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Jusqu'où
va l'application de la Malo`khoh de Bôrér ?
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L'une des
trente-neuf Malo`khôth de Shabboth mentionnées dans la Mishnoh1
est בּוֹרֵר
« Bôrér »,
qui consiste à « séparer » un mélange de déchet et de
nourriture. C'est l'une des Malo`khôth nécessaires à la סִידּוּרָא
דְּפַּת « Siddouro`
Dapath », l'ordre des activités dans le processus de
préparation du pain, depuis le labourage de la terre jusqu'à la
cuisson du pain.
En général,
comme les Ri`shônim l'apprennent de la Gamoro` de Shabboth 74a-b,
vous ne pouvez sélectionner au sein d'un mélange que sous trois
conditions :
- vous retirez la nourriture du déchet, et non vice-versa
- vous retirez la nourriture à la main
- vous retirez la nourriture pour une consommation immédiate.
Lorsqu'une de ces
trois conditions n'est pas remplie, la Malo`khoh de Bôrér a été
transgressée. Nous avions abondamment parlé de cette Malo`khoh dans
l'article intitulé « Les
trente-neuf Malo`khôth : Bôrér – Sélectionner ».
L'une des
questions centrales qui se posent concernant Bôrér est :
jusqu'où va son application ? Quelles sortes d'éléments
mélangés sont inclues dans l'interdiction ? Juste la
nourriture et le déchet, ou aussi les fourchettes et les couteaux ?
La majorité des
Juifs d'aujourd'hui applique cette Malo`khoh aux vêtements (sortir
un vêtement d'une armoire, lorsqu'on a plusieurs tenues différentes,
constituerait un acte de Bôrér), aux livres (sélectionner un livre
dans une pile constituerait un acte de Bôrér), ainsi qu'aux
couverts (séparer des fourchettes de couteaux constituerait un acte
de Bôrér). Mais tout cela est du non sens. Qu'est-il dit dans le
Talmoudh ?
Il y a deux
approches rapportées dans le Talmoudh, et les deux sont
complémentaires. D'un côté, Rébbi Yôhonon ז״ל
(et
dans une moindre mesure, Rébbi Youdhon ז״ל
également)
explique que lorsqu'on analyse comment cette Malo`khoh était
réalisée dans le contexte du Mishkon, on peut la définir comme le
fait de purifier des ingrédients dont on fera de la nourriture. Cela
est parfaitement logique, puisque après avoir vanné le blé, on
séparait à la main les grains des déchets qui ne s'étaient pas
envolés après le vannage, gardant ainsi uniquement les grains que
l'on comptait utiliser pour la confection du pain. Cette Malo`khoh ne
s'appliquerait donc qu'au fait de retirer les déchets non
comestibles d'un aliment, comme la balle des grains ou la lie du vin.
Cette approche est rapportée dans le Talmoudh Yarousholmi.2
Mais les
`ammôro`im du Talmoudh Bavli, et tous les rabbins qui leur
succédèrent (les Ga`ônim et les Ri`shônim), tranchent que la
Malo`khoh de Bôrér s'applique au fait de séparer tous types
différents d'aliments.3
Nous pouvons aisément comprendre la première approche, mais qui
a-t-il de « mal » à séparer une sorte d'aliment d'une
autre ?
Cette question est
au cœur de l'essence de l'acte de Bôrér. Il y a deux
interprétations possibles de la Malo`khoh de Bôrér. L'une est que
Bôrér est un acte de תִּיקּוּן
« Tiqqoun »,
c'est-à-dire d'amélioration ou « rectification » d'un
aliment, et de ce fait cette Malo`khoh s'applique uniquement au fait
de retirer des déchets pour rendre l'aliment consommable (ou apte à
être utilisé pour en faire de la nourriture). Mais l'autre est que
Bôrér signifie littéralement « séparer » un mélange,
et au vue du sens littéral cela s'appliquerait dès lors que nous
avons deux sortes d'aliments qui sont mélangés ensemble. Ainsi, la
première approche colle mieux à la Siddouro` Dapath telle que cela
se faisait dans le contexte du Mishkon, tandis que la deuxième colle
mieux au sens même du terme « Bôrér ». Mais ces
approches ne sont pas exclusives l'une par rapport à l'autre, car
même en adoptant la première approche il pourrait toujours être
interdit de séparer un mélange de deux aliments. En effet,
l'aliment que vous ne désirez pas sur le moment peut subjectivement
être défini comme étant du « déchet ».4
C'est pourquoi les deux approches furent acceptées, et en vertu de
la Malo`khoh de Bôrér, il est tout autant interdit de littéralement
retirer des déchets d'un aliment (ou de quelque chose que l'on
compte utiliser pour en faire de la nourriture) que séparer deux
sortes d'aliments mélangées ensemble. D'ailleurs, en lisant le
Ramba''m ז״ל,
dans son Mishnéh Tôroh5,
il fait la distinction entre les lois de Bôrér pour un mélange de
deux aliments et les lois de Bôrér pour un mélange de déchets
dans un aliment, indiquant par-là que sont les deux faces de la même
pièce.
Le Talmoudh, les
Ga`ônim et les Ri`shônim n'ont toujours appliqué cette Malo`khoh
qu'à la nourriture. D'où provient donc le fait de l'appliquer
également aux choses non liées à la nourriture, comme des livres,
des couverts ou encore des vêtements ?
Le tout premier
Pôséq à appliquer cette Malo`khoh à d'autres choses que la
nourriture fut le Touré Zohov (Rabbi Dowidh Halléwi Ségal,
1586-1667). Il déduit cela de la déclaration suivante : אמר
רבא:
האי
מאן דעבד חביתא חייב משום שבע חטאות
« Ravo`
a dit : Celui qui fait un baril [en faïence] est coupable en
raison de sept transgressions ».6
Les sept transgressions de Shabboth dont on parle ici sont :
- les mottes de terre sont d'abord écrasées et réduites en poudre, ce qui est la transgression de la Malo`khoh de moudre,
- les morceaux plus épais qui n'ont pas bien été réduits en poudre sont retirés, ce qui est la transgression de la Malo`khoh de séparer (Bôrér),
- la terre est ensuite tamisée,
- la poudre est mélangée à de l'eau, ce qui est la transgression de la Malo`khoh de pétrir,
- l'argile qui en résulte est poli lorsqu'est réalisé le moule de l'ustensile, ce qui constitue la transgression de la Malo`khoh de polir/lisser,
- le feu est allumé dans le four, et
- l'ustensile est durci dans le four, ce qui est la transgression de la Malo`khoh de cuire.
Rash''i ז״ל
commente
cette Gamoro` en disant que Bôrér s'applique donc également au
processus de confection de la faïence, qui n'est, à l'évidence,
pas de la nourriture. Le Touré Zohov conclut donc que la Malo`khoh
de Bôrér ne s'applique pas qu'à la nourriture. C'est ainsi que de
nombreux autres Pôsqim, parmi lesquels le Tôsafath Shabboth, le
Shoulhon ´oroukh Horov, le Hayé `odhom, le Tif`arath
Yisro`él et le Mishnoh Barouroh soutiennent que Bôrér peuvent
s'appliquer à de nombreuses choses autres que de la nourriture, d'où
les exagérations que nous connaissons aujourd'hui au niveau de cette
Malo`khoh.
Le raisonnement de
tous ces Pôsqim est erroné. Premièrement, il existe des Malo`khôth
qui ne s'appliquent à la base qu'à un domaine en particulier, mais
que HaZa''l ont appliqué également à un autre domaine à
cause des similitudes frappantes entre les deux domaines. Mais cela
ne veut pas dire que parce qu'ils ont fait une exception à la règle
nous pouvons élargir l'application de ces Malo`khôth à d'autres
domaines non mentionnés par nos Sages. Prenons l'exemple de la
Malo`khoh de Dosh. Bien que cette Malo`khoh ne s'applique, à la
base, qu'aux choses qui poussent de la terre, HaZa''l l'ont
également appliquée au fait de traire une vache, extraire du lait
des mamelles d'une femme, et presser un fruit pour en extraire le
jus, car tous ces actes remplissent en tous points les critères de
la Malo`khoh de Dosh et causent le même résultat. (Voir l'article
intitulé « Les
trente-neuf Malo`khôth : Dosh – Battre ».) Mais
nous ne pouvons pas aller au-delà de ces exceptions et les appliquer
à d'autres choses. Par exemple, le Ramba''m écrit clairement que la
Malo`khoh d'essorer (qui est un dérivé de la Malo`khoh de blanchir)
ne s'applique pas aux cheveux ! Une femme (ou un homme) peut
presser ses cheveux mouillés à Shabboth pour les faire sécher. Ce
n'est pas parce que presser un vêtement pour en extraire l'eau est
interdit que nous devons considérer que tout acte de pression avec
n'importe quoi est interdit ! De même ici, ce n'est pas parce
qu'une exception a été faite pour appliquer la Malo`khoh de Bôrér
à la confection de faïence que l'on doit considérer que tout acte
de tri ou de sélection avec n'importe quoi peut donc être interdit.
Si une exception a été faite avec l'argile, c'est parce que dans
son essence, retirer des déchets de la terre que l'on souhaite
garder pour en faire un ustensile est, dans le fond, un acte qui peut
effectivement remplir les critères de la Malo`khoh de Bôrér. Mais
en quoi est-ce comparable au fait d'ouvrir une armoire et
sélectionner une chemise plutôt qu'une autre, de séparer des
fourchettes de couteaux, ou choisir dans une pile un livre plutôt
qu'un autre ?
Deuxièmement,
aucun des Ga`ônim et des Ri`shônim n'a compris ce passage
talmudique comme étant de la Halokhoh. C'est uniquement l'opinion de
Ravo` ז״ל
qui
est rapportée. Et le simple fait, qu'à part ici, la Malo`khoh de
Bôrér a toujours été comprise dans le Talmoudh comme ne
s'appliquant qu'à la nourriture, et que les Ga`ônim et les
Ri`shônim ne l'ont également jamais appliquée à quoi que ce soit
d'autre qu'à la nourriture, démontre à lui tout seul que l'opinion
de Ravo` n'a jamais été pris pour la Halokhoh. (Cela n'empêche pas que fabriquer un baril en faïence à Shabboth est, évidemment, interdit.)
En fait, bien que
le Hiddoush du Touré Zohov soit aujourd'hui largement accepté,
il n'a aucun sens et plusieurs Pôsqim ont exprimé être mal à
l'aise face à cette approche et tentèrent d'en limiter
l'application. Par exemple, le ´oroukh Hashoulhon7
ז״ל
écrit
que sélectionner quelque chose d'une pile de vêtements, de couverts
et de livres, n'est pas du tri mais simplement l'acte de « prendre »
quelque chose ! Deuxièmement, quand bien même cela
constituerait du tri, prendre quelque chose pour un usage immédiat
est permis, tout comme trier de la nourriture pour une consommation
immédiate est permis. Le `ôr Saméah8
ז״ל
limite
également la portée du Hiddoush du Touré Zohov avec des
arguments similaires. Et des Pôsqim contemporains9
sont également d'avis que Bôrér ne s'applique pas du tout aux
vêtements, aux livres et aux ustensiles, même si, dans le même
temps, pour ne pas se mettre les « religieux » à dos,
ils ajoutent que Lakhattahiloh il serait préférable de ne
pas le faire.
Mais à la lumière
de tout ce qui a été dit, Bôrér ne s'applique qu'à la nourriture
(ou ce que l'on compte utiliser pour la confection d'un aliment), et
à rien d'autre ! Par conséquent, il ne convient pas du tout de
prendre en compte cette opinion de « prudence », et
« trier » dans les vêtements, livres ou couverts ne pose
aucun problème de Bôrér !
1Shabboth
73a
2Shabboth
7:2
3Shabboth
74a
4Tôsofôth
sur Shabboth, Ibid.
5Hilkôth
Shabboth Chapitre 8
6Shabboth
74b
7319:9
8Sur
Hilkôth Shabboth 8:11
9Voir,
par exemple, dans Yabbia´ `ômér 5:31 et Sis
`ali´azar 12:35