mardi 22 mars 2016

Quels sont les liens qui unissaient Mordokhay et `astér ?

ב״ה

Exposer les fausses notions

Quels sont les liens qui unissaient Mordokhay et `astér ?


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Si vous demandez à des Juifs quels liens y avaient-ils entre Mordokhay ע״ה et `astér ע״ה, les héros de la Maghillath `astér, que nous lirons dans quelques jours seulement, l'écrasante majorité des Juifs vous répondront que `astér était la nièce de Mordokhay. Or, c'est totalement faux ! La Maghilloh elle-même nous décrit explicitement, et ce à deux reprises, quel était leur lien de famille. C'est à croire que les Juifs qui lisent chaque année la Maghilloh ne la lisent en réalité pas vraiment (trop occupés, peut-être, à attendre le moment où ils pourront se déchaîner et faire du bruit à la mention du nom de Homon). Une première fois, il nous est dit ceci1 : וַיְהִי אֹמֵן אֶת-הֲדַסָּה, הִיא אֶסְתֵּר בַּת-דֹּדוֹ--כִּי אֵין לָהּ, אָב וָאֵם « Il était le tuteur de Hadhassoh, c'est-à-dire `astér, la fille de son oncle, qui n'avait plus ni père ni mère ». Puis, quelques versets plus loin, dans le même chapitre, nous lisons ceci2 : אֶסְתֵּר בַּת-אֲבִיחַיִל דֹּד מָרְדֳּכַי « `astér, la fille de `avihayil, l'oncle de Mordokhay ». En d'autres mots, à deux reprises, le texte de la Maghilloh nous décrit, dans un langage qui ne laisse place à aucune ambiguïté, `astér comme étant tout simplement la cousine de premier degré de Mordokhay !

Cette erreur est d'autant plus incompréhensible qu'aucune source traditionnelle juive ne décrit `astér comme étant la nièce de Mordokhay ! Deux hypothèses ont été avancées pour expliquer cette erreur très répandue parmi les Juifs. La première consiste à dire qu'elle tire ses origines de trois traductions chrétiennes du TaNa''Kh : la Septante chrétienne, le Vetus Latina (composée entre le 3ème et le 5ème siècle) et la Vulgate (composée entre 390 et 405 de l’Ère Courante, et qui est la version latine officielle de l’Église Catholique). Dans ces deux dernières traductions, le verset de `astér 2:7 décrit `astér comme étant la fille du frère de Mordokhay, et dans `astér 2:15 elle est décrite comme étant la fille de `avihayil, le frère de Mordokhay ! Ainsi, d'après ces bibles chrétiennes, Mordokhay et `astér seraient oncle et nièce.

Cette erreur pourrait s'être introduite dans ces deux traductions à cause du fait que la Septante chrétienne (une version en Grec) utilise la phrase « frère du père », au lieu du mot « oncle » qui apparaît dans le texte Hébreu. La Septante chrétienne ayant été le texte sur base duquel la Vulgate fut composée, il est possible que les traducteurs latins oublièrent involontairement les mots « du père », ce qui eut pour conséquence de transformer `astér en la fille du frère de Mordokhay. Cette tradition catholique fut donc scellée dans la Vulgate, et il est possible que l'erreur juive courante fut influencée par cette croyance.

La deuxième hypothèse pour l'expliquer est qu'étant donné que le texte de la Maghillath `astér stipule que Mordokhay adopta `astér comme sa fille (un point sur lequel nous allons revenir plus bas), il est perçu dans l'imaginaire populaire comme ayant été beaucoup plus vieux que `astér. Par conséquent, il était plus facile de les considérer comme étant oncle et nièce plutôt que comme des cousins de premier degré.

Mais peu importe l'hypothèse la plus plausible, il s'agit d'une erreur de compréhension que l'on se doit de corriger, car elle n'a aucune source dans notre tradition !

Il existe un deuxième lien qui les unissait. Le Talmoudh nous apprend qu'ils étaient mariés ensemble !3 Et nos Sages nous enseignent que cela peut se déduire du texte même de la Maghilloh. Il est écrit ceci4 :

Il était le tuteur de Hadhassoh, c'est-à-dire `astér, la fille de son oncle, qui n'avait plus ni père ni mère. La jeune fille était belle de stature et d'une bonne apparence. À la mort de son père et de sa mère, Mordokhay la prit pour lui pour fille.
וַיְהִי אֹמֵן אֶת-הֲדַסָּה, הִיא אֶסְתֵּר בַּת-דֹּדוֹ--כִּי אֵין לָהּ, אָב וָאֵם; וְהַנַּעֲרָה יְפַת-תֹּאַר, וְטוֹבַת מַרְאֶה, וּבְמוֹת אָבִיהָ וְאִמָּהּ, לְקָחָהּ מָרְדֳּכַי לוֹ לְבַת

Il y a trois problèmes dans ce passage. Tout d'abord, puisque le verset déclare que Mordokhay « était le tuteur de Hadhassoh », pourquoi doit-il répéter le fait qu'il « la prit pour lui pour fille » ? N'est-ce pas la même chose ? Deuxièmement, il n'existe pas dans le Judaïsme un statut légal de « parent adoptif ». C'est-à-dire que vous pouvez élever une orpheline chez vous, mais vous ne pourrez jamais la prendre comme fille. Et enfin, et c'est là le point le plus important, « prendre quelqu'un pour soi » est toujours employé dans le TaNa''Kh pour parler d'un mariage !

Ainsi, littéralement, le verset nous dit que Mordokhay l'a épousée.

Vous demanderez alors pourquoi le verset emploie le terme de « fille » ? C'est très simple : les mots « fille » et « sœur » sont des expressions courantes de tendresse dans le TaNa''Kh, comme nous pouvons le voir dans de nombreux versets, tel que celui-ci5 : וַיֹּאמֶר בֹּעַז אֶל-רוּת הֲלוֹא שָׁמַעַתְּ בִּתִּי, אַל-תֵּלְכִי לִלְקֹט בְּשָׂדֶה אַחֵר, וְגַם לֹא תַעֲבוּרִי, מִזֶּה; וְכֹה תִדְבָּקִין, עִם-נַעֲרֹתָי « Et Bô´az dit à Routh : ''Entends-tu, ma fille ? Ne va pas glaner dans un autre champ, et ne t'éloigne pas d'ici ; attache-toi de la sorte aux pas de mes jeunes servantes » (or, Bô´az ע״ה et Routh ע״ה n'avaient aucun lien de sang. Ils se marieront même un peu plus tard dans l'histoire), ou encore celui-ci6 : לִבַּבְתִּנִי, אֲחֹתִי כַלָּה « Tu as capté mon cœur, ma sœur, ma fiancée » (comment Shalômôh Hammalakh ע״ה peut-il décrire sa femme comme étant « sa sœur » ? Il est donc évident que ce n'est ps au sens littéral qu'elle était sa sœur, mais bien une expression d'affection). Et nous voyons que nos Sages appelaient fréquemment les femmes qui les consultaient pour des questions halakhiques « ma fille » ou « ma sœur ».7 Dans le contexte de Mordokhay et `astér, l'idée est qu'un homme et sa femme doivent développer une relation d'amour et de partage comme on le ferait naturellement avec son propre enfant ou frère et sœur.

Il n'est donc plus difficile de comprendre pourquoi ce verset soutient la tradition orale selon laquelle Mordokhay et `astér étaient mariés ensemble, en plus d'être cousins de premier degré. (Et je rappelle donc qu'épouser sa cousine est tout à fait autorisé par la Tôroh.)

En outre, du verset de `astér 2:20, le Talmoudh déduit qu'ils continuèrent à se comporter l'un envers l'autre comme mari et femme, même après que `astér fut emmenée à la cour royale de Perse, et que cela dura jusqu'à ce qu'elle se rende volontairement vers le roi `ahashwérôsh et n'ait une relation avec ce dernier.8 Et sur la base de `astér 4:16, le Talmoudh explique que depuis ce jour où elle s'offrit volontairement au roi `ahashwérôsh dans son plan pour sauver les Juifs, elle devint interdite à Mordokhay, l'homme qu'elle aimait. Mais ce fut un sacrifice qu'elle consentit à faire pour son peuple.9

Les Juifs qui écoutent la lecture de la Maghilloh à Pourim n'ont pas toujours l'occasion de vraiment la comprendre : le lecteur lit vite, les gens font du bruit, ceux qui écoutent ne comprennent pas forcément l'Hébreu, etc. Voilà pourquoi il est essentiel de déjà passer en revue la Maghilloh avant Pourim, car de nombreux détails importants de cette histoire pourraient nous échapper le jour de Pourim, où notre concentration pourrait ne pas être à son niveau optimal.

À présent, vous savez que Mordokhay et `astér étaient cousins et non oncle et nièce, et qu'ils étaient en outre mariés avant que `astér ne devienne officiellement l'épouse du roi `ahashwérôsh (Assuérus).

1`astér 2:7
2Ibid., verset 15
3Maghilloh 13a
4`astér 2:7
5Routh 2:8
6Shir Hashirim 4:9
7Voir par exemple, Shabboth 13b
8Maghilloh 13b

9Ibid., 15a
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