lundi 11 mai 2020

Halokhoh sur la chirurgie esthétique - 1ère Partie


בס״ד

Halokhoh sur la chirurgie esthétique

Première Partie



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§  Introduction

Nous allons publier deux articles sur la permissivité ou pas de subir une chirurgie esthétique. Pour se faire, nous allons parcourir quatre ashouvôth classiques de quatre éminents Pôsaqim du 20ème siècle. Bien que la chirurgie esthétique n’existait pas dans les temps bibliques et talmudiques, il existe de très nombreux principes bibliques et talmudiques sur lesquels s’appuyer, et qui sont disséminés à travers ces quatre ashouvôth que nous analyserons minutieusement de façon à obtenir une perspective large et complète sur le sujet. Cela nous montrera à nouveau comment il est possible de trancher sur des questions contemporaines tout en se basant sur des sources anciennes, bien que la situation à laquelle nous sommes confrontés n’existait pas forcément aux époques antérieures.

Nous présenterons dans cette première partie les deux premières ashouvôth sur le sujet.

§  Horov Môshah Feinstein

On a demandé à Rov Môshah Feinstein en 1964 s'il était permis à une jeune femme de subir une chirurgie plastique afin d'améliorer ses chances de trouver un Shiddoukh approprié.[1] Rov Môshah a autorisé la chirurgie sur la base de la définition du Rambo’’m ז״ל de l'interdiction de חַבָּלָה « abboloh » (causer une blessure).[2] En général, la ôroh interdit de blesser une autre personne[3] et la Gamaro`[4] déclare que cette interdiction s'applique même au fait de se blesser soi-même. Le Rambo’’m écrit que cette interdiction ne s'applique que lorsqu'elle est réalisée דֶּרֶךְ נִצָּיוֹן « de manière belliqueuse ». Ceci est très significatif car cela indique que le Rambo’’m tranche conformément à la position tannaitique selon laquelle il est interdit à un individu de se blesser. Rov Môshah déduit donc du Rambo’’m (puisqu’il ajoute דֶּרֶךְ נִצָּיוֹן « de manière belliqueuse ») que si la blessure est faite de manière bénéfique, l'interdiction de abboloh (aussi bien pour les autres que pour soi-même) ne s'applique pas. Un individu peut se blesser s'il le fait à son profit.

Rov Môshah cite quatre sources talmudiques pour appuyer la décision du Rambo’’m. Premièrement, la Gamaro`[5] rapporte que lorsque Rov isdo` ז״ל marchait au milieu d’épines, il relevait son pantalon pour que sa peau soit écorchée plutôt que ses vêtements. Rov isdo` s’est justifié en expliquant que la peau se guérit et se reconstitue, ce qui n’est pas le cas des vêtements. On voit ainsi que l'interdiction de se blesser ne s'applique pas si cela ne se fait pas de manière belliqueuse.

Deuxièmement, aussi bien le aNa’’Kh[6] que la Gamaro`[7] condamnent l'individu qui a refusé de suivre l'ordre de Mikhoh Hannovi` (communiqué par Hashshém ית׳) de blesser le Novi`. Il fallait que Mikhoh paraisse blessé pour mettre en avant un certain point dans une exhortation qu'il adresserait au roi `a`ov. Nous voyons ainsi que blesser dans un but positif (dans ce cas, l'accomplissement du commandement divin) est permis car cela ne se fait pas de manière belliqueuse. On pourrait cependant remettre en question cette preuve, car un commandement divin semble suspendre une interdiction.

Troisièmement, la Gamaro`[8] déclare que l'on est autorisé à effectuer une saignée sur son père. La Gamaro` cite le célèbre Posouq וְאָהַבְתָּ לְרֵעֲךָ כָּמוֹךָ « aime ton semblable comme toi-même »[9] comme source de cette décision. Rash’’i ז״ל explique : « Il nous est seulement interdit de faire aux autres ce que nous ne voudrions pas que nous soit fait ». Rov Môshah explique que les blessures bénéfiques telles que la saignée sont quelque chose que tous les gens [prudents] veulent qu’on leur fasse si nécessaire et par conséquent, cela n'est pas inclus dans l'interdiction de blesser les autres. Nous voyons donc que les blessures à des fins bénéfiques sont autorisées.

Quatrièmement, la Mishnoh[10] parle de quelqu'un qui avait un doigt supplémentaire et l'a retiré. Cette Mishnoh n'ajoute pas les mots « même si l'on n'a pas le droit de le faire ». En revanche, quelques Mishnoyôth plus tôt[11] il est fait mention de celui qui vend sa vache à un Nôkhri, et la Mishnoh commente cependant « même si l'on n'a pas le droit de le faire ». Ainsi, nous pouvons déduire que la Mishnoh permet même Lakhaṭṭailloh de retirer un doigt supplémentaire, car elle ne condamne pas celui qui fait cela !

À la lumière de ces preuves considérables, Rov Môshah tranche que la jeune femme est autorisée à subir une chirurgie esthétique, car cela est fait pour son profit et avec son consentement. La chirurgie plastique ne viole pas l'interdiction de abboloh car elle ne se fait pas de manière belliqueuse.

Une question importante, cependant, émerge de cette ashouvoh de Rov Môshah. Cette ashouvoh constitue-t-elle une approbation générale de la permissivité de la chirurgie esthétique dès lors qu'elle profite au patient et est réalisée avec son consentement ? Ou peut-être que la décision admissible de Rov Môshah ne s’applique que dans une situation où la chirurgie est très nécessaire, comme dans le cas spécifique que Rov Môshah a jugé ? Est-ce que Rov Môshah autoriserait une personne à subir une chirurgie oculaire au Lasik afin d'éviter les inconvénients de porter des lunettes ou des lentilles de contact ? Il n’est pas possible de répondre à ces questions sur la seule base de cetteashouvoh.

La décision de Rov Môshah[12] concernant la possibilité d'attacher une intraveineuse à une personne très malade pour éviter la nécessité pour lui de manger à Yôm Kippour, pourrait être pertinente pour tenter de répondre à ces questions. Parmi les raisons que Rov Môshah présente pour interdire de fixer une intraveineuse à cette fin, il y a la préoccupation que la permission divine de guérir ne s'applique pas à une telle circonstance. Certaines informations générales sont nécessaires pour comprendre ce problème.

La Gamaro`[13] déduit du fait que la ôroh[14] oblige une personne qui blesse quelqu'un à payer ses factures médicales que « la ôroh permet à un médecin de guérir ». En l'absence d'une telle autorisation, nous aurions pensé, expliquent les ôsophôth, qu'il nous est interdit de guérir parce que nous « donnerions l’impression de contredire le décret du Roi ». En d’autres mots, on se serait dit que si la personne est tombée malade, c’est que c’était la volonté de Hashshém et qu’il ne nous appartenait donc pas de tenter de la soigner. La ôroh enseigne, cependant, qu’il n’en est pas ainsi, et qu’en soignant un malade nous ne contredisons pas la Volonté Divine, parce que le Roi qui a émis le décret que l'individu tombe malade ou se blesse, est le même qui a également permis aux médecins de guérir !

Rov Môshah suggère que peut-être que la permission divine de guérir ne s'applique que pour remédier à une maladie ou une blessure, mais pas pour permettre à un malade de jeûner à Yôm Kippour. Peut-être que Rov Môshah pense également que Hashshém nous permet de pratiquer la chirurgie esthétique uniquement lorsqu'elle est effectuée en cas de grand besoin, mais pas lorsqu'elle est effectuée uniquement pour des raisons de commodité. Il reste néanmoins difficile de déterminer l’opinion de Rov Môshah sur ces questions à partir de ses ashouvôth publiées.

§  Rov Ya´aqôv Breisch

On a également demandé au Rov Ya´aqôv Breisch (qui vivait en Suisse et est décédé en 1970) s'il était permis à une jeune femme de subir une chirurgie plastique afin de redresser et de réduire la taille de son nez, afin de faciliter sa recherche d'un Shiddoukh approprié.[15] Entre parenthèses, il semble que Rov Môshah et Rov Breisch traitaient du même cas et que le Rov qui a soumis la question à Rov Môshah l'a également soumise à Rov Breisch pour décision (c'est une conjecture, car la réponse de Rov Breisch n'est pas datée et les `iggarôth Môshah n'identifient pas le questionneur).

Rov Breisch aborde la question différemment de Rov Môshah. Au lieu de définir l'interdiction de abboroh, il cherche des précédents dans des œuvres antérieures sur des blessures à des fins esthétiques. En effet, le style Litvaq pour résoudre les problèmes halakhiques consiste à définir les paramètres de l'interdiction ou de la Miwoh qui est abordée, tandis que le style des Pôsaqim de Galice est de rechercher des précédents comparables à la question qu'ils abordent.

Rov Breisch cite la décision du Shoulon ´oroukh[16] interdisant à quelqu'un de retirer une épine enfoncée dans une partie du corps de son père, ou d'effectuer une saignée à son père, ou de couper un membre de son père même s'il a l'intention de le guérir. Le Ramo’’`[17] ז״ל ajoute que cela n'est interdit que s'il y a une autre personne disponible pour effectuer ces tâches. Cependant, si personne d'autre n'est disponible et que le père souffre, il est permis au fils d'effectuer une saignée ou de lui couper un membre, dans la mesure où le père y consent. Rov Breisch déduit du Ramo’’` qu'un médecin est autorisé à couper un membre simplement pour soulager la douleur. Rov Breisch suppose que le Ramo’’` accepte cela même pour un patient dont la vie n'est pas en danger.

De plus, la Gamaro`[18] déclare qu'un homme est autorisé à retirer les croûtes de son corps pour éliminer la douleur mais pas à des fins d'embellissement. Rash’’i explique que retirer les croûtes à des fins d'embellissement est interdit pour un homme car cela est considéré comme un comportement féminin. Les ôsophôth écrivent : « Si la seule douleur dont il souffre est qu'il est gêné de marcher parmi les gens, alors c'est permis, car il n'y a pas de plus grande douleur que cela ».

Rov Breisch observe que les ôsophôth élargissent donc la définition de la douleur pour inclure la détresse psychologique. En conséquence, Rov Breisch autorise la jeune femme à subir une chirurgie plastique car elle est effectuée dans le but de trouver un Shiddoukh approprié. L'incapacité de trouver un partenaire de mariage approprié est certainement très pénible et l'interdiction de blesser ne s'applique pas à la chirurgie esthétique effectuée pour résoudre ce problème.

De plus, Rov Breisch aborde une question qui n'est pas abordée dans la ashouvoh de Rov Môshah, à savoir l'interdiction de se mettre en danger.[19] Le questionneur a cité du ashouvoh du `avné Nézar[20] (le `avné Nézar a vécu au début du 20ème siècle) interdisant à un enfant de subir une intervention chirurgicale pour redresser sa jambe tordue, en raison du danger encouru.

Rov Breisch, en retour, note que la Gamaro` à de nombreux endroits[21] autorise certaines activités qui comportent un certain danger si les gens adoptent généralement un tel comportement. (J’en avais moi-même fait mention dans l’article intitulé « Est-ce interdit par la Halokhoh de fumer des cigarettes ? ».) La Gamaro` enseigne que si la société considère qu'une activité constitue un risque tolérable, il est permis de se livrer à une telle activité. En conséquence, écrit Rov Breisch, nous sommes autorisés à voyager dans une automobile et dans un avion malgré les risques. De même, Rov Breisch explique que les risques associés à la chirurgie ont considérablement diminué depuis l'époque du `avné Nézar. Il note qu'aujourd'hui la société considère la chirurgie comme un risque tolérable et est donc admissible à notre époque.

L’autorisation explicite de Rov Breisch de subir une chirurgie plastique ne s’applique qu’à une situation où il y a un grand besoin pour cela. Les précédents cités par Rov Breisch ne permettent une abboloh que lorsque l'individu souffre physiquement ou psychologiquement. En effet, c'est la position que Rov J. David Bleich[22] adopte comme normative. Cependant, Rov Breisch n'interdit pas non plus explicitement la chirurgie esthétique effectuée pour des raisons de commodité. Il n'aborde tout simplement pas cette question.

À suivre…


[1] ashouvôth `iggarôth Môshah, Ḥôshan Mishpot 2 :66
[2] Mishnéh Ṭôroh, Hilkôth Ḥôvél Oumazziq 5 :1
[3] Davôrim 25 :3
[4] Bavo` Qammo` 91a
[5] Ibid., 91b
[6] 1 Malokhim 20 :35-36
[7] Sanhédhrin 89
[8] Ibid., 84b
[9] Wayyiqro` 19 :18
[10] Bakhôrôth 45a
[11] Ibid., 2a et 13a
[12] ashouvôth `iggarôth Môshah, `ôraḥ Ḥayyim 3 :90
[13] Bavo` Qammo` 85a
[14] Shamôth 21 :1
[15] ashouvôth Ḥalqath Ya´aqôv 3 :11 et Ḥôshan Mishpot 31 dans les nouvelles éditions de cet ouvrage.
[16] Yôréh Dé´oh 241 :3
[17] Ibid.
[18] Shabboth 50b
[19] Voir Shoulḥon ´oroukh, Yôréh Dé´oh 116 et Ḥôshan Mishpot 427.
[20] Yôréh Dé´oh 321
[21] Voir, par exemple, Yavomôth 72a.
[22] Judaism and Healing, pages 126-129