dimanche 9 octobre 2016

Le rituel des Kapporôth

ב״ה

Le rituel des Kapporôth


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Poursuivons notre passage en revue des lois, pratiques et coutumes relatives aux fêtes du mois de Tishri.

Chaque année, à l'approche de Yôm Hakkippourim, certains Juifs accomplissent le rituel des כַּפָּרוֹת « Kapporôth. » Ce rituel a assumé différentes formes en fonction des époques et lieux où il était réalisé.

De nos jours, la forme la plus répandue consiste à utiliser une volaille vivante sur laquelle on transfert symboliquement ses péchés. Pourquoi une volaille ? Tout simplement parce que le mot hébreu גֶּבֶר « Gavar » signifie à la fois « homme » et « coq. » C'est sur cette base qu'ils disent que la punition de l'homme peut être substituée par celle que subit la volaille, et leurs péchés transférés sur elle.

Voici la description de ce rite : tout d'abord, différents passages bibliques tirés de Yasha´yohou 11:9, Tahillim 107:10, 14, 17-21, et `iyôv 33:23-24 sont lus. Puis un coq (pour un homme) ou une poule (pour une femme) est soulevé au dessus de la tête de la personne et est agité en cercle à trois reprises, tandis que la personne se trouvant en dessous de la volaille récite à trois reprises la formule suivante :

Ceci est mon échange, ceci est mon substitut, ceci est mon expiation. Ce coq ira à sa mort, tandis que moi, j'irai vers une bonne longue vie et vers la paix.
זֶה חֲלִיפָתִי, זֶה תְּמוּרָתִי, זֶה כַּפָּרָתִי. זֶה הַתַּרְנְגוֹל יֵלֵך לְמִיתָה, וְאֲנִי אֵלֵךְ לְחַיִּים טוֹבִים, אֲרוּכִים וּלְשָׁלוֹם

L'espoir est que cette volaille sur laquelle ces Juifs ont symboliquement transféré leurs péchés, et qui sera ensuite égorgée et offerte à un pauvre, prendra sur elle toute mésaventure ou tout jugement qui aurait pu leur arriver ou être décrété contre eux au courant de la nouvelle année à cause de leurs péchés !

D'où provient un tel rituel ?

Le rituel des Kapporôth n'est pas mentionné dans la Tôroh, ni dans le Talmoudh, ni dans le Midhrosh. Comme c'est le cas pour bon nombre de rituels de notre temps, il tire son origine du début de la période médiévale. La pratique est traitée pour la toute première fois par les Pôsqim au neuvième siècle. À l'origine, les coutumes relatives aux Kapporôth variaient beaucoup d'un endroit à l'autre. Dans certaines localités, des germes de haricot étaient plantées dans de petits paniers en feuilles de palmier (que l'on remplissait de terre et de fertilisants) deux ou trois semaines avant Rô`sh Hashonoh. La veille de Rô`sh Hashonoh, la plante était agitée à sept reprises au-dessus des têtes de chaque enfant de la maison qui disaient « Ceci me remplace, ceci est mon substitut, ceci est mon échange. » Et la plante était ensuite jetée dans la rivière.1

Dans d'autres localités, le rituel était accompli par tout le monde, hommes, femmes et enfants, avant Yôm Hakkippourim, mais avec différentes sortes d'animaux. Les riches préféraient des animaux à corne, parce qu'ils étaient associés au bélier de l'histoire de la ´aqédhath Yishoq2, qui prit finalement la place du fils de `avrohom `ovinou ע״ה sur l'autel sacrificiel.

Pour finir, le poulet devint l'animal majoritairement utilisé pour le rituel des Kapporôth, en partie parce qu'il est bon marché, mais aussi en raison du double sens du terme « Gavar » dont nous avons parlé plus haut. Dans certaines communautés, après que la volaille eut été égorgée, on la jetait tout simplement sur le toit d'une maison afin de nourrir les oiseaux, ce qui était considéré comme un acte de bonté envers ces créatures.3

Le rituel se répandit assez rapidement parmi les érudits, mais également parmi les hommes simples toujours avides de pratiques folkloriques (et qui étaient très souvent superstitieux), et plus particulièrement en terre ashkénazes.4 La pratique fut acceptée avec enthousiasme dans les milieux « kabbalistiques. » Elle fut défendue par Le Hayé `odhom5 ז״ל et le Hofés Hayim6 ז״ל, qui expliquent que le concept des Kapporôth peut être calqué sur ce que le Ramba''n7 ז״ל a expliqué sur la signification d'un Qôrbon. Le Ramba''n écrit que quand on offrait une Qôrbon du temps où le Béth Hammiqdosh existait, le pécheur qui l'offrait devait se dire que c'est normalement son sang qui aurait dû être versé et que c'est son corps qui aurait dû être brûlé sur l'autel. Cela aurait été le cas si HaShem ית׳, dans Sa miséricorde, n'avait pas permis d'offrir une Qôrbon en substitut. Le Ramba''n conclut donc qu'offrir une Qôrbon constituait une reconstitution de la '´aqédhath Yishoq. Se basant sur ce commentaire du Ramba''n, Le Hayé `odhom et le Hofés Hayim légitiment la pratique des Kapporôth, qu'ils comparent à la Qôrbon que l'on offrait dans le Béth Hammiqdosh, et écrivent que durant ce rituel on doit avoir à l'esprit que c'est nous qui aurions dû être égorgés tout comme le poulet des Kapporôth, et que le poulet est notre substitut.

Néanmoins, de nombreux Pôsqim de diverses générations s'opposèrent à ce rituel, qu'ils classaient dans la catégorie des דַּרְכֵי הָאֶמוֹרִי « Darakhé Ho`amôri », c'est-à-dire des pratiques païennes, idolâtres et superstitieuses. Par exemple, Rabbénou Shalômôh ban `adharath ז״ל (plus connu sous son acronyme du « Rashba''` »), l'un des plus grands érudits du 13ème siècle (1235-1310), le considérait comme une superstition païenne. Il parvint à la faire abolir dans sa ville, Barcelone, où la coutume voulait qu'on égorge un poulet pour chaque enfant composant le ménage, avant de pendre la tête du poulet au montant de la porte.8

Ce rejet de cette pratique par le Rashba''` était également partagé par le Ramba''n, qui était le maître du Rashba''` (il est donc ironique d'utiliser le commentaire du Ramba''n sur le rôle des Qôrbonôth pour donner un sens aux Kapporôth avec volailles !), ainsi que par Rabbi Yôséph Qa`rô ז״ל. Ce dernier dénonça le rituel des Kapporôth à deux reprises. La première fois, ce fut dans son Béth Yôséph9, où il cite la Tashouvoh du Rashba''`, ainsi que la position du Ramba''n. La seconde fois, ce fut dans son Shoulhon ´oroukh, où il écrit ceci10 :

Certains ont la coutume d'accomplir des Kapporôth à ´arav Yôm Kippour en égorgeant un poulet pour chaque enfant de sexe masculin et en prononçant dessus des versets. On doit empêcher la coutume !
מה שנוהגים לעשות כפרות בערב יום כיפור, לשחוט תרנגול על כל בן זכר ולומר עליו פסוקים, יש למנוע המנהג

Le Ramba''m ז״ל s'opposait également à cette pratique, et refusa de la mentionner dans son Mishnéh Tôroh. Mais le Ramo''`11 ז״ל s'opposa à cette interdiction de Rabbi Yôséph Qa`rô, consignée dans le Shoulhon ´oroukh, sur la base que cette pratique est déjà mentionnée dans les écrits de certains Ga`ônim et qu'elle a été adoptée par toutes les communautés ashkénazes. Il considère donc le rituel des Kapporôth comme un מִנְהַג וַתִיקִין « Minhagh Wathiqin », une pratique vénérée, et conclut qu'il est défendu d'y renoncer. C'est ainsi que les `ashkanazim chérissent plus particulièrement cette pratique.

Quant aux Sapharadhim, ils prétendent avoir accepté sur eux les prescriptions du Shoulhon ´oroukh. Or, pour le coup, ils ne suivent pas l'interdiction énoncée par Rabbi Yôséph Qa`rô. Pourquoi ? Le Ban `ish Hay12 ז״ל, le Kaph Hahayim13 ז״ל, et le Rov ´ôvadhyoh Yôséph14, font tous remarquer que bien qu'en principe les Sapharadhim sont censés suivre toutes les instructions rapportées par Rabbi Yôséph Qa`rô, ils ont eux aussi adopté la pratique des Kapporôth, à laquelle était opposé Rabbi Yôséph Qa`rô. La raison à cela est très simple : les Sapharadhim prétendent suivre le Shoulhon ´oroukh, mais donnent priorité aux pratiques « kabbalistiques » sur celles du Shoulhon ´oroukh. Puisque le `ari adopta cette pratique des Kapporôth avec beaucoup d'enthousiasme15, sur la base de considérations « kabbalistiques », les Sapharadhim l'adoptèrent eux aussi ! Le `ari a en effet un énorme impact sur les pratiques séfarades actuelles dans un très large éventail de domaines. Pour notre grand malheur !

Il convient néanmoins de signaler quelque chose de très important : tous les Pôsqim majeurs des dix-neuvième et vingtième siècles qui ont accepté le rituel des Kapporôth soulèvent également tous les mêmes problèmes. Ils font remarquer qu'étant donné que la majorité des Juifs ont adopté ce Minhogh et qu'il est presque universellement accepté, il existe des problèmes sérieux de Halokhoh qu'il faut absolument régler. Ainsi, une énorme pression est placée sur les Shôhtim, qui doivent égorger des poulets à un rythme soutenu puisqu'ils doivent en égorger pour chaque membre de la communauté à ´arav Yôm Hakkippourim. Cela soulève donc des questions sur la validité du processus de Shahitoh. En effet, le couteau qui est utilisé pour égorger doit être méticuleusement examiné à chaque fois qu'un animal va être égorgé, afin de s'assurer qu'il n'y a aucune encoche dans le couteau, ce qui pourrait faire souffrir l'animal. Le Hayé `odhom et le Hofés Hayim s'inquiètent du fait qu'un Shôhét surchargé pourrait ne pas correctement examiner son couteau avant chaque égorgement, et donc qu'il pourrait ne pas remarquer une encoche subtile dans le couteau. Le Rov ´ôvadhyoh Yôséph, lui-même, rapporte que plusieurs rabbins locaux qui inspectent les couteaux des Shôhtim chargés d'égorger les poulets utilisés pour le rituel des Kapporôth ont rapporté avoir découvert très souvent des encoches dans les couteaux. Quant au ´oroukh Hashoulhon ז״ל, il s'inquiète du fait qu'avec tous ces poulets à égorger, les Shôhtim pourraient ne pas avoir le temps de correctement examiner chaque poulet à la recherche d'éventuels défauts qui les rendraient défendus à la consommation, même après abattage. Ces Pôsqim expriment tous le même sentiment : bien qu'ils approuvent ce rituel, ils sont horrifiés par le fait que le respect d'un Minhogh mène à la transgression de plusieurs interdits bibliques !16

Ils proposent quelques solutions à ces problèmes. Le Hofés Hayim cite le Parî Maghadhim ז״ל, qui tranche que les Kapporôth n'ont pas à être effectuées que la veille de Yôm Hakkippourim, mais peuvent être organisées tout au long des dix jours entre Rô`sh Hashonoh et Yôm Hakkippourim. Effectivement, comme cela a été rapporté par Rash''i, du temps des Ga`ônim ce rituel était effectué la veille de Rô`sh Hashonoh (et sans animaux, puisqu'on utilisait une plante). Par conséquent, le Hofés Hayim propose de tenir les Kapporôth sur au moins deux ou trois jours de façon à alléger le stress et le rythme de travail des Shôhtim. Le Rov ´ôvadhyoh Yôséph propose d'étaler les Kapporôth tout au long des dix jours de repentance. Le Hayé `odhom, le Kaph Hahayim et le Hofés Hayim vont plus loin encore : ils proposent de tout bonnement accomplir le rituel avec des pièces de monnaie plutôt qu'une volaille, ce qui allégera non seulement la pression qui repose sur les épaules des Shôhtim, mais en plus cela empêchera de tuer des animaux expressément pour ce rituel, qui n'est pas une obligation, mais un simple Minhogh !

Le Hayé `odhom fait également remarquer que le Minhogh des Kapporôth ne s'effectuait même pas à l'origine avec des animaux, comme nous l'avons vu dans la citation susmentionnée tirée des commentaires de Rash''i. De ce fait, il estime que faire tourner autour de sa tête des pièces de monnaie et les donner à la Sadhoqoh, est une alternative viable aux Kapporôth effectuées avec un poulet. C'est la raison pour laquelle de nombreuses familles effectuent les Kapporôth avec de l'argent.

Quant à nous, nous rejetons catégoriquement cette pratique n'ayant aucune base dans nos sources authentiques et qui est carrément superstitieuse, voire de la pure idolâtrie. Et nous nous réjouissons de voir que de plus en plus de Juifs « orthodoxes » y renoncent année après année.

Puisse cette pratique immonde disparaître à tout jamais du milieu de nous !

1Rapporté par Rash''i ז״ל, dans son commentaire sur Shabboth 81b. Il mentionne avoir lu cette pratique dans les Tashouvôth Hagga`ônim
2Rapporté par le Ro`''sh ז״ל, dans son commentaire sur Yômo` 8:23
3Bah, `ôrah Hayim 605
4`ôrhôth Hayim, lois relatives à ´arav Yôm Kippour
5144:4
6Mishnoh Barouroh 605:2
7Dans son commentaire sur Wayyiqro` 1:9
8Sha`alôth Outhashouvôth Rashba''` 1:395
9`ôrah Hayim 605
10Ibid.
11Dans son commentaire sur le Shoulhon ´oroukh, Ibid.
12Parashath Wayyélakh 2
13605:8
14Tashouvôth Yahawwèh Da'ath 2:71
15Comme cela est rapporté dans le Moghén `avrohom 605:1

16Toutes ces préoccupations sont mentionnées dans le Hayé`odhom 144:4, le Kaph Hahayim 605:11, le Mishnoh Barouroh 605:2 et le ´oroukh Hashoulhon 605:3
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