jeudi 1 octobre 2015

L'orthodoxie est traditionaliste, pas traditionnelle

ב״ה

L'orthodoxie est traditionaliste, pas traditionnelle


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Avertissement : Je sais que les propos tenus dans cet article pourraient en heurter certains. D'autres pourraient même en conclure que je suis un ennemi du Judaïsme, un hérétique, etc. Par conséquent, si vous faîtes partie de ceux qui ont une foi aveugle dans les rabbins et qui croient dans la fausse doctrine des « Grands de la Génération », en leur infaillibilité et omniscience, je vous recommande de ne pas du tout le lire, car de toute façon aucune parole ne peut trouver grâce aux yeux de ceux qui considèrent vérité le mensonge, licite l'illicite. Ne prenez donc pas du tout la peine de lire ce qui suit et passez votre route !

  1. Introduction

Le terme « orthodoxie », tel qu'il est appliqué à une certaine approche du Judaïsme, est inapproprié et un faux ami. Il fut emprunté du Christianisme et finit par être utilisé pour décrire les Juifs qui, à la suite des défis majeurs que causaient la modernité, l'émancipation et la Haskoloh (le penchant juif du mouvement des Lumières et l'un des précurseurs du sionisme), restèrent loyaux aux croyances et pratiques juives traditionnelles.

Les Orthodoxes se considéraient eux-mêmes comme ne faisant simplement que poursuivre les voies d'antan de façon authentique. En fait, tout cela n'est que de la pure fiction et une fantaisie romantique. Le fait même d'être loyal à la tradition face aux changements de grande ampleur qui eurent lieu au dix-huitième siècle força la création d'un nouveau type de Judaïsme, qui était traditionaliste et non pas traditionnel !

La nouveauté du Judaïsme Orthodoxe peut aisément être démontrée en la comparant minutieusement au Judaïsme traditionnel qui l'a précédé. Une autre manière d'aisément démontrer la nouveauté du Judaïsme Orthodoxe consiste simplement à le comparer au Judaïsme traditionnel qui s'était poursuivi dans les pays Musulmans où les Juifs n'avaient pas du tout été affectés par la modernité. D'autres contre-argumentent en disant que l'Orthodoxie ne fut pas le fruit d'une lutte contre la modernité qui secouait le Judaïsme européen mais qu'elle est née de spécificités subculturelles juives et qu'elle reflète les différences inhérentes entre les traditions séfarades et ashkénazes. Mais c'est complètement faux !

Dans cet article, nous explorerons d'abord l'origine historique, après quoi nous passerons en revue les diverses caractéristiques de l'Orthodoxie.

  1. Le cadre historique

Pendant des siècles, les Juifs en Europe ont vécu dans un isolement géographique, économique et culturel par rapport à la société non juive, dans laquelle ils jouissaient de droits on ne peut plus limités. La loyauté envers la tradition allait de soi pour tous ; après tout, il n'y avait pas d'autres options réalistes. Le programme éducatif était largement limité aux textes rabbiniques traditionnels.

Mais le Siècle des Lumières causa d'énormes changements. Les Juifs européens influencés par les valeurs des Lumières lancèrent la version juive des Lumières, la השכלה « Haskoloh » (du terme שכל « Sakhal », qui signifie « intelligence », « raison », « intellect »), dans laquelle il y avait un grand désir d'élargir le cadre éducatif et s'intégrer dans la société non juive. Les Lumières culminèrent pour les Juifs en leur émancipation politique et sociale. Pour la première fois, les Juifs d'Europe avaient à leur disposition plusieurs options différentes.

Il y eu d'autres ramifications dramatiques de la modernité sur les sociétés traditionnelles. Avant, la richesse limitée que certains avaient pu engranger était toujours connectée aux valeurs spirituelles de la communauté ; les riches se mariaient aux filles ou fils d'érudits, et utilisaient leur richesse pour le bien-être général de la communauté religieuse. Mais l'augmentation des opportunités économiques et culturelles du dix-huitième siècle signifiait qu'il y avait à présent de nouvelles voies pour prospérer et obtenir du prestige qui étaient totalement distinctes et séparées de la communauté.

Au milieu de cette crise pour la tradition, une figure importante émergea. Le rabbin Môshah Sôfér ז״ל (surnommé le « Hotho''m Sôfér », 1762-1839), rabbin de la communauté de Presbourg, est universellement reconnu comme étant la figure centrale dans l'évolution de l'Orthodoxie. Ce furent ses déclarations et approches qui menèrent vers ce sentier nouveau. Mais par honnêteté, il est très important de signaler et rappeler que bon nombre des déclarations qu'il fit n'étaient simplement que de la rhétorique destinée à donner le ton de l'Orthodoxie, et non pas des décisions concrètes et irréfutables. (Nous verrons plus bas le ridicule dans lequel on peut tomber en prenant ses déclarations à la lettre, ou les considérer comme étant des instructions claires à suivre.)

Un portrait du Hotho''m Sôfér

Le passage du Judaïsme traditionnel à l'Orthodoxie ne se fit pas au même moment à travers toute l'Europe. L'Orthodoxie était une réaction à la modernité et l'émancipation, et ces deux facteurs n'affectaient pas toutes les communautés juives de façon équitable ou simultanément. Par exemple, l'Orthodoxie ne commença en Autriche-Hongrie que dans les années 1840, alors qu'elle n'arriva en Russie-Pologne qu'à la fin du dix-neuvième siècle, avec une poche de résistance traditionnelle (ceux qui refusèrent d'adhérer à l'Orthodoxie et continuèrent à pratiquer le Judaïsme tel qu'il avait toujours été pratiqué jusque là) qui persista même jusqu'au début du vingtième siècle.

  1. Définir l'Orthodoxie

Il existe quelques caractéristiques que l'on attribue généralement à la communauté Orthodoxe. Citons parmi celles-ci son traditionalisme, sa pratique d'isolement par rapport au reste de la communauté juive, son approche du processus halakhique, son opposition aux études profanes (non religieuses), et le rôle nouveau qu'elle accorda à la Yashivoh. Nous allons explorer en détails chacun de ces points et en vérifier la pertinence ou pas.

  1. Le traditionalisme

La caractéristique principale que l'on attribut à l'Orthodoxie est son traditionalisme. Ceux qui parlent de l'Orthodoxie sans recul ou objectivité disent toujours qu'elle a consciemment préservé la « tradition » face à des alternatives malsaines et qu'elle est viscéralement opposée à toute forme de changement. C'est ainsi que le cri de ralliement de l'Orthodoxie est la fameuse phrase rédigée par le Hotho''m Sôfér : « Tout ce qui est nouveau est interdit par la Tôroh ! ».

C'est sur base de cette déclaration que l'Orthodoxie dit s'opposer à tout changement par rapport au Judaïsme traditionnel. Malheureusement, cette phrase du Hotho''m Sôfér a été dévoyée et continue à l'être jusqu'à nos jours. S'appuyant sur elle, de nombreux Juifs Orthodoxes, principalement chez les Hasidhim, peuvent aller jusqu'à considérer à la limite de l'hérésie le simple fait de manger du poisson avec des couverts, car jusqu'à la création des couverts le poisson se mangeait avec les mains. Beaucoup insistent donc pour continuer à manger le poisson avec les mains et voient comme un moderniste quiconque utiliserait des couverts. (Moi-même je le mange avec les mains, mais uniquement parce que c'est plus pratique pour moi, et non pas parce que ce serait de l’innovation d'utiliser une fourchette et un couteau pour manger le poisson.) Par contre, boire leur soupe à la cuillère, comme par hasard ils n'y voient aucun soucis, alors que les cuillères n'ont pas toujours existé ! Dans les temps passés, il est arrivé que des Shôhtim (bouchers) soient excommuniés dans la ville russe de Loubavitch pour le simple fait de porter des bottes ! En effet, les Hasidhim d'antan considéraient les bottes comme une innovation, et quiconque en portait était considéré comme ayant été influencé par la Haskoloh et la modernité. Jusqu'à aujourd'hui, de nombreux Orthodoxes refusent d'employer un parapluie lorsqu'il pleut, car cet objet est de l'innovation. (Par contre, ils n'ont pas de problèmes à porter des montres, des chemises, etc.) Dans certaines communautés, porter un slip est un crime grave, car le slip est une innovation par rapport au caleçon ou la culotte courte. Mais porter un chapeau noir et un long manteau sur le modèle de la noblesse germanique ne leur pose aucun problème (voir ici et ici), tout comme le fait d'utiliser des plaques de Shabboth, ou encore porter une perruque (voir ici) ! Et les exemples du ridicule et de la contradiction dans lesquelles s'enfoncent les dits Orthodoxes sont légions. Ce ne sont pas à ses sottises que pensait le Hotho''m Sôfér, un esprit brillant, lorsqu'il a déclaré que « Tout ce qui est nouveau est interdit par la Tôroh ! ». En réalité, sa phrase est tout à fait exacte, mais c'est l'application qui en a été faite qui est tordue et inexacte !

En fait, en dépit de cette opposition déclarée au changement, il est faux de prétendre que l'Orthodoxie s'opposa à tout changement. La vérité est que de nombreux changements ont été opérés dans le Judaïsme traditionnel sous prétexte de s'opposer à tout changement. Ce traditionalisme extrême était en lui-même une nouveauté ! La nature réactionnaire de l'Orthodoxie impliquait de transformer la tradition même qu'elle prétendait protéger. Le vrai combat de l'Orthodoxie consistait à s'opposer aux changements qui venaient de l'extérieur et non à ceux qu'eux-mêmes décidaient de faire dans le Judaïsme. C'est la malhonnêteté de l’Orthodoxie. C'est pour cela que le Judaïsme Orthodoxe est traditionaliste et non traditionnel. Ce sont ses pratiques qu'elle cherche à préserver et non la tradition juive !

Cette caractéristique de l'Orthodoxie est née non seulement en réponse aux changements spécifiques qui se produisaient dans le monde en général et se frayaient un chemin dans la communauté juive, mais également en réponse à l'idée moderne selon laquelle le changement et le progrès sont des aléas normaux de la vie, voire même des idéaux. Et c'est là que l'Orthodoxie diffère des réponses données avant elle face aux menaces contre le Judaïsme. Avant l'Orthodoxie, des idéologies alternatives, du Karaïsme au Christianisme, se présentaient comme des traditions rivales dotées d'une plus grande authenticité. Les rabbins répondaient à cela sans opérer le moindre changement dans les croyances et pratiques juives, mais simplement en mettant en avant l'exactitude de notre tradition et en répondant point par point aux critiques soulevées par ces mouvements alternatifs vis-à-vis de notre foi, pratique et tradition. Changer le Judaïsme face à ces menaces n'était pas envisageable, puisque notre foi était solidement enracinée dans la tradition et que l'on n'avait pas à en rougir ni se sentir menacés par des mouvements proposant des réponses alternatives aux nôtres. C'est ainsi que plusieurs ouvrages intelligents furent publiés pour répondre aux attaques diverses contre notre foi et exhorter les Juifs à rester fidèles et fiers de leurs pratiques. Citons par exemple les Devoirs du Cœur, le Kouzari ou encore le Guide des Égarés. Par contre, la Modernité et la Réforme défendaient l'idée selon laquelle la tradition devait souvent être abandonnée et l'on devait embrasser le changement. Ce fut donc l'idée de changement en elle-même qui était combattue par l'Orthodoxie. Par conséquent, un changement des mouvements alternatifs amenait l'Orthodoxie à procéder à des changements subtils afin de paraître différente des mouvements alternatifs !

Comme la plupart des religions, le Judaïsme fut toujours quelque peu conservateur. Il avait une approche anti-progressive basée sur la doctrine de la supériorité des anciens. Néanmoins, cela n'empêcha jamais d'accepter des changements qui ne menaçaient pas cette doctrine. Et le Judaïsme pré-Orthodoxie n'empêcha également jamais les tentatives de restaurer des traditions anciennes qui avaient été oubliées ou négligées. Prenons comme exemple des figures pré-orthodoxie telles que le Ri''f זצ״ל, le Ramba''m זצ״ל et le Go ôn de Wilno` זצ״ל. Ils utilisèrent leur connaissance profonde du Talmoudh et des traditions anciennes authentiques pour s'opposer à certaines pratiques en vogue à leurs époques et faire la promotion d'autres pratiques halakhiques qui avaient été négligées par la majorité. Ayant eu en leur possession des manuscrits très anciens, ils se permirent également de corriger certains passages de la Mishnoh et du Talmoudh qui, jusqu'à avant eux, étaient problématiques dans la façon dont ils avaient été imprimés jusqu'alors. Tous ces changements étaient bénéfiques, car ils renforcent notre attachement à la Tôroh authentique et aux instructions de nos Sages, nous connectant donc davantage aux anciens, qui étaient de loin plus proches de Dieu et du Judaïsme authentique que nous ne le sommes aujourd'hui. Mais de tels actes ne pourraient jamais se faire dans la communauté Orthodoxe, qui place une importance sans précédent sur les pratiques et textes actuels (et ne prend plus compte des pratiques et textes passés), simplement par peur du moindre changement ! Dans la communauté Orthodoxe, le concept de מסורה « Masôroh » (tradition) ne se réfère pas à la tradition reçue au Sinaï par l'intermédiaire de Môshah Rabbénou ע״ה, mais au statut-quo, c'est-à-dire à ce que « nous faisons aujourd'hui » et non pas à ce qui était fait historiquement et traditionnellement !

Un autre exemple : en dépit de l'enseignement talmudique selon lequel il est strictement interdit de dévier de la formule et du format de la prière instituée par les Hommes de la Grande Assemblée, il y a eu d'innombrables autorités qui ont contourné cette interdiction et contribué à faire divers changements dans les prières quotidiennes, ajoutant sans cesse chaque fois plus de prières, changeant la façon dont les bénédictions du matin étaient faites, etc. Les Kabbalistes inventèrent l'office de la Qabbalath Shabboth au seizième siècle, et ajoutèrent de nombreux Piyoutim à la liturgie. Et à Bagdad, au dix-neuvième siècle (où la modernité n'avait qu'une influence toute relative et où l'Orthodoxie n'avait pas encore été créée), Rabbi Yôséf Hayim ז״ל (surnommé le « Ban `ish Hay », 1832-1909) inventa une nouvelle forme de prière du Hallél spécifiquement pour Tou BiShavat. Et avec l'institution de l'Orthodoxie en Europe, opérer le moindre changement dans la liturgie est officiellement devenu inacceptable. De ce fait, quand les Orthodoxes s'opposent au retrait de bon nombre de prières inutiles du Siddour ou du Mahzôr, ou au fait de faire les bénédictions du matin à la maison au moment où l'on accomplit les actes pour lesquels on bénit (et non pas les réciter comme dans une liste, que l'on ait accompli ou pas ces actes. Voir ici), ou au fait de raccourcir les offices de Rô`sh Hashonoh (voir ici pour la bonne approche du Go`ôn de Wolno` sur cette question), sous prétexte de la tradition, ils ne sont pas en train de nous dire qu'il s'y opposent parce que c'est ainsi que les choses ont toujours été, mais simplement parce qu'eux ont décidé que tout changement qui viendrait depuis que l’Orthodoxie fut instituée devrait être traité comme inacceptable (peu importe que ce changement soit exigé et requis par le fait que la pratique actuelle est erronée). Ils ne sont donc pas les garants de la tradition, mais de leur traditionalisme ! Ils ne sont pas des garants de la vérité, mais de leur vérité. Ils ne prêchent pas la Tôroh d'HaShem et la Halokhoh de nos Sages, mais leur version falsifiée de la Tôroh et de la Halokhoh !

  1. La ségrégation

Avant le dix-huitième siècle, un Juif était simplement un Juif, sans autre qualificatif (excepté pour ceux qui adhéraient à des traditions alternatives afin de se distinguer des Juifs traditionnels, comme par exemple les Karaïtes). Il n'y avait donc pas de mouvements, de branches, etc. Il y avait des Juifs qui étaient plus strictes et d'autres qui l'étaient moins, mais tous étaient croyants et pratiquants, et bien intégrés dans la communauté juive. Dans le monde séfarade et oriental, il n'y avait jamais eu de Judaïsme Orthodoxe, Judaïsme Ultra-Orthodoxe, Judaïsme Moderne, etc. Et c'était le cas également en Europe. Aucun uniforme spécifique n'était requis pour être considéré membre de la communauté, tous n'allaient pas à la Yashivoh, etc.

Mais désormais, les Juifs Orthodoxes s'identifient eux-mêmes par le nom de leur groupe (Belz, Loubavitch, Litvaq, Satmar, Harédhi, etc.), s'attribuent un uniforme que doivent porter les membres du groupe et s'organisent eux-mêmes comme une communauté distincte du reste des Juifs.

Un exemple frappant de ce changement émerge d'une responsa d'une grande autorité halakhique pré-orthodoxie, le Rov Ya´aqôv Reischer (1661-1733).1 On lui posa une question sur un projet de déclarer non Koshér la viande qui était abattue dans des villages reculées par des Juifs qui n'étaient pas suffisamment érudits et « pieux ». Le Rov Reischer condamna vigoureusement cette approche. Puisant dans le Talmoudh, il expliqua qu'il ne fallait causer du ressentiment à personne, qu'il fallait prendre en compte les besoins des voyageurs qui s'arrêteraient dans de tels villages pour une raison ou une autre, et plus important encore que la communauté juive doit être unie et ne pas se diviser en groupes ayant des normes halakhiques différentes. Inutile de dire que de telles divisions en groupes distincts étaient non seulement acceptables pour l'Orthodoxie, mais étaient même une marque déposée de l’Orthodoxie elle-même. Il suffit de voir les divisions parmi les Hasidhim (parfois même au sein d'une même communauté hassidique) ou le fait que partout où ils s'installent, les Harédhim se mettent toujours en marge des institutions juives locales et créent leurs propres réseaux. Cela n'a rien à voir avec le fait que les autres Juifs seraient égarés (même si les Harédhim aiment montrer qu'ils sont les seuls Juifs respectueux de la « tradition » et les plus « pieux » des Juifs) ; c'est juste que les autres Juifs ne sont pas comme eux et ne se soumettent pas à leurs normes. Car chaque fois que la communauté juive locale accepte de mettre à sa tête un Harédhi, les Harédhim acceptent de se fondre dans la communauté locale, puisque c'est eux qui la dirigent. Mais lorsque la communauté locale refuse de mettre à sa tête un Harédhi et laisser les Harédhim dicter leur lois, les Harédhim se mettent en marge et refusent toute relation avec la communauté locale. C'est donc juste une question de pouvoir, pas de piété, puisque même entre eux ils se subdivisent en groupes exclusifs (c'est-à-dire en groupes Harédhim qui excluent les autres Harédhim non membres du groupe) dotés de leurs propres synagogues, institutions, écoles et même partis politiques !

  1. L'attitude vis-à-vis de la Halokhoh

En raison de sa doctrine de l'affaiblissement des génération, selon laquelle puisque les générations actuelles font face à des défis auxquels n'étaient pas soumises les générations passées, et étant donné ce qu'elle perçoit comme une baisse du niveau de l'attachement des gens envers la Halokhoh, l'Orthodoxie a développé sa propre approche nouvelle de la Halokhoh. Cela s'exprime de diverses manières. Par exemple, des normes qui jusqu'alors n'étaient destinées qu'à une élite et une poignée de gens seulement furent depuis lors présentées comme devant être la norme pour tout le monde, ce qui a pour effet que tout le monde doit vivre selon ces normes-là pour être considéré comme un bon Juif. Ce qui, jusqu'alors, n'était destiné qu'aux Talmidhé Hakhomim fut imposé à tout le monde. L'Orthodoxie pencha de façon générale vers la rigueur, un changement que le Hotho''m Sôfér lui-même décrivit comme une contre-mesure intentionnelle face au laxisme spirituel de la génération.2 Un exemple concret de la manière dont cette radicalisation s'est progressivement emparée du monde Orthodoxe peut se voir en parcourant les responsas Orthodoxes sur la question de la permissivité du fait d'allumer et éteindre des lampes électriques durant un Yôm Tôv. Parmi les autorités Nord-africaines et orientales, tous permettaient d'allumer des lampes électriques durant un Yôm Tôv, et la majorité permettait également de les éteindre. À l'inverse, seulement quelques autorités rabbiniques européennes permettaient d'allumer des lampes électriques durant un Yôm Tôv et pratiquement aucune ne permettait de les éteindre. (Cela dit en passant, l'une des choses étonnantes avec les rabbins qui disent que l'électricité est du feu est qu'ils interdisent d'accomplir la Miswoh d'allumer les bougies de Hanoukkoh avec des chandeliers électriques, parce que ce n'est pas considéré comme du feu. Cherchez l'erreur !)

Une caractéristique distinctive de l'approche Orthodoxe vis-à-vis de la Halokhoh était que face au nombre important de gens qui se refusaient à suivre certaines pratiques parce qu'elles n'étaient que des coutumes ou des instructions émanant des rabbins et étaient donc moins importantes, l'Orthodoxie répondit en canonisant le Shoulhon ´oroukh (qui, à l'origine, n'est pas vraiment un livre de Halokhoh, mais un rassemblement des coutumes qui prévalaient en terres espagnoles du temps de Rabbi Yôséf Qa`rô ז״ל), l’élevant ainsi au rang de Halokhoh (alors que la vérité est que les Orthodoxes eux-mêmes ne suivent pas le Shoulhon ´oroukh lorsqu'il contient des décisions qui vont à l'encontre de leur façon de pratiquer le Judaïsme. Par exemple, le Shoulhon ´oroukh s'oppose aux Kapporôth. Mais parce que l'Orthodoxie veut garder la pratique des Kapporôth, elle va se baser sur le commentaire de Rabbi Môshah ´issarlès ז״ל, qui s'opposait à cette décision du Shoulhon ´oroukh. Ils font la même chose lorsqu'on leur cite d'autres passages du Shoulhon ´oroukh qui ne vont pas dans leur sens ; ils vous citent un autre rabbin qui n'était pas d'accord avec Rabbi Yôséf Qa`rô. La canonisation du Shoulhon ´oroukh n'en est que plus ironique et cela montre bien que ce n'était qu'un geste politique et non religieux. Voir notamment l'article intitulé « Renverser la hiérarchie »), et faisant des instructions rabbiniques des lois bibliques. Plusieurs exemples pourraient être cités, comme l'interdiction de consommer des Qitniyôth durant Pésah, le fait d'avoir de la vaisselle distincte pour la viande et le lait, se couvrir constamment la tête quand on est un homme, la pratique de la Bar Miswoh (voir ici), ou encore celle de la Masisoh Bappéh.

D'ailleurs, l'exemple de la Masisoh Bappéh est très révélateur. Premièrement, cette expression n'apparaît jamais dans le Talmoudh et les écrits des Ri`shônim. Ils parlaient simplement de מציצה « Masisoh », de la racine יצא, qui signifie « sortir », « extraire », « quitter ». La Masisoh était simplement la pratique consistant à retirer le sang du pénis du bébé après qu'il ait été circoncis. Le Talmoudh n'a jamais dit que cela devait se faire avec la bouche. En fait, du contexte et des mots même employés par le Talmoudh, il est clair que l'on parle de retirer ce sang à l'aide d'un tissu, par exemple. Et cela est même très clair des écrits du Ramba''m, dans sa description de la Miswoh de la Miloh. En outre, le Talmoudh explique que cette pratique était requise afin d'éviter toute complication au niveau de la santé de l'enfant (Pour un article sur le sujet, voir ici.) Par contre, au lieu de préserver la santé de l'enfant, la Masisoh Bappéh (l'extraction avec la bouche) soumet l'enfant à des risques inconsidérés, comme la contraction de l'herpès et d'autres maladies. Au dix-huitième siècle, les gens se rendirent compte que la pratique causait des infections et des milliers de bébés à travers l'Europe décédèrent à la suite de la Masisoh Bappéh. Lorsqu'on lui posa la question de savoir s'il fallait continuer à faire la Masisoh Bappéh, le Hotho''m Sôfér répondit intelligemment et simplement qu'étant donné que la Masisoh fut requise pour des considérations médicales, la pratique pouvait être abandonnée si des médecins estimaient qu'elle était dangereuse. (Il est donc ironique de s’accrocher à la phrase du Hotho''m Sôfér selon quoi « Tout ce qui est nouveau est interdit par la Tôroh » pour interdire tout changement, comme le font les Orthodoxes. C'est pour cela que nous avions précisé plus haut que le Hotho''m Sôfér n'est pas à l'origine de l'Orthodoxie, mais que ce sont plutôt ses phrases, ou les manipulations faites de ses phrases, qui ont servi de base à l'Orthodoxie.) Par contre, pour son disciple Rabbi Môshah Schick (surnommé le « Mahara''m Schick », 1807-1879), la situation était différente. Dans sa génération, la Masisoh Bappéh était devenue un point que tentaient de faire abolir les Libéraux de la pratique juive. C'est pour cela que le Mahara''m Schick appliqua la fameuse phrase de son mentor à ce problème, et décrivit la pratique de la Masisoh Bappéh comme une Halokhoh LaMôshah MiSinay (une loi reçue de Môshah Rabbénou au Sinaï). Donc, juste parce que les Libéraux voulaient l'abolir, les Orthodoxes ont changé le Judaïsme et ont donné à cette pratique un statut obligatoire non négociable, se distinguant encore plus des Libéraux.

Ainsi, il est faux de considérer l'approche halakhique de l'Orthodoxie comme étant traditionnelle. Il est plus exact de dire qu'elle invoque plutôt des considérations méta-halakhiques formulées directement en réponse à ce qu'elle perçoit comme un affaiblissement potentiel de la religion (qu'elle a façonnée, et non de la religion authentique).

  1. Opposition à la connaissance profane

À des époques antérieures à l'Orthodoxie, comme dans l'Espagne du quatorzième siècle ou l'Italie du seizième siècle, les Juifs excellaient dans la connaissance profane. Mais de façon générale, avant le dix-huitième siècle, les Juifs d'Europe n'avaient simplement pas la possibilité de s'adonner à des études profanes, non pas parce que la Halokhoh l'interdisait, mais simplement en raison des mesures de ségrégation existant contre les Juifs. Ensuite, avec les Lumières, les portes de la connaissance profane s'ouvrirent. En réponse à cela, et pour se distinguer à nouveau des Libéraux et de la Haskoloh, l'Orthodoxie s'opposa vigoureusement à l'étude des connaissances profanes.

Bien que certains des successeurs du Hotho''m Sôfér cherchèrent à le décrire comme étant un farouche opposant aux études profanes, c'est loin d'être le cas. Le Hotho''m Sôfér lui-même était bien versé dans les matières profanes, les considérait comme étant utiles à la compréhension de la Tôroh, et approuvait les études profanes pour quiconque avait des bases religieuses solides. En fait, ce fut l'attitude de la quasi-totalité des néo-Orthodoxes, qui non seulement approuvaient les études profanes, mais les encourageaient également. Plusieurs des descendants du Hotho''m Sôfér continuèrent à activement soutenir les études profanes. De ce fait, il est difficile de décrire l'opposition à la connaissance profane comme étant une caractéristique de l'Orthodoxie. De tout temps, nous avons eu des rabbins et Juifs éminents bien versés dans les sciences profanes. Par contre, il est vrai que dans les milieux hassidiques, cette opposition est farouche, mais plus particulièrement dans les mouvements Ultra-Orthodoxes hongrois.

  1. Le rôle de la Yashivoh

La Yashivoh est une très ancienne institution juive, existant même durant l'ère talmudique. C'est dire donc qu'elle remonte à des millénaires. Cependant, sa nature, son rôle et son importance ont significativement changé depuis l’avènement de l'Orthodoxie.

La Yashivoh la plus importante fut celle établie par le Hotho''m Sôfér lui-même à Presbourg. Cela mena à la création de nombreuses autres Yashivôth en Hongrie basées sur le même modèle, ainsi que l'établissement par Rabbi Shalômôh Breuer (qui fut un élève de la Yashivoh de Presbourg) d'une Yashivoh à Francfort. Toutes ces Yashivôth étaient plus grandes que celles des générations antérieures, ce qui fut rendu possible grâce à la prospérité économique nouvelle dans la communauté juive. Ces Yashivôth parvinrent également à attirer des étudiants venus de loin, grâce à la liberté de circuler librement qui avait été octroyée aux Juifs.

Dans les générations antérieures, la Yashivoh n'était rien d'autre qu'un composant supplémentaire de la communauté, s'occupant de ses besoins spirituels et préparant ses étudiants à leur rôle dans la communauté. Chaque étudiant de passage était ainsi absorbé dans la communauté locale. Mais certains disent que la nouvelle Yashivoh de l'Orthodoxie était un cadre élitiste et distinct, une communauté d'érudits, qui était séparé du reste de la communauté et possédait sa propre hiérarchie. Dans ce nouveau système, les étudiants n'étaient pas préparés pour leur rôle dans la communauté, mais étaient plutôt délibérément isolés de la communauté afin de pouvoir étudier la Tôroh suivant leurs propres idéaux. On dit que c'était vrai pour les Yashivôth lituaniennes, et encore plus pour les Yashivôth hongroises. Certains attribuent ce besoin de créer une forteresse spirituelle en raison de la modernité qui menaçait la communauté juive.

À l'inverse, d'autres doutes que les changements aient été significatifs, voire même réels. On peut noter que bon nombre des étudiants sortis de la Yashivoh de Presbourg occupèrent des positions rabbiniques importantes dans la communauté de Presbourg, démontrant par-là que le rôle de la Yashivoh restait de servir l'ensemble de la communauté. Il n'est donc pas évident de déterminer l'importance d'éventuels changements dans le système de Yashivôth du dix-neuvième siècle. Par contre, une chose est certaine ; un changement dramatique dans le rôle de la Yashivoh s'est produit au vingtième siècle avec la montée en puissance du Judaïsme Ultra-Orthodoxe. Ces Yashivôth ne servent plus à profiter à l'ensemble de la communauté mais au groupe distinct auxquelles ces Yashivôth appartiennent. Ces Yashivôth n'enseignent plus la Tôroh et la Halokhoh d'une manière objective, mais suivant les doctrines du groupe auxquelles elles sont affiliés. C'est ainsi que des milliers de jeunes sortent des Yashivôth avec une connaissance médiocre de la Tôroh et de la Halokhoh, mais ont été formatés pour débiter les idéologies du Rébbé, du Rabbin Untel, etc. Les doctrines contraires au groupe sont censurées et les étudiants apprennent à réfléchir, non pas comme des Juifs, mais comme des membres de leur groupe particulier. C'est ainsi que l'on se retrouve avec des centaines de groupe dits « Orthodoxes » ayant chacun leur « Tôroh » et leur « Halokhoh ». Mais la Tôroh d'HaShem, la Halokhoh du Talmoudh et les explications des Ri`shônim, tout le monde s'en moque !

En conclusion, l'Orthodoxie n'est pas traditionnelle mais traditionaliste. Et bien qu'elle prétende lutter contre la modernité, elle est elle-même un phénomène moderne déviant.

Dans le même ordre d'idée, voir l'article intitulé « Comment les rabbins et d'autres ont changé le Judaïsme ».

1Responsa Shévouth Ya´aqôv 2:58
2Voir dans Responsa Yôréh Dé´oh 60, ainsi que dans Kan Sôfér, Lettre 61, pages 54-56