ב״ה
L'orthodoxie
est traditionaliste, pas traditionnelle
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Avertissement :
Je sais que les propos tenus dans cet article pourraient en heurter
certains. D'autres pourraient même en conclure que je suis un ennemi
du Judaïsme, un hérétique, etc. Par conséquent, si vous faîtes
partie de ceux qui ont une foi aveugle dans les rabbins et qui
croient dans la fausse doctrine des « Grands de la
Génération », en leur infaillibilité et omniscience, je vous
recommande de ne pas du tout le lire, car de toute façon aucune
parole ne peut trouver grâce aux yeux de ceux qui considèrent
vérité le mensonge, licite l'illicite. Ne prenez donc pas du tout
la peine de lire ce qui suit et passez votre route !
- Introduction
Le
terme « orthodoxie », tel qu'il est appliqué à une
certaine approche du Judaïsme, est inapproprié et un faux ami. Il
fut emprunté du Christianisme et finit par être utilisé pour
décrire les Juifs qui, à la suite des défis majeurs que causaient
la modernité, l'émancipation et la Haskoloh (le penchant juif du
mouvement des Lumières et l'un des précurseurs du sionisme),
restèrent loyaux aux croyances et pratiques juives traditionnelles.
Les
Orthodoxes se considéraient eux-mêmes comme ne faisant simplement
que poursuivre les voies d'antan de façon authentique. En fait, tout
cela n'est que de la pure fiction et une fantaisie romantique. Le
fait même d'être loyal à la tradition face aux changements de
grande ampleur qui eurent lieu au dix-huitième siècle força la
création d'un nouveau type de Judaïsme, qui était traditionaliste
et non pas traditionnel !
La
nouveauté du Judaïsme Orthodoxe peut aisément être démontrée en
la comparant minutieusement au Judaïsme traditionnel qui l'a
précédé. Une autre manière d'aisément démontrer la nouveauté
du Judaïsme Orthodoxe consiste simplement à le comparer au Judaïsme
traditionnel qui s'était poursuivi dans les pays Musulmans où les
Juifs n'avaient pas du tout été affectés par la modernité.
D'autres contre-argumentent en disant que l'Orthodoxie ne fut pas le
fruit d'une lutte contre la modernité qui secouait le Judaïsme
européen mais qu'elle est née de spécificités subculturelles
juives et qu'elle reflète les différences inhérentes entre les
traditions séfarades et ashkénazes. Mais c'est complètement faux !
Dans
cet article, nous explorerons d'abord l'origine historique, après
quoi nous passerons en revue les diverses caractéristiques de
l'Orthodoxie.
- Le cadre historique
Pendant
des siècles, les Juifs en Europe ont vécu dans un isolement
géographique, économique et culturel par rapport à la société
non juive, dans laquelle ils jouissaient de droits on ne peut plus
limités. La loyauté envers la tradition allait
de soi pour tous ; après tout, il n'y avait pas d'autres
options réalistes. Le programme éducatif était largement limité
aux textes rabbiniques traditionnels.
Mais
le Siècle des Lumières causa d'énormes changements. Les Juifs
européens influencés par les valeurs des Lumières lancèrent la
version juive des Lumières, la השכלה
« Haskoloh »
(du terme שכל
« Sakhal »,
qui signifie « intelligence », « raison »,
« intellect »), dans laquelle il y avait un grand désir
d'élargir le cadre éducatif et s'intégrer dans la société non
juive. Les Lumières culminèrent pour les Juifs en leur émancipation
politique et sociale. Pour la première fois, les Juifs d'Europe
avaient à leur disposition plusieurs options différentes.
Il
y eu d'autres ramifications dramatiques de la modernité sur les
sociétés traditionnelles. Avant, la richesse limitée que certains
avaient pu engranger était toujours connectée aux valeurs spirituelles
de la communauté ; les riches se mariaient aux filles ou fils
d'érudits, et utilisaient leur richesse pour le bien-être général
de la communauté religieuse. Mais l'augmentation des opportunités
économiques et culturelles du dix-huitième siècle signifiait qu'il
y avait à présent de nouvelles voies pour prospérer et obtenir du
prestige qui étaient totalement distinctes et séparées de la
communauté.
Au
milieu de cette crise pour la tradition, une figure importante
émergea. Le rabbin Môshah Sôfér ז״ל
(surnommé
le « Hotho''m Sôfér », 1762-1839), rabbin de la
communauté de Presbourg, est universellement reconnu comme étant la
figure centrale dans l'évolution de l'Orthodoxie. Ce furent ses
déclarations et approches qui menèrent vers ce sentier nouveau.
Mais par honnêteté, il est très important de signaler et rappeler
que bon nombre des déclarations qu'il fit n'étaient simplement que
de la rhétorique destinée à donner le ton de l'Orthodoxie, et non
pas des décisions concrètes et irréfutables. (Nous verrons plus
bas le ridicule dans lequel on peut tomber en prenant ses
déclarations à la lettre, ou les considérer comme étant des
instructions claires à suivre.)
Un
portrait du Hotho''m Sôfér
Le
passage du Judaïsme traditionnel à l'Orthodoxie ne se fit pas au
même moment à travers toute l'Europe. L'Orthodoxie était une réaction à
la modernité et l'émancipation, et ces deux facteurs n'affectaient
pas toutes les communautés juives de façon équitable ou
simultanément. Par exemple, l'Orthodoxie ne commença en
Autriche-Hongrie que dans les années 1840, alors qu'elle n'arriva en
Russie-Pologne qu'à la fin du dix-neuvième siècle, avec une poche
de résistance traditionnelle (ceux qui refusèrent d'adhérer à
l'Orthodoxie et continuèrent à pratiquer le Judaïsme tel qu'il
avait toujours été pratiqué jusque là) qui persista même
jusqu'au début du vingtième siècle.
- Définir l'Orthodoxie
Il
existe quelques caractéristiques que l'on attribue généralement à
la communauté Orthodoxe. Citons parmi celles-ci son traditionalisme,
sa pratique d'isolement par rapport au reste de la communauté juive,
son approche du processus halakhique, son opposition aux études
profanes (non religieuses), et le rôle nouveau qu'elle accorda à la
Yashivoh. Nous allons explorer en détails chacun de ces points et en
vérifier la pertinence ou pas.
- Le traditionalisme
La
caractéristique principale que l'on attribut à l'Orthodoxie est son
traditionalisme. Ceux qui parlent de l'Orthodoxie sans recul ou
objectivité disent toujours qu'elle a consciemment préservé la
« tradition » face à des alternatives malsaines et
qu'elle est viscéralement opposée à toute forme de changement.
C'est ainsi que le cri de ralliement de l'Orthodoxie est la fameuse
phrase rédigée par le Hotho''m Sôfér : « Tout
ce qui est nouveau est interdit par la Tôroh ! ».
C'est
sur base de cette déclaration que l'Orthodoxie dit s'opposer à tout
changement par rapport au Judaïsme traditionnel. Malheureusement,
cette phrase du Hotho''m Sôfér a été dévoyée et continue
à l'être jusqu'à nos jours. S'appuyant sur elle, de nombreux Juifs
Orthodoxes, principalement chez les Hasidhim, peuvent aller
jusqu'à considérer à la limite de l'hérésie le simple fait de
manger du poisson avec des couverts, car jusqu'à la création des
couverts le poisson se mangeait avec les mains. Beaucoup insistent
donc pour continuer à manger le poisson avec les mains et voient
comme un moderniste quiconque utiliserait des couverts. (Moi-même je
le mange avec les mains, mais uniquement parce que c'est plus
pratique pour moi, et non pas parce que ce serait de l’innovation
d'utiliser une fourchette et un couteau pour manger le poisson.) Par
contre, boire leur soupe à la cuillère, comme par hasard ils n'y
voient aucun soucis, alors que les cuillères n'ont pas toujours
existé ! Dans les temps passés, il est arrivé que des Shôhtim
(bouchers) soient excommuniés dans la ville russe de Loubavitch pour
le simple fait de porter des bottes ! En effet, les Hasidhim
d'antan considéraient les bottes comme une innovation, et quiconque
en portait était considéré comme ayant été influencé par la
Haskoloh et la modernité. Jusqu'à aujourd'hui, de nombreux
Orthodoxes refusent d'employer un parapluie lorsqu'il pleut, car cet
objet est de l'innovation. (Par contre, ils n'ont pas de problèmes à
porter des montres, des chemises, etc.) Dans certaines communautés,
porter un slip est un crime grave, car le slip est une innovation par
rapport au caleçon ou la culotte courte. Mais porter un chapeau noir
et un long manteau sur le modèle de la noblesse germanique ne leur
pose aucun problème (voir ici
et ici),
tout comme le fait d'utiliser des plaques de Shabboth, ou encore
porter une perruque (voir ici) !
Et les exemples du ridicule et de la contradiction dans lesquelles
s'enfoncent les dits Orthodoxes sont légions. Ce ne sont pas à ses
sottises que pensait le Hotho''m Sôfér, un esprit brillant,
lorsqu'il a déclaré que « Tout ce qui est nouveau est
interdit par la Tôroh ! ». En réalité, sa phrase
est tout à fait exacte, mais c'est l'application qui en a été
faite qui est tordue et inexacte !
En
fait, en dépit de cette opposition déclarée au changement, il est
faux de prétendre que l'Orthodoxie s'opposa à tout changement. La
vérité est que de nombreux changements ont été opérés dans le
Judaïsme traditionnel sous prétexte de s'opposer à tout
changement. Ce traditionalisme extrême était en lui-même une
nouveauté ! La nature réactionnaire de l'Orthodoxie
impliquait de transformer la tradition même qu'elle prétendait
protéger. Le vrai combat de l'Orthodoxie consistait à s'opposer aux
changements qui venaient de l'extérieur et non à ceux qu'eux-mêmes
décidaient de faire dans le Judaïsme. C'est la malhonnêteté de
l’Orthodoxie. C'est pour cela que le Judaïsme Orthodoxe est
traditionaliste et non traditionnel. Ce sont ses pratiques qu'elle
cherche à préserver et non la tradition juive !
Cette
caractéristique de l'Orthodoxie est née non seulement en réponse
aux changements spécifiques qui se produisaient dans le monde en
général et se frayaient un chemin dans la communauté juive, mais
également en réponse à l'idée moderne selon laquelle le
changement et le progrès sont des aléas normaux de la vie, voire
même des idéaux. Et c'est là que l'Orthodoxie diffère des
réponses données avant elle face aux menaces contre le Judaïsme.
Avant l'Orthodoxie, des idéologies alternatives, du Karaïsme au
Christianisme, se présentaient comme des traditions rivales dotées
d'une plus grande authenticité. Les rabbins répondaient à cela
sans opérer le moindre changement dans les croyances et pratiques
juives, mais simplement en mettant en avant l'exactitude de notre
tradition et en répondant point par point aux critiques soulevées
par ces mouvements alternatifs vis-à-vis de notre foi, pratique et
tradition. Changer le Judaïsme face à ces menaces n'était pas
envisageable, puisque notre foi était solidement enracinée dans la
tradition et que l'on n'avait pas à en rougir ni se sentir menacés
par des mouvements proposant des réponses alternatives aux nôtres.
C'est ainsi que plusieurs ouvrages intelligents furent publiés pour
répondre aux attaques diverses contre notre foi et exhorter les
Juifs à rester fidèles et fiers de leurs pratiques. Citons par
exemple les Devoirs du Cœur, le Kouzari ou encore le Guide des
Égarés. Par contre, la Modernité et la Réforme défendaient
l'idée selon laquelle la tradition devait souvent être abandonnée
et l'on devait embrasser le changement. Ce fut donc l'idée de
changement en elle-même qui était combattue par l'Orthodoxie. Par
conséquent, un changement des mouvements alternatifs amenait
l'Orthodoxie à procéder à des changements subtils afin de paraître
différente des mouvements alternatifs !
Comme
la plupart des religions, le Judaïsme fut toujours quelque peu
conservateur. Il avait une approche anti-progressive basée sur la
doctrine de la supériorité des anciens. Néanmoins, cela n'empêcha
jamais d'accepter des changements qui ne menaçaient pas cette
doctrine. Et le Judaïsme pré-Orthodoxie n'empêcha également
jamais les tentatives de restaurer des traditions anciennes qui
avaient été oubliées ou négligées. Prenons comme exemple des
figures pré-orthodoxie telles que le Ri''f זצ״ל,
le Ramba''m זצ״ל
et
le Go ôn de Wilno` זצ״ל.
Ils utilisèrent leur connaissance profonde du Talmoudh et des
traditions anciennes authentiques pour s'opposer à certaines
pratiques en vogue à leurs époques et faire la promotion d'autres
pratiques halakhiques qui avaient été négligées par la majorité.
Ayant eu en leur possession des manuscrits très anciens, ils se
permirent également de corriger certains passages de la Mishnoh et
du Talmoudh qui, jusqu'à avant eux, étaient problématiques dans la
façon dont ils avaient été imprimés jusqu'alors. Tous ces
changements étaient bénéfiques, car ils renforcent notre
attachement à la Tôroh authentique et aux instructions de nos
Sages, nous connectant donc davantage aux anciens, qui étaient de
loin plus proches de Dieu et du Judaïsme authentique que nous ne le
sommes aujourd'hui. Mais de tels actes ne pourraient jamais se faire
dans la communauté Orthodoxe, qui place une importance sans
précédent sur les pratiques et textes actuels (et ne prend plus
compte des pratiques et textes passés), simplement par peur du
moindre changement ! Dans la communauté Orthodoxe, le concept
de מסורה
« Masôroh »
(tradition) ne se réfère pas à la tradition reçue au Sinaï par
l'intermédiaire de Môshah Rabbénou ע״ה,
mais au statut-quo, c'est-à-dire à ce que « nous faisons
aujourd'hui » et non pas à ce qui était fait historiquement
et traditionnellement !
Un
autre exemple : en dépit de l'enseignement talmudique selon
lequel il est strictement interdit de dévier de la formule et du
format de la prière instituée par les Hommes de la Grande
Assemblée, il y a eu d'innombrables autorités qui ont contourné
cette interdiction et contribué à faire divers changements dans les
prières quotidiennes, ajoutant sans cesse chaque fois plus de
prières, changeant la façon dont les bénédictions du matin
étaient faites, etc. Les Kabbalistes inventèrent l'office de la
Qabbalath Shabboth au seizième siècle, et ajoutèrent de nombreux
Piyoutim à la liturgie. Et à Bagdad, au dix-neuvième siècle (où
la modernité n'avait qu'une influence toute relative et où
l'Orthodoxie n'avait pas encore été créée), Rabbi Yôséf Hayim
ז״ל
(surnommé
le « Ban `ish Hay », 1832-1909) inventa une
nouvelle forme de prière du Hallél spécifiquement pour Tou
BiShavat. Et avec l'institution de l'Orthodoxie en Europe, opérer le
moindre changement dans la liturgie est officiellement devenu
inacceptable. De ce fait, quand les Orthodoxes s'opposent au retrait
de bon nombre de prières inutiles du Siddour ou du Mahzôr,
ou au fait de faire les bénédictions du matin à la maison au
moment où l'on accomplit les actes pour lesquels on bénit (et non
pas les réciter comme dans une liste, que l'on ait accompli ou pas
ces actes. Voir ici),
ou au fait de raccourcir les offices de Rô`sh Hashonoh (voir ici
pour la bonne approche du Go`ôn de Wolno` sur cette question), sous
prétexte de la tradition, ils ne sont pas en train de nous dire
qu'il s'y opposent parce que c'est ainsi que les choses ont toujours
été, mais simplement parce qu'eux ont décidé que tout
changement qui viendrait depuis que l’Orthodoxie fut instituée devrait être traité comme inacceptable (peu importe que ce
changement soit exigé et requis par le fait que la pratique actuelle
est erronée). Ils ne sont donc pas les garants de la tradition,
mais de leur traditionalisme ! Ils ne sont pas des garants de la
vérité, mais de leur vérité. Ils ne prêchent pas la Tôroh
d'HaShem et la Halokhoh de nos Sages, mais leur version falsifiée de
la Tôroh et de la Halokhoh !
- La ségrégation
Avant
le dix-huitième siècle, un Juif était simplement un Juif, sans
autre qualificatif (excepté pour ceux qui adhéraient à des
traditions alternatives afin de se distinguer des Juifs traditionnels, comme par exemple les Karaïtes). Il n'y
avait donc pas de mouvements, de branches, etc. Il y avait des Juifs
qui étaient plus strictes et d'autres qui l'étaient moins, mais
tous étaient croyants et pratiquants, et bien intégrés dans la
communauté juive. Dans le monde séfarade et oriental, il n'y avait jamais eu de Judaïsme Orthodoxe, Judaïsme Ultra-Orthodoxe, Judaïsme
Moderne, etc. Et c'était le cas également en Europe. Aucun uniforme
spécifique n'était requis pour être considéré membre de la
communauté, tous n'allaient pas à la Yashivoh, etc.
Mais
désormais, les Juifs Orthodoxes s'identifient eux-mêmes par le nom de leur groupe (Belz,
Loubavitch, Litvaq, Satmar, Harédhi, etc.), s'attribuent un
uniforme que doivent porter les membres du groupe et s'organisent eux-mêmes comme une communauté distincte
du reste des Juifs.
Un
exemple frappant de ce changement émerge d'une responsa d'une grande
autorité halakhique pré-orthodoxie, le Rov Ya´aqôv Reischer
(1661-1733).1
On lui posa une question sur un projet de déclarer non Koshér la
viande qui était abattue dans des villages reculées par des Juifs
qui n'étaient pas suffisamment érudits et « pieux ». Le
Rov Reischer condamna vigoureusement cette approche. Puisant dans le
Talmoudh, il expliqua qu'il ne fallait causer du ressentiment à
personne, qu'il fallait prendre en compte les besoins des voyageurs
qui s'arrêteraient dans de tels villages pour une raison ou une
autre, et plus important encore que la communauté juive doit être
unie et ne pas se diviser en groupes ayant des normes halakhiques
différentes. Inutile de dire que de telles divisions en groupes
distincts étaient non seulement acceptables pour l'Orthodoxie, mais
étaient même une marque déposée de l’Orthodoxie elle-même. Il suffit de
voir les divisions parmi les Hasidhim (parfois même au sein
d'une même communauté hassidique) ou le fait que partout où ils s'installent,
les Harédhim se mettent toujours en marge des institutions
juives locales et créent leurs propres réseaux. Cela n'a rien à
voir avec le fait que les autres Juifs seraient égarés (même si les Harédhim aiment montrer qu'ils sont les seuls Juifs respectueux de la « tradition »
et les plus « pieux » des Juifs) ; c'est
juste que les autres Juifs ne sont pas comme eux et ne se soumettent
pas à leurs normes. Car chaque fois que la communauté juive locale
accepte de mettre à sa tête un Harédhi, les Harédhim acceptent de
se fondre dans la communauté locale, puisque c'est eux qui la
dirigent. Mais lorsque la communauté locale refuse de mettre à sa
tête un Harédhi et laisser les Harédhim dicter leur lois,
les Harédhim se mettent en marge et refusent toute relation
avec la communauté locale. C'est donc juste une question de pouvoir, pas
de piété, puisque même entre eux ils se subdivisent en groupes
exclusifs (c'est-à-dire en groupes Harédhim qui excluent les
autres Harédhim non membres du groupe) dotés de leurs
propres synagogues, institutions, écoles et même partis
politiques !
- L'attitude vis-à-vis de la Halokhoh
En
raison de sa doctrine de l'affaiblissement des génération, selon
laquelle puisque les générations actuelles font face à des défis
auxquels n'étaient pas soumises les générations passées, et étant
donné ce qu'elle perçoit comme une baisse du niveau de l'attachement
des gens envers la Halokhoh, l'Orthodoxie a développé sa propre
approche nouvelle de la Halokhoh. Cela s'exprime de diverses
manières. Par exemple, des normes qui jusqu'alors n'étaient
destinées qu'à une élite et une poignée de gens seulement furent
depuis lors présentées comme devant être la norme pour tout le
monde, ce qui a pour effet que tout le monde doit vivre selon ces
normes-là pour être considéré comme un bon Juif. Ce qui,
jusqu'alors, n'était destiné qu'aux Talmidhé Hakhomim fut
imposé à tout le monde. L'Orthodoxie pencha de façon générale
vers la rigueur, un changement que le Hotho''m Sôfér
lui-même décrivit comme une contre-mesure intentionnelle
face au laxisme spirituel de la génération.2
Un exemple concret de la manière dont cette radicalisation s'est
progressivement emparée du monde Orthodoxe peut se voir en
parcourant les responsas Orthodoxes sur la question de la
permissivité du fait d'allumer et éteindre des lampes électriques
durant un Yôm Tôv. Parmi les autorités Nord-africaines et
orientales, tous permettaient d'allumer des lampes électriques
durant un Yôm Tôv, et la majorité permettait également de les
éteindre. À l'inverse, seulement quelques autorités rabbiniques
européennes permettaient d'allumer des lampes électriques durant un
Yôm Tôv et pratiquement aucune ne permettait de les éteindre.
(Cela dit en passant, l'une des choses étonnantes avec les rabbins
qui disent que l'électricité est du feu est qu'ils interdisent
d'accomplir la Miswoh d'allumer les bougies de Hanoukkoh
avec des chandeliers électriques, parce que ce n'est pas considéré
comme du feu. Cherchez l'erreur !)
Une
caractéristique distinctive de l'approche Orthodoxe vis-à-vis de la
Halokhoh était que face au nombre important de gens qui se
refusaient à suivre certaines pratiques parce qu'elles n'étaient
que des coutumes ou des instructions émanant des rabbins et étaient
donc moins importantes, l'Orthodoxie répondit en canonisant le
Shoulhon ´oroukh (qui, à l'origine, n'est pas vraiment un
livre de Halokhoh, mais un rassemblement des coutumes qui prévalaient
en terres espagnoles du temps de Rabbi Yôséf Qa`rô ז״ל), l’élevant
ainsi au rang de Halokhoh (alors que la vérité est que les
Orthodoxes eux-mêmes ne suivent pas le Shoulhon ´oroukh
lorsqu'il contient des décisions qui vont à l'encontre de leur
façon de pratiquer le Judaïsme. Par exemple, le Shoulhon
´oroukh s'oppose aux Kapporôth. Mais parce que l'Orthodoxie veut
garder la pratique des Kapporôth, elle va se baser sur le
commentaire de Rabbi Môshah ´issarlès ז״ל,
qui s'opposait à cette décision du Shoulhon ´oroukh. Ils
font la même chose lorsqu'on leur cite d'autres passages du Shoulhon
´oroukh qui ne vont pas dans leur sens ; ils vous citent un
autre rabbin qui n'était pas d'accord avec Rabbi Yôséf Qa`rô. La
canonisation du Shoulhon ´oroukh n'en est que plus ironique
et cela montre bien que ce n'était qu'un geste politique et non
religieux. Voir notamment l'article intitulé « Renverser
la hiérarchie »), et faisant des instructions
rabbiniques des lois bibliques. Plusieurs exemples pourraient être
cités, comme l'interdiction de consommer des Qitniyôth durant
Pésah, le fait d'avoir de la vaisselle distincte pour la
viande et le lait, se couvrir constamment la tête quand on est un
homme, la pratique de la Bar Miswoh (voir ici),
ou encore celle de la Masisoh Bappéh.
D'ailleurs,
l'exemple de la Masisoh Bappéh est très révélateur.
Premièrement, cette expression n'apparaît jamais dans le Talmoudh
et les écrits des Ri`shônim. Ils parlaient simplement de מציצה « Masisoh »,
de la racine יצא,
qui signifie « sortir », « extraire »,
« quitter ». La Masisoh était simplement la pratique
consistant à retirer le sang du pénis du bébé après qu'il ait
été circoncis. Le Talmoudh n'a jamais dit que cela devait se faire
avec la bouche. En fait, du contexte et des mots même employés par
le Talmoudh, il est clair que l'on parle de retirer ce sang
à l'aide d'un tissu, par exemple. Et cela est même très clair des
écrits du Ramba''m, dans sa description de la Miswoh de la
Miloh. En outre, le Talmoudh explique que cette pratique était
requise afin d'éviter toute complication au niveau de la santé de
l'enfant (Pour un article sur le sujet, voir ici.)
Par contre, au lieu de préserver la santé de l'enfant, la Masisoh
Bappéh (l'extraction avec la bouche) soumet l'enfant à des risques
inconsidérés, comme la contraction de l'herpès et d'autres
maladies. Au dix-huitième siècle, les gens se rendirent compte que
la pratique causait des infections et des milliers de bébés à
travers l'Europe décédèrent à la suite de la Masisoh
Bappéh. Lorsqu'on lui posa la question de savoir s'il fallait
continuer à faire la Masisoh Bappéh, le Hotho''m
Sôfér répondit intelligemment et simplement qu'étant donné que
la Masisoh fut requise pour des considérations
médicales, la pratique pouvait être abandonnée si des médecins
estimaient qu'elle était dangereuse. (Il est donc ironique de
s’accrocher à la phrase du Hotho''m Sôfér selon quoi
« Tout ce qui est nouveau est interdit par la Tôroh »
pour interdire tout changement, comme le font les Orthodoxes. C'est
pour cela que nous avions précisé plus haut que le Hotho''m
Sôfér n'est pas à l'origine de l'Orthodoxie, mais que ce sont
plutôt ses phrases, ou les manipulations faites de ses phrases, qui
ont servi de base à l'Orthodoxie.) Par contre, pour son disciple
Rabbi Môshah Schick (surnommé le « Mahara''m Schick »,
1807-1879), la situation était différente. Dans sa génération, la
Masisoh Bappéh était devenue un point que tentaient
de faire abolir les Libéraux de la pratique juive. C'est pour cela
que le Mahara''m Schick appliqua la fameuse phrase de son mentor à
ce problème, et décrivit la pratique de la Masisoh
Bappéh comme une Halokhoh LaMôshah MiSinay (une loi reçue de
Môshah Rabbénou au Sinaï). Donc, juste parce que les Libéraux voulaient l'abolir, les Orthodoxes ont changé le Judaïsme et ont donné à cette pratique un statut obligatoire non négociable, se distinguant encore plus des Libéraux.
Ainsi,
il est faux de considérer l'approche halakhique de l'Orthodoxie
comme étant traditionnelle. Il est plus exact de dire qu'elle
invoque plutôt des considérations méta-halakhiques formulées
directement en réponse à ce qu'elle perçoit comme un
affaiblissement potentiel de la religion (qu'elle a façonnée, et
non de la religion authentique).
- Opposition à la connaissance profane
À
des époques antérieures à l'Orthodoxie, comme dans l'Espagne du
quatorzième siècle ou l'Italie du seizième siècle, les Juifs
excellaient dans la connaissance profane. Mais de façon générale,
avant le dix-huitième siècle, les Juifs d'Europe n'avaient
simplement pas la possibilité de s'adonner à des études profanes,
non pas parce que la Halokhoh l'interdisait, mais simplement en
raison des mesures de ségrégation existant contre les Juifs.
Ensuite, avec les Lumières, les portes de la connaissance profane
s'ouvrirent. En réponse à cela, et pour se distinguer à nouveau des Libéraux
et de la Haskoloh, l'Orthodoxie s'opposa vigoureusement à l'étude
des connaissances profanes.
Bien
que certains des successeurs du Hotho''m Sôfér cherchèrent
à le décrire comme étant un farouche opposant aux études
profanes, c'est loin d'être le cas. Le Hotho''m Sôfér
lui-même était bien versé dans les matières profanes, les
considérait comme étant utiles à la compréhension de la Tôroh,
et approuvait les études profanes pour quiconque avait des bases
religieuses solides. En fait, ce fut l'attitude de la quasi-totalité
des néo-Orthodoxes, qui non seulement approuvaient les études
profanes, mais les encourageaient également. Plusieurs des
descendants du Hotho''m Sôfér continuèrent à activement
soutenir les études profanes. De ce fait, il est difficile de
décrire l'opposition à la connaissance profane comme étant une
caractéristique de l'Orthodoxie. De tout temps, nous avons eu des
rabbins et Juifs éminents bien versés dans les sciences profanes.
Par contre, il est vrai que dans les milieux hassidiques,
cette opposition est farouche, mais plus particulièrement dans les
mouvements Ultra-Orthodoxes hongrois.
- Le rôle de la Yashivoh
La
Yashivoh est une très ancienne institution juive, existant même
durant l'ère talmudique. C'est dire donc qu'elle remonte à des
millénaires. Cependant, sa nature, son rôle et son importance ont
significativement changé depuis l’avènement de l'Orthodoxie.
La
Yashivoh la plus importante fut celle établie par le Hotho''m
Sôfér lui-même à Presbourg. Cela mena à la création de
nombreuses autres Yashivôth en Hongrie basées sur le même modèle,
ainsi que l'établissement par Rabbi Shalômôh Breuer (qui fut un
élève de la Yashivoh de Presbourg) d'une Yashivoh à Francfort.
Toutes ces Yashivôth étaient plus grandes que celles des
générations antérieures, ce qui fut rendu possible grâce à la
prospérité économique nouvelle dans la communauté juive. Ces
Yashivôth parvinrent également à attirer des étudiants venus de
loin, grâce à la liberté de circuler librement qui avait été
octroyée aux Juifs.
Dans
les générations antérieures, la Yashivoh n'était rien d'autre
qu'un composant supplémentaire de la communauté, s'occupant de ses
besoins spirituels et préparant ses étudiants à leur rôle dans la
communauté. Chaque étudiant de passage était ainsi absorbé dans
la communauté locale. Mais certains disent que la nouvelle Yashivoh
de l'Orthodoxie était un cadre élitiste et distinct, une communauté
d'érudits, qui était séparé du reste de la communauté et
possédait sa propre hiérarchie. Dans ce nouveau système, les
étudiants n'étaient pas préparés pour leur rôle dans la
communauté, mais étaient plutôt délibérément isolés de la
communauté afin de pouvoir étudier la Tôroh suivant leurs propres
idéaux. On dit que c'était vrai pour les Yashivôth lituaniennes,
et encore plus pour les Yashivôth hongroises. Certains attribuent ce
besoin de créer une forteresse spirituelle en raison de la modernité
qui menaçait la communauté juive.
À
l'inverse, d'autres doutes que les changements aient été
significatifs, voire même réels. On peut noter que bon
nombre des étudiants sortis de la Yashivoh de Presbourg occupèrent
des positions rabbiniques importantes dans la communauté de
Presbourg, démontrant par-là que le rôle de la Yashivoh restait de
servir l'ensemble de la communauté. Il n'est donc pas évident de
déterminer l'importance d'éventuels changements dans le système de
Yashivôth du dix-neuvième siècle. Par contre, une chose est
certaine ; un changement dramatique dans le rôle de la Yashivoh
s'est produit au vingtième siècle avec la montée en puissance du
Judaïsme Ultra-Orthodoxe. Ces Yashivôth ne servent plus à profiter
à l'ensemble de la communauté mais au groupe distinct auxquelles
ces Yashivôth appartiennent. Ces Yashivôth n'enseignent plus la
Tôroh et la Halokhoh d'une manière objective, mais suivant les
doctrines du groupe auxquelles elles sont affiliés. C'est ainsi que
des milliers de jeunes sortent des Yashivôth avec une connaissance
médiocre de la Tôroh et de la Halokhoh, mais ont été formatés
pour débiter les idéologies du Rébbé, du Rabbin Untel, etc. Les
doctrines contraires au groupe sont censurées et les étudiants
apprennent à réfléchir, non pas comme des Juifs, mais comme des
membres de leur groupe particulier. C'est ainsi que l'on se retrouve
avec des centaines de groupe dits « Orthodoxes » ayant
chacun leur « Tôroh » et leur « Halokhoh ».
Mais la Tôroh d'HaShem, la Halokhoh du Talmoudh et les explications
des Ri`shônim, tout le monde s'en moque !
En
conclusion, l'Orthodoxie n'est pas traditionnelle mais
traditionaliste. Et bien qu'elle prétende lutter contre la
modernité, elle est elle-même un phénomène moderne déviant.
Dans
le même ordre d'idée, voir l'article intitulé « Comment
les rabbins et d'autres ont changé le Judaïsme ».
1Responsa
Shévouth Ya´aqôv 2:58
2Voir
dans Responsa Yôréh Dé´oh 60, ainsi que dans Kan
Sôfér, Lettre 61, pages 54-56