dimanche 26 avril 2020

La « Qabboloh » interdit-elle de croiser ensemble les doigts des mains ?


בס״ד

La « Qabboloh » interdit-elle de croiser ensemble les doigts des mains ?


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Dans un article de Halokhoh pour séfarade (mais la pratique décrite ci-dessous est également adoptée par de nombreux ashkénazes), publié par un célèbre rabbin d'origine syrienne vivant aux USA, nous pouvons lire ceci :

Le Zohar HaKadosh, dans Vayikra (p. 24), écrit que lorsqu'un jugement sévère est prononcé contre une personne, que Dieu nous en préserve, ses doigts se mettront involontairement à bouger et les doigts de ses deux mains se croiseront. Comme les mains imbriquées l'une dans l'autre sont un signe de jugement sévère, il est inapproprié pour une personne de tenir intentionnellement ses mains dans cette position. Le Ben Ish 'Hai (Rav Yosef 'Haim de Bagdad, 1833-1909), dans Parashat Pin'has (18), cite cette Halakha au nom du Arizal (Rav Yis'hak Louria de Safed, 1534-1572). Cela est également mentionné dans d'autres sources, notamment le Sefer Ha'hassidim (par Rabbenou Yehouda Ha'hassid, Allemagne, décédé en 1217) et le Kaf Ha'haim (Rav Yaakob 'Haim Sofer, Bagdad-Israël, 1870-1939) . Ainsi, s'il est permis de placer une main au-dessus de l'autre, il ne faut pas imbriquer les doigts des deux mains.

Le Ben Ish 'Hai va encore plus loin, écrivant qu'il ne faut jamais placer ses mains derrière son dos, et plutôt les garder devant soi à tout moment. En effet, il existe différents types de pouvoirs spirituels associés au positionnement des mains et des doigts, comme Rabbenou Ba'hya en parle longuement.

Le Sefer Hazekhira mentionne que ceux qui sont habitués à imbriquer leurs doigts courent le risque de ressentir une anxiété extrême, que Dieu nous en préserve.

Il y a de nombreux avertissements de ce genre que nous entendons quand nous sommes enfants, et beaucoup de gens sont incapables de faire la distinction entre ceux qui proviennent du folklore et de la superstition, et ceux qui ont une base claire dans la tradition juive. En ce qui concerne le croisement des doigts les uns dans les autres, c'est un avertissement bien documenté qui provient déjà du Zohar et des enseignements du Arizal.

En Résumé: Selon la tradition kabbalistique, il ne faut pas croiser ses mains de telle sorte que les doigts des deux mains s'emboîtent. Selon certaines sources, il faut également s'abstenir de placer ses mains derrière son dos.

Tout le monde religieux ne se soucie pas de cette pratique enracinée dans la « Qabboloh ». Voir l'image d'illustration de cet article, où nous voyons le Rov Elyashiv croisant ses mains ensemble, avec des doigts entrelacés. (Et voir ici pour une discussion en hébreu à ce sujet. Au moins une personne semble croire que l'image a été PhotoShoppée, car il est impossible, d'après elle, que le Rov Elyashiv fasse une telle chose !)

Commençons peut-être par le Talmoudh, qui dit totalement l'inverse. Les sources kabbalistiques pourraient enseigner qu'agir de la sorte serait interdit, mais les sources talmudiques enseignent le contraire. La Gamoro` de Shabboth 10a dit ceci :

Ravo`, fils de Rov Houno`, mettait des bas et priait en citant « prépare-toi à rencontrer, etc. ». Ravo` ôtait sa cape, joignait les mains et priait en disant : « [Je prie] comme un esclave devant son maître ». Rov `ashi a dit : « J'ai vu Rov Kahano`, quand il y avait des problèmes dans le monde, retirer sa cape, joindre ses mains et prier en disant : ''[Je prie] comme un esclave devant son maître''. Quand il y avait la paix, il la mettait, se couvrait et s'enveloppait et priait, citant: ''Prépare-toi à rencontrer ton D.ieu, ô Israël'' ».
רבא בר רב הונא רמי פוזמקי ומצלי אמר הכון לקראת וגו' רבא שדי גלימיה ופכר ידיה ומצלי אמר כעבדא קמיה מריה אמר רב אשי חזינא ליה לרב כהנא כי איכא צערא בעלמא שדי גלימיה ופכר ידיה ומצלי אמר כעבדא קמי מריה כי איכא שלמא . לביש ומתכסי ומתעטף ומצלי אמר הכון לקראת אלהיך ישראל

Commentant ce passage talmudique, Rash''i définit l'expression פכר ידיה comme voulant dire « joindre les mains avec les doigts entrelacés ».

Qu'en est-il alors du Zôhar ? Sachez qu'il y a une règle bien établie et acceptée par tout le monde, qui est que là où le Zôhar contredit le Talmoudh, nous devons suivre le Talmoudh. Mais en fait, le Zôhar n'interdit pas de se croiser les mains avec les doigts entrelacés. Le Zôhar, dans Wayyiqro` 24a, dit ceci :


Traduction :

411. Lorsque le Jugement est rendu complet et repose sur l'homme, il est conclu, et les doigts sont placés cinq contre cinq, la droite à l'intérieur de la gauche, pour indiquer que tout le monde se soumet à ce Jugement. Puis ses mains se redressent; c'est-à-dire que les doigts sont entrelacés, ce qui montre que cela a été fait sans l'intention de l'homme et sans qu'il n'ait voulu le faire. Il est donc écrit :1 « Ta main droite, ô Hashshém, est glorieuse en puissance : Ta main droite, ô Hashshém, a brisé l'ennemi en morceaux », CE QUI SIGNIFIE que la gauche était incluse dans la droite et le jugement est complet. Ensuite, tout est résolu. Par conséquent, lorsque le Saint, béni soit-Il, souhaite que tout soit réglé, il est écrit :2 « Hashshém a juré par Sa main droite et par le bras de Sa force. vos ennemis, etc. ».

Autrement dit, entrelacer les doigts de chaque main ensemble ne cause pas le mauvais jugement. Au contraire, en cas de mauvais jugement, les mains se joignent inconsciemment de cette manière. C'est la différence entre dire que l'on cligne des yeux quand quelqu'un y jette du sable, et dire que cligner des yeux oblige les gens à y jeter du sable. Il n'y a donc pas de contradiction entre le Zôhar et le Talmoudh sur ce point !

Ensuite, par ordre chronologique, ce Rov d’origine syrienne cite le Séphar Hahasidhim, de Ribbénou Yahoudhoh Hahosidh (Allemagne, d. 1217), qui dit qu'il est inapproprié de placer ses mains dans cette position. Sachez qu'il existe un certain nombre d'innovations dans le Séphar Hahasidhim et dans le testament de Ribbénou Yahoudhoh Hahosidh. Elles ne sont pas obligatoires, mais des personnes pieuses peuvent les adopter si elles le souhaitent.

Mais ce n'est pas le seul cas où quelque chose dans le Séphar Hahasidhim contredit explicitement le Talmoudh et la pratique des Hakhomim du Talmoudh. En effet, le Nôdha´ Biyhoudhoh note de telles contradictions. Par exemple :

  1. Le Séphar Hahasidhim dit qu'il ne faut pas épouser sa nièce. Le Talmoudh, quant à lui, le recommande fortement.
  2. Le Séphar Hahasidhim dit qu'il ne faut pas épouser une personne qui aurait le même nom qu'un de ses parents. Le Nôdha´ Biyhoudhoh donne de nombreux exemples de Hakhomim du Talmoudh qui ont précisément fait cela. (Par exemple, Rami avait un beau-père nommé Rami.)
  3. Il s'agit donc du troisième exemple de ce type : joindre les mains de sorte que les doigts s'entrelacent.

En outre, diverses instructions, telle que celle-ci, n'étaient destinées qu'aux descendants directs de Ribbénou Yahoudhoh Hahosidh. Il n'a jamais rédigé son testament dans le but que d'autres suivent, de manière générale, ses instructions et innovations, qui sont motivées par des raisons kabbalistiques qu'il ne dévoile pas.

Le Kaph Hahayyim et le Ban `ish Hay ont évidemment une approche différente, et ils en ont le droit. Mais cela ne signifie pas que cela incombe à tout le monde parce qu'eux pensent comme cela. Il s'agit d'un différend quant aux limites de la Halokhoh et de la Qabboloh. Même si le `ar''i soutient qu'il ne faudrait pas croiser ses mains de cette manière, il existe d'innombrables innovations du `ar''i qui ne sont suivies par personne, même parmi de grands kabbalistes.

Le ´oroukh Hashshoulhon rapporte comme Halokhoh pratique3 qu'en temps de difficultés ou de catastrophes déchaînées, on devrait justement prier avec nos mains jointes et les doigts entrecroisés. Cependant, dit le ´oroukh Hashshoulhon, en temps de paix vous ne devriez pas le faire car cela fait tomber le Din Shomayim sur vous.

Cette distinction que fait le ´oroukh Hashshoulhon proviendrait, à première vue, directement de la Gamoro` de Shabboth mentionnée ci-dessus, avec les deux pratiques différentes, à l'époque de la difficulté par rapport à celle de la paix, de Rov Kahano`. Dans le premier cas, il retirait sa cape et joignait ses mains. Dans le deuxième cas, il s'enveloppait dans le Talith. Mais notez cependant que Ravo` ne faisait pas une telle distinction. Je suppose que quelqu'un a été dérangé par la contradiction de la pratique kabbalistique par rapport à celle du Talmoudh qui enseigne l'inverse, et a saisi la pratique différente de Rov Kahano` comme un moyen d'harmoniser les deux sources. (En regardant plus loin, il semble que ce soit ce que dise le Ta''z.) Notez aussi que le Talmoudh ne fait pas, au niveau d'une simple lecture, la distinction entre entrelacer et ne pas entrelacer comme faisant tomber le jugement sur le monde. Il s'agit plutôt d'enlever sa cape ou de s'en revêtir. Dans les moments difficiles, il se dépouillait du manteau, se rendant davantage semblable à un serviteur et prenait la pose d'un serviteur suppliant. En temps de paix, il n'y en avait pas besoin, alors il s'enveloppait dans sa cape, pour une meilleure concentration.

En retournant à présent maintenant au ´oroukh Hashshoulhon, nous voyons qu'il admet lui-même que Ravo` n'a pas fait une telle distinction. Pourtant, malgré cette admission, il déclare ce qui est dit ci-dessus. Pour ceux qui veulent le passage intégral du ´oroukh Hashshoulhon pour vérifier par eux-mêmes, le voici :

סימן צא סעיף ז

וכתבו רבותינו בעלי השולחן ערוך בסעיף ו:

דרך החכמים ותלמידיהם שלא יתפללו אלא כשהם עטופים. ובעת הזעם יש לחבק הידים בשעת התפילה כעבדא קמי מאריה. ובעת שלום יש להתקשט בבגדים נאים להתפלל.

עד כאן לשונו, וכבר כתבנו מזה. ו"חיבוק ידים" הוא שחובק אצבעות ידיו זה בשל זה, כאדם ששובר אצבעותיו כשמצטער. ויש מהחכמים שהיו עושים כן גם בעת שלום (רבא בשבת י א). ומכל מקום יש ליזהר שלא לחבוק אצבעותיו בעת שלום, כי בזה מוריד דין על עצמו. אלא יניח ידיו זו על זו כפותין (הגר"ז).

ואין טבעי בני אדם שוים בזה. ויש שקשה עליהם להתפלל באופן זה, אלא מניחים הידים על הסטענדע"ר או על הדף הדבוק בכותל. ואין כלל קבוע בזה, וכל אחד יעשה כפי מה שמוטב לו להתפלל באופן זה. ולא יתפלל בבתי ידים (האנטשו"ך).

Il y a d'autres sources halakhiques que je n'ai pas mentionnées. Mais c'est un exemple classique illustrant comment certains utilisent des enseignements kabbalistiques inexistants et les répandent comme si c'était la Halokhoh normative qui incomberait à tout le monde. Que ce soit du point de vue du Talmoudh ou de celui du Zôhar, il n'y a aucune interdiction ou négativité à croiser ses mains de sorte que les doigts s'entrecroisent !

Cela nous montre à quel point il faut être prudent, et surtout développer un esprit critique où chaque source est d'abord soigneusement analysée avant d'accepter quelque enseignement que ce soit, même venant d'un rabbin important !
1Shamôth 15:6
2Yasha´yohou 62:8
3`ôrah Hayyim 91:7