vendredi 26 décembre 2014

Renverser la hiérarchie

ב״ה

Renverser la hiérarchie


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Ceux qui, comme moi, ont étudié en Yashivoh, qui repassent dans leur esprit ce qui leur a été appris durant ces années-là par leurs enseignants, et réfléchissent un petit peu sur l'état calamiteux du Judaïsme actuel, ne peuvent qu'être frappés par les nombreuses contradictions existant entre ce qui leur a été enseigné à la Yashivoh et la façon dont le Judaïsme est pratiquée au quotidien. Prenons un exemple concret pour illustrer ce phénomène.

À la Yashivoh, on nous enseigne d'une façon très claire qu'il y a une hiérarchie entre les rabbins et qu'elle fonctionne de la façon suivante :

  • au sommet, on retrouve HaZa''l (les Sages du Talmoudh)
  • puis les Ri`shônim (les décisionnaires entre le 11ème et le 15ème siècle. Cette période s'arrête au moment de la rédaction du Shoulhon ´oroukh),
  • puis les `aharônim (tous les décisionnaires venus après la rédaction du Shoulhon ´oroukh et qui l'ont commenté),
  • et enfin les « Gadhôlim » contemporains.

Cela signifie que chaque fois que nous avons une question halakhique, le premier réflexe à avoir consiste à d'abord se demander ce que dit le Talmoudh sur le sujet et agir en fonction de la réponse trouvée. Si le sujet n'est pas explicitement traité, on doit alors rechercher ce que dit le Talmoudh sur un sujet plus ou moins identique et agir en fonction de ce que l'on aura trouvé. Mais si le sujet n'est même pas traité implicitement, on regardera alors s'il a été traité par les Ri`shônim et on s’appuiera sur la position qui semble la plus cohérente et ne pas être en opposition avec une Halokhoh du Talmoudh. Et si on ne trouve pas sa réponse dans les écrits des Ri`shônim, on se tournera alors vers les `aharônim. Et seulement alors, si même parmi les `aharônim le sujet n'est pas traité, on se tournera vers les rabbins contemporains.

En outre, cette hiérarchie implique qu'aucun des rabbins contemporain ne peut contredire une décision déjà prise ou une Halokhoh déjà tranchée dans le Talmoudh par HaZa''l ou les sages des générations antérieures. En d'autres mots, plus on revient en arrière, plus on se rapproche de la bonne voie à suivre. C'est en fait ce que nous dit également de façon explicite le Ramba''m ז״ל dans son Introduction au Mishnéh Tôroh.

Pendant des années, comme d'autres, j'ai non seulement cru en cette hiérarchie (et j'y crois toujours), mais j'ai également cru que les enseignants de la Yashivoh y croyaient aussi, car il est inconcevable de penser que quelqu'un puisse enseigner quelque chose à laquelle il ne croit pas, n'est-ce pas ? Et pourtant, avec le temps, il est devenu de plus en plus clair qu'en réalité les rabbins et enseignants ne croient pas du tout en cette hiérarchie. Pire encore, ils la renversent !

Dans le milieu orthodoxe irrationnel, bien que HaZa''l représentent sans l'ombre du moindre doute la plus haute autorité rabbinique, toute parole incommode de HaZa''l est tout simplement ignorée, voire même réinterprétée sans aucune honte pour qu'elle colle avec la pensée dominante actuelle, méprisant ainsi ce que HaZa''l ont réellement dit !

Quant aux Ri`shônim, bien que nos rabbins et enseignants aiment nous enseigner que ראשונים כמלאכים « Ri`shônim Kamal`okhim – les Ri`shônim étaient comme des anges » grâce à leur érudition et connaissances profondes de la Halokhoh, toute décision incommode des Ri`shônim est tout simplement balayée d'un revers de la main. Les rabbins vont s'arranger pour qu'on ne puisse pas étudier les enseignements « dérangeants » des Ri`shônim et vont aller jusqu'à traiter d'hérétiques ceux qui suivent certaines des approches des Ri`shônim qu'ils estiment être incorrectes (mais ils s'abstiendront de vous dire que les Ri`shônim adhéraient à ces approches qu'eux considèrent être hérétiques !) Voilà pourquoi, dans les faits, les `aharônim piétinent toujours les Ri`shônim !

Concernant les `aharônim, en dépit des innombrables histoires que les rabbins nous racontent pour illustrer leur grandeur inimaginable dans la Tôroh et la sagesse, même leurs opinions « incommodes » sont rangées au placard. Par exemple, personne dans le monde de la Yashivoh ne citera le Hatho''m Sôphér ז״ל qui faisait l'éloge de la science des Ri`shônim, parmi lesquels il y avait de nombreux médecins, physiciens, botanistes, linguistes, historiens, etc., et a écrit qu'il était indispensable d'avoir aussi des études laïques (lorsque les cours sont donnés par des enseignants appropriés, comme il le précise). Personne dans le monde de la Yashivoh ne citera tous ces illustres Ri`shônim et `aharônim qui, s'appuyant sur le Talmoudh, ont enseigné qu'il était indispensable de travailler et que l'on ne pouvait pas passer sa journée qu'à étudier la Tôroh !

Aujourd'hui, les rabbins sont parvenus à nous faire croire qu'étudier d'autres choses (en plus de la Tôroh, évidemment) était interdit, que les Juifs ont toujours étudié la Tôroh toute la journée (ce qui n'est pas vrai), que tous les garçons Juifs ont toujours été scolarisés en Yashivoh (ce qui n'est pas vrai. Même le Ba´al Shém Tôv et les premières générations de Hasidhim n'ont jamais étudié à la Yashivoh, mais étudiaient soit seuls, soit avec des maîtres, et commençaient très jeune à travailler en même temps qu'ils étudiaient. Et en réalité, la toute première Yashivoh hassidique n'a vu le jour qu'au début des années 1880, à Vizhnitz. Elle fut fondée par Rabbî Shalômôh Halberstam, fondateur de la Hasidhouth Bobov. Avant cela, seuls les Litvaqim étudiaient à la Yashivoh en Europe. Et ce ne sont pas tous les enfants qui s'y rendaient. En effet, chez les Litvaqim de ces temps-là, seuls les enfants les plus érudits étudiaient à la Yashivoh, tandis que les autres, qui constituaient la majorité, apprenaient un métier. Quant aux Hasidhim, avant la fondation de la toute première Yashivoh hassidique, ils combinaient l'étude de la Tôroh avec un maître particulier et l'apprentissage d'un métier), ou encore qu'étudier la science est de la pure hérésie !

Ce sont des adversaires de HaZa''l, des Ri`shônim et des `aharônim ! Ils leur livrent une guerre, car le Judaïsme authentique que nos maîtres des temps passés enseignaient ne colle pas au faux Judaïsme que nos rabbins actuels ont inventé ! Dans le faux Judaïsme actuel, si un Juif, qui est pourtant pratiquant, craint HaShem, étudie la Tôroh, met en pratique les Miswôth, mais désire également poursuivre des études de médecine car il aspire à soigner les autres, il est un hérétique, alors que le Ramba''m, le Ramba''n ז״ל, et beaucoup d'autres, furent médecins ! Même parmi les rabbins de la période d'avant-guerre, beaucoup d'entre eux poursuivaient des études laïques ou les encourageaient, comme par exemple le Rov Samson Raphaël Hirsch ז״ל, le leader du Judaïsme allemand du 19ème siècle, admiré et respecté dans tous les milieux (du moins, en théorie, puisque aujourd'hui on enseigne que faire des études laïques est de l'hérésie. Oseraient-ils traiter le Rov Hirsch d'hérétique ?).

Il existe des centaines de paroles de HaZa''l dans le Talmoudh qui interdisent à un Juif de vivre sur la charité, mais au contraire de se trouver un travail qui lui permettra de pourvoir à ses propres besoins. C'était si important pour HaZa''l qu'ils nous disent : « Toute Tôroh qui n'est pas soutenue par une profession ne se maintiendra pas ! » HaZa''l disent aussi que si un Juif ne peut trouver un travail considéré « digne », il est même préférable qu'il accepte un petit emploi indigne de son rang plutôt que de vivre sur la charité ! Mieux vaut être éboueur que vivre de la charité ! (Sans aucune insulte envers ceux qui ont cette profession. Boroukh HaShem que nous ayons des éboueurs. Il n'y a pas de sots métiers.) Mais que nous dit-on aujourd'hui ? On nous dit qu'il faut étudier la Tôroh toute la journée, ne pas travailler, faire appel aux services sociaux (pour recevoir de l'aide de l’État), etc. Ils sont prêts à occulter tous les enseignements du Talmoudh, des Ri`shônim et des `aharônim qui ne leur plaisent pas !

La réalité du Judaïsme actuel est que plus haut que HaZa''l, les Ri`shônim et les `aharônim, on retrouve les pseudos « Gadhôlim de la Génération » (voir l'article intitulé « La source de la moralité juive et du Pasaq Halokhoh », où nous avions expliqué la fausseté de cette doctrine des « Grands de la Génération »). Ils nous dictent ce que nous devons penser, déterminent pour nous quelles sont les opinions des grands Ri`shônim et `aharônim qui sont hérétiques et qu'il faut jeter à la poubelle, comment nous devons nous habiller (voir l'article « Des Séfardîm en vêtements Ashkénazes »), quelle doit être la couleur de nos chaussettes, quel type de sous-vêtement il faut mettre, comment porter son chapeau, etc. Certains seraient capables de demander à leur Rebbe si manger des frites est permis quand on est pieux ! C'est à la limite s'il faut l'autorisation du Rebbe pour respirer ! Ce sont des demi-dieux !

Mais en fait, même les pseudos « Gadhôlim de la Génération » ne sont pas au sommet de l'échelle. En effet, beaucoup de « Gadhôlim », qui ne sont pas du tout connectés à la vie réelle (ils ne savent rien de ce qui se passe de l'autre côté des murs de leur Béth Midhrosh), se font manipuler par leurs secrétaires, qui leur présentent des « faits » d'une manière partiale et orientée, de façon à amener les « Gadhôlim » à prendre des décisions conformes à ce que les secrétaires veulent entendre. En outre, lorsque ces « Gadhôlim » émettent des décisions incommodes, leurs paroles sont ignorées et on leur préfère tout d'un coup les paroles d'autres « Gadhôlim » qui sont plus facilement manipulables et coopératifs. Et si ces « Gadhôlim » persistent à émettre des décisions incommodes, leur licence de « Godhôl » est tout simplement révoquée ! HoRov Sholôm Elyashîv, par exemple, a émis toute sorte de Pisqé Halokhoh que vous ne verrez jamais affichés sur des Pashkévîlîm ou aux murs d'une Yashivoh ou dans un journal Harédhî ! Même dans les milieux de ceux qui se revendiquent de lui !

J'ai un exemple récent pour illustrer tout cela. Quelqu'un (dont je ne citerai pas le nom), lors d'une discussion, a commencé par affirmer qu'à ses yeux, le Ramba''m était « dhash Qôdhoshîm – le saint des saints » et que les paroles des Ri`shônim descendaient tout droit du Mont Sinaï. Mais lorsqu'on l'a confronté à des décisions du Ramba''m qui divergent des positions acceptées par les pseudos « Gadhôlim de la Génération », il a osé affirmer que le Ramba''m et les Ri`shônim avaient tort. Lorsqu'on lui a demandé quelle preuve il pouvait apporter pour soutenir qu'ils avaient tort, il a simplement répondu que la preuve de leur erreur est que les « Gadhôlim » ont tranché différemment ! Puis, il s'est lancé lui-même dans une discussion sur les « Gadhôlim » pour nous expliquer à quel point ils guidaient le peuple juif dans la bonne direction et nous permettent de penser et d'agir comme il faut. Mais lorsqu'on l'a confronté à une déclaration du Rov Ya´aqôv Kamenetsky qui allait à l'encontre de ses croyances, il a tout d'un coup changé de langage et a affirmé que le Rov Kamenetsky devait certainement être sous l'influence de l'alcool lorsqu'il a publié ce Pasaq ! Ainsi, quand la décision de celui qu'il affirme être un « Godhôl de la Génération » est incommode, tout d'un coup ce pseudo Godhôl devient un גדול אשר יצר « Godhôl `ashèr Yosar » (que ceux qui peuvent comprendre cette expression, qu'ils comprennent).

En résumé, pour tous ceux qui adhèrent à cette sottise des « Gadhôlim de la Génération », les pseudos Gadhôlim sont beaucoup plus importants que HaZa''l et les Ri`shônim (ainsi, ils admettent implicitement ne pas croire du tout en la Tôroh Orale !) Mais même les pseudos Gadhôlim ne sont respectés et suivis que lorsque leurs opinions concordent avec celles que les gens qui les consultent considèrent eux-mêmes comme étant légitimes. De façon toute à fait surprenante, la hiérarchie d'autorité rabbinique qu'ils prétendent à voix haute être vraie, est le contraire totale de la hiérarchie qu'ils suivent réellement !

Voilà la folie et l'incohérence dans laquelle le Judaïsme actuel nous entraîne ! Plutôt que de suivre la Tôroh et la Halokhoh, ils suivent celui qui leur dit ce qu'ils veulent entendre, même lorsque cela va à l'encontre de la Tôroh et de la Halokhoh véritable ! Toute personne qui ne va pas dans leur sens est un hérétique.


Oyve, comme disent certains !
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