lundi 26 janvier 2015

Sur la nature et le futur de la Halokhoh par rapport à l'autonomie religieuse : Deuxième partie

בס״ד

Sur la nature et le futur de la Halokhoh par rapport à l'autonomie religieuse

Deuxième partie

Le rabbin Nothon Lopes Cardozo שליט״א

Pour (re)lire :

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  • Le problème de la codification

Au cours des cinq derniers siècles, de célèbres dirigeants rabbiniques ont appelé à limiter l'autorité écrasante du Shoulhon ´Oroukh de Rabbi Yôséf Karo et du Mishnéh Tôroh de Maïmonide. Ils estimaient que ces œuvres ne reflètent pas l'authentique judaïsme et sa tradition halakhique. La raison est évidente. Ces deux grands codes de la loi juive ne sont pas dans l'esprit du judaïsme. Ils présentent la Halokhoh dans des façons qui s'opposent au cœur et l'âme du Talmoud, et donc du judaïsme lui-même. Ils ont privé le judaïsme de sa tradition halakhique à multiples facettes et sa musique inhérente. Ce ne sont pas ces œuvres elles-mêmes qui sont le problème mais l'idéologie qu'elles représentent: la philosophie de codification et de finalisation la loi juive.

Ce problème a pris des proportions terribles à notre époque. Il y a plus d'études du judaïsme aujourd'hui que dans les deux mille dernières années. De plus en plus de jeunes se consacrent à une vie de Shamirath Hammiswôth (d'observance religieuse). Cela devrait être un motif de grand optimisme. Que pourrions-nous vouloir d'autre dans une ère d'extrême laïcité ? Cependant, il est difficile de nier que cet engagement révèle un effet secondaire inquiétant. Il expose les éléments d'un judaïsme artificiel qui a été ré-écrit de manière préjudiciable qui s'oppose à sa nature même.

Une lecture attentive de la littérature juive orthodoxe de notre temps révèle que de nombreux auteurs se méprennent sur la nature de la loi juive. Une grande partie de cette littérature est consacrée à la codification extrême et obsessionnelle, qui va de pair avec un désir de « fixer » la Halokhoh une bonne fois pour toute. Les lois de Mouqsah, de la Tavilath Kélim, de la Sani´outh et beaucoup d'autres, sont codifiées avec chaque fois plus de détails que jamais auparavant. Ces ouvrages sont devenus la norme par lesquels la jeune communauté religieuse vit sa vie. Lorsqu'on les étudie on se demande si nos ancêtres étaient réellement religieux, étant donné que ces recueils n'ont jamais été mis à leur disposition et qu'ils n'auraient jamais pu connaître toutes les minuties présentées aujourd'hui au Juif pratiquant. Au cours des années, nous avons embaumé le judaïsme tout en affirmant qu'il est vivant parce qu'il continue à maintenir sa forme extérieure.

La majorité de la littérature halakhique d'aujourd'hui est standardisée, permettant peu de place à la flexibilité halakhique et au besoin spirituel d'un peu de nouveauté. Pour la plupart, le lecteur est invité à suivre le point de vue le plus rigoureux sans se demander s'il l'aidera effectivement dans son ´Avôdath HaBôré` (service du Créateur), selon sa personnalité distincte. La musique de la Halokhoh, son esprit et sa mission sont entièrement perdus dans ce type de littérature. Lorsque l'étudiant cherche au-delà de ces ouvrages la musique, il est souvent confronté à une approche dogmatique du judaïsme qui manque entièrement la cible. Nous sommes marquée par la codification et la dogmatisation excessive.

Une autre tentative obsessionnelle qui contraste avec la nature même du judaïsme est la tentative de codifier les croyances juives. Les croyances juives sont constamment dogmatisées et halakhisées par les autorités rabbiniques, et toute personne qui n'accepte pas ces croyances rigides n'est plus considérée comme un vrai Juif religieux. Un esprit de finalisation s'est emparé du judaïsme.

  • Celles-ci et celles-là sont les paroles du D.ieu Vivant

L'une des plus grandes contributions du Talmoud au judaïsme est son indétermination, son refus fréquent de faire la loi. Les discussions talmudiques consistent principalement en des positions concurrentes, manquant souvent une décision claire qui fait autorité. La raison est évidente: il ne devrait pas toujours y en avoir une. La déclaration talmudique bien connue, « `Éllou Wa`éllou Divréi `Alôhim Hayim – Celles-ci et celles-là sont les paroles du D.ieu Vivant » (´Éirouvin 13b), soutient cette position. Un désaccord halakhique et des opinions radicalement opposées sont l'essence du Judaïsme. Il y a une raison profonde à ce principe. La Tôroh, qui est la parole de D.ieu, ne peut qu'être multiforme. Comme D.ieu Lui-même, elle ne peut jamais s'intégrer dans un système finalisé, car elle est beaucoup trop vaste. Chaque être humain est différent; la Tôroh doit donc être différente pour chacun d'entre eux, démontrant des dimensions et des possibilités infinies. C'est l'un des aspects les plus fascinants de la tradition juive, ce qui la distincte clairement des religions du monde.

Dans un discours brillant, Rabbi Shalômôh Louria, le Maharshal (1510-1573), déclare :

On ne devrait jamais être étonné par la quantité de débats et d'argumentations en matière de Halokhoh. ... Toutes ces vues sont dans la catégorie de « Celles-ci et celles-là sont les paroles du D.ieu Vivant », comme si chacune d'elles a été reçue directement par Môshah au Sinaï ... Les kabbalistes ont expliqué que la base de cela est que chaque âme individuelle était présente au Sinaï et a reçu la Tôroh au moyen de quarante-neuf Sinôrôth, chaînes spirituelles. Chacun perçu la Tôroh de son propre point de vue en fonction de sa capacité intellectuelle, ainsi que la nature et le caractère unique de son âme particulière. Cela explique la différence de perception dans la mesure où l'un a conclu que l'objet était Tamé` à l'extrême, un autre l'a perçu comme étant absolument Tahôr, et pourtant une troisième personne fait valoir le statut ambivalent de l'objet en question. Tous ces points de vue sont vrais et authentiques. Ainsi, les sages ont déclaré que dans un débat entre les savants, toutes les positions articulées sont différentes formes de la même vérité.
Yam Shal Shalômôh, Introduction à Bavo` Qammo`

Les observations de Maharshal vont au cœur du judaïsme. Il n'existe pas de principe selon lequel il faudrait avoir une Tôroh fixe qui est identique pour tous. Il y a certainement des objectifs qui doivent être atteints: à savoir, l'accomplissement des commandements de D.ieu. Mais il n'y a pas de bénéficiaires passifs. Chaque personne reçoit la Tôroh individuellement, selon sa propre personnalité et ses circonstances exceptionnelles. En fait, on pourrait soutenir que l'idéal aurait été que qu'aucun texte écrit ne fut donné au Sinaï étant donné que deux personnes sont capables de lire le même texte de manière différente. Le sens du texte dépend dans une large mesure du lecteur et n'est donc pas une réalité fixe. Le fait qu'un texte ait même été donné au Sinaï est en soi un compromis. Même si un texte aurait dû être donné, a priori, il aurait dû l'être en autant de versions qu'il y a de Juifs depuis le Sinaï. Ce n'est pas arrivé; un seul texte a été révélé en raison du fait qu'il y avait un besoin d'unité et d'affiliation entre les Juifs, de partager l'expérience d'un texte Divin dans un lien d'unité, façonner un peuple élu qui apporterait la parole de D.ieu au monde. Il y avait la nécessité d'une base fondamentale à travers laquelle les Juifs seraient en mesure de discuter de la parole de D.ieu et la partager partout où ils vont. Surtout, un texte fixe était nécessaire pour faciliter la discussion, et non une contrainte. Si les choses étaient restées ainsi, il serait resté en vie, permettant à l'infini de nouvelles interprétations possibles et des perspectives uniques.

On pourrait même faire valoir que tous les Juifs n'avaient pas besoin des mêmes Miswôth. Ce fut seulement pour les nécessités de la camaraderie, et le destin commun du peuple juif et de leur mission dans le monde, qu'ils avaient tous à s'engager à accomplir toutes les Miswôth. Pour reprendre les paroles de Rabbi Mordakhai Yôséf de Isbitza, « Et bien que ce ne soit pas chaque Juif qui ait besoin de toutes les interdictions contenues dans la Tôroh, il a néanmoins l'obligation de tenir compte de cette interdiction et l'assumer pour le bien de ses correligionnaires Juifs » (Méi Hashilô`ah, Parashath Baré`shith 22:12)

  • La nature de la Halokhoh

La Halokhoh est le résultat pratique de croyances non finalisées, un mode de vie pratique tout en restant dans un suspens théologique. Concernant l'esprit et la quête de trouver D.ieu, il n'est pas possible d'arriver à des conclusions définitives. La quête de D.ieu doit rester ouverte à tous afin de permettre à l'esprit humain de trouver son chemin par essais et découvertes. En tant que tel, le judaïsme n'a pas de catéchisme. Il a une aversion inhérente au dogme. Même s'il inclut de fortes convictions, il n'est pas possible de les formuler dans quelque type de système faisant autorité. Il appartient à l'érudit talmudique de faire son choix entre de nombreux avis, car ils sont tous authentiques. Ils font partie de la Tôroh de D.ieu, et même des opinions divergentes « proviennent toutes d'un même Berger » (Hagigoh 3b).

La Halokhoh transforme le liquide fluide des croyances juives en une substance solide. Elle refroidit l'acier chauffé d'idées exaltées et les transforme en actions pragmatiques. L'équilibre unique entre la Halokhoh pratique et les croyances non finalisées assure que le judaïsme ne se changera pas en une religion qui est paralysée dans la crainte d'une tradition rigide ou qu'il ne s'évaporera pas dans une rêverie utopique.


Pourtant, il serait tout à fait erroné de croire que la nécessité de l'application pratique de la Halokhoh ait quelque chose à voir avec la vérité absolue. La Halokhoh pratique n'est en principe qu'une seule manière d'agir. Elle n'assume une autorité qu'au niveau de l'exécution pratique de la Halokhoh. Même lorsque la Halokhoh pratique doit être décidée, le feu du débat doit rester en vie. Les croyances juives sont comme des arbres qui sont secoués çà et là, oscillant comme si on les faisait tourner en l'air à partir d'une corde détendue; la Halokhoh doit refléter cette réalité. Même lorsque la Halokhoh est plus directe et incontestable, elle doit se conformer à la vérité sans équivoque que même les opinions halakhiques opposées sont « toutes les paroles du D.ieu vivant », et chacune d'elles porte le potentiel de devenir la Halokhoh pratique.
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