dimanche 9 novembre 2014

Zaman Rabbénou Ta''m : quand commence la nuit ?

בס״ד

Zéman Rabbénou Tam : quand commence la nuit ?


On entend beaucoup parler du זמן רבנו תם « Zaman Rabbénou Ta''m ». De quoi s'agit-il ? Nous allons y répondre d'une manière relativement simple.

D'après la Halokhoh, la שקיעה « Shaqi´oh » (coucher du soleil) est le moment limite fixé pour l'accomplissement des Miswôth associées aux heures du jour, tandis que la tombée de la nuit est le point de départ de toutes les Miswôth associées aux heures de la nuit et au jour suivant (puisqu'avec la tombée de la nuit s'achève une journée et commence une autre). Mais les définitions exactes de « coucher du soleil » et « tombée de la nuit » font l'objet de divergences d'opinion parmi les plus grands Pôsqim.

Tout le débat est centré autour de deux déclarations contradictoires attribuées dans le Talmoudh à Rabbi Yahoudhoh. Étant donné qu'à ces époques-là on n'utilisait pas de montres, on avait souvent recourt à des analogies tirées de choses de la vie quotidienne pour se créer des repères dans le temps. Ainsi, par exemple, à la toute première question posée dans la Mishnoh, à savoir, à partir de quand peut-on commencer à réciter le Shama´ du soir, plutôt que de donner une heure exacte, la Mishnoh répond par une analogie : à partir de l'heure où les Kôhanim rentrent manger leur Taroumoh (la Tôsafto` précise que cela correspondait au moment où trois étoiles étaient visibles dans le ciel). On prenait donc des événements que les gens avaient l'habitude de voir afin qu'ils servent de points de repères pour calculer les heures. Autre exemple : étant donné que les olives étaient courantes en `aras Yisro`él, l'olive est devenue la référence pour calculer les quantités minimales de nourriture pour lesquelles on avait l'obligation de bénir avant et après consommation. Dans d'autres pays, où les olives n'existaient pas, la référence était un œuf.

Pour revenir au sujet qui nous intéresse, dans Shabboth 34b, la période dite de בין השמשות « Bén Hashamoshôth » (la période de temps qui va de la Shaqi´oh à צאת הכוכבים « Sé`th Hakkôkhovim »1) est décrite par Rabbi Yahoudhoh comme s'étalant sur la même quantité de temps qu'il faudrait pour parcourir à pied ¾ de mîl, ce qui équivaut à 13,5 minutes. De ce fait, Sé`th Hakkôkhovim se produit donc 13,5 minutes après la Shaqi´oh.

Mais ailleurs, dans Pésahim 94a, dans une discussion qui concerne les dimensions de la Planète Terre, le Talmoudh rapporte que le même Rabbi Yahoudhoh aurait déclaré que la période de temps qui s'écoule entre la Shaqi´oh et Sé`th Hakkôkhovim équivalait au temps qu'il fallait à une personne moyenne pour parcourir à pied 4 mîl, ce qui correspond à 72 minutes. Il y a donc une différence flagrante de 58,5 minutes entre les deux opinions attribuées à Rabbi Yahoudhoh !

La résolution de cette contradiction est au cœur d'une divergence d'opinion qui oppose d'un côté les Ga`ônim et le Go`ôn de Wîlno` זצ״ל, et de l'autre côté Rabbénou Ta''m זצ״ל. Selon la première école de pensée, à laquelle souscrivent tous les Ga`ônim2 et le Go`ôn de Wilno`3, les deux passages talmudiques concernent des sujets différents, et la déclaration faite dans le traité Pésahim n'est pas applicable à la Halokhoh du calcul du temps. Par conséquent, ¾ de mîl après la Shaqi´oh arrive le moment de Sé`th Hakkôkhovim, et la période de temps entre les deux est ce que l'on appelle « Bén Hashamoshôth ». La majorité des Pôsqim suivent cette opinion.

Mais il y a néanmoins un problème. Si l'on considère que la période de Bén Hashamoshôth dure ¾ de mîl, à savoir, 13,5 minutes, n'importe qui pourra remarquer que 13,5 minutes après que le soleil soit descendu, il ne fait absolument pas sombre dehors. C'est pourquoi, le Go`ôn de Wîlno` fait à juste titre remarquer que cette mesure donnée dans le Talmoudh n'avait absolument pas pour but d'être appliquée partout, mais concernait uniquement `aras Yisro`él et Bovél, qui partagent la même latitude et où la nuit tombe relativement vite. Ainsi, l'opinion communément acceptée est que la Shaqi´oh se produit lorsque le soleil descend entièrement en-dessous de l'horizon, tandis que la tombée de la nuit se produit lorsque trois étoiles de taille moyenne apparaissent dans le ciel. Cela se produit peu de temps après le coucher du soleil, mais la période de temps exacte dépend de l'endroit où l'on se trouve et de la période de l'année. Dans certains endroits, la période de Bén Hashamoshôth dure 18 minutes, dans d'autres 22 minutes, dans d'autres 25 minutes, et dans d'autres plus que cela encore.

Rabbénou Ta''m, par contre, résout la contradiction dans les propos de Rabbi Yahoudhoh d'une autre façon, et souscrit donc à une opinion différente.4 Il estime que les deux passages talmudiques parlent en réalité de deux moments appelés « Shaqi´oh ». La première Shaqi´oh aurait lieu lorsque le soleil commence à descendre en-dessous de l'horizon, tandis que la seconde Shaqi´oh se réfèrerait au moment où le soleil est déjà descendu. Ainsi, la période de 4 mîl se réfèrerait au temps qu'il y a entre la première Shaqi´oh et Sé`th Hakkôkhovim, tandis que la période de ¾ de mîl se réfèrerait au temps qu'il y a entre la deuxième Shaqi´oh et Sé`th Hakkôkhovim.

Pour le dire en d'autres mots : d'après Rabbénou Ta''m, la tombée de la nuit tombe 72 minutes après que le soleil ait disparu en-dessous de l'horizon, mais le coucher du soleil halakhique (qui marque la fin des heures du jour) ne se produit que 13,5 minutes avant la tombée de la nuit. De ce fait, bien que le soleil se couche sous l'horizon plus tôt, d'après Rabbénou Ta''m il y a aura encore un peu de lumière visible durant encore 58,5 minutes après, même si le soleil a entamé sa descente, faisant ainsi de cette période une partie du « jour » et non de la « nuit ».

Bien que ce ne soit pas la position majoritaire, cette opinion de Rabbénou Ta''m est en fait partagée par de très nombreux autres Ri`shônim, et fut adoptée par plusieurs `aharônim, parmi lesquels Rabbi Yôséf Qa`rô5 זצ״ל, le Ramo''`6 זצ״ל, le Moghén `avrohom7 זצ״ל, ou encore le Hotho''m Sôfèr8 זצ״ל.

Il convient de noter que ce débat sur l'identification précise de la « nuit » a deux ramifications pratiques. D'un côté, identifier la « nuit » permet de déterminer à partir de quel moment on change de date ou de jour de la semaine. Et de l'autre côté, cela nous permet de savoir à partir de quand commence l'application des Miswôth liées à la nuit (prière de ´arvîth, récitation du Shama´ du soir, etc.).

Ainsi, d'après l'opinion de Rabbénou Ta''m, toutes les Miswôth qui dépendent de la tombée de la nuit ne peuvent être accomplies qu'à partir de 72 minutes après que le soleil ait commencé à se coucher sous l'horizon. C'est pourquoi, ceux qui suivent l'opinion de Rabbénou Ta''m terminent le Shabboth approximativement 30 minutes plus tard que ceux qui suivent l'opinion majoritaire.9 C'est notamment la pratique normative de communautés telles que Satmar.

De même, toujours d'après l'opinion de Rabbénou Ta''m, toutes les Miswôth qui ne peuvent s'accomplir que de jour peuvent être accomplies jusqu'à 13,5 minutes avant la tombée de la nuit, approximativement 58,5 minutes plus tard que ceux qui suivent l'opinion majoritaire. C'est ainsi que les Hasidhim de Satmar, et toutes les autres communautés qui souscrivent à l'opinion de Rabbénou Ta''m, prient Minhoh Qatonoh près d'une heure après le moment considéré par la majorité comme étant le coucher du soleil.

Les deux opinions sont soutenues par des Pôsqim de premier plan. Néanmoins, la position des Ga`ônim fait autorité à la suite de la façon avec laquelle elle fut défendue par le Go`ôn de Wîlno`, qui écrit qu'il est impossible que la position de Rabbénou Ta''m soit correcte, parce qu'elle est contredite par le bon sens. En effet, il explique qu'il suffit de jeter un coup d’œil dehors pour se rendre compte qu'il fait un noir total bien avant que 4 mîl ne soient passés depuis le moment de la Shaqi´oh. Il est donc impossible d'évaluer la tombée de la nuit à 72 minutes après la Shaqi´oh. Et effectivement, la majorité du Kalal Yisro`él a accepté la position des Ga`ônim plutôt que celle de Rabbénou Ta''m.

Signalons que d'autres éminents Pôsqim réconcilient les propos contradictoires de Rabbi Yahoudhoh d'une troisième façon différente.10 Ils maintiennent que la fin des heures du jour est marquée par la disparition totale du soleil en-dessous de l'horizon, tandis que la nuit tombe lorsque trois étoiles moyennes apparaissent dans le ciel. Bien que de nombreuses communautés Ashkénazes d'avant guerre suivaient l'opinion de Rabbénou Ta''m dans tous les cas, aujourd'hui il est communément accepté de suivre l'opinion des Ga`ônim ou la troisième que nous venons d'énoncer, plutôt que celle de Rabbénou Ta''m (qui est suivie par une grande partie des Safaradhîm et quelques Hasîdhim).

1La sortie des étoiles.
2Responsa Mahara''m `alaskar 96, qui cite HoRov Shérîro` bar Hanîno` Go`ôn זצ״ל et HoRov Ha`y ban Shérîro` Go`ôn זצ״ל.
3Bî`our HaGr''a sur le Shoulhon ´oroukh 261:2
4Tôsofôth sur Barokhôth 2b, Shabboth 35a et Pésahim 94a
5Shoulhon ´oroukh, `ôrah Hayim 261:2
6`ôrah Hayim 261:2
7331:2
8Responsa Hotho''m Sôfèr, `ôrah Hayim 80
9Une pratique défendue également par HoRov Môshah Feinstein זצ״ל, dans Responsa `iggarôth Môshah, `ôrah Hayim 4:64
10Voir dans le Séfar Yaré`im 274, un ouvrage rédigé par `alî'azar ban Shamou`él זצ״ל (mort à Metz, en 1175).