lundi 2 décembre 2019

Conception du ´ôlom Habbo` : Rambo''m VS Rambo''n


בס״ד

Conception du ´ôlom Habbo` : Rambo''m VS Rambo''n

Première Partie

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Dans l'article intitulé « L'au-delà et la vie après la mort, d'après la conception maïmonidienne », j'avais brièvement abordé quelques notions de base se rapportant à l'au-delà. Je vais à présent fournir davantage de détails sur ce concept essentiel de la foi juive.

Il ressort clairement dans de nombreuses sources que HaZa''l croient que la récompense ultime à laquelle tout être humain peut s'attendre pour avoir HaShem ית׳ est le ´ôlom Habbo`, le monde à venir. Les philosophes juifs, cependant, débattent de la nature de cette récompense spirituelle qui reviendra à une personne après sa mort. Les divers penseurs et philosophes juifs se sont scindés en deux camps. Un camp, identifié comme celui du Rambo''m ז״ל (Maïmonide) et beaucoup d'autres grands sages, admet qu'il peut y avoir des récompenses physiques pour les justes dans ce monde. Une des preuves de cette position est le fait que nos ancêtres furent récompensés par une réussite matérielle (bon nombre de nos Patriarches et ancêtres furent très riches). Cependant, la récompense principale à laquelle une personne juste peut s'attendre est purement spirituelle; elle ne peut être expérimentée que par l'âme et non par le corps. Cela se produit dans le monde à venir, qui est le lieu où les âmes des justes se rendent après leur mort.

Le deuxième groupe de penseurs juifs (suivi par le Rambo''n ז״ל, le Ra´ava''d ז״ל, le Yadh Ramoh ז״ל, et beaucoup d’autres) soutient que, bien que certaines personnes justes reçoivent une récompense physique dans ce monde, la plupart n'en ont pas. Les justes méritent donc une récompense physique dans le monde à venir. Dans le ´ôlom Habbo`, ils recevront une récompense à la fois physique et spirituelle. Cela se produira au moment où l'âme et le corps ressusciteront (Tahiyath Hamméthim).

Comme nous le voyons, le Rambo''m et le Rambo''n divergent concernant la signification du mot « Habbo` » dans l'expression « ´ôlom Habbo` » (monde à venir). Quand est-ce que ce monde vient ? Selon le Rambo''m, c'est le monde à venir, subjectivement, pour chaque personne à sa mort. Pour le Rambo''n et la majorité des philosophes juifs, le ´ôlom Habbo` viendra à un moment spécifique de l'histoire, lorsque HaShem ressuscitera les morts et introduira un nouveau monde à la place du monde existant.

Quelle est la base de cette divergence ? Pourquoi le Rambo''m pense-t-il que le monde à venir est purement spirituel, alors que le Rambo''n pense que le monde à venir est physique, synonyme de résurrection des morts ? Un des points de cette Mahlôqath est exégétique. Le Rambo''m pense qu'il est crucial d'interpréter métaphoriquement les paroles de HaZa''l lorsqu'il est logiquement impossible d'accepter le sens littéral de leurs mots. Étant donné que, ainsi que nous l'expliquerons plus loin, la conception du ´ôlom Habbo` en tant qu'espace physique contrevient aux lois fondamentales de la nature, nous devons comprendre métaphoriquement la description physique du ´ôlom Habbo`.

Le Ra´ava''d et de nombreux autres opposants au Rambo''m estiment qu’il est important d’interpréter les paroles de HaZa''l à la lettre, dans presque toutes les circonstances. Puisque HaZa''l décrivent à de nombreux endroits le monde à venir en termes physiques, il doit alors être littéralement un monde physique. Bon nombre des descriptions du ´ôlom Habbo` semblent bien physiques. Par exemple, HaZa''l décrivent les justes assis avec des couronnes sur la tête. Il y a des descriptions de la fête dont jouissent les justes, avec une longue discussion sur qui devrait diriger la Birkhath Hammozôn.

L'approche du Rambo''m tout au long de ses écrits consiste toutefois à interpréter ces déclarations de HaZa''l de manière métaphorique. En guise d'introduction à son interprétation sur le ´ôlom Habbo`, le Rambo''m décrit de manière fascinante trois façons différentes de se rapporter à des déclarations particulières trouvées dans le Talmoudh ou le Midhrosh. Un premier groupe de personnes interprète littéralement chaque déclaration de HaZa''l. Même si la compréhension littérale constitue une impossibilité, ils acceptent avec foi que ce que nous considérons comme impossible est néanmoins vrai. D'un côté, ce groupe peut être considéré comme très religieux, mais en vérité, affirme le Rambo''m, ces gens détruisent la beauté de la Tôroh et assombrissent sa splendeur. En prenant chaque mot de HaZa''l à la lettre et en proclamant la vérité de leurs propos, ils font ressembler HaZa''l à des imbéciles. Certaines des déclarations que nous trouvons dans les sources rabbiniques sont impossibles, voire absurdes, et HaZa''l n'en tirent aucun honneur lorsque nous prétendons que nous les croyons au sens littéral.

Le Rambo''m approuve encore moins le deuxième groupe. Ce groupe interprète aussi littéralement chaque affirmation de HaZa''l, mais comme certaines de ces affirmations ne peuvent être littéralement vraies, ils rejettent complètement les enseignements de HaZa''l et deviennent des hérétiques.

Le troisième groupe, qui est malheureusement beaucoup plus petit que les deux premiers, comprend que HaZa''l étaient des philosophes très accomplis, qui parlaient souvent sous forme de devinettes, d'énigmes et de métaphores. Chaque mot du Talmoudh et du Midhrosh n’est pas censé être pris à la lettre. Celui qui comprend vraiment la sagesse de HaZa''l se rend compte que leurs mots ont une couche de sens cachés. Cette intention métaphorique est philosophiquement éclairante et scientifiquement exacte, et démontre la sagesse de notre tradition et de ses détenteurs.

Le Rambo''m pense que si nous prenions toutes les déclarations de HaZa''l à la lettre, nous nous retrouverions avec des traditions insensées et nous devrions alors soit croire que HaZa''l étaient des imbéciles, soit que nous-mêmes sommes des imbéciles. Cependant, de nombreux adversaires du Rambo''m s'opposent à cette position du Rambo''m et supposent qu'un vrai croyant ne réinterpréterait pas les déclarations de HaZa''l conformément à ses propres conceptions de la possibilité logique, mais réviserait plutôt ses idées sur ce qui est possible pour se conformer aux déclarations de HaZa''l.

Réagissant à l’interprétation métaphorique du ´ôlom Habbo` par le Rambo''m, le Ra´ava''d s’appuie avec force sur de nombreux Midhroshim qui comprennent le ´ôlom Habbo` comme un monde physique. Par exemple, si la description du monde à venir comme un repas est une métaphore, demande le Ra´ava''d, alors pourquoi ce Midhrosh décrit-il un débat sur la question de savoir qui dirigerait la Birkhath Hammozôn ? Bien sûr, le Rambo''m comprendrait cela aussi comme une métaphore; peut-être dissèque-t-il les mérites relatifs des idées philosophiques représentées par différents personnages bibliques. Le Ra´ava''d cite également divers Midhroshim qui se demandent si les corps seront ressuscités avec ou sans leurs vêtements, avec ou sans leurs défauts corporels. Cela prouve que dans le n´ôlom Habbo`, il y aura des corps.

Cependant, le Rambo''m peut également interpréter cela métaphoriquement. Le Rambo''m lui-même explique en détail la bonne interprétation métaphorique de la description faite par HaZa''l de la nature du ´ôlom Habbo` en tant qu’endroit où les justes s'asseyent avec des couronnes sur la tête et jouissent de la gloire de la Shakhinoh. « Assis » signifie qu'ils ne sont pas fatigués par l'effort, car ils n'ont pas de corps. Les « couronnes » sur leurs « têtes » symbolisent la couronne de la connaissance de HaShem qui se trouve dans leurs âmes. En contemplant HaShem, elles tirent un plaisir spirituel de la splendeur de l'existence de HaShem.

Néanmoins, ce débat n’est pas simplement exégétique. Un certain nombre de points philosophiques ont pu mener le Rambo''m à sa conclusion, et la majorité des philosophes médiévaux (y compris le Ra´ava''d, le Rambo''n, le Yadh Ramoh, le Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל et les Tôsophôth) à leur conclusion.

Un point de discorde entre le Rambo''m et les autres Ri`shônim concerne la possibilité scientifique de l’existence d’un corps dans le ´ôlom Habbo`. Le Rambo''m cite HaZa''l comme disant qu'il n'y aura pas de manger et de boire dans le monde à venir. Se basant sur les lois de la science, le Rambo''m prouve qu'il est impossible d'avoir un corps dans le monde à venir, car un corps ne peut pas survivre sans manger ni boire. De plus, le Rambo''m explique ailleurs que tout objet physique doit éventuellement se décomposer et ne peut durer éternellement. Il avance que même HaShem, s'Il avait un corps, ne serait pas éternel. Il va donc de soi que si le ´ôlom Habbo` signifie la vie éternelle, il doit être sans corps, car seul un être spirituel peut durer éternellement.

Le Rambo''n aborde certaines de ces objections dans son Tôrath Ho`odhom, tout comme le Ra´ava''d dans ses gloses sur le Mishnéh Tôroh. Ils répondent très simplement : dans ce monde, les corps ne vivent pas sans manger ni boire. Cependant, dans le monde à venir, HaShem créera des corps qui vivront éternellement sans manger ni boire, sans se décomposer, comme le dit le Midhrosh à propos du prophète `éliyohou. Dans le monde à venir, HaShem changera les lois de la nature. Nous aurons les corps que nous connaissons, mais ils seront éternels, sans avoir besoin de manger ni de boire, et nous serons libres de jouir de la splendeur de HaShem qui nous fera vivre au lieu de la nourriture et de la boisson.

Le Rambo''m suit l'approche qu'il explique dans son Môréh Navoukhim, à savoir que les lois fondamentales de la nature ne changent jamais. HaShem a créé le monde et il existe ainsi éternellement. Par conséquent, si les règles de la science telle que nous la connaissons dictent que les corps ne vivent pas éternellement et ne vivent pas sans manger ni boire, alors dans le ´ôlom Habbo`, les corps ne le feront pas non plus. La seule façon de parvenir à la vie éternelle est en tant qu'âmes désincarnées.

Le Rambo''n et les autres Ri`shônim ne sont pas gênés par ce problème. Ils croient que les lois de la science sont soumises aux caprices de leur créateur. Si HaShem le décide, alors bien que de nos jours les règles fonctionnent d'une certaine manière, quand Il sera prêt, Il changera les règles et créera un nouveau système de physique en vertu duquel notre corps pourra vivre pour toujours, et en tant qu'êtres humains à part entière nous pourrons jouir éternellement de la splendeur de la Shakhinoh.

Un autre point de divergence philosophique concerne la relation entre le corps et l’âme. Le Rambo''m nous dit qu'une des raisons pour lesquelles il parvient à la conclusion que le ´ôlom Habbo` ne doit pas être physique est que la récompense ultime ne peut pas être appréciée par celui qui est pris au piège dans un corps. Le Rambo''m, comme de nombreux autres philosophes, estime que le corps finit par entraîner l'âme vers le bas. Le seul vrai plaisir est la contemplation de HaShem et une âme est limitée dans sa capacité à se connecter avec HaShem car elle est distraite par la physicalité de son corps. Bien sûr, si la récompense ultime ne peut être appréciée que par une âme pure sans entraves de son corps, nous ne pouvons pas avoir de corps dans le monde à venir.

D'autres Rishonim, cependant, comprennent que la récompense ultime peut être appréciée par un corps et par une âme. Plusieurs philosophes juifs demandent pourquoi nous avons un corps dans le monde à venir. Ribbénou Yôséph `albô ז״ל explique, selon cette opinion, que, selon le principe de la justice divine, puisque le corps aide l'âme à accomplir les Miswôth dans ce monde, il est juste que HaShem récompense le corps aussi bien que l'âme. Par conséquent, nous devons avoir un corps dans le monde à venir. Il va plus loin en expliquant l'opinion de ceux qui pensent que nous aurons un corps dans le monde à venir, en disant qu'une âme a besoin d'un corps pour atteindre sa perfection ultime.

Sur un niveau existentiel, nous pouvons voir cette Mahlôqath comme l'expression d'un désaccord fondamental sur la manière de percevoir un être humain. Qu'est ce qu'un être humain ? Selon un avis, un être humain est une âme dans un corps. L'être humain idéal est un corps gouverné, contrôlé, correctement canalisé et focalisé par l'âme. Cependant, un être humain n'est un être humain que parce qu'il combine corps et âme. De cette façon, un être humain vaut mieux qu'un ange. Un ange est purement spirituel. Un être humain peut prendre sa spiritualité et la fusionner avec sa physicalité. La vraie perfection de l'âme réside dans sa propre relation avec le corps. Si tel est le cas, le corps et l'âme méritent de vivre cette perfection et d'être récompensés physiquement et spirituellement dans le monde à venir.

Toutefois, le Rambo''m explique » en de nombreux endroits que le but ultime d'un être humain est intellectuel (ce qui pour le Rambo''m est équivalent au spirituel), c’est-à-dire la connaissance et la contemplation de HaShem. Selon le Rambo''m, un être humain est essentiellement une âme. Le corps est une caractéristique supplémentaire avec laquelle un être humain est né dans ce monde; mais le véritable être humain est l'âme qui est emprisonnée dans le corps. Ensuite, bien sûr, dans le ´ôlom Habbo`, nous devrions être libérés de ce handicap et n'être plus que des âmes.

Le Rambo''m reconnaîtrait que l'âme utilise le corps pour survivre et servir HaShem dans ce monde; mais ce n’est pas le vrai soi de la personne, mais simplement un objet externe utilisé par la personne. Nous ne nous attendrions pas à ce que la récompense dans le ´ôlom Habbo` inclue le marteau utilisé par celui qui construit une Soukkoh ou le couteau utilisé par un Shôhét, car il ne s'agit que d'un outil et ne fait pas partie de soi. De même, le corps est un outil utile, mais finalement pas plus que cela. C’est peut-être l’essentiel du débat: le corps est-il un outil ou une partie de l’identité ?