vendredi 2 août 2019

Qui sont les Dorda´im ?


בס״ד

Qui sont les Dorda´im ?


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Depuis les premières années du Moyen-âge la communauté juive yéménite suivait les enseignements du Rambo''m (Ribbénou Môshah ban Maymôn, dit Maïmonide, que nous appelons simplement « Ribbénou ») sur pratiquement toutes les questions halakhiques, et leur Siddour était quasiment identique au texte de la prière se retrouvant dans le Séphar Ho`ahavoh du Mishnéh Tôroh de Ribbénou. La tradition yéménite est, de ce fait, complètement distincte des branches séfarades et achkénazes du judaïsme.

Aux 16ème et 17ème siècles les enseignements de la Qabboloh, plus particulièrement sous la forme promue par Yishoq Louria (le `ari) et son école, devinrent très populaires au Yémen comme dans d'autres pays. À la suite de cela, de nombreux individus et communautés à travers le monde (principalement les Mizrohim et les Hasidhim) abandonnèrent les rites traditionnels en faveur du rite séfarade modifié utilisé par Louria et son cercle immédiat de disciples.

Cette division se refléta également au sein des Juifs yéménites. Le sous-groupe Sha`am adopta un rite influencé par le séfaradisme kabbalistique. D'autres conservèrent la liturgie yéménite ancestrale, qu'ils acceptaient ou non les enseignements kabbalistiques lurianiques. Au 18ème siècle, afin d'assurer la survie et continuité du texte yéménite originel, le Rov Yihya` Sa`lah (surnommé le Mahari''s) fit la promotion d'un compromis et introduisit une nouvelle édition du Siddour yéménite qu'il créa. Il suivait dans le fond le rituel yéménite traditionnel (maïmonidien), mais faisait quelques concessions aux kabbalistes, comme par exemple en incluant le Piyout du Lakhoh Dhôdhi, la prière de `onno` Bakhôah, etc. Cette nouvelle tendance fût appelée « Baladh » (qui signifie « du pays », c'est-à-dire du Yémen), par opposition au rituel séfarade lurianique qui fût appelé « Sha`am » (littéralement, « du nord », en référence à la Syrie, d'où venaient les Juifs qui introduisirent la Qabboloh au Yémen). La différence entre les Baladhim et les Sha`amim affecta également les questions halakhiques, la communauté Baladhi continuant à suivre Ribbénou de façon quasiment exclusive, tandis que la communauté Sha`ami accepta le Shoulhon ´oroukh.

Les Dorda´im émergèrent sur le devant de la scène à la fin du 19ème siècle. Le mouvement Dôr Dé´oh fût formé par des individus qui s'opposaient à l'influence de la Qabboloh qui avait été introduite au Yémen au 17ème siècle. Ils soutenaient que les croyances fondamentales du judaïsme étaient progressivement et rapidement piétinées et abandonnées en faveur du mysticisme de la Qabboloh. Scandalisés par la direction que prenaient l'éducation et le développement social du Yémen, ils ouvrirent leur propre réseau éducatif dans le pays. Ils étaient également mécontents de l'influence que les kabbalistes étaient en train d'avoir sur diverses coutumes et rites, en plus de voir dans la Qabboloh une influence hautement superstitieuse contraire à la philosophie rationaliste de Ribbénou. Par exemple, au Yémen, beaucoup avaient adopté la pratique superstitieuse de cuire du pain sans sel et de préparer « la table de l'apaisement », en invitant plus de dix enfants âgés de 7 ou 8 ans qui attendaient à l'extérieur. Les adultes préparaient la table, puis répandaient sur elle des cendres fines. Ils émiettaient du pain, plaçaient les miettes sur la table contenant les cendres, et sortaient de la cuisine en s'adressant aux démons, leur disant : « Ceci est votre part ! » Quelques secondes après, ils ouvraient brusquement les portes, et les enfants accouraient dans la pièce, saisissaient les morceaux de pain sans sel et les mangeaient. Les Dorda´im s'opposèrent vigoureusement à ces Minhoghim car, en plus de la stupidité de la chose, ils étaient bibliquement prohibés à cause de l'interdiction des Darakhé Ho`amôri.

Les Dorda´im considéraient les kabbalistes comme des êtres irrationnels qu'ils contribuaient à un déclin dans le statut social et économique des Juifs yéménites. Tous ces problèmes amenèrent le Rov Yihya` Qa`phih à établir le mouvement Dôr Dé´oh. Ses objectifs étaient :

  1. combattre l'influence du Zôhar et les développements successifs de la Qabboloh moderne, qui était alors trop intrusive dans la vie yéménite, et que les Dorda´im considéraient irrationnelle et idolâtre ;
  2. restaurer une approche rationnelle du judaïsme enracinée dans les sources authentiques, comme le Talmoudh, les écrits du Rov Sa´adhyoh Go`ôn, et plus particulièrement ceux du Ribbénou ;
  3. préserver l'observance de la pratique traditionnelle et originelle du judaïsme tel qu'il fût enseigné et codifié par le Sanhédhrin jusqu'au 3ème siècle.

Depuis, la communauté juive yéménite peut être classée en trois catégories : Sha`ami, Baladhi et Dôr Dé´oh (ou « Rambamiste »). Et toute personne ou communauté adhérant aux principes énumérés plus haut et ci-dessous peut être considérée comme faisant partie des Dorda´im, même si elle n'est pas d'origine yéménite.

Les Dorda´im accordent une importance particulière à la doctrine juive de l'unité absolue d'HaShem, qu'ils considèrent avoir été compromise par les formes populaires de la Qabboloh qui prévalent aujourd'hui. Pour soutenir cette approche, ils font appel aux écrits philosophiques de Ga`ônim et Ri`shônim tels que le Rov Sa´adhyoh Go`ôn, Ribbénou Bahayé `ibn Paqoudhoh, le Rov Yahoudhoh Halléwi et Ribbénou.

Les points suivants sur l'unité du Tout-Puissant sont d'une importance capitale pour les Dorda´im et les Talmidhé HaRambo''m :

  • Il est incomparable à quoi que ce soit ayant été créé ;
  • Il n'est ni mâle ni femelle, mais en raison des limites du langage humain nous devons employer certains termes allégoriques et métaphoriques afin de transmettre le fait qu'Il existe ;
  • Son existence est qualitativement différente de toutes les autres existences, et ces dernières dépendent de Lui et sont préservées par Lui, alors que Lui demeure infiniment et inaltérablement distinct et indépendant de toute création ;
  • Il est une unité incomparable à la moindre unité dans la création. Son unité n'en est pas une qui pourrait être divisée ou qui comprendrait des parties, ce qui ne pourrait avoir lieu que dans le cas d'une unité soumise au temps et à l'espace. Son unité n'est pas non plus à comprendre dans le sens d'une espèce ou d'une sorte ;
  • aucune qualité de la création ne s'applique à Lui, que ce soit l'espace, le temps, le changement, le concept d'un corps, d'une forme, d'une image, le concept de remplir un corps, une forme, ou un lieu, ni d'autres facettes de la création, car Il est parfait, unique, qu'Il Se suffit à Lui-même et n'a aucun besoin de toutes ces choses. Il n'est pas une force ni une puissance qui possède ou remplit quelque chose d'autre, et il n'y a pas non plus en Lui le moindre aspect de multiplicité, ce qui aurait été le cas si le monde était littéralement en Lui. Toute phrase biblique ou talmudique donnant l'impression d'attribuer la moindre qualité de la création à HaShem doit être comprise différemment que dans son sens littéral, car Il transcende tous les aspects de la création. Aucun d'eux ne peut s'appliquer à Lui ;
  • la Splendeur de la Réalité de Son Être est si grande qu'aucun esprit ne peut saisir même la plus infime partie d'elle, car Il n'a point de parties, ainsi qu'il est écrit : גָּדוֹל יְהוָה וּמְהֻלָּל מְאֹד;    וְלִגְדֻלָּתוֹ, אֵין חֵקֶר « Grand est `adhônoy et abondante est la reconnaissance de Sa guidance ; et Sa grandeur n'a point d'investigation ». (Tahillim 145:3) Il faut, de ce fait, être conscient constamment que la Vérité Sublime de Son Être transcende absolument tout ce qu'on pourrait exprimer, mais que toute référence à Lui ne doit se faire que pour parler de ce qu'Il n'est pas ou par des métaphores.

Concernant la Qabboloh, les points les plus fondamentaux pour comprendre l'opposition des Dorda´im vis-à-vis de la compréhension communément acceptée de la Qabboloh portent sur la Singularité transcendante absolue du Créateur et les lois relatives à la ´avôdhoh Zoroh (idolâtrie). Les Dorda´im soutiennent que les formes populaires de la Qabboloh prévalant aujourd'hui sont contraires à l'Unité absolue et incomparable du Créateur et transgressent diverses lois interdisant l’idolâtrie et le polythéisme, et plus particulièrement l'interdiction du Ribbouy Rashouyôth (le fait d'adorer ou de concevoir dans son esprit une multiplicité de règnes), dont Ribbénou traite dans son Mishnéh Tôroh.

Le problème ne concerne pas l'existence de la Qabboloh en tant que telle, mais sa compréhension et définition. Le mot « Qabboloh » est employé dans des sources juives anciennes et par Ribbénou lui-même pour simplement désigner « la tradition » reçue des Prophètes, et non un mysticisme de quelque nature que ce soit. En outre, les Dorda´im acceptent que dans les temps talmudiques il existait une tradition mystique secrète dans le judaïsme, connue sous les noms de Ma´aséh Markovoh et Ma´aséh Varé`shith. Et Ribbénou explique que ces termes désignent respectivement quelque chose de similaire à la physique et à la métaphysique d'Aristote telles qu'interprétées à la lumière de la Tôroh. Les Dorda´im rejettent donc la notion selon laquelle la tradition serait représentée par les idées et idéaux populairement appelés aujourd'hui « Qabboloh ».

Les Dorda´im et Talmidhé HaRambo''m ne s'opposent pas non plus au mysticisme en tant que tel. Par exemple, le Rov Yôséph Qa`phih, illustre dirigeant des Dorda´im en `aras Yisro`él, publia l'ancien texte mystique appelé « Séphar Yasiroh » avec sa traduction du commentaire que le Rov Sa´adhyoh Go`ôn avait fait sur ce livre. De même, Ribbénou Bahayé `ibn Paqoudhoh et Ribbénou `avrohom ban HaRambo''m sont particulièrement respectés parmi les Dorda´im et Talmidhé HaRambo''m, alors qu'ils ont composé de nombreux textes mystiques.

Ainsi, les Dorda´im ne rejetteront pas la théorie des dix Saphirôth telle qu'elles sont mentionnées dans le Séphar Yasiroh. En effet, contrairement à la Qabboloh actuelle, les Saphirôth n'y sont absolument pas décrites comme des entités divines ni même des attributs ; elles sont simplement des nombres, considérés comme les paramètres dimensionnels utilisés dans la création du monde.

Par contre, les Dorda´im considèrent que le problème provient du Séphar Habbahir et du Zôhar, où les Saphirôth ont été hypostasiées comme des attributs divins ou des émanations divines, et où il est enseigné que l'on ne peut pas vraiment s'adresser directement au `én Sôph mais uniquement par l'une ou plusieurs de ces Saphirôth, et dans les Siddourim séfarades actuels chaque fois que le Nom Divin apparaît il est vocalisé différemment sous forme de code afin de montrer quelle Saphiroh il faudrait avoir à l'esprit. Ce problème est omniprésent dans les écrits de Yishoq Louria, où il est enseigné qu'en raison de certaines catastrophes dans les cieux, les récipients des Saphirôth se seraient fracturés et leurs canaux se seraient reformés en des aspects personnalisés à l'intérieur de la Manifestation d'HaShem appelés Parsouphim, enseignant que le but de chaque pratique religieuse serait d'assister leur unification. Pour les Dorda´im, cet enseignement est proche du polythéisme.

Le Zôhar est également considéré comme une véritable supercherie et un livre rempli d'hérésies et d’idolâtries.

Concernant la pratique religieuse, les Dorda´im s'opposent à l'abandon par l'orthodoxie juive d'un grand nombre de pratiques talmudiques qu'elle remplace par des coutumes nouvelles et des innovations, dont certaines sont clairement contraire à la loi talmudique. Cela concerne premièrement, mais pas uniquement, les coutumes dérivées de la Qabboloh. Aux yeux des Dorda´im et Talmidhé HaRambo''m, il n'existe aucune autorité ayant le pouvoir d'instituer des règles et pratiques nouvelles, que ce soit dans le sens de l'indulgence ou de la rigueur, depuis la dissolution du Sanhédhrin en l'an 425 de l'ère courante, ou au plus tard depuis que le Talmoudh fût scellé, et le rôle des rabbins venus après cette période consiste uniquement à enseigner et codifier la loi telle qu'elle a été enseignée et codifiée par le Sanhédhrin.

Pour les Dorda´im et Talmidhé HaRambo''m, le Mishnéh Tôroh de Ribbénou est le code halakhique le plus complet et fidèle au Talmoudh ; de ce fait, c'est le seul ouvrage qu'il est utile d'étudier et d'appliquer afin de mettre en pratique la loi talmudique. En outre, le texte actuel du Talmoudh est majoritairement corrompu par de très nombreuses variations textuelles et des censures. Or, les Ri`shônim, dont Ribbénou fait partie, possédaient les manuscrits les plus anciens et authentiques. Par conséquent, les Dorda´im et Talmidhé HaRambo''m concluent que le Mishnéh Tôroh est le meilleur accès à ce qu'enseignait originellement le Talmoudh.

Les Dorda´im ne considèrent toutefois pas que toutes les coutumes locales, qu'elles soient séfarades ou achkénazes ou d'une autre ethnie, seraient illégitimes si elles diffèrent de la Halokhoh de Ribbénou. C'est ainsi qu'eux-mêmes ont préservé certaines pratiques non maïmonidiennes sur des sujets mineurs (il existe entre trente et cinquante divergences entre les Dorda´im et le Mishnéh Tôroh). Cependant, ils soutiennent, sur base d'anciennes autorités telles que le Rov Yôséph Qa`rô ou encore le Rov Dowidh `ibn `abbi Zimro`, que les positions de Ribbénou doivent faire autorité non seulement au Yémen mais également en `aras Yisro`él, en Égypte et au Proche-Orient en général.

Il y a un rapport entre la position des Dorda´im sur la Halokhoh et sur tous les autres sujets, puisque l'un des arguments des Dorda´im pour accepter le Mishnéh Tôroh comme étant l'ouvrage halakhique le plus fidèle est que l'écrasante majorité des Pôsaqim (décisionnaires) ultérieurs, y compris le Rov Yôséph Qa`rô, étaient des croyants en la Qabboloh, ce qui a grandement influencé leurs positions, et ils ne devraient donc pas être acceptés comme faisant autorité au niveau pratique.

Les aspects de la loi juive talmudique sur lesquels les Dorda´im pourraient particulièrement insister, et qu'ils considèrent comme ayant été abandonnés par l'écrasante majorité des Juifs d'aujourd'hui incluent :

  • les lois sur la ´avôdhoh Zoroh qui interdisent tout usage d'intermédiaires ou de médiateurs entre l'homme et HaShem, de prier ou faire des requêtes à des forces invisibles telles que les rabbins passés ou les Saphirôth, de supplier tout être invisible autre qu'HaShem, etc. ;
  • les lois sur la législation se rapportant à la fonction et à la nécessité d'un Sanhédhrin ;
  • les lois sur le peuplement de la Terre d'Israël telles qu'elles ont été rapportées par Ribbénou dans les Hilkôth Malokhim Oumilhomôth ;
  • certaines lois concernant la Kashrouth, comme par exemple le fait d'immerger la viande dans de l'eau bouillante avant de la cuire ;
  • la préservation de la prononciation exacte et précise de toutes les lettres hébraïques, et l'enseignement de la grammaire hébraïque ancienne ;
  • un système éducatif conservant les méthodes d'enseignement talmudiques ;
  • une insistance sur la mémorisation de la Tôroh. Par exemple, les sept hommes appelés à la Tôroh doivent lire par eux-mêmes la portion qui leur est dévolue, et non pas par l'intermédiaire d'un Ba´al Qôré` qui lirait pour tout le monde ;
  • l'obligation même pour les femmes non mariées de couvrir leurs têtes, et pas uniquement les femmes mariées ;
  • un homme devrait aspirer à porter un Talith Godhôl et des Taphillin toute la journée, chaque fois que cela est possible, et en conformité avec la loi talmudique, contrairement à la pratique orthodoxe consistant à ne les porter que pour les prières du matin. C'est ainsi que les Dorda´im et Talmidhé HaRambo''m portent un Talith Godhôl même pour la prière du soir, et tout au long de la journée même en-dehors des moments de prière. Et conformément à la loi talmudique, même les garçons âgés de moins de 13 ans peuvent porter des Taphillin et un Talith Godhôl, ou encore lire dans la Tôroh en public ;
  • les Dorda´im n'utilisent pas les Siddourim modernes, car ils incluent des prières et Piyoutim composés par les kabbalistes. Les Dorda´im se réfèrent plutôt à des Siddourim antérieurs à la Qabboloh, comme par exemple le Siddour de Ribbénou, le Siddour du Rov Sa´adhyoh Go`ôn, le Nôsah `aras Yisro`él, etc. Cela a pour résultat que les offices de prières de ces communautés sont relativement courts par rapport à ceux du monde orthodoxe.

Comme cela a été dit plus haut, tout individu ou communauté adhérant à ces points peut être appelé « Dôr Dé´oh » ou « Rambamiste ».