dimanche 12 avril 2020

Statut d'un Juif transgenre


בס״ד

Statut d'un Juif transgenre


Cet article peut être téléchargé ici.

J'ai reçu la question suivante :

Bonjour monsieur---je suis transgenre, né homme mais devenu femme grâce à la science médicale. Je suis Juive. Quel est mon statut devant HaShem ? Et suis-je agréée par HaShem ou bien me prend-t-Il en aversion ?

Je vous précise que depuis ma naissance, je me suis toujours ressentie féminine-une femme dans le corps d'un homme--tout simplement invivable!...Mais toujours, je suis restée attachée à HaShem et à la Torah.

Maïmonide est mon meilleur repère spirituel.

Merci pour votre aide.

Je dois admettre que c'est la question la plus délicate qui m'ait été posée jusqu'à présent, pour la simple raison qu'il y a généralement beaucoup d'a priori sur les questions posées.

Au sein de la communauté juive, beaucoup de gens transgenres ont été exclus, marginalisés, harcelés, voire pire encore. Et la plupart du temps, cela provient d'une méconnaissance de ce qu'est un transgenre, terme qui est souvent confondu avec d'autres notions. Par conséquent, nous nous devons de traiter de ce sujet sans a priori ou fausses idées préconçues, mais d'une manière authentiquement juive, avec savoir et intelligence.

Parmi les difficultés évidentes que pose le sujet du transgenre est le fait que nous n'avons pas dans le langage religieux traditionnel de mot pour en discuter.

Un deuxième problème est qu'on prend souvent trop de raccourcis lorsqu'on traite de ce sujet sensible. Certains résument un transgenre à « un homme qui a changé de sexe pour devenir une femme » ou vice-versa. Or, le transgenre est beaucoup plus qu'un changement de sexe. Un homme transgenre (né femme), par exemple, a très probablement eu une identité de genre masculine, certainement dès son plus jeune âge et très probablement depuis sa naissance - même s'il ne le savait peut-être pas ou n'y a donné suite que bien plus tard. En outre, contrairement à ce qu'on dit, dans de nombreux cas, l’identité de la personne n’a pas changé et n’est pas modifiée, ni par la chirurgie, ni par l’hormonothérapie, ni par la psychothérapie. Il est possible de modifier pharmacologiquement le milieu hormonal interne du corps et l'apparence anatomique du corps pour se conformer chirurgicalement à l'identité de l'individu, mais l'identité semble constante.

En abordant les questions qui se posent concernant les personnes transgenres dans la vie juive, nous devons garder à l'esprit que bien que la Halokhoh traite des catégories, les rabbins et les halakhistes traitent des personnes, et que la communauté transgenre est un groupe de personnes vaste et diversifié.

Le défi auquel nous sommes confrontés est que, bien que la Halokhoh soit binaire en termes de genre (on ne parle que d'hommes et de femmes), les gens ne le sont pas. Les Rabbonim et Hakhomim du Talmoudh l'ont compris. Par conséquent, ils ont reconnu plusieurs types de personnes qui ne correspondaient pas au binaire masculin / féminin. Les deux types les plus souvent mentionnés sont le טֻמְטוֹם « Toumtôm » et le אַנְדְּרֻגִּינוֹס « `androugginôs » (androgyne). Le premier désigne quelqu'un qui n'a ni des organes masculins ni des organes féminins (parce que, notamment, une membrane empêche de connaître son genre), tandis que le deuxième désigne quelqu'un qui possède à la fois des organes masculins et féminins. Dans les deux cas, il y a un doute halakhique quant à savoir s'ils devraient être traités comme des hommes ou des femmes. Mais en plus de ces deux types, les Rabbonim et Hakhomim font également référence au סְרִיס חַמָּה « Saris Hammoh », un homme congénitalement stérile, ce qui pourrait faire référence à quelqu'un avec des testicules non descendus, ou à une personne stérile à la suite d'une maladie fébrile, et à la אַיְלוֹנִית « `aylônith », qui peut être ce que l'on appelle aujourd'hui « inversion du sexe féminin », (une personne de constitution génétique masculine avec des organes génitaux féminins typiques) causée par le syndrome d'insensibilité androgène partielle. Voir le Mishnéh Tôroh, où le Rambo''m (Maïmonide) mentionne ces différentes personnes.1

Les conditions exactes auxquelles les Rabbonim et Hakhomim faisaient référence par ces termes et les décisions halakhiques spécifiques qu'ils appliquaient ne sont pas pertinentes pour les questions m'ayant été posées, car aucune des personnes qu'ils ont mentionnées n'est ce que nous reconnaîtrions aujourd'hui comme transgenre. Par contre, ce qui est pertinent, c'est (1) qu'ils ont reconnu qu'il y avait des gens qui ne correspondaient pas au binaire halakhique, et (2) que les catégories de genre halakhiques ne leur étaient pas appliquées de manière cohérente et « transversale ». Autrement dit, pour un individu donné, certaines lois et restrictions ont été appliquées comme elles le seraient pour un homme et certaines lois et restrictions comme pour une femme. Ainsi, le chapitre 4 de la Mishnoh de Bikkourim énumère les façons dont un androgyne est traité à des fins halakhiques parfois comme un homme, parfois comme une femme, dans d'autres cas comme les hommes et les femmes à la fois, et dans d'autres cas encore comme ni les hommes ni les femmes mais plutôt comme un être unique à part. Ainsi, les questions de genre sont très difficiles à statuer d'un point de vue halakhique.

Pour une grande partie des textes rabbiniques sur les questions transgenres, nous trouvons le principe qu'une fois qu'une personne transgenre a fait la transition (ce qui, pour la plupart des Pôsaqim, nécessite une hormonothérapie et une chirurgie), elle est alors traitée comme le nouveau genre « à toutes fins halakhiques », maintenant ainsi le classification halakhique binaire du genre, car on ne peut pas créer d'autres catégories que « homme » ou « femme ». Par conséquent, il semblerait que dès lors qu'il y a une hormonothérapie et une chirurgie, on obtienne le statut du genre que l'on a adopté.

Comme cela a été mentionné plus haut, il y a souvent des malentendus sur ce qu'est un transgenre, car ce terme est soit réduit à un changement de sexe, soit confondu avec d'autres notions (comme, par exemple, l'homosexualité ou le travestissement). Je vais donc fournir ici une définition de termes permettant de ne pas faire d'amalgames :

  • Cisgenre : Terme utilisé pour décrire une personne dont l'identité de genre correspond à celles généralement associées au sexe qui lui a été attribué à la naissance.
  • Dysphorie de genre : Détresse cliniquement significative causée lorsque le sexe de naissance attribué à une personne n'est pas le même que celui auquel elle s'identifie.
  • Expression de genre : Apparence extérieure de l'identité de genre de quelqu'un, généralement exprimée par le comportement, les vêtements, la coupe de cheveux ou la voix, et qui peut ou non se conformer à des comportements et des caractéristiques définis par la société généralement associés au fait d'être masculin ou féminin.
  • Genre non conforme : un terme large désignant les personnes qui ne se comportent pas d'une manière conforme aux attentes traditionnelles de leur sexe ou dont l'expression de genre ne rentre pas parfaitement dans une catégorie.
  • Genre non-binaire : Les personnes non-binaires rejettent généralement les notions de catégories statiques de genre et adoptent une fluidité de l'identité de genre et souvent, mais pas toujours, de l'orientation sexuelle. Les personnes qui s'identifient comme « non-binaires » peuvent se considérer comme étant à la fois des hommes et des femmes, ni des hommes ni des femmes ou comme tombant complètement en dehors de ces catégories. Elles veulent être tout à la fois, ou rien à la fois, selon leurs désirs.
  • Transition de genre : Processus par lequel certaines personnes s'efforcent d'aligner plus étroitement leurs connaissances internes sur leur genre avec leur apparence extérieure. Certaines personnes effectuent une transition sociale, par laquelle elles peuvent commencer à s'habiller, utiliser des noms et des pronoms et / ou être socialement reconnues comme un autre sexe. D'autres subissent des transitions physiques dans lesquelles ils modifient leur corps par des interventions médicales telles que l'hormonothérapie ou la chirurgie.
  • Orientation sexuelle : Une attraction émotionnelle, romantique ou sexuelle durable inhérente ou immuable vers d'autres personnes.
  • Transgenre : Terme générique désignant les personnes dont l'identité et / ou l'expression de genre est différente des attentes culturelles en fonction du sexe qui leur a été attribué à la naissance. Être transgenre n'implique donc aucune orientation sexuelle spécifique. Par conséquent, les personnes transgenres ne sont pas à confondre avec les homosexuels, par exemple.
  • Transsexuel : Transsexuel se réfère à une personne qui éprouve un décalage entre le sexe sous lequel elle est née et le sexe auquel elle s'identifie. Un transsexuel subit parfois un traitement médical pour changer son sexe physique pour correspondre à son identité sexuelle par le biais de traitements hormonaux et / ou chirurgicalement. Tous les transsexuels ne subissent pas d'opération chirurgicale ou ne le souhaitent pas.
  • Travesti : Des individus qui portent régulièrement ou occasionnellement des vêtements socialement affectés à un sexe qui n'est pas le leur, mais qui sont généralement à l'aise avec leur anatomie et ne souhaitent pas la changer (c'est-à-dire qu'ils ne sont pas transsexuels). Contrairement à la croyance populaire, l'écrasante majorité des travestis masculins s'identifient comme hétérosexuels et sont souvent mariés. Très peu de femmes se disent travesties. Le travestissement est explicitement interdit dans la Tôroh, de façon, notamment, à ne pas causer de confusion sur l'identité et le genre, car on est soit homme ou femme et devons nous comporter selon le genre qui est le nôtre, et non adopter les manières de l'autre genre.
  • Chirurgie de réassignation sexuelle : Procédures chirurgicales qui changent le corps pour mieux refléter l'identité de genre d'une personne. Cela peut comprendre différentes procédures, y compris celles parfois appelées « chirurgie supérieure » (par exemple, augmentation mammaire ou mastectomie et reconstruction thoracique, rasage de la pomme d'Adam, remodelage du visage) ou « chirurgie inférieure » (altération des organes génitaux). Contrairement à la croyance populaire, il n'y a pas une seule opération; en fait, il existe de nombreuses chirurgies différentes. Ces chirurgies sont médicalement nécessaires pour certaines personnes, mais ce ne sont pas toutes les personnes qui veulent, ont besoin ou peuvent subir une intervention chirurgicale dans le cadre de leur transition.
  • Intersexuation : L'intersexuation fait référence à un groupe de conditions dans lesquelles il existe une différence entre l'anatomie génitale externe et les organes génitaux internes (les testicules et les ovaires). L'ancien terme pour cette condition était « l'hermaphrodisme ». De plus en plus, ce groupe de conditions est appelé « troubles du développement sexuel ». L'intersexualité fait généralement référence à la variation de l'anatomie génitale, mais toutes les conditions intersexuelles n'impliquent pas des organes génitaux ambigus. Certaines personnes intersexuées ont des organes génitaux externes typiques d'un sexe mais une anatomie interne de l'autre sexe. Certains ont des organes internes et externes d'un sexe mais la constitution génétique de l'autre. Parfois, la condition est apparente à la naissance et parfois ils ne découvrent leur condition que pendant l'adolescence, lorsque leur corps ne passe pas par la puberté de la manière habituelle. Il existe plusieurs dizaines de conditions, y compris (mais sans s'y limiter) l'hypospadias, le syndrome de Turner, l'hyperplasie surrénale congénitale, le syndrome de sensibilité aux androgènes, et le mosaïcisme des chromosomes sexuels, qui relèvent de la rubrique de l'intersexualité.

Le transgenre est donc à dissocier de l'orientation sexuelle et d'autres conditions susmentionnées. C'est souvent un problème survenant dès la naissance ou l'enfance pouvant causer de véritables souffrances physiques et psychologiques si une solution n'est pas trouvée (comme par exemple des traitements hormonaux, etc.). Il convient donc de très bien savoir de quoi l'on parle avant de catégoriser une personne dans telle ou telle catégorie, ou d'émettre des préjugés basés sur certains amalgames.

Pour la majeure partie de l'histoire humaine, l'anatomie génitale est considérée comme le meilleur et le plus fiable déterminant du genre de quelqu'un. Telle est également l'approche la plus communément suivie par les Rabbonim et Hakhomim. Une personne dont l'identité de genre différait de celle assignée à la naissance, presque toujours sur la base de l'anatomie génitale, peut être acceptée comme l'autre genre à condition que l'anatomie génitale soit modifiée chirurgicalement pour se conformer, dans la mesure médicalement possible, au nouveau genre. C'est la situation à laquelle le Sis `ali´azar (Rabbi `ali´azar Waldenberg, 1915-2006), le Pôséq le plus érudit de notre génération sur les questions médicales, a fait face dans une de ses lettres concernant un nourrisson de sexe génétiquement masculin né avec des organes génitaux ambigus.2 Le Rov Waldenberg, cependant, a déclaré que ce ne sont que les organes génitaux réels, et non les approximations créées chirurgicalement, qui sont déterminantes :

Il est donc clair que seuls les organes externes réels qui sont différents chez l'homme et la femme sont déterminants dans la pratique.
ולכן ברור שרק האברים הממשיים החיצוניים המשונים בין זכר לנקבה המה הקובעים בזה למעשה.

Son approche n'est pas précisément que l'anatomie sexuelle détermine le genre. Au contraire, il dit que le genre dépend entièrement de la présence ou de l'absence d'un pénis « normal » : à des fins halakhiques, si vous en avez un, vous êtes pleinement un homme, sinon, vous ne l'êtes pas (entièrement), bien que vous ne soyez pas non plus une femme, mais comme dans la plupart des cas, vous serez assignée et traitée comme une femme, vous pourriez aussi bien subir une intervention chirurgicale qui vous fera paraître plus féminine. Ce qui vous classera alors dans la catégorie des « femmes ». Tout comme si un androgyne subit une chirurgie pour retirer l'un de ses deux organes sexuels pour n'en garder plus qu'un, il sera alors considéré comme faisant partie du genre auquel appartient l'organe sexuel qu'il a conservé. De même en est-il du Toumtôm : s'il subit une chirurgie pour retirer la membrane qui cache son sexe et empêche de connaître son genre avec certitude, et que cela révèle ses organes génitaux, il sera alors retiré de la catégorie des personnes sur qui existent un doute et sera considéré en fonction de l'organe génital ayant été vu lorsque la membrane a été retirée. Tout est donc fonction des organes génitaux qu'une personne possède.

Malgré les difficultés à attribuer le genre sur la base de l'anatomie, cela reste un paramètre extrêmement important, comme en témoigne le désir de nombreuses personnes transgenres de subir une intervention chirurgicale pour modifier leurs organes génitaux même si, dans la plupart des situations de la vie quotidienne, qu'elles aient ou non eu la chirurgie n'est connue de personne d'autre qu'eux-mêmes et leurs partenaires intimes.

Ainsi, tout dépend des organes génitaux que vous avez actuellement. Si vous avez gardé les organes génitaux mâles avec lesquels vous êtes né, vous êtes donc halakhiquement parlant un homme ; si vous les avez chirurgicalement modifiés pour avoir les organes génitaux d'une femme, vous êtes alors halakhiquement considérée être une femme.

Mais il convient toutefois de signaler que les Pôsaqim contemporains qui se sont penché sur la question tranchent qu'une personne qui change de sexe ne pourrait pas se marier ou que si le changement de sexe avait eu lieu pendant que la personne était mariée cela annule de fait le mariage.3 Cela, pour éviter une potentielle relation sexuelle homosexuelle.

  • En résumé

Aucune des dimensions de sexe / genre mentionnées ci-dessus n'est strictement binaire, et il n'y a pas nécessairement de corrélation entre les différentes dimensions. Il y a des incongruités et des « décalages » dans la vie. Ceci est cohérent avec la compréhension rabbinique que même si les catégories de genre halakhiques sont binaires, les gens ne le sont pas. Pour cette raison, lorsque des questions halakhiques liées au genre se posent, nous devons approcher les personnes concernées en tant qu'individus, en reconnaissant qu'il y aura des incohérences, des incongruités et des contradictions, et comprendre leurs conditions pour réellement savoir qui ils sont véritablement et dans quelle catégorie les classer. Pour la grande majorité de ces questions, l'identité de genre constituera le critère le meilleur et le plus approprié. Il est le plus étroitement aligné avec le sens de soi de cette personne, son essence d'âme et le plus conforme aux principes de respect, d'honneur et de dignité. Chez les nourrissons, il convient d'attribuer le genre sur la base de l'anatomie, sachant que dans la majorité des cas, il correspondra à l'identité de genre, tout en reconnaissant que dans un nombre important de personnes, ce ne sera pas le cas. Une fois qu'une personne, un enfant, un adolescent ou un adulte a la compréhension et le vocabulaire nécessaires pour affirmer sa véritable identité de genre, c'est ce qui doit être respecté. L'adoption de cette stratégie par les Rabbonim et Hakhomim ne consiste pas à accéder à « tout ce que les gens veulent ». Les personnes transgenres ne « choisissent » pas ou ne « veulent » pas leur identité de genre, pas plus que les personnes cisgenres ne choisissent ou ne veulent la leur. Il s'agit plutôt d'un élément essentiel de l'être d'une personne et ne semble pas faire l'objet de tentatives délibérées de changement. La confusion vient souvent dans le fait de confondre un transgenre avec des notions telles que l’homosexualité, la transsexualité, le genre non-binaire ou encore le travestissement, qui sont, contrairement au transgenre, des choses qu'on choisit d'être ou de faire, et qui sont des déviances.
1Hilkôth `ishouth Chapitre 1 et 2.
2Sis `ali´azar 11:78
3Voir le Minhath Hinoukh.