lundi 21 décembre 2020

Emission de semence en vain - Les qabbalistes espagnols inventent d’autres concepts

 

בס״ד

 

Emission de semence en vain : Une approche rationaliste

 


Les qabbalistes espagnols inventent d’autres concepts

 

Cet article peut être téléchargé ici.

 

Pour (re)lire :

·        La première partie

·        La deuxième partie

·        La troisième partie

·        La quatrième partie

·        La cinquième partie

·        La sixième partie

·        La septième partie

·        La huitième partie

·        La neuvième partie

·        La dixième partie

·        La onzième partie

 

Après une longue pause due à Ḥanoukkoh, reprenons notre série d’articles sur la « semence en vain ».

 

Tandis que le monde halakhique faisait évoluer sa définition de « Hashḥothath Zara´ » et la codifiait finalement comme loi, le monde parallèle de la Qabboloh devenait une force majeure dans la vie religieuse juive. Nous avons déjà discuté des Ḥasidhé ˋashkanaz en France et en Allemagne qui ont eu une influence importante dans le développement « pré-Zôharique » du mysticisme juif ou de la Qabboloh. Cependant, aussi grande que soit l'influence des Ḥasidhé ˋashkanaz, ce n'est rien comparé à l'influence des maîtres qabbalistiques espagnols. Ce mouvement a atteint son apogée avec la publication du Zôhar par le rabbin Môshah de Léon à la fin du 13ème siècle. Il serait impossible de surestimer le changement radical dans le judaïsme que le Zôhar allait provoquer.

 

Le sujet du véritable auteur et des origines du Zôhar n'est pas celui que je prévois de traiter ici. Je l’ai déjà fait dans de nombreux autres articles. Il est simplement important de noter qu'il a été rendu public à la fin du 13ème siècle. Cet article sera consacré aux écrits qabbalistiques pré-Zôhariques. C'étaient pour la plupart des œuvres qui ont commencé à apparaître dans l'Espagne des 12ème et 13ème siècles et faisaient partie du milieu dans lequel le Zôhar est apparu à la fin du 13ème siècle. Les célèbres qabbalistes de cette époque en Espagne que je mentionnerai incluent :

 

·        Ribbénou Yiṣḥoq l'Aveugle (1160-1235) bien qu'il était rabbin en Provence, dans le sud de la France, il était très clairement dans le « camp » espagnol étant le fils du célèbre Raˋava’’d, et la Provence était proche de l'Espagne, géographiquement, culturellement et religieusement.

·        Ribbénou ´azroˋ ban Shalômôh de Gérone (milieu du 12ème siècle à 1245 ?). Elève de Ribbénou Yiṣḥoq l'Aveugle, auteur possible de nombreux textes qabbalistiques de l'époque non attribués.

·        Ribbénou Yôséph ban ˋavrohom Jiqatilyoh (1248-1305 ?)

·        Ribbénou Môshah ban Naḥmon (1194-1270), également connu sous le nom de Naḥmanide, ou le « Rambo’’n » qui était clairement le plus célèbre de tous les qabbalistes espagnols. Il était probablement le savant le plus important qui a légitimé l'étude de la Qabboloh et l'a introduite dans le courant dominant. Il a prospéré pendant les années précédant immédiatement la publication du Zôhar. Il n'y a aucune preuve qu'il ait jamais vu le Zôhar, bien qu'il y ait certainement des parallèles entre ses écrits et le Zôhar. Bien que diverses traditions et histoires abondent sur son implication possible avec le Zôhar, il n'y a aucun moyen de prouver que l'une d'entre elles soit correcte.

·        Ribbénou Yôséph de Shoushon (1260? - 1340?) Qui était un qabbaliste castillan qui ne venait presque certainement pas du tout de Shoushon (en Perse), et généralement supposé être l'un des savants impliqués dans la rédaction ou l'édition du Zôhar aux côtés du rabbin Môshah de Léon.

·        Ribbénou Môshah de Léon (1240-1305) Plus connu comme étant celui qui a publié le Zôhar. De nombreux érudits lui attribuent la paternité du Zôhar ainsi qu'au groupe de qabbalistes qui se sont rassemblés autour de lui. Cependant, dans le but que son ouvrage gagne davantage de légitimité, il l’a présenté comme une œuvre ancienne écrite à l'époque tannaitique par Ribbi Shim´on ban Yôḥoˋy.

 

Je vais faire référence à plusieurs ouvrages qabbalistiques de cette période qui ont une portée significative sur notre sujet.

 

Séphar Habbahir

 

Cet ouvrage est attribué par les qabbalistes à Ribbi Naḥounyoh ban Haqqonah, un sage vénérable de la période mishnaïque au premier siècle. Le Rambo’’n a accepté cette identification de la paternité du Séphar Habbahir. Cependant, il est apparu pour la première fois en public à l'école des qabbalistes de Provence (rappelez-vous que l'école de Provence et l’école espagnole étaient étroitement liées) vers la fin du 12ème siècle. Certains érudits ont attribué sa paternité à Ribbénou Yiṣḥoq l'Aveugle, tandis que d'autres affirment qu'il est basé sur des morceaux d'œuvres kabbalistiques antérieures qui remontent au moins à l'époque des Gaˋônim.

 

Le Séphar Habbahir ne parle pas de masturbation. Cependant, il est néanmoins extrêmement important de comprendre comment la Qabboloh traite de la question de l'éjaculation, de l'insémination et de la procréation. Le Séphar Habbahir, comme vous le verrez, jette les bases sur lesquelles presque toute la Qabboloh « zôharique » et « lurianique » est construite en ce qui concerne la question de la « semence masculine ».

 

Dans la pensée qabbalistique, les actes des êtres humains reflètent les royaumes spirituels d’en haut, et la manifestation la plus importante de ceci est dans l'acte de création d'un être humain. Lorsqu'un homme a des relations sexuelles avec sa femme, il est engagé dans un acte de création. Alors que l'âme vient d'en haut, ses actes sont ce qui amène cette âme divine dans ce monde. L'homme est le donneur et la femme est la receveuse.

 

Le Séphar Habbahir[1] décrit le sperme comme un produit de tout le corps humain. Cela reflète directement les compréhensions médicales de l’époque sur les origines du sperme. Son corps tout entier produit une graine, qui est ensuite fusionnée dans le cerveau, puis après que tout est rassemblé en une graine et que l'âme est attachée à la graine par ses saintes pensées et intentions, elle voyage à travers la moelle épinière, dans le pénis, puis dans le réceptacle, qui est le vagin de la femme. C'est la science kabbalistique de la reproduction.

 

S'il a des pensées saintes et appropriées, lorsque la graine se fond alors dans son cerveau, Hashshém lui donnera une nouvelle âme sainte, et cette âme sera implantée dans la femme pour grandir. S'il n'a pas de saintes pensées, cette âme peut être la réincarnation de quelqu'un qui a besoin d'une punition, ou une âme mauvaise ou autre chose.

 

Ce concept est très important à comprendre, car il affectera sérieusement la manière dont le « déversement de semence » sera traité dans toute la littérature qabbalistique ultérieure. Il est également fascinant de voir comment ce qui, en tant que concept essentiellement compris de manière séculière non juive, est devenu un concept mystique avec un tel pouvoir et une telle influence sur la Halokhoh. Les idées exprimées ci-dessus ont leurs origines chez Hippocrate, Aristote, Platon, Démocrite, Galien et d'autres savants / philosophes / médecins médiévaux qui ont suivi leurs traces.

 

ˋiggarath Haqqôdhash

 

La ˋiggarath Haqqôdhash était un document extrêmement important qui a presque certainement surgi au cours de cette période en Espagne, probablement au cours du 12ème siècle. Sa paternité a été attribuée à divers Riˋshônim comme le Rambo’’n, Ribbénou Yôséph ban ˋavrohom Jiqatilyoh, Ribbénou ´azroˋ ban Shalômôh de Gérone et à d'autres. Cette lettre a été fortement influencée par les croyances qabbalistiques (basées sur les croyances séculières non juives, comme indiqué plus haut) sur les relations sexuelles et a eu un impact significatif pendant les nombreux siècles qui ont suivi.

 

En partie en conséquence de la compréhension du sexe que nous avons décrite ci-dessus à partir du Séphar Habbahir, la sainteté de l'acte sexuel est évidente. L'auteur de la ˋiggarath Haqqôdhash n'a pas apprécié l'attitude austère et scientifique des philosophes et Riˋshônim tels que le Rambo’’m qui estimaient que l'acte sexuel était en quelque sorte un acte normal, bas et humble qui pouvait même avoir des effets négatifs sur la santé si on en abusait. Pour un qabbaliste, l'acte des relations intimes entre mari et femme était purement sacré et spécial, et devrait être exclusivement traité comme tel.

 

Cependant, alors que la graine se fusionnait dans le cerveau et était dotée de l'âme provenant de Hashshém Lui-même, il était considéré comme crucial que seules des pensées appropriées de sainteté et d'amour soient présentes au moment de l’acte. Si l’esprit d’une personne était plein de mauvaises pensées et de mauvaises intentions, ou si la relation était inappropriée, de mauvaises choses en résulteraient. La ˋiggarath Haqqôdhash fait alors une affirmation qui ne colle pas bien avec le Ṭalmoudh, mais qui colle très bien avec cette compréhension de la ˋiggarath Haqqôdhash :

 

... (après avoir expliqué la sainteté d'un acte sexuel approprié et la semence qui en résulte avec une âme sainte) ... Mais quand une personne n'a pas les bonnes intentions célestes, cette semence qui est tirée de lui est une goutte putride, et elle est appelée « graine destructrice sur la terre » (comme indiqué par la génération du déluge), et toute la semence résultante est en vain et elle plante une ˋashéroh (un arbre d'idole)… parce que c'est une semence déficiente… et Hashshém n'a aucune part de ceci …

 

Cela change vraiment le concept de « gaspillage de la semence » car il comprend que même dans des rapports sexuels normaux, s’il y avait de mauvaises intentions cela serait également considéré comme un « gaspillage de la semence ». Mais plus important encore, nous pouvons vraiment commencer à comprendre pourquoi les derniers qabbalistes étaient si opposés au gaspillage de la semence. Si cette semence était vraiment un produit du corps entier doté d'une âme par Hashshém, il est logique qu'ils considèrent le fait de « détruire » la semence comme un péché grave. En outre, bien que la plupart des savants ne croient pas que le Rambo’’n fut l’auteur de la ´iggarath Haqqôdhash, il n’est pas surprenant que la ´iggarath Haqqôdhash et le Rambo’’n aient compris que c’était le péché de la génération du déluge. Si un comportement sexuel inapproprié est dans la catégorie du « gaspillage de la semence », alors quand la Ṭôroh dit que les gens de la génération du déluge « détruisirent leur voie », cela était dans l'esprit qabbalistique du Rambo’’n la même chose que de dire qu'ils ont gaspillé la semence.

 

De plus, lorsque la ´iggarath Haqqôdhash mentionne la « goutte putride », elle se réfère clairement à la Mishnoh de ˋovôth, qui déclare :[2]

 

´aqavyoh ban Mahalal`él dit : « Considère trois choses, et tu ne viendras pas sous l'emprise d'une ´avéroh : Sache d'où tu es venu, et vers où tu pars, et devant qui tu rendras des comptes. D'où es-tu venu ? D'une sécrétion malodorante. Et vers où pars-tu ? Vers un lieu d'asticots et de vers. Et devant qui rendras-tu des comptes ? Devant le Roi des rois des rois, le Saint, béni soit-Il ! ».

עֲקַבְיָה בֶן מַהֲלַלְאֵל אוֹמֵר, הִסְתַּכֵּל בִּשְׁלשָׁה דְבָרִים, וְאֵין אַתָּה בָא לִידֵי עֲבֵרָה--דַּע מֵאַיִן בָּאתָ, וּלְאַיִן אַתָּה הוֹלֵךְ, וְלִפְנֵי מִי אַתָּה עָתִיד לִתֵּן דִּין וְחֶשְׁבּוֹן. מֵאַיִן בָּאתָ, מִלֵּחָה סְרוּחָה. וּלְאַיִן אַתָּה הוֹלֵךְ, לִמְקוֹם רִמָּה וְתוֹלֵעָה. וְלִפְנֵי מִי אַתָּה עָתִיד לִתֵּן דִּין וְחֶשְׁבּוֹן, לִפְנֵי מֶלֶךְ מַלְכֵי הַמְּלָכִים הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא.

 

Bien que cette Mishnoh ne soit pas spécifiquement une déclaration halakhique, il ne semble certainement pas que ´aqavyoh ban Mahalal`él avait cette approche élevée de la sainteté du sperme comme les qabbalistes la décrivaient. Afin de répondre à cette apparente contradiction, la ´iggarath Haqqôdhash nous dit que cela dépend de vos pensées. Si vos pensées sont saintes, la semence est sainte, si vos pensées sont impures, alors c'est une « goutte putride ». Or, cela n’a rien à voir avec ce dont parlait ´aqavyoh ban Mahalal`él ! C’est un dévoiement des propos de ce dernier, d’autant que l’acte sexuel n’était absolument pas le sujet dont il traitait, mais les pensées à développer pour parvenir à l’humilité et éviter de pécher. Nous sommes devant un cas flagrant de manipulation d’un enseignement de la tradition juive. Et les textes qabbalistiques sont coutumiers du fait !

 

Ribbénou Yôséph Jiqatilyoh

 

Bien que Ribbénou Yôséph Jiqatilyoh ne parle pas directement de l'interdiction spécifique de « gaspiller de la semence », il est à l'origine d'un autre concept qabbalistique qui a eu beaucoup d'influence sur les idées qabbalistiques ultérieures concernant ce sujet.

 

Dans son œuvre « Sha´aré ˋôroh »,[3] il introduit le concept qabbalistique qui a fini par être appelé « Pôghém Habbarith » ou « endommagement de l’alliance ». C'est l'idée que quand on commet un péché sexuel, on souille l'alliance qui est représentée par sa circoncision. Cette nouvelle idée sans précédent ni base traditionnelle a eu une influence énorme sur la pensée ḥassidique ultérieure, en particulier dans celle de Rabbi Naḥmon de Breslev. Ribbénou Yôséph Jiqatilyoh applique cette idée même au fait de toucher le pénis de façon inappropriée en urinant et plus encore.

 

Ribbénou Môshah de Léon et Ribbénou Yôséph de Shoushon

 

Ribbénou Yôséph de Shoushon et Ribbénou Môshah de Léon étaient tous deux impliqués dans le groupe de qabbalistes duquel a émergé le Zôhar. De toute évidence, c'est Ribbénou Môshah de Léon qui a finalement apporté le Zôhar à l'attention du grand public. Dans leurs propres écrits, ils ont tous deux abordé le thème du gaspillage de la semence et Ribbénou Môshah de Léon a consacré une quantité assez importante d'écrits à ce sujet. Le message à retenir de leurs écrits est que le sujet du gaspillage de la semence dans leurs écrits est passé d'une remarque secondaire concernant le comportement sexuel approprié à un sujet majeur à part entière dont l'importance et la gravité se sont développées dans des domaines totalement inimaginables pour le corpus de la littérature juive qui les a précédé. Ribbénou Yôséph de Shoushon, par exemple, a placé la zoophilie et la masturbation dans la même catégorie de corruption, tandis que Ribbénou Môshah de Léon a consacré des chapitres de réflexion sur toutes les terribles conséquences du présumé péché de la masturbation.

 

En fin de compte, cependant, c'était le livre que ces savants ont révélé au monde qui allait tout changer, le Zôhar. Nous traiterons de cela dans le prochain article.



[1] Pisqoˋ 46

[2] ˋovôth 3 :1

[3] 24a-b