בס״ד
L'histoire
trouble du Qaddish des Orphelins
Deuxième
Partie
Cet
article peut être téléchargé ici.
La
plupart des chercheurs qui se sont penchés sur les questions que
nous avions posées à la fin de la
première partie de cet article ont invoqué les attaques de
1096 contre les communautés juives de Rhénanie en guise
d'explication, suggérant qu'une nouvelle prière commémorative pour
les morts devint une nécessité suite au traumatisme collectif causé
par les massacres commis par les Croisés. Cette explication est
basée sur une approche intuitive, car des attaques contre les
communautés achkénazes provoquèrent effectivement des réponses
liturgiques tout au long du Moyen-âge, comme par exemple la prière
du « `âv Horahamim »
(qui fut composée à la suite de nombreux épisodes de persécution),
celle du Yizkôr (qui fut composée à la suite du massacre de
10961),
diverses Qinôth et de nombreux Piyoutim. Néanmoins, ce récit sur
les origines du Qaddish des endeuillés est difficile à accepter,
car les tous premiers textes prescrivant sa récitation considèrent
ce Qaddish non pas comme une prière commémorative, mais plutôt
comme une prière d'intercession—ce Qaddish, ainsi que nous le
verrons, est censé être récité spécifiquement afin de libérer
les membres de sa famille de la punition du Géhinnom. Pour les Juifs
de l'Europe du Nord médiéval, il aurait été inconcevable
d'imaginer que les martyrs de 1096—des héros qui laissèrent une
trace indélébile sur l'identité et la conscience collective du
judaïsme achkénaze—souffraient en enfer, ou qu'ils avaient besoin
d'une quelconque intercession. Voici d'ailleurs ce le Rov Hayyim
Soloveitchik écrivit sur eux2 :
La
communauté franco-allemande était imprégnée d'une profonde
perception de sa propre religiosité, de la justesse de ses
traditions, et ne pouvait pas imaginer la moindre différence notoire
entre ses pratiques et la Halokhoh que ses membres
étudiaient et mettaient en pratique avec une telle dévotion.
En
effet, comme l'ont montré un certain nombre de récentes études,
les Juifs médiévaux croyaient que les martyrs se voyaient
immédiatement accorder l'entrée au paradis—et le désir
d'atteindre une telle récompense céleste pourrait même avoir
motivé les Juifs à sacrifier leurs vies face aux massacres des
Croisés. D'ailleurs, même après que le Minhogh consistant à
réciter le Qaddish des endeuillés fut devenu omniprésent dans les
communautés achkénazes, et que sa récitation atteint le statut
d'obligation incombant à tous les orphelins, certaines figures
achkénazes n'étaient pas à l'aise avec le fait de demander aux
enfants des martyrs de le réciter, et continuèrent à se
questionner s'il leur était véritablement requis de le faire. Par
exemple, dans les Sha`élôth Outhashouvôth
du Rov Ya´aqôv Môlin3,
on demanda à se dernier si le Qaddish devait être récité en
faveur des martyrs, et son interlocuteur attribua au Rov Mé`ir de
Rothenburg (1215-1293) l'opinion selon laquelle ce Qaddish ne devait
pas être dit. Le Rov Môlin soutint que ce Qaddish devait quand même
être dit, mais l'échange illustre que la question n'était pas
encore résolue au 15ème siècle. En fait, même le Rov
Môlin rapporte dans le cours de sa réponse que les Juifs de Prague
n'avaient pas voulu s'endeuiller pour les martyrs du massacre de 1389
ayant eu lieu dans cette ville, ajoutant ainsi du crédit à la
présomption que ce Qaddish pourrait ne pas être nécessaire. Autre
exemple : un questionneur de la fin du Moyen-âge argua que,
certainement la mort d'un martyr « lui apportait
l'expiation pour ses péchés, et de ce fait il ne peut pas être
considéré comme un impie. La Houmroh
[d'exiger de ses enfants qu'ils récitent le Qaddish] créerait une
tache [spirituelle] sur la famille »4.
Au
vue de tout cela, il est impossible que l’invention du Qaddish des
endeuillés ait été suscitée à la suite de massacres, et
certainement pas en guise de prière commémorative. La vérité est
plutôt que la naissance et propagation du Qaddish des endeuillés
fut une manifestation d'un changement de croyances sur la nature de
l'au-delà et la relation entre les vivants et les morts. Au cours du
Haut Moyen-âge, aussi bien les Juifs que les Chrétiens
développèrent de nouvelles idées sur la nature et but des
souffrances postmortems. Ces penseurs mettaient en particulier en
avant la durée fondamentalement temporaire de la punition Divine
dans l'au-delà, et la notion concomitante selon laquelle les vivants
pouvaient aider à purifier les péchés, et donc raccourcir les
souffrances, de leurs proches décédés. C'est une doctrine purement
Catholique Chrétienne, que les Juifs achkénazes finirent aussi par
embrasser. Ce consensus théologique en développement permit, et
rendit même nécessaire, de nouveaux outils rituels d'intercession.
Les halakhistes de l'achkénazie médiévale ajoutèrent ainsi une
prière d'intercession à leur liturgie plus particulièrement à la
fin du 12ème siècle parce que c'est précisément à ce
moment-là que la base théologique fut posée sous leurs pieds. En
standardisant et formulant une prière d'intercession, et en faisant
de sa récitation une obligation incombant à tous les orphelins, les
Juifs du 12ème siècle « codifièrent » cette
position, reliant ainsi une « croyance » à une pratique
d'une façon qui renforçait les deux.
À
suivre...
1Voir
« La commémoration des âmes dans le Judaïsme »,
Revue des études juives 29, par Israël Lévi
2Religious
Law and Change : The Medieval Ashkenazic Example, AJS Review
12, n°2 (1987), pages 205-221
4Ibid.