
celui qui désire qu'aucun de ses vœux ne tienne se lèvera à
Rô`sh Hashonoh et dira : « Tout
vœu que je pourrais faire dans le futur, qu'il soit annulé. »
[Ses vœux ne sont alors invalidés] que s'il s'en souvient au
moment du vœu.
|
והרוצה
שלא יתקיימו נדריו כל השנה יעמוד בראש
השנה ויאמר כל נדר שאני עתיד לידור יהא
בטל ובלבד שיהא זכור בשעת הנדר
|
À
première vue, ce passage encouragerait à faire des vœux sans se
sentir dans l'obligation de les réaliser. Mais il n'en est pas
ainsi. La suite de ce passage talmudique déclare ceci :
Ici,
les circonstances sont, par exemple, que quelqu'un a fait cette
déclaration à Rô`sh Hashonoh, mais ne sait pas en référence à
quoi. À présent, il fait un vœu. Ainsi, s'il se souvient [de
cette déclaration] et dit ensuite « Je
fais le vœu en accord avec mon intention d'origine »,
son vœu n'a aucune réalité. Mais s'il ne s'exprime pas ainsi,
il a annulé sa déclaration et confirmé son vœu.
|
הכא
במאי עסקינן כגון שהתנה בראש השנה ולא
ידע במה התנה והשתא קא נדר אי זכור בשעת
הנדר ואמר על דעת הראשונה אני נודר נדריה
לית ביה ממשא לא אמר על דעת הראשונה אני
נודר עקריה לתנאיה וקיים לנדריה
|
Ainsi,
quand le début de notre passage déclare qu'il faille faire cette
déclaration d'annulation des vœux à Rô`sh Hashonoh et que les
vœux sont alors annulés, mais à la condition de se souvenir de
cette déclaration au moment où l'on fera un vœu, le Talmoudh veut
tout simplement nous enseigner à ne justement pas faire de vœux,
car nous ne savons pas à l'avance s'il sera possible ou pas de les
tenir. En disant « Je fais le vœu en accord avec mon
intention d'origine », nous sommes en train de dire ceci :
« S'il m'est possible de l'accomplir, je l'accomplirai ;
si cela n'est pas possible, qu'HaShem prenne alors en compte le fait
que j'avais stipulé à Rô`sh Hashonoh que les vœux que je ferai au
cours de l'année soient annulés. » Celui qui n'aura donc
pas précisé avant de faire un vœu qu'il ne l'accomplira que s'il
est possible de l'accomplir, s'il n'accomplit pas sa promesse la
déclaration qu'il a faite à Rô`sh Hashonoh n'a aucune valeur et il
reste donc lié au vœu qu'il a formulé. Ce n'est donc pas une carte
blanche nous permettant de faire des vœux sans nous sentir dans
l'obligation de les accomplir. Bien au contraire !
Mais
bien que cette procédure se tenait à Rô`sh Hashonoh dans les temps
talmudiques, durant l'ère des Ga`ônim on la fit passer de Rô`sh
Hashonoh à ´arav Yôm Hakkippourim. Les Pôsqim du Moyen-Âge
(Ri`shônim) expliquent que c'était afin d'accommoder les très
nombreux fidèles qui n'étaient pas allés à la synagogue la veille
de Rô`sh Hashonoh, mais qui s'y rendaient en masse la veille des
prières de Yôm Hakkippourim. Néanmoins, de très nombreux Juifs,
jusqu'à aujourd'hui, continuent à organiser une cérémonie
d'annulation de vœux la veille de Rô`sh Hashonoh, que l'on appelle
הַתָּרַת
נְדָרִים « Hattorath
Nadhorim. » (Notez
que les passages talmudiques susmentionnés ne requièrent ni
cérémonie, ni présence d'un Béth ou de dix personnes, et que la
formule d'annulation est très courte.)
La
toute première version écrite du « Kol
Nidhré »
est mentionnée dans le Siddour de Horov ´amrom Go`ôn ז״ל.
La plus grande différence entre la version qu'il rapporte et celle
qui est principalement utilisée à notre époque découle dans le
fait que la version du Rov ´amrom Go`ôn contient la phrase מִיּוֹם
הַכִּפּוּרִים שֶׁעָבַר עַד יוֹם הַזֶּה
הַבָּא עָלֵינוּ « Du
Yôm Hakkippourim passé jusqu'à ce jour qui vient sur nous »,
indiquant par-là que les vœux passés pouvaient être annulés
rétroactivement. Mais au 12ème
siècle, Rabbénou Tam ז״ל
décida,
à cause de doutes halakhiques existant sur la validité d'annuler
rétroactivement des vœux passés, de remplacer cette phrase par
מִּיּוֹם
כִּפּוּרִים זֶּה עַד יוֹם כִּפּוּרִים
הַבָּא עָלֵינוּ לְטּוֹבָה
« Du
Yôm Kippourim-ci jusqu'au Yôm Kippourim [suivant] qui vient sur
nous pour le bien »,
impliquant par-là que seuls sont inclus les vœux que nous ferions à
l'avenir, et non ceux que nous avons émis dans le passé,
conformément à ce qui est enseigné dans la Gamoro` que nous avons
citée plus haut.
Depuis
les temps du Rov ´amrom Go`ôn jusqu'à aujourd'hui, différentes
communautés juives ont choisi l'une des quatre options suivantes
concernant leur attitude vis-à-vis du « Kol
Nidhré »
et sa formulation :
- certaines ne récitent tout simplement pas le « Kol Nidhré. » C'est notamment la pratique des Talmidhé HaRamba''m, des Dôr Da´im ainsi que des Juifs du rite hispano-portugais ;
- certaines utilisent la version qui ne fait mention que des vœux passés ;
- certaines utilisent la version qui ne fait mention que des vœux futurs ;
- certaines utilisent une version qui cherche à annuler à la fois les vœux passés et futurs.
La
majorité des communautés suivent la version de Rabbénou Tam.
Le
« Kol
Nidhré »
a connu son apogée durant la période de l'Inquisition espagnole, où
plusieurs centaines de milliers de Juifs furent forcés de renier
leur foi et adopter le catholicisme. Bon nombre de ceux qui se
rassemblaient en secret dans les synagogues, au péril de leurs vies,
utilisaient le « Kol
Nidhré »
pour se défaire des vœux qui leur avaient été imposés par
l'Inquisition.
Nous
aurions pu dire beaucoup plus encore sur le « Kol
Nidhré »,
mais ce que nous avons rapporté ici devrait suffire.
1Nadhorim
23b