mardi 5 novembre 2019

Pourquoi peut-on enseigner la Tôroh aux chrétiens mais pas aux musulmans d'après le Rambo''m ?


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Pourquoi peut-on enseigner la Tôroh aux chrétiens mais pas aux musulmans d'après le Rambo''m ?


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Il y a quelques temps j'avais publié un article intitulé « Musulmans et Chrétiens : Peut-on leur enseigner la Tôroh ? », dans lequel je rapportais une Tashouvoh du Rambo''m où il tranchait que bien qu'il était permis d'enseigner la Tôroh aux Chrétiens, nous ne devons pas l'enseigner aux Musulmans. Certaines raisons avaient été données, et je vais davantage développer ce sujet dans le présent article.

Au cours des dernières années, j'ai beaucoup échangé oralement et par courriers électroniques avec des musulmans chiites et sunnites. Nos conversations abordaient aussi bien la religion que la politique. Quand on parle de religion avec un musulman, on comprend vite que l'Islam, tout en se référant aux Juifs (et aux chrétiens) en tant que « peuples du Livre » (le livre étant la Bible), considère les écritures juives comme ayant été complètement corrompues au fil du temps et même délibérément adultérées par les Juifs, le tout dans le but supposé de cacher de prétendus passages qui annonceraient Mouhammad et l'islam.

Voici d'ailleurs ce qui est dit dans le hadith suivant (citant Mouhammad)1 :

Rapporté par Ubaidullah bin ‘Abdullah: ‘Abdullah bin ‘Abbas a déclaré: « Ô le groupe des musulmans! Comment pouvez-vous interroger les gens des Écritures sur quoi que ce soit alors que votre Livre qu'Allah a révélé à votre Prophète contient les dernières informations d'Allah et qu'il est pur et non déformé ? Allah vous a dit que les peuples des Écritures (Juifs et Chrétiens) ont modifié certains Livres d'Allah, les ont déformé, ont écrit quelque chose de leurs propres mains et ont déclaré: ''Cela vient d'Allah'', de manière à obtenir un gain mineur. Les connaissances qui vous sont parvenues de devraient-elles pas vous empêche de les questionner? Non, par Allah, nous n’avons jamais vu un homme d’entre eux vous poser des questions à ce sujet (le Livre Al-Qur`an) qui vous a été révélé.

En d’autres termes, le Qur`an enseigne que la Bible juive, bien que pouvant contenir quelques allusions au fait qu’elle a été révélée par Dieu, est à présent totalement peu fiable. Une telle attitude freine presque immédiatement la recherche d’un terrain d'entente commun entre Juifs et musulmans; il devient impossible de faire valoir des arguments et des significations plus précises sur base des Écritures. Les prophéties bibliques sur l’avenir glorieux du peuple d'Israël n’ont aucune signification pour un musulman (et sont même exaspérantes, car elles contredisent la conquête prophétique du monde par l’islam), tout comme les prétentions bibliques juives concernant la Terre d’Israël.

S'étant complètement coupé des sources bibliques juives (tout en prétendant se fonder sur elles), il n'est donc pas étonnant que l'Islam n'ait pas encore fait de recherches approfondies sur leur propre version de la théologie du remplacement, ainsi que sur l'anti-judaïsme omniprésent dans la société musulmane en général. Les musulmans sont généralement silencieux au sujet des maux causés aux Juifs au nom de leur religion depuis le fondement même de l'islam, alors que beaucoup de chrétiens font cet examen de conscience depuis des décennies. Les chrétiens respectent les Écritures juives en tant que sainte Parole de Dieu et, pour certains d'entre eux, cette révérence leur permet de réexaminer leurs propres croyances chrétiennes et de les confronter à la Bible hébraïque.

Le Rambo''m (Maïmonide), l'un des plus grands commentateurs Juifs de la Tôroh et de la philosophie, n'a pas ignoré ces différentes approches sur les Écritures juives.

Halakhiquement parlant, à cause du culte qu'ils rendent à un homme qu'ils considèrent comme un dieu, le Rambo''m considérait les chrétiens comme des adorateurs d'idoles (´ôvadhé ´avôdhoh Zoroh). Il a écrit dans son commentaire sur la Mishnoh2 :

Sache que cette nation chrétienne, qui revendique un messie, ainsi que ses nombreuses sectes différentes, est une adoratrice des idoles et que toutes ses fêtes sont interdites. Nous les traitons comme des païens pour les questions religieuses. Par conséquent, il faut savoir que dans chacune des villes de la nation chrétienne qui possède un autel, qui indique leur lieu de culte, il s’agit sans aucun doute d’une maison païenne d’idolâtrie.

Dans son Mishnéh Tôroh, émet le décret suivant3 :

Les Nôsariyim (chrétiens) sont des ´ôvadhé ´avôdhoh Zoroh, et le dimanche est le jour de leur `édh (fête). Par conséquent, il est `osour de commercer avec eux en `aras Yisro`él le jeudi et le vendredi de chaque semaine, et inutile de mentionner le dimanche lui-même, où cela est `osour en tout lieu. Et c'est ainsi qu'ils se conduisent avec eux lors de chacun de leurs fêtes.
הַנּוֹצְרִיִּים עוֹבְדֵי עֲבוֹדָה זָרָה הֶן, וְיוֹם רִאשׁוֹן יוֹם אֵידָם הוּאלְפִיכָּךְ אָסוּר לָשֵׂאת וְלָתֵת עִמָּהֶן בְּאֶרֶץ יִשְׂרָאֵל, יוֹם חֲמִישִׁי וְיוֹם שִׁשִּׁי שֶׁבְּכָל שַׁבָּת וְשַׁבָּת; וְאֵין צָרִיךְ לוֹמַר יוֹם רִאשׁוֹן עַצְמוֹ, שְׁהוּא אָסוּר בְּכָל מָקוֹםוְכֵן נוֹהֲגִין עִמָּהֶן, בְּכָל אֵידֵיהֶן

Sa vision du christianisme en tant qu’idolâtrie était inébranlable. Vivre en dehors de la chrétienté et à l’écart de la censure de l’Église lui a permis de parler beaucoup plus librement du christianisme que ses frères européens ne pourraient jamais le faire. De l'autre côté, le Rambo''m considérait l’islam (au milieu duquel il vivait) comme une foi non idolâtre, car, contrairement au christianisme, il n’associait aucun partenaire à Dieu, ni ne vénérait les statues ou les images de divinités ou de personnes saintes (choses courantes dans la chrétienté). Pour cette raison, l'Islam, avec son rejet de l'idolâtrie, occupait une place privilégiée pour le Rambo''m parmi toutes les religions non juives (qu'il considérait toujours comme fausse). Il a écrit dans sa lettre à ´ôvadhyoh le Converti :

Ces Ismaélites ne sont pas du tout des adorateurs d'idoles. Le paganisme est depuis longtemps retranché de leur bouche et de leur cœur et ils vénèrent le Dieu unique correctement et sans aucune tache.

Néanmoins, tout en accordant un statut monothéiste à l’islam, le Rambo''m n’avait finalement pas beaucoup d'estime pour l’islam ni pour son fondateur, qualifiant Mouhammad de « faux prophète » et de « fou », écrivant ceci dans son épître au Yémen :

Après [Jésus] s'est levé le fou qui a imité son précurseur [Jésus], puisqu'il lui a ouvert la voie. Mais il a ajouté l'objectif supplémentaire consistant à obtenir la domination et la soumissions [talb al-mulk; poursuite de la souveraineté] et il a inventé ce qui était bien connu [l'islam].

Le christianisme et l'islam étaient à ses yeux de fausses religions, mais pour le Rambo''m, les chrétiens avaient un avantage considérable sur les musulmans. De manière tout à fait remarquable, considérant sa faible opinion du christianisme, le Rambo''m pensait clairement que c’était les chrétiens, et non les musulmans purement monothéistes, qui avaient beaucoup plus de chances de découvrir les vérités enfermées dans la Tôroh et d’autres écritures juives. Tout cela était dû au fait que les chrétiens, contrairement aux musulmans, considéraient que les Écritures juives avaient une validité continue, n'ayant pas été corrompues par les Juifs, mais préservées de manière surnaturelle par Dieu Lui-même. (Bien qu'il faille noter qu'historiquement, certains chrétiens accusaient les Juifs de corrompre leurs propres Écritures pour cacher les allusions qui s'y trouveraient sur Jésus et la Trinité, et préféraient des traductions grecques ou latines « supérieures », écrites par l'Église, renonçant au texte hébreu utilisé par les Juifs) . Puisque les musulmans ont rejeté l'authenticité des Écritures juives, les considérant comme fausses et mensongères, mais que les chrétiens leur accordaient un grand respect et une grande vénération, le Rambo''m a donné son accord pour enseigner la Tôroh et le judaïsme aux chrétiens mais pas aux musulmans, permettant ainsi de rapprocher les chrétiens de la foi juive :

Il est permis d'enseigner les commandements aux chrétiens et de les attirer dans notre religion, mais il n'est pas permis de faire la même chose avec les Ismaélites.

La vision infiniment plus révérencielle des écritures juives dans le christianisme aide à expliquer le nombre beaucoup plus important de chrétiens qui se convertissent au judaïsme ou qui adhèrent aux lois Noahides telles qu'elles ont interprétées par les rabbins.
1Boukhari, Volume 9, Livre 93, n°614
2´avôdhoh Zoroh 1:3
3´avôdhoh Zoroh Wahouqqôth Haggôyim 9:4