jeudi 16 juin 2016

Le pardon dans la tradition juive

ב״ה

Le pardon dans la tradition juive


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Nous lisons ceci dans l'Écriture1 :

Heureux celui dont la faute est pardonné, celui dont le péché est couvert. Heureux l'homme à qui `adhônoy n'impute pas l'iniquité et dans l'esprit duquel il n'y a point de culpabilité
אַשְׁרֵי נְשׂוּי-פֶּשַׁע; כְּסוּי חֲטָאָה אַשְׁרֵי אָדָם--לֹא יַחְשֹׁב יהוה לוֹ עָו‍ֹן; וְאֵין בְּרוּחוֹ רְמִיָּה

Le pardon est un don Divin répandu sur les êtres humains égarés qui, à cause de leur nature humaine, ont échoué à atteindre le niveau attendu d'eux par HaShem, כִּי אָדָם, אֵין צַדִּיק בָּאָרֶץ--אֲשֶׁר יַעֲשֶׂה-טּוֹב, וְלֹא יֶחֱטָא « Car il n'y a point d'homme juste sur terre qui fasse le bien et ne pèche pas ».2

Le pardon est si essentiel pour la survie même de l'humanité et de la société humaine que ce fut l'une des sept choses qui furent créées avant même que le monde n'existe3, comme il est écrit4 : בְּטֶרֶם, הָרִים יֻלָּדוּ-- וַתְּחוֹלֵל אֶרֶץ וְתֵבֵל וּמֵעוֹלָם עַד-עוֹלָם, אַתָּה אֵל תָּשֵׁב אֱנוֹשׁ, עַד-דַּכָּא; וַתֹּאמֶר, שׁוּבוּ בְנֵי-אָדָם « Avant que les montagnes ne furent amenées à l'existence, avant que Tu n'aies formé la terre et le monde, d'éternité en éternité Tu es Dieu. Tu ramènes5 les humains à la poussière et leur dit : ''Revenez, Ô fils de l'homme !'' ».

Selon la tradition juive, le don de la repentance et la formule standard pour obtenir le pardon Divin furent révélés à Môshah Rabbénou ע״ה, le Père de tous les Prophètes qui l'ont précédé et lui ont succédé, au Mont Sinaï lorsqu'il plaida auprès de Dieu pour qu'Il pardonne les Bané Yisro`él après le péché du Veau d'Or. La sainte Tôroh rapporte ceci6 :

`adhônoy descendit dans la nuée, s'arrêta là, près de lui et il invoqua le nom de `adhônoy. `adhônoy passa devant lui et proclama : `ADHÖNOY, `ADHÖNOY, DIEU, CLEMENT, MISERICORDIEUX, LENT A LA COLERE, PLEIN DE BIENVEILLANCE ET D'EQUITE; IL CONSERVE SA GRÂCE JUSQU'A LA MILLIEME GENERATION; IL SUPPORTE LE CRIME, LA REBELLION, LA FAUTE, MAIS IL NE LES ABSOUT POINT : Il poursuit le méfait des pères sur les enfants, sur les petits-enfants, jusqu'à la troisième et à la quatrième descendance.
וַיֵּרֶד יהוה בֶּעָנָן, וַיִּתְיַצֵּב עִמּוֹ שָׁם; וַיִּקְרָא בְשֵׁם, יהוה וַיַּעֲבֹר יהוה עַל-פָּנָיו, וַיִּקְרָא, יהוה יהוה, אֵל רַחוּם וְחַנּוּן--אֶרֶךְ אַפַּיִם, וְרַב-חֶסֶד וֶאֱמֶת נֹצֵר חֶסֶד לָאֲלָפִים, נֹשֵׂא עָו‍ֹן וָפֶשַׁע וְחַטָּאָה; וְנַקֵּה, לֹא יְנַקֶּה--פֹּקֵד עֲו‍ֹן אָבוֹת עַל-בָּנִים וְעַל-בְּנֵי בָנִים, עַל-שִׁלֵּשִׁים וְעַל-רִבֵּעִים

En décrivant cette scène extraordinaire rapportée par la Tôroh, Rov Yôhonon ז״ל a expliqué ce qui suit7 :

« `adhônoy passa devant lui et proclama, etc. » ; Rov Yôhonon a dit : Si l’Écriture elle-même ne l'avait pas écrit, il nous aurait été impossible de dire une telle chose ; ce verset nous enseigne que le Saint, béni soit-Il, S'est enveloppé comme le Shaliah Sibbour et a montré à Môshah l'ordre de la prière. Il lui a dit : ''Chaque fois que les Israélites auront péché, qu'ils accomplissent devant Moi cet ordre [de la prière] devant Moi et Moi Je leur pardonnerai !.''
ויעבור ה' על פניו ויקרא א"ר יוחנן אלמלא מקרא כתוב אי אפשר לאומרו מלמד שנתעטף הקב"ה כשליח צבור והראה לו למשה סדר תפלה אמר לו כל זמן שישראל חוטאין יעשו לפני כסדר הזה ואני מוחל להם

Et Rov Yahoudhoh ז״ל a ajouté que le verset הִנֵּה אָנֹכִי כֹּרֵת בְּרִית « Voici, J'établis une alliance »8, mentionné juste après les Treize Attributs de Miséricorde Divine, indique que la révélation de ces Treize Attributs constitue effectivement une alliance qui garantie que le peuple ne sera jamais renvoyé sans pardon lorsqu'ils les récitent avec concentration et sincérité. Cette formule est le thème central des prières des Salihôth récitées durant la période de dix jours allant de Rô`sh Hashonoh à Yôm Hakkippourim.

Dieu est un Dieu pardonneur qui désire la repentance des pécheurs. Trois fois par jours, durant les prières quotidiennes, les Israélites récitent les bénédictions suivantes dans les Shamônah ´asréh :

Ramène-nous vers Toi `adhônoy et nous reviendrons. Renouvelle nos jours comme [aux temps d']autrefois. Béni Tu es `adhônoy, Qui prend plaisir en la repentance.
הֲשִׁיבֵנוּ יְהוָה אֵלֶיךָ וְנָשׁוּבָה, חַדֵּשׁ יָמֵינוּ כְּקֶדֶם. בָּרוּךְ אַתָּה יְהוָה הָרוֹצֶה בִּתְשׁוּבָה

Pardonne-nous notre Père, car nous nous sommes égarés de Toi. Efface et détourne de Tes yeux nos transgressions [volontaires], car abondante est Ta miséricorde. Béni Tu es `adhônoy, Qui abonde en pardon.
סְלַח לָנוּ אָבִינוּ כִּי חָטָאנוּ לָךְ, מְחֵה וְהַעֲבִר פְּשָׁעֵינוּ מְנֶּגֶד עֵינֶיךָ, כִּי רַבִּים רַחֲמֶיךָ. בָּרוּךְ אַתָּה יְהוָה, חַנּוּן וּמַרְבֶּה לִסְלֹחַ

Ce thème est répété encore et encore tout au long de l'office liturgique. Nos Sages, de mémoire bénie, enseignent même que la bonté et la miséricorde Divine sont reflétées dans le nom de Dieu Lui-même ! Le Tétragramme, YHWH, est utilisé comme nom Divin quand Il manifeste Sa Middath Horahamim (mesure d'amour, de bonté et de pardon), alors que « `alôhim » est utilisé pour désigner Sa Middath Haddin (mesure de justice, de jugement et de rigueur).

Trois mots sont employés dans la littérature juive pour désigner le pardon :

  1. מְחִילָה « Mahiloh » ;
  2. סְלִיחָה « Salihoh »
  3. כַּפָּרָה « Kapporoh »

Bien que ces trois termes traitent du même sujet, ils ne sont pas totalement synonymes et leurs nuances nous seront très utiles à connaître. Le terme « Kapporoh » désigne un pardon si profond qu'il n'y a plus aucune trace ou souvenir de l'offense commise. C'est ce que permet d'accomplir Yôm Hakkippourim.

« Mahiloh » est un terme halakhique et technique qui s'applique quand un préteur abandonne ou annule tout ou une partie de la dette qu'une autre personne lui devait. Appliqué au contexte du pardon, Mahiloh est la rémission ou l'annulation de la punition et de toute conséquence légale du péché commis. Mais dans le processus de repentance, la Mahiloh ne suffit pas à elle toute seule, parce qu'en plus de l'obligation pour le pécheur de dédommager la victime pour les dégâts ou les souffrances qu'elle a endurés à cause de lui ou pour la punition qu'il doit assumer, le péché a d'autres conséquences. Le péché, quand on y prend goût, éloigne de Dieu, comme il est écrit9 : כִּי אִם-עֲו‍ֹנֹתֵיכֶם, הָיוּ מַבְדִּלִים, בֵּינֵכֶם, לְבֵין אֱלֹהֵיכֶם « Car vos méfaits ont érigé une séparation entre vous et votre Dieu ». Un pécheur a alors également besoin des qualités purificatrices et guérisseuses de la Salihoh. La Salihoh est un processus qui nettoie et sanctifie la dimension métaphysique de la personne. La purification et la sanctification qui résultent d'une repentance appropriée nous sont décrites par Rébbi ´aqivo` ז״ל, dans l'une de mes Mishnoyôth préférées10 :

Rébbi ´aqivo` a dit : Heureux êtes-vous Yisro`él ! Qui est Celui devant Qui vous vous purifiez ? Et Qui est Celui qui vous purifie ? Votre Père qui est dans les cieux, car il est dit11 : « Et Je déverserai sur vous des eaux pures et vous serez purs », et il est aussi dit12 : « Le Miqwah de Yisro`él est HaShem »13 ; tout comme le Miqwah rend pur l'impur, de même le Saint, béni Soit-Il, purifie Yisro`él !
אמר רבי עקיבא, אשריכם ישראל, לפני מי אתם מטהרין, ומי מטהר אתכם, אביכם שבשמים, שנאמר, וזרקתי עליכם מים טהורים וטהרתם. ואומר, מקוה ישראל יי, מה מקוה מטהר את הטמאים, אף הקדוש ברוך הוא מטהר את ישראל

Et le grand sage talmoudhique Rébbi Hanno` ban Hanino` ז״ל a dit :

Grande est la Tashouvoh, car elle apporte la guérison du monde, comme il est dit14 : אֶרְפָּא, מְשׁוּבָתָם--אֹהֲבֵם, נְדָבָה « Je les guérirai de leurs égarements ; Je les aimerai gratuitement ».

Et plus loin, Rébbi Léwi ז״ל a dit :

Grande est la Tashouvoh, car elle permet d'atteindre le Trône de Gloire, comme il est dit15 : שׁוּבָה, יִשְׂרָאֵל, עַד, ה׳ אֱלֹהֶיךָ « Reviens, Ô Yisro`él, jusqu'à HaShem, ton Dieu ».

Comment obtient-on le pardon ?

Dieu n'a le pouvoir d'accorder un pardon unilatéral que pour les péchés commis contre Lui, c'est à dire dans le domaine des lois rituelles. L'obtention du pardon pour les offenses perpétrées contre d'autres êtres humains n'est pas d'abord entre les mains de Dieu, car cela nécessite d'abord de demander pardon aux victimes et de les dédommager (réparer notre faute, si possible). La Mishnoh déclare ceci16 :

Pour les péchés entre les humains et l'Omniprésent, Yôm Hakkippourim procure l'expiation. Mais pour les péchés entre quelqu'un et un autre, Yôm Hakkippourim ne procure aucune expiation, tant que l'offenseur n'a pas apaisé son coreligionnaire.
עבירות שבין אדם למקום יוה"כ מכפר עבירות שבין אדם לחבירו אין יוה"כ מכפר עד שירצה את חבירו

Cela est basé sur le verset suivant17 :

Car en ce jour-là, on fera expiation sur vous pour vous purifier ; de tous les péchés devant `adhônoy vous serez purifiés.
כִּי-בַיּוֹם הַזֶּה יְכַפֵּר עֲלֵיכֶם, לְטַהֵר אֶתְכֶם: מִכֹּל, חַטֹּאתֵיכֶם, לִפְנֵי יהוה, תִּטְהָרוּ

D'après Rébbi `al´ozor ban ´azaryoh ז״ל, le verset déclare « de tous les péchés devant `adhônoy », ce qu'il explique comme voulant dire que Yôm Hakkippourim expie et apporte le pardon pour les péchés commis entre les Israélites et Dieu, mais pas pour ceux qui n'ont pas été commis « devant `adhônoy », c'est-à-dire contre son prochain. Pour les péchés commis contre une autre personne, Yôm Hakkippourim n'apporte aucune expiation ni pardon. Dieu doit attendre que le pécheur ait obtenu le pardon de celui qui a été offensé et seulement alors Il pardonne à Son tour ce péché. À l'évidence, les deux pardons sont nécessaires, car le péché commis contre son coreligionnaire Israélite, qui est une transgression du commandement biblique de ne pas nous léser les uns les autres, nuit à deux relations : celle que le pécheur a avec son coreligionnaire et celle que le pécheur a avec Dieu.

En traduisant ce concept en Halokhoh le Ramba''m ז״ל déclare ceci18 :

[La culpabilité] de celui qui cause un mal physique à un autre est différente de celui qui cause un mal financier. Car dans le cas de celui qui cause un préjudice financier, une fois que la compensation a été faite, l'offenseur obtient l'expiation. Mais dans le cas d'un préjudice physique, même si l'agresseur a effectué les cinq paiements19, il n'y a pas d'expiation pour lui. Et même s'il offrait [en sacrifices pour Dieu] tous les boucs de Navoyôth20, il n'y a pas d'expiation pour lui et il n'est pas pardonné, tant qu'il n'aura pas demandé [pardon] à la victime et que [la victime] ne lui aura pas pardonné.
אֵינוּ דּוֹמֶה מַזִּיק חֲבֵרוֹ בְּגוּפוֹ, לְמַזִּיק מְמוֹנוֹ: שֶׁהַמַּזִּיק מְמוֹן חֲבֵרוֹ--כֵּיוָן שֶׁשִּׁלַּם מַה שֶׁהוּא חַיָּב לְשַׁלַּם, נִתְכַּפַּר לוֹ. אֲבָל חוֹבֵל בַּחֲבֵרוֹ--אַף עַל פִּי שֶׁנָּתַן לוֹ חֲמִשָּׁה דְּבָרִים, אֵין מִתְכַּפֵּר לוֹ; וְאַפִלּוּ הִקְרִיב כָּל אֵילֵי נְבָיוֹת, אֵין מִתְכַּפֵּר לוֹ, וְלֹא נִמְחַל עֲווֹנוֹ, עַד שֶׁיְּבַקַּשׁ מִן הַנֶּחְבָּל וְיִמְחֹל לוֹ

Lorsqu'on a fauté contre son prochain, afin d'être pardonné obtienne le Ramba''m explique que le fauteur doit d'abord regretter ses actes et ensuite :

  1. payer (ou dédommager) pour les dégâts qu'il aura causés, ainsi que toute autre amende qu'il aura accumulée en péchant ;
  2. apaiser la victime et obtenir son pardon. Et seulement alors
  3. chercher l'expiation auprès de Dieu par la prière, le Widhouy (confession) et d'autres actes de pénitence, comme le jeûne, la Sadhoqoh, etc.21
1Tahillim 32:1-2
2Qôhalath 7:20
3Talmoudh, Pasohim 54a
4Tahillim 90:2-3
5Le terme pour dire « ramener » ou « revenir » est le même que pour dire « repentance »
6Shamôth 34:5-7
7Talmoudh, Rô`sh Hashonoh 17b
8Shamôth 34:10
9Yasha´yohou 59:2
10Mishnoh, Yômo` 8:9
11Yahazqé`l 36:25
12Yirmayohou 17:13
13Le mot « Miqwah » signifie à la fois « espoir » et « bain rituel »
14Hôshéa´ 14:5
15Ibid., verset 2
16Yômo` 85b
17Wayyiqro` 16:30
18Mishnéh Tôroh, Hilkôth Hôvél Oumazziq 5:9
19Celui qui blesse un être humain est condamné à payer pour cinq choses : 1) pour la dépréciation de la valeur d'un être humain ; 2) pour la douleur occasionnée ; 3) pour la guérison (les frais médicaux) ; 4) pour la perte de temps (tous les jours où la personne sera incapable de travailler ; 5) et pour la honte (dégradation) qu'il a causée (Talmoudh, Bavo` Qammo` 83b)
20Lire Yasha´yohou 67:7

21Hilkôth Tashouvoh 1:1 et 2:2