בס״ד
Frapper sa femme & la Halokhoh
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Question : Un mari peut-il frapper /
battre sa femme ?
·
Introduction
C’est l’un des sujets les plus sensibles qui puissent
exister, car cela touche quelque chose de très intime : la vie de couple.
Et le secret et la sacralité de la vie de couple empêchent souvent les femmes
victimes d’en parler et les maris de rechercher de l’aide pour mettre fin à
cette pratique. Pourtant, les violences domestiques sont un phénomène très
fréquent. Ainsi, par exemple, d’après de récentes recherches, un peu plus de
10% des maris en Israël battent leurs femmes, et dans la communauté juive
mondiale c’est un phénomène présent dans une minorité (quoique conséquente) de
foyers religieux. Ce que nous allons faire ici est de nous contenter
strictement de rapporter la Halokhoh sur ce sujet sensible, sans
jugement ni critique envers qui que ce soit, mais les choses doivent être dîtes
une bonne foi pour toute, et le plus clairement possible !
Il existe de très nombreux textes halakhiques abordant
le sujet. En raison de la nature inhabituelle du crime, les principes et
dispositifs juridiques sont poussés à leurs limites, avec des résultats
remarquables. On voit ainsi les Boṭṭé Dhinim acceptent les témoignages de
femmes et de proches de la plaignante (alors qu’en règle générale la Halokhoh
n’accepte pas les témoignages d’une femme et des proches des parties), adoptent
une attitude de présomption de culpabilité, emploient des méthodes innovantes
de séparation sans divorce, appellent à un divorce forcé, autorisent de
torturer le mari, permettent de faire appel aux auitorités non juives pour que
le mari cesse de battre sa femme, et autorisent les femmes battues à posséder des
biens immobiliers totalement indépendantes du contrôle de leur mari, entre
autres phénomènes. Battre sa femme est un acte tellement grave que les Pôseqim
de toutes les époques ont consenti à dévier des voies ordinaires et faire des
exceptions dans le traitement de telles affaires.
Tous les principaux codes halakhiques traitent des
principes juridiques que les Pôseqim appliquent à ce type spécifique
de crime. Parmi les principales sources sur cette question figurent une série
de Ṭashouvôth par Ribbénou Shalômôh ban `avrohom `adharath
ז״ל (le Rashbo’’`, +/- 1235
- +/- 1310 Barcelone),[1]
une Gazéroh de Ribbénou Paraṣ ban `éliyohou ז״ל (le Rapa’’sh, décédé en 1295
Corbeil), et une série de Ṭashouvôth par Ribbénou Binyomin ban Maṭṭithyohou
Za`év ז״ל
(né +/- 1510 Turquie).[2]
Cet article traite de plusieurs aspects de la réponse
des Rabbonim aux sévices infligés aux femmes, y compris les jugements moraux
généraux, les demandes de dommages-intérêts, le but et le mode d'intervention
des Boṭṭé Dhinim, la présomption de culpabilité, le divorce forcé et la
conduite envers une « femme méchante ».
·
Jugements moraux
Le Ṭalmoudh contient de nombreux avertissements et
recommandations concernant les relations d'un mari avec sa femme : « Un
homme ne doit pas faire régner une peur excessive dans sa maison » ;[3]
« Un homme doit toujours veiller à respecter sa femme, car toute
bénédiction trouvée dans sa maison n'est que grâce à elle, comme le dit
l'Écriture :[4]
וּלְאַבְרָם הֵיטִיב, בַּעֲבוּרָהּ ‘’Et à cause d'elle [Soray] il fut fait du bien à
`avrom’’ » ;[5]
« Nos rabbins ont enseigné : Concernant celui qui aime sa femme
comme son propre corps et la respecte plus que son propre corps, l’Écriture
déclare :[6]
וְיָדַעְתָּ, כִּי-שָׁלוֹם אָהֳלֶךָ;
וּפָקַדְתָּ נָוְךָ, וְלֹא תֶחֱטָא ‘’Et tu sauras que ta tente est en paix, et tu
inspecteras ton pli et ne fauteras pas’’ ».[7]
Ce dernier exemple a été repris de la manière suivante dans le Mishnéh Ṭôroh du
Rambo’’m :[8] וְכֵן צִוּוּ חֲכָמִים שֶׁיִּהְיֶה אָדָם מְכַבֵּד אֶת
אִשְׁתּוֹ יוֹתֵר מִגּוּפוֹ, וְאוֹהֲבָהּ כְּגוּפוֹ
« Et de même, les Ḥakhomim ont ordonné qu’un homme honore
sa femme plus que son propre corps et l’aime comme son propre corps ».
De même, les Rabbonim ont beaucoup à dire sur les
relations entre une personne et une autre en général, en plus de souligner le
dicton biblique וְאָהַבְתָּ לְרֵעֲךָ כָּמוֹךָ « Et tu aimeras ton
semblable comme toi-même ».[9]
Frapper une autre personne est discuté dans de nombreuses sources. Ribbénou
Môshah ban Ya´aqôv (du début au milieu du 13ème siècle,
Coucy) dans son célèbre Séphar Miṣwôth Gadhôlôth fait une déclaration
typique sur le sujet :[10]
Il
est interdit à quelqu’un de se blesser ou de blesser autrui; et non seulement
blesser mais aussi quiconque frappe un autre Juif - enfant ou adulte, homme ou
femme - pour les déshonorer, une telle personne transgresse une interdiction,
comme le dit l'Écriture :[11]
« N'ajoute pas [au nombre requis de coups de fouet] » -
si la Ṭôroh avertit de ne pas porter de coups à un coupable, à combien plus
forte raison cela s'applique-t-il davantage à un innocent ! Même lever la
main contre un autre, même si on ne le frappe pas réellement, est appelé de
l’impiété, comme le dit l’Écriture :[12]
וַיֹּאמֶר, לָרָשָׁע, לָמָּה תַכֶּה, רֵעֶךָ « Et il dit au Rosho´ : Pourquoi frapperas-tu
ton semblable ? »
Le deuxième passage biblique susmentionné est d’une
grande importance : Môshah Rabbénou ע״ה vit deux hébreux se disputer, et lorsque l’un des deux leva sa main dans
l’intention de frapper l’autre, Môshah intervint en demandant au Rosho´ pourquoi
est-ce qu’il comptait frapper son semblable. Le texte ne parle pas au passé
« Pourquoi as-tu frappé » mais emploie le futur « Pourquoi
frapperas-tu ». Il ne l’avait donc pas déjà frappé mais
s’apprêtait juste à le faire. De là, les Ḥakhomim ont déduit dans le
Ṭalmoudh que même un Juif qui avait l’intention de frapper un autre Juif, même
s’il n’a pas fini par le faire, il est néanmoins considéré comme un Rosho´
(impie), ainsi que nous le voyons dans cet épisode biblique !
Ribbénou Paraṣ, dans sa Gazéroh, cite une Ṭashouvoh
de Ribbénou Yiṣḥoq qui déclare qu’ « il détient sous l'autorité de
trois grands Ḥakhomim, à savoir Ribbénou Shamou`él,
Ribbénou Ya´aqôv Ṭam et Ribbénou Yiṣḥoq, les fils de Ribbénou Mé`ir,
que celui qui bat sa femme est dans la même catégorie que celui qui bat un
étranger ». De même, Ribbénou Môshah ban Yisro`él `issarlés ז״ל (le Ramo’’`, 1530-1572 Cracovie)
dans son commentaire sur le Shoulḥon ´oroukh note que « un homme qui
frappe sa femme transgresse comme celui qui frappe son semblable ».[13]
En fait, frapper ou battre sa femme est parfois
spécifiquement condamné comme étant pire que de frapper quelqu'un d'autre. Par
exemple, Ribbénou Binyomin Za`év dit que :[14]
Celui
qui acquiert une servante hébraïque est comme celui qui acquiert un maître ;
combien plus avec sa femme, car quiconque la frappe transgresse « n’ajoute
pas » et sa punition est plus grande que pour celui qui frappe son
semblable. … À mon humble avis, il n'y a personne qui transgresse une Ṭaqqonoh
(ordonnance rabbinique) plus que celui qui bat sa femme et la dénigre.
De nombreux Ri`shônim déclarent à propos de la
violence domestique que « c'est quelque chose que ne font pas les
Juifs ». En disant cela, ils ne nient pas l’existence de femmes
juives battues, mais ont plutôt l'intention de montrer clairement qu'un tel
comportement n'est pas acceptable dans la société juive et n’est cautionnée par
aucune loi juive. L'intensité de leur opposition à la violence domestique est
démontrée par la sévérité avec laquelle les hommes qui battent leurs femmes sont
traités en droit, comme nous le verrons ci-dessous.
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Dommages-intérêts
La règle selon laquelle celui qui bat sa femme tombe
dans le même genre de catégorie halakhique que celui qui bat un étranger peut
être retracée plus loin que les petits-fils de Rash’’i ז״ל. En effet, cela remonte au moins
à la période mishnaïque. La Mishnoh, au Chapitre 8 de la Masakhath Bavo`
Qammo`, délimite cinq types de dommages-intérêts qui peuvent être réclamés
contre celui qui blesse son semblable, à savoir : les blessures
corporelles, les souffrances, les frais médicaux, la perte de revenus et la
honte. Remarquablement, elle précise que ceux-ci s'appliquent à toutes sortes
de personnes, telles que la mère, l'ami, l'esclave Gôy, l'aveugle, l'enfant, le
pauvre, et fait même la distinction entre les propres esclaves de la personne
et ceux des autres, mais pour une raison quelconque, la propre femme de cet
homme est absente de la liste. La Tôsaphṭo`, cependant, mentionne
spécifiquement une épouse :[15]
Celui qui blesse sa femme, qu'il l’ait blessée
lui-même ou que d'autres l’aient blessée, paie les frais et achète des biens
immobiliers avec, et il [le mari] jouit de l'usufruit. Ribbi Yahoudhoh
ban Bathéroh dit : « Pour la disgrâce privée, elle
obtient les deux tiers et lui un tiers ; pour la disgrâce publique, il
obtient les deux tiers et elle obtient un tiers ; pour sa part, ils le
lui donnent, et pour la sienne, il achète des biens immobiliers et il profite
de l'usufruit ».
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החובל באשתו בין שחבל בה הוא בין שחבלו בה אחרים
מוציאין מידו וילקח בהן קרקעות והוא אוכל פירות ר' יהודה בן בתירה אומר בושת
שבסתר לה שני חלקים ולו אחד בושת שבגלוי לו שני חלקים ולה אחד שלו נותנין לו מיד
ושלה ילקח בהן קרקע והוא אוכל פירות.
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En d’autres mots, d’après la Ṭôsaphṭo`, si un homme
frappe sa femme et la blesse, ou demande à quelqu’un d’autre de blesser sa
femme pour lui, il doit être condamné par le Béth Din à payer les cinq types de
dommages-intérêts et acheter des biens immobiliers qui appartiendront à son
épouse, lui ne pouvant jouir que de l’usufruit. Néanmoins, dans son Mishnéh Ṭôroh,[16]
le Rambo’’m dit que lorsqu'un mari blesse sa femme,
il paie trois types de dommages : toutes les blessures
corporelles, les souffrances et toute la honte. Il tranche en outre que le mari ne jouit pas de l'usufruit et que la femme a en effet
le plein contrôle sur cette propriété que le mari est condamnée à
lui acheter en guise de dommage-intérêt ! Comme le soulignent certains Pôsaqim,
les frais médicaux et la perte de revenus ne sont pas inclus dans les
dommages-intérêts par le Rambo’’m tout simplement parce qu’un mari est toujours
responsable des frais médicaux de sa femme et parce qu’il profite de toute
façon des revenus de sa femme. Il n’était donc pas nécessaire de préciser qu’il
incombait aussi au mari de payer pour les frais médicaux et le salaire de sa
femme (si elle a été incapable d’aller travailler à cause des coups qu’il lui a
portés).
Quant à l'usufruit, Ribbénou Ya´aqôv ban
`oshér (1270-1343) dans son Tour,[17]
il rapporte au nom des Ga`ônim que ne pas permettre au mari de
profiter de l'usufruit est une amende imposée par les Rabbonim, réconciliant
ainsi le Rambo’’m avec la Ṭôsaphṭo`. En d’autres mots, bien que la loi de la Ṭôroh
permette au mari de tirer profit de l’usufruit, les Rabbonim décidèrent
néanmoins de ne pas le permettre afin de sanctionner l’homme qui bat sa femme.
Ribbénou Yô`él ban Shamou`el Yophah Sirqis (16ème-17ème
siècles, Pologne), dans ses notes sur le Tour, est d'accord.[18]
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Intervention du Béth Din
L’approche du Béth Din à l’égard des femmes battues
semble avoir plusieurs objectifs. Le premier consiste à effectuer la
réconciliation entre l’homme violent et sa femme battue ; le deuxième est
d'arrêter les coups dans tous les cas. En cas d'échec, le Béth Din souhaite
être en mesure de savoir qui est en faute afin de pouvoir attribuer des
dommages-intérêts, émettre des amendes, faire toucher la Kathoubboh
ou prendre toute autre mesure appropriée.
L'une des premières sources de la réponse du Béth Din
à une allégation de violence conjugale est une Ṭashouvoh attribuée à
Ribbénou Yôséph `ibn `avyotour, au 10ème ou 11ème siècle.
L'affaire concerne une femme qui prétend que son mari la bat et la fait
souffrir. Ribbénou Yôséph répond :[19]
Soyez
informé : s'il est établi par des témoins qu'il l'a frappée à maintes
reprises, le Béth Din est obligé de le réprimander et de lui dire :
« Nous t’informons par la présente que tu n'es pas autorisé à la
frapper et si tu reproduits ta cruauté, elle sera répudiée avec une Kathoubboh
complète ». Ils la laissent avec lui avec un observateur (Na`amon),
et s’il répète sa cruauté, elle est répudiée avec une Kathoubboh
complète.
Nous lisons la même chose dans le Mishnéh Ṭôroh du
Rambo’’m.[20]
Le Rashbo’’` donne une réponse similaire à un cas
similaire :[21]
Ainsi
ont écrit les Ga`ônim dans leur Ṭashouvoh sur des cas
comme celui-ci, que nous la calmons une ou deux fois, et si elle continue à se
plaindre, nous plaçons entre eux un homme ou une femme pour être un
observateur. Si cela est impossible, nous excommunions tout homme qui fait cela
[qui bat sa femme]. Cette affaire et celles du même genre sont traitées comme
les juges le jugent bon selon le lieu, l'heure et les personnes.
Un degré comparable de sévérité halakhique est suggéré
par les mesures fortes préconisées par Ribbénou Simḥoh ban Shamou`él :[22]
Celui
qui bat sa femme… devrait être excommunié et ostracisé et attaché et puni de
toutes sortes de torture, même en lui coupant la main s'il persiste à la
battre….
·
Présomption de culpabilité
De manière significative, Ribbénou Binyomin Za`év,
citant une Ṭashouvoh de Rashbo’’`[23]
cité dans une Ṭashouvoh attribuée à Ribbénou Môshah ban Naḥmon ז״ל (le Rambo’’n, 1194-1244, Espagne
et Israël), dit que s’il est connu que le mari bat régulièrement sa femme, on
ne le croit pas s'il prétend qu'elle est la cause du conflit ;
c’est-à-dire que la réclamation de l’épouse est présumée fondée jusqu’à preuve
du contraire. Ribbénou Binyomin Za`év formule sa propre position en
ces termes : « Si le Béth Din n’a pas la connaissance que la
femme est la cause, et si elle n'est pas présumée être une ‘’femme légère’’, il
faut dire que c’est lui qui est la cause ».[24]
Le Ramo’’`, dans ses notes sur le Shoulḥon ´oroukh,
ainsi que Ribbénou Môrdokhay ban Hillél hakkôhén ז״ל (13ème siècle, `ashkanaz)
citant une Ṭashouvoh de son maître Ribbénou Mé`ir de Rothenburg ז״ל, tranchent de la même manière.[25]
De nombreux sages ajoutent, cependant, que si la femme
refuse de rester avec son mari sous l'œil d’un observateur (qui sera chargé
d’analyser le comportement du couple), au moins dans certains cas, cette
présomption de culpabilité est annulée et elle peut être répudiée sans Kathoubboh.
·
Forcer le divorce
L'une des principales questions soulevées dans nos
sources est de savoir si le Béth Din peut obliger le mari à accorder le divorce
en cas de violence domestique. La Mishnoh de la Masakhath Nadhorim énumère
plusieurs circonstances dans lesquelles le Béth Din peut forcer un mari à
divorcer de sa femme, et la Gamoro` élabore sur ces cas, mais le
fait de battre sa femme n'est pas spécifiquement mentionné comme motif pour
forcer le divorce. Forcer le divorce est considéré comme une mesure halakhique
extrême, et ne fut approuvé que plus tard pour ce type de cas. Selon la Ṭashouvoh
de Ribbénou Yôséph `ibn `avyotour, le Béth Din peut exiger le divorce :[26]
Même
s'il s'est avéré vrai qu'il l'a frappée à plusieurs reprises comme vous l'avez
décrit, nous ne forçons pas le mari à lui donner un Gét (acte de divorce) et à
lui payer une Kathoubboh, jusqu'à ce que le Béth Din et les
dirigeants de la communauté l'aient d’abord averti… et quand il reçoit
l'avertissement et qu'il est obligé de vivre sous l'œil d’un observateur, si
l'observateur témoigne qu'il a répété sa violence nous percevons sa Kathoubboh
pour elle.
Le Rashbo’’` semble conclure de façon similaire dans
l'une de ses Ṭashouvôth.[27]
De plus, Ribbénou Simḥoh ban Shamou`él,
cité dans de nombreuses sources, déclare explicitement que le Béth Din peut se
tourner vers les Gôyim pour le forcer à se soumettre à la décision du Béth Din,
c’est-à-dire accorder un Gét à sa femme ; ceci est également
spécifiquement préconisé par plusieurs autres sages. Il fait valoir que si déjà
un homme peut être contraint de répudier sa femme pour ne pas avoir pourvu aux
besoins de sa femme - un cas où le Béth Din pourrait même, d’après la Halokhoh,
confisquer ses biens - il pourrait certainement être également contraint dans
le cas où il la bat, ce qui est une situation qui ne peut être corrigée par des
moyens pécuniaires.[28]
Ribbénou Binyomin Za`év, qui soutient le
pouvoir du Béth Din de forcer le divorce dans les cas où le mari a clairement
tort et insiste pour continuer à battre sa femme, souligne que le fait que la
Mishnoh et le Ṭalmoudh n'énumèrent en aucun cas spécifiquement le fait de
battre sa femme n'élimine en aucun cas
cette situation comme motif recevable pour forcer le divorce ; en effet,
dans la mesure où les exemples énumérés dans la Mishnoh et le Ṭalmoudh sont des
conditions qui se sont produites involontairement (par exemple, le mari
développe des furoncles), il va de soi que lorsque le mari cause
intentionnellement des souffrances à la femme, le divorce peut certainement
être forcé par le Béth Din.[29]
Le Go`ôn de Wilno` fait une remarque similaire dans son commentaire sur le Shoulḥon
´oroukh.[30] Le
Ramo’’`, dans son Darké Môshah, cite également le raisonnement et la conclusion
de Ribbénou Binyomin Za`év.[31]
Le Môrdokhay utilise le même raisonnement sur un point similaire
dans son commentaire au tout début de Kathoubbôth, Chapitre
« Hammaddir ».
Le Ramo’’` rapporte ceci dans son commentaire sur le Shoulḥon
´oroukh :[32]
S'il
le fait régulièrement, le Béth Din est autorisé à le châtier et à l’excommunier
et à le frapper avec toutes sortes de punitions et de contraintes et à lui
faire prêter serment qu'il ne le fera plus, et s'il n'obéit pas au Béth Din, il
y a ceux qui disent qu'ils le forcent à divorcer dès lors qu’ils lui auront
d'abord donné un ou deux avertissements.
Ribbénou Paraṣ, dans son décret du 13ème
siècle, ne demande pas le divorce forcé. Au lieu de cela, il écrit :
Si
quelqu'un refuse obstinément d'obéir à nos paroles, le Béth Din du lieu où la
femme ou ses proches porteront plainte affectera son entretien selon sa
situation et selon l'usage du lieu où elle habite. Ils fixeront sa Kathoubboh
comme si son mari était parti pour un voyage lointain.
Ribbénou Paraṣ voulait introduire dans la Halokhoh
le principe de la séparation sans divorce ; puisque le mari ne traitait
pas correctement sa femme, elle devait être libérée de son devoir de vivre avec
lui, mais lui resterait dans l’obligation de continuer à pourvoir à ses
besoins, malgré qu’ils ne vivent plus ensemble.
Globalement, on constate que presque toutes les
sources examinées permettent au Béth Din de forcer le divorce dans ce cas
extrême de mariage intolérable. Même Ribbénou Binyomin Za`év, qui
s'oppose au divorce forcé dans d'autres cas, le permet dans ce cas-ci ![33]
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Une femme mauvaise
Jusqu'à présent, nous avons discuté de cas où le mari
battait sa femme innocente. Mais que faire si la femme n'est pas si innocente ?
Le mari peut-il la battre ? Le Rambo’’m tranche ceci dans son Mishnéh Ṭôroh :[34]
Toute femme qui refuse de faire un travail parmi les
travaux qu’elle est obligée de faire, ils la
contraignent à le faire, même par le bâton.
|
כָּל אִשָּׁה שֶׁתִּמָּנַע מִלַּעֲשׂוֹת מְלָאכָה
מִן הַמְּלָאכוֹת שְׁהִיא חַיֶּבֶת לַעֲשׂוֹתָן--כּוֹפִין אוֹתָהּ וְעוֹשָׂה, וְאַפִלּוּ בַּשּׁוֹט
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Qui peut la frapper avec le bâton ? Il ne s’agit
pas du mari ! Le « ils la contraignent » se réfère
aux membres du Béth Din. En d’autres mots, même dans le cas d’une épouse
désobéissante, le mari n’a pas le droit de la frapper lui-même ! Il devra
l’accuser auprès du Béth Din, et si ce dernier l’estime approprié, décision
peut être prise de la faire frapper au bâton par des agents du Béth Din. Mais
le Rambo’’m poursuit en disant :
S’il a affirmé qu’elle ne fait pas [son travail],
mais qu’elle dit qu’elle ne refuse pas de faire [son travail], ils font
habiter une femme entre eux ou des voisins. Et cette affaire suit ce que le
juge verra comme étant possible dans l’affaire.
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טָעַן הוּא שְׁאֵינָהּ עוֹשָׂה, וְהִיא אוֹמֶרֶת
שְׁאֵינִי נִמְנַעַת מִלַּעֲשׂוֹת--מוֹשִׁיבִין אִשָּׁה בֵּינֵיהֶן אוֹ
שְׁכֵנִים; וְדָבָר זֶה, כְּמוֹ שֶׁיִּרְאֶה הַדַּיָּן שֶׁאִפְשָׁר בַּדָּבָר
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Ainsi, si le mari et l’épouse ont des versions divergentes
sur l’attitude de l’épouse, le Béth Din ordonnera qu’une femme ou des voisins
habitent quelques temps avec le couple pour les observer et voir lesquels des
deux est responsables des disputes et bagarres. Tout se fera selon ce que le
juge du Béth Din estimera approprié pour faire la lumière sur cette affaire et
décider des sanctions à appliquer. Mais le mari, lui, n’a pas le droit de
battre sa femme.
Il y a, toutefois, un cas dans lequel le mari est
explicitement autorisé à frapper sa femme. Ribbénou Yisro`él ban Pathiyohou
`isserlein (1390-1460) a reçu cette question :
Celui
qui a entendu sa femme maudire et dénigrer son père et sa mère et l'a
réprimandée verbalement pour cela plusieurs fois en vain - est-il autorisé à la
frapper pour la réprimander de sorte qu’elle ne le refasse plus, ou non ?
Dans sa réponse, citant le Môrdokhay et la Ṭashouvoh
de Ribbénou Simḥoh, Ribbénou `isserlein ז״ל souligne que frapper sa femme est normalement une grave transgression,
mais le permet dans ce cas unique afin d’empêcher la femme de transgresser une
autre interdiction grave. Étant donné que Ribbénou `isserlein fait valoir qu'il
est établi qu'un homme peut frapper ses esclaves afin de les empêcher de
commettre une transgression, il existe un principe selon lequel « quiconque
est le tuteur de quelqu'un, et il voit qu'il commet une transgression, il est
autorisé à le frapper et à le châtier afin de l'empêcher de transgresser, et il
n'est pas nécessaire de le traduire en justice ». Le mari étant, d’une
certaine façon, le tuteur der son épouse, cela s’appliquerait également au mari
qui voit sa femme commettre une grave transgression comme le fait de maudire ou
dénigrer ses parents.[35]
Écrivant un siècle plus tard, le Ramo’’` propose une
décision similaire :[36]
Mais
si elle le maudit ou dénigre son père et sa mère, et qu'il la réprimande
verbalement mais qu'elle ne fait pas attention à lui, il y a ceux qui disent
qu'il est permis de la frapper, et il y a ceux qui disent qu'il est interdit de
frapper même une méchante femme ; et la première opinion est la
principale.
De toute évidence, ces décisions ne sont pas un feu
vert pour le mari de frapper sa femme. L'intention
de ceux qui permettent au mari de frapper la femme dans un tel cas est afin
d’empêcher une transgression très grave, qui est celle de maudire ou dénigrer
des parents ; ainsi, frapper à titre de mesure punitive reste
interdit en vertu de la restriction « il n’ajoutera pas ».
Frapper sa femme dans une situation autre que celle-ci, peu importe son
comportement ou ce que le mari pourrait lui reprocher, ne servira à rien et ne
permettra, de toute façon pas, au mari d’atteindre son but, car une femme
battue devient, en réalité, plus rebelle et moins obéissante à son mari. Donc,
si le but était de la rendre plus obéissance, plus soumise, etc., la frapper crée
l’effet inverse ! En outre, cela amènera le mari à développer une tendance
à frapper sa femme pour tout et n’importe quoi, en se justifiant d’avoir raison
de le faire. Tout comme « une Miṣwoh entraîne une autre Miṣwoh, une ´avéroh
(transgression) entraîne une autre ´avéroh ».
Il n’y a donc aucune justification halakhique
permettant à un mari de battre ou frapper son épouse ! Et le seul cas où cela a été permis par certaines
autorités, c’était dans le but d’empêcher une femme de dénigrer les personnes
les plus précieuses que Hashshém a mises pour nous sur la Terre, à savoir les
parents. Même dans ce cas-là, ces autorités parler de « frapper » et
non de la battre. Il n’a pas le droit de lui briser des os, de l’amocher, de lui
casser des dents, de lui donner des coups de poings ou de pieds, de la cogner
contre le mur, etc. En effet, quand on parle de « frapper »
dans les textes halakhiques, il s’agit toujours de le faire soit par une petite
tape, ou d’utiliser une petite lanière, comme le rapportent de très nombreux ouvrages.
Utiliser son poing, ses pieds, des objets qui font très mal, etc., équivaut à
frapper un Juif à la manière d’un ennemi, ce qui est strictement interdit par
la Halokhoh même avec ses propres enfants !
Il est dit dans le Ṭalmoudh : « Si tu
frappes un enfant, frappe-le uniquement avec la lanière d’une chaussure ».[37]
Rash’’i commente que cela signifie que l'enfant doit être puni d'un coup très
léger qui ne lui fait pas de mal. Ainsi, la perspective juive sur la discipline
préconise une punition physique restreinte.
Car, comme vu plus haut, battre un Juif reste interdit, même son propre enfant,
et encore plus concernant sa femme, qui est la personne la plus proche d’un
homme selon nos Sages ! Le Rambo’’m conclut qu'un enseignant peut frapper
un élève afin de le discipliner, mais il ne doit pas le frapper durement comme
il le ferait pour un ennemi. Par conséquent, il tranche que l'enseignant ne
doit pas frapper les élèves avec un bâton ou un fouet mais avec une petite
ficelle.[38]
Ne croyez donc pas que la permission de « frapper »
sa femme dans le cas unique où elle aurait maudit, insulté ou dénigré les
parents du mari, signifie que le mari a carte blanche pour la tabasser !
Il n’y a aucune place dans le judaïsme pour la
violence domestique. Un mari, peu importe l’attitude de sa femme ou ce qu’il
lui reprocherait, n’a pas le droit de la battre et de l’humilier. S’il n’est
pas capable de supporter son épouse, et qu’il la considère comme la pire des personnes,
mieux vaut qu’il divorce plutôt que de se rendre coupable du crime très grave d’avoir
battu son épouse ! Comme l’a écrit le ´oroukh Hashshoulḥon :[39]
Le
principe de la loi est valable même aujourd'hui bien que nous n’ayons pas le
pouvoir de suivre correctement la loi ; en tout état de cause, nous
enquêtons minutieusement et essayons de faire la paix entre mari et femme, et
si nous voyons qu'il est impossible de faire la paix entre eux, nous essayons
de les faire, par voie de divorce, se séparer de bonne volonté.
Puisse cet article vous avoir aidé à y voir plus clair
sur la gravité de l’acte de battre une femme ! Et puisse Hashshém aider à
la délivrance et à la guérison de toute femme tombée sur un mari abusif et
violent !
[1] Shou’’th Rashbo’’` 693 ; Séphar
Shou’’th HoRashbo’’` 4 :113 et 5 :264
[2] Séphar Shou’’th Binyomin Za`év
78
[3] Gittin 6b
[4] Baré`shith 12 :16
[5] Bavo` Maṣi´a` 59a
[6] `iyôv 5 :24
[7] Yavomôth 62b
[8] Hilkôth `ishouth 15 :19
[9] Wayyiqro` 19 :18
[11] Davorim 25 :2-3
[12] Shamôth 2 :13
[13] `évan Ho´ézar 154 :3. Il est
également cité dans le ´oroukh Hashshoulḥon.
[14] Binyomin Za`év, pages
247-248
[15] Ṭôsaphṭo`, Bavo` Qammo` 9 :5
[16] Hilkôth Ḥôvél Oumazziq 4 :14
[17] `évan Ho´ézar, Hilkôth Kathoubbôth
83
[18] Ibid. Il cite également le Ra`ava’’d
et le Séphar Miṣwôth Gadhôlôth.
[19] Séphar Sha´aré Ṣadhaq Miṭṭôkh
Siphré Hagga`ônim Ṭashouvôth Ouphsoqim, 2ème
Partie, Section 42
[20] Hilkôth `ishouth 21 :10
[21] Rashbo’’` 264
[22] Cité dans le Béth Yôséph de Ribbi
Yôséph Qa`rô, ainsi que dans le Tour, `évan Ho´ézar Hilkôth Gittin
154 :76.
[23] Rashbo’’` 113
[24] Binyomin Za`év 250
[25] `évan Ho´azar, Hilkôth Gittin
154 :3
[26] Séphar Sha´aré Ṣadhaq Miṭṭôkh
Siphré Hagga`ônim Ṭashouvôth Ouphsoqim, 2ème
Partie, Section 42
[27] Rashbo’’` 693
[28] Cité dans Binyomin Za`év page
247 ; Ribbénou Yisro`él de Krenz (Autriche, 14ème siècle), dans
Haghohôth `oshéri, début du Chapitre Hammaziq (Bavo` Qammo` 32a) ; Rabbi
Yôséph Qa`rô, `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin 154
[29] Binyomin Za`év page 248
[30] `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin
154 :3 :10
[31] `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin
154 :15-17
[32] `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin
154 :3. Le ´oroukh Hashshoulḥon (`évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin
154 :18) rapporte cette opinion du Ramo’’` et déclare qu’elle constitue
l’essentiel de la Halokhoh.
[33] Binyomin Za`év, Section
116 :315-317
[34] Hilkôth `ishouth 21 :10
[35] Ṭaroumath Haddashan 118
[36] `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin
154 :3
[37] Bavo` Bathro` 21a
[38] Mishnéh Ṭôroh, Hilkôth Ṭalmoudh Tôroh
5 :2
[39] `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin
154 :18