mercredi 28 janvier 2015

Sur la nature et le futur de la Halokhoh par rapport à l'autonomie religieuse : Troisième partie

בס״ד

Sur la nature et le futur de la Halokhoh par rapport à l'autonomie religieuse

Troisième partie

Le rabbin Nothon Lopes Cardozo שליט״א

Pour (re)lire :

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  • Critique de Maïmonide et de Rabbi Yôséf Qa`rô

Comme mentionné précédemment1, plusieurs talmudistes de premier plan ont fait valoir que le Mishnéh Tôroh de Maïmonide et le Shoulhon ´Oroukh de Rabbi Yôséf Qa`rô ont privé loi juive de cet esprit. Maïmonide élimine toutes les références à la base de ses décisions et passe presque systématiquement au silence l'existence même des opinions dissidentes et minoritaires.2 Les rares fois où il les mentionne, il semble exprimer une attitude négative, comme s'il souhaite sauver le judaïsme de cet embarras. (Voir, par exemple, Hilkhôth Mamrim 1:3-4.) Bien que moins extrême, Rabbi Yôséf Qa`rô affirme également ses décisions dans le Shoulhon ´Oroukh en termes généraux, sans mentionner de sources ou d'autres opinions. Il est vrai qu'il a d'abord rédigé le « Béith Yôséf » dans lequel il apporte de nombreuses opinions et sources.3 On pourrait donc faire valoir qu'il ne voulait pas que son Shoulhon ´Oroukh puisse devenir une œuvre distincte et autonome. Cependant, le fait est qu'une fois que cet ouvrage fut rédigé, il a rapidement assumé ce statut même. Il serait difficile de prétendre que l'auteur n'avait pas prévu cette possibilité.

  • Maharshal, Maharal et Rabbi Hayim ban Basal`él

Trois autorités furent profondément préoccupées par cette évolution: Rabbi Shalômôh Louria, connu sous le nom de Maharshal (1510-1573); Rabbi Yahoudoh Low ban Basal`él, connu sous le nom du Maharal de Prague (1520-1609); et Rabbi Hayim ban Basal`él (1530-1588), le frère du Maharal. Chacun à sa manière a attaqué le Mishnéh Tôroh et le Shoulhon ´Oroukh, affirmant qu'ils étaient anti-talmudiques et donc anti-halakhiques.4 Le Maharshal a accusé Maïmonide d'agir « comme si (il) a reçu (le Mishnéh Tôroh) directement de Môshah au Mont Sinaï, [comme s'il] l'a reçu directement du ciel, n'offrant aucune preuve ... » (Yam Shal Shalômôh, Introduction à Bavo` Qammo`). Dirigeant son attaque vers le Shoulhon ´Oroukh de Rabbi Yôséf Qa`rô dans lequel l'auteur suit l'avis de la majorité des trois autorités (Rif, Rô`sh et Maïmonide), le Maharshal s'est demandé en quoi l'auteur avait-il le droit de le faire. Rabbi Yôséf Qa`rô a-t-il reçu une telle tradition qui remonte à l'époque des sages ? (ibid)

Le Maharshal poursuit en affirmant que l'entreprise même du Shoulhon ´Oroukh est dangereuse. Ceux qui l'étudient en viendront à croire que ce que Rabbi Yôséf Qa`rô écrit est l'autorité finale, et même « si un être vivant se tenait devant eux et écrirait que la Halokhoh est différente, en citant d'excellents arguments ou même une tradition reçue faisant autorité, ils ne prêteront pas attention à ses paroles ... » (Yam Shal Shalômôh, introduction à Houllin).5 Rabbi Hayim ban Basal`él ajoute que les gens ne réalisent pas que cette autorité [halakhique] n'est « qu'une personne parmi d'autres » (Vikouah Mayim Hayim 7)

En outre, ces codes [halakhiques] conduisent à la paresse intellectuelle. Les gens n'étudieront plus le Talmoud car ils s'appuient sur ces ouvrages [halakhiques]. Nous pouvons comparer cette situation à un pauvre qui recueille des aumônes des gens riches et aime afficher ses marques de richesse. À première vue, il donne l'impression d'effectivement être riche. Après tout, il a de la nourriture et des vêtements. Mais en vérité, c'est une illusion, car tout ce qu'il a vient des éléments qu'il a recueillis. (ibid) De même, celui qui étudie seulement ces codes et règles [halakhiques] ne connait pas du tout les tenants et les aboutissants des débats talmudiques qui les ont précédés.

Rabbi Basal`él met en garde contre un autre danger. Comment peut-on même savoir si la Halokhoh telle qu'elle est rapportée dans le Mishnéh Tôroh ou le Shoulhon ´Oroukh est applicable à une situation particulière ? Ces questions sont dans un état de flux. Un changement mineur peut exiger une réponse radicalement différente. Même plus audacieuse encore est son observation selon quoi, étant donné que la « [Torah] n'est plus dans le ciel » (Bavo` Mési´o` 59a-b) et que les questions halakhiques doivent être décidées par les êtres humains, il est possible que la même autorité halakhique puisse voir les choses différemment aujourd'hui que ce qu'il a fait hier. En tant que tel, il peut statuer différemment aujourd'hui que ce qu'il a fait hier. Ce n'est pas une lacune ou une incohérence. Tout cela fait partie du principe selon quoi « celles-ci et celles-là sont les paroles du D.ieu vivant ».

Le Maharal ajoute que le rabbin ne peut compter que sur sa propre intelligence: « Et même quand sa sagesse le conduit à se tromper, il est néanmoins bien-aimé par D.ieu tant qu'il a fait de son mieux pour raisonner. Et cette personne est de loin préférable à celle qui détermine la Halokhoh à partir d'un seul ouvrage, sans en connaître la raison, marchant comme un aveugle le long du chemin » (Nétivôth ´Ôlom 16, à la fin).6

Ces autorités conviennent que le Talmoud seul devrait être la source de la prise de décision halakhique.7 Tous déclarent que la préoccupation « qu'il y ait beaucoup de Tôrohs [différentes] en Israël » (Sanhédrin 88b) n'a aucune incidence sur cette question. Ce n'est pas la multitude d'opinions halakhiques qui crée le danger de nombreuses Tôrohs [différentes]; c'est le rejet même du Talmoud en tant seul texte faisant autorité pour décider des questions halakhiques qui présente ce danger. En fait, c'est la codification qui provoque le problème de nombreuses Tôrohs [différentes] en Israël, car la codification [systématique] n'oblige plus le Pôséq à revenir aux différentes opinions exprimées dans le Talmoud ! Le Talmoud incarne le judaïsme dans sa forme la plus authentique. C'est la validité de chacune des opinions opposées comme faisant partie de la Tôroh de D.ieu qui rend le judaïsme dynamique et fidèle à son propre esprit. C'est seulement à partir du Talmoud lui-même que le rabbin doit décider la loi, en tenant compte de toutes les différentes opinions qui y sont mentionnées.

Il ne fait aucun doute que Maïmonide et Rabbi Yôséf Qa`rô avaient les meilleures intentions. Ils voulaient créer un terrain d'entente et ont estimé qu'une codification unifiée rendrait cela possible. Les deux ont estimé que leurs coreligionnaires Juifs avaient besoin d'un judaïsme simplifié dans lequel presque rien n'a été laissé au hasard ou à l'aléatoire. Tout comme les treize principes de Maïmonide sur la foi ont donné au judaïsme une apparence de religion dogmatique, de même en fut-il du Mishnéh Tôroh et du Shoulhon ´Oroukh. Ces ouvrages codifiés ont fait pénétrer des éléments étrangers dans le judaïsme.8 Avec le recul, nous pouvons voir qu'ils ont causé une fausse déclaration de la nature de la loi juive et de son esprit. Cela a mis en mouvement un genre entier de littérature halakhique qui est non-juive dans son esprit. Le résultat fut une fausse impression du judaïsme, qui est devenue la cause célèbre des attaques contre le judaïsme vu comme une religion de rigidité obscure. Le Traité théologico-politique de Spinoza est un exemple typique, et la codification extrême dans le monde juif d'aujourd'hui est le résultat évident [de ces codifications à outrance].

Tout cela étant dit, nous devons continuer à étudier les ouvrages de Maïmonide et Rabbi Yôséf Qa`rô et peut-être même vivre selon leurs directives. Ils appartiennent à ce que le judaïsme a de mieux à offrir. Mais nous devons être prudents et veiller à ne pas créer l'impression qu'il n'y a pas de voies alternatives.9 Nous devons faire de nos jeunes des chercheurs conscients du fait que la Halokhoh est beaucoup plus que ce que ces ouvrages représentent. Par dessus tout, nous devrions voir ces ouvrages sublimes comme n'étant rien d'autre que des commentaires sur le Talmoud. Plus précisément, le Mishnéh Tôroh de Maïmonide nous offre des vues profondes sur la façon dont son esprit de génie a lu et compris le Talmoud.10 C'est en cela, et non dans sa tentative de codifier la loi juive, que Maïmonide a apporté sa plus grande contribution à l'étude juive. En fin de compte, ce n'est que par les discussions contenues dans le Talmoud que nous, avec l'aide de nos rabbins, devons décider comment vivre notre vie religieuse.11
3Là encore, voir l'article intitulé « Aucun code halakhique n'est supérieur au Talmoud »
4Voir l'article intitulé « Que signifie être Rambamiste », où il avait été expliqué que bien que nous nous référons au Rambam, nous estimons le Talmoud supérieur. Par conséquent, nous ne suivons pas le Rambam lorsque ses opinions sont contraires à ce qui est dit dans le Talmoud.
5Et c'est précisément ce qui se passe, au point de nous fait croire qu'il faut suivre le Shoulhon ´Oroukh en tout point, même quand il contredit le Talmoud. Voir l'article intitulé « Renverser la hiérarchie ».
6Et c'est ce que font aujourd'hui la majorité des Juifs, suivant des tonnes de règles et de lois, sans même savoir si elles sont conformes au Talmoud, et sans même se soucier des raisons cachées derrières ces règles et lois, qu'ils suivent juste parce qu'elles sont rapportées dans tel ou tel ouvrage ! Dans le même temps, ceux qui rejettent ce diktat insensé et s'attellent à revenir à la Halokhoh authentique du Talmoud ou à juger toute loi et règle à la lumière de sa conformité ou pas avec le Talmoud, ceux-là sont insultés ou méprisés, voire taxés de rebelles. Mais rebelles contre qui ? Contre les rabbins ou contre la Loi Orale (dans laquelle tout Juif affirme croire) ?
7Et c'est ce que je défends ardemment sur ce blog.
8Le Rambam s'est souvent beaucoup appuyé sur les Gé`ônim et a compté comme Halokhoh certaines pratiques nées après l'époque talmudique. De même, son esprit trop rationaliste l'a amené à rejeter certaines doctrines dans lesquelles croyaient pourtant nos Sages (comme par exemple l'existence des démons, la sorcellerie, etc.). Quant à Rabbi Yôséf Qa`rô, il a fait pénétrer la prétendue « Qabboloh » du Zôhar dans la Halokhoh.
9Comme ceux qui déclarent « apostats » ou « hérétiques » quiconque ne suivrait pas les Halokhôth et règles de notre époque n'ayant pas de fondement talmudique. Si la majorité veut suivre ces règles, c'est son droit. Mais qu'elle reconnaisse alors aux autres le droit de ne faire que ce qui est tranché par le Talmoud, qui est notre Tôroh Orale contenant les paroles et doctrines de nos Sages de mémoire bénie, qui sont de loin supérieurs à tout ce qui s'est fait depuis l'ère talmudique ! Le but de ce blog est précisément de montrer, avec sources à l'appuie, que des voies alternatives halakhiquement valables existent, et que bon nombre des choses qui se font aujourd'hui contredisent la Tôroh Écrite et Orale, dans lesquelles tout Juif affirme croire. Je suis pleinement conscient que certains articles ou propos peuvent choquer les plus sensibles, et surtout ceux qui croient dur comme fer en leurs rabbins et leur infaillibilité, et considèrent toutes les règles du judaïsme actuel comme faisant partie de la tradition reçue au Sinaï. Mais ce n'est pas cela qui doit empêcher de dire les choses telles qu'elles sont.
10Et la raison pour laquelle le Mishnéh Tôroh est utilisé comme référence sur ce blog est que par l'étude profonde du Mishnéh Tôroh, il est possible de remonter jusqu'aux sources talmudiques plus aisément qu'avec tout autre ouvrage halakhique et voir de nous-mêmes si ce que dit le Rambam est bien ce que dit le Talmoud ou pas, car, en définitive, ce n'est pas le Mishnéh Tôroh notre autorité, mais le Talmoud lui-même. Lorsque le Mishnéh Tôroh est lu et étudié de cette façon, c'est là qu'on en fait l'usage le plus approprié.

11Et c'est la raison pour laquelle le blog `Ôr HaMishnoh fut créé, de façon à revenir aux sources talmudiques.