vendredi 3 janvier 2020

Le concept de Moro` Dha`athro`


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Le concept de Moro` Dha`athro`


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Dans ce nouvel article, nous allons traiter du concept du מָרָא דְאַתְרָא « Moro` Dha`athro` », expression araméenne qui signifie « Le Maître du Lieu » et qui est le titre accordé à la plus grande autorité religieuse et halakhique d'un endroit.

Comme l'indique l'appellation elle-même, les autorités halakhiques sont traditionnellement régionales ou géographiques. Le rabbin local est l'autorité de la communauté toute entière. Le Moro` Dha`athro`, comme le définit le Talmoudh, est l'autorité rabbinique locale à laquelle toutes les questions halakhiques doivent être adressées.

La notion de Moro` Dha`athro` a de nombreuses implications. Du point de vue d'un profane, le plus surprenant est peut-être le droit d'une communauté à suivre son rabbin, même contre l'opinion majoritaire. Le Talmoudh célèbre ce droit. La Mishnoh, au début du dix-neuvième chapitre de Shabboth, rapporte une Mahlôqath quant à savoir quelles sont les Malo`khôth autorisées pour se préparer à une Barith Miloh le Shabboth. Alors que toutes les opinions s'accordent à dire qu'une Barith Miloh qui est réalisée le huitième jour a priorité sur le Shabboth, la position majoritaire est que l'on ne peut pas transgresser le Shabboth pour préparer des outils pour la Barith Miloh. Cependant, Ribbi `ali´azar ז״ל le permet. Commentant cela, la Gamoro`1 déclare :

En ce qui concerne cette question, les Hakhomim ont enseigné dans une Barrayto` : Dans la localité de Ribbi `ali´azar, où ils suivaient sa décision, ils coupaeint même des arbres le Shabboth pour en faire du charbon de bois afin de façonner des outils de fer avec lesquels circoncire un enfant le Shabboth.

La Gamoro` rapporte ainsi, sans scrupules, que ceux qui vivaient dans la ville de Ribbi `ali´azar suivaient sa position minoritaire. La Gamoro` continue ensuite avec l'histoire de Ribbi Yôsé le Galiléen ז״ל qui a tranché, encore une fois en position minoritaire, qu'il était permis de manger de la volaille avec du lait, et ses Talmidhim se conduisaient conformément à son opinion :

Dans la localité de Ribbi Yôsé le Galiléen, ils mangeaient de la viande de volaille avec du lait, car Ribbi Yôsé le Galiléen estimait que l'interdiction de la viande avec du lait n'inclut pas la volaille. La Gamoro` raconte : Il est arrivé que Léwi s'est rendu à la maison de Yôséph le chasseur. Ils lui ont servi la tête d'un paon avec du lait mais il n'a pas mangé. Lorsque Léwi s'est présenté devant Ribbi Yahoudhoh Hannosi`, ce dernier lui a dit : « Pourquoi n'as-tu pas excommunié ces gens qui mangent de la volaille au lait, contrairement au décret des Hakhomim ? ». Léwi lui dit : « C'était dans la localité de Ribbi Yahoudhoh ban Bathéro`, et je me suis dit : ''Peut-être leur a-t-il enseigné que la Halokhoh est conforme à l'avis de Ribbi Yôsé le Galiléen, qui autorise la consommation de viande de volaille avec du lait'' ».

La Gamoro` va ensuite plus loin, rapportant que ceux qui ont suivi ces positions minoritaires ont été récompensés pour leur attachement aux décisions de leurs rabbins, bien que selon la majorité des rabbins, ils violaient des interdictions importantes :

R. Yishoq a dit : Il y avait une ville en `aras Yisro`él où ils agissaient conformément à l'avis de Ribbi `ali´azar en ce qui concerne la Barith Miloh, et ils mourraient à l'heure fixée pour eux et pas plus tôt, en récompense de leur affection pour cette Miswoh. Et non seulement cela, mais à une occasion, le méchant empire, Rome, a publié un décret contre le peuple juif interdisant la Barith Miloh; mais contre cette ville, il n'a pas publié le décret.

La question naturelle qui se pose est donc celle-ci : Pourquoi l'autorité du rabbin local prévaut-elle sur la règle normale de la majorité ? Le Ritva''` ז״ל cite le Ra`ava''d ז״ל, qui fait deux points essentiels.

Le premier est que la discussion du Talmoudh se limite aux cas où il n'y a pas eu de vote formel pour établir la Halokhoh acceptée. S'il y en a eu un, le rabbin local doit alors céder. Cela résout le problème formel de l'exigence de la Tôroh de אַחֲרֵי-רַבִּים, לְרָעֹת (suivre la majorité).2

Deuxièmement, il soutient que les membres de la ville sont obligés de suivre leur rabbin en vertu de l'interdiction de לֹא תָסוּר, מִן-הַדָּבָר אֲשֶׁר-יַגִּידוּ לְךָ--יָמִין וּשְׂמֹאל « Ne t'écarte pas de la chose qu'ils t'auront dite, ni à droite ni à gauche ».3 S'ils sont ainsi obligés de suivre l'autorité locale, ils ont évidemment le droit de le faire même contre la majorité. Cette position est assez nouvelle, car ce verset est généralement limité aux décisions du Sanhédhrin, la cour suprême rabbinique, ou peut-être au consensus des autorités légales qui prend sa place lorsque le Sanhédhrin n'existe pas.

Indépendamment de la provenance exacte de cette autorité, il est clair que le Talmoudh attend de la personne moyenne qu'elle suive son rabbin local.

Ailleurs, le Talmoudh note que les rabbins s’abstenaient de trancher dans les endroits où il y avait un rabbin au pouvoir. Par exemple, le Talmoudh4 rapporte que Rov ז״ל s'est abstenu de désapprouver publiquement Shamou`él là où Shamou`él ז״ל avait autorité. Ailleurs5, le Talmoudh rapporte que Rov a détourné une fois son visage lorsque Shamou`él a statué que quelque chose était autorisé que Rov avait pourtant interdit. Le Talmoudh écrit que Rov devait se détourner pour qu'il soit clair qu'il n'était pas d'accord avec Shamou`él, mais il n'a pas exprimé son opposition par respect pour l'autorité locale de Shamou`él. Alors que le Mé`iri ז״ל explique que Rov ne l'a fait que parce que l'interdiction en question était rabbinique, le Ritva''` soutient que dans tous les cas où un rabbin ne croit pas que son collègue a commis une erreur pure et simple, mais plutôt une erreur de jugement dans une affaire qui n'est pas noire ou blanche, il n'est pas autorisé à contester l'autorité locale.

Bien que la portée exacte de l'autorité du rabbin local ne soit pas claire, son existence n'est pas contestée. Le Rama''`6 ז״ל, citant le Mahari''q7 ז״ל, ajoute plusieurs restrictions. Par exemple, il écrit qu'un rabbin en visite ne peut exercer aucune fonction rabbinique qui priverait le rabbin local de sa Parnosoh; il ne peut pas non plus émettre de décisions rituelles, faire des sermons ou prendre des prérogatives rabbiniques. D'un autre côté, le Rama''` écrit qu'un rabbin qualifié peut installer son propre Béth Din dans la région. Les implications complètes de ce principe dépassent le cadre de cet article, mais ces exemples devraient être suffisants pour indiquer l'importance du Moro` Dha`athro`.

Cependant, le contrôle intense exercé par le rabbin local a été fortement amputé, et ce pour plusieurs raisons :

Premièrement, l'aliénation des masses vis-à-vis de la Halokhoh a diminué la « localité » sur laquelle le rabbin local est « maître ». Alors qu'autrefois il était le chef suprême de la communauté locale toute entière, aujourd'hui dans la plupart des cas il n'est plus le maître que de la synagogue où il officie. Mais même pour le Juif religieux, le téléphone et la voiture ont vidé de son sens le mot « ville » ou « localité ».

En Grande-Bretagne et dans l'État d'Israël, le maintien d'un grand rabbinat a considérablement réduit le rôle du Moro` Dha`athro` traditionnel. En effet, les grands rabbins eux-mêmes sont souvent considérés comme le Moro` Dha`athro` de tout le pays, retirant ainsi de fait une grande partie de l’autorité des rabbins locaux.

Enfin, l'émergence des Ro`shé Yashivôth en tant que décisionnaires halakhiques dont l'autorité transcende les frontières géographiques et, plus encore, les murs de la Yashivoh individuelle, a beaucoup contribué à la quasi-disparition du Moro` Dha`athro` traditionnel. Non seulement leurs Talmidhim et les moins religieux se tournent vers les Ro`shé Yashivôth, mais même le rabbin local, le Moro` Dha`athro`, en tant qu'ancien Talmidh, se tourne également vers eux pour un Pasaq Din et des conseils. En effet, le téléphone a beaucoup fait pour défaire le rôle et la stature du Moro` Dha`athro` ancien. Il semblerait donc que le Moro` Dha`athro` au sens traditionnel survit aujourd'hui principalement dans de petites communautés ou dans des communautés éloignées des principaux centres du judaïsme contemporain (Israël et les États-Unis) où il n'y a pas de grand rabbinat.

1Shabboth 130a ; voir aussi Houllin 116a
2Shamôth 23:2 ; Bavo` Masi´a` 59b
3Davorim 17:11 ; Shabboth 23a
4Pasohim 30a
5´érouvin 94a
6Yôréh Dé´oh 245
7Shou''th Mahari''q 169