ב״ה
Que
vaut réellement une Kazzayith ?
L'histoire
halakhique de l'augmentation de la Kazzayith
Deuxième
Partie
Par
le rabbin Nothon Slifkin.
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article peut être téléchargé ici.
- Les Ri`shônim de Safaradh
Passons
à présent à l'ère des Ri`shônim, et nous commencerons par les
Ri`shônim d'Espagne et de régions comparables. Le Ramba''m
(Espagne-Égypte, 1135-1204) ne dit rien du tout sur la taille d'une
Kazzayith. Mais une déduction concernant sa taille maximale peut
être faite sur la base de ses propos selon lesquels une figue sèche
équivaut à un tiers d'un œuf.1
Étant donné que la Talmoudh précise qu'une Kazzayith est plus
petite qu'une figue sèche2,
il s'en suit donc qu'une Kazzayith est plus petite qu'un tiers d'un
œuf !
Il
est important de noter que notre déduction du point de vue du
Ramba''m concernant les olives ne nous dit rien quant à la taille
absolue d'une Kazzayith, mais seulement qu'elle doit être plus
petite qu'un tiers d'un œuf (ce qui est, évidemment, vrai d'une
olive ordinaire). Mais étrangement, cette déduction fut apparemment
plus tard interprétée par certains comme voulant dire que le
Ramba''m était d'avis qu'une Kazzayith équivalait à plus ou moins
un tiers d'un œuf.3
La conséquence de cette approche est qu'elle sous-entend que le
Ramba''m était opposée à l'idée selon laquelle une Kazzayith est
bien plus petite qu'un tiers d'un œuf, alors que la vérité est
qu'il n'y était pas du tout opposé.
En
outre, du fait que le Ramba''m n'explicite pas du tout la taille
d'une Kazzayith, alors qu'il explicite la taille d'autres quantités4,
on peut probablement en déduire que son opinion était qu'une
Kazzayith équivaut à la taille d'une olive ordinaire, et/ou qu'il
appartient à chacun de l'estimer lui-même à partir de ce que son
œil voit, plutôt que tenter de calculer la taille d'une olive
talmudique.
Pendant
longtemps, on pensait que le Ramba''m était la seule autorité du
monde séfarade à partir duquel on pouvait estimer la taille d'une
olive. Mais récemment, deux sources supplémentaires ont fait
surface. Le Rashba''` (Rabbi Shalômôh ban `adharath, Espagne,
1235-1310), en discutant d'un sujet tout à fait différent,
mentionne que quinze œufs valent « beaucoup » plus que
soixante olives ; ainsi, une olive est beaucoup plus petite
qu'un quart de la taille d'un œuf.5
Le Ritva''` (Rabbi Yôm Tôv ban `avrohom `asévili, Espagne,
1250-1330), dans un manuscrit récemment publié, déclare qu'une
figue sèche vaut le volume de « quelques » olives.6
Puisqu'il mentionne également dans ce manuscrit le fait qu'il est
d'avis qu'une figue sèche vaut un tiers de la taille d'un œuf, cela
signifie qu'une olive est largement plus petite qu'un tiers de la
taille d'un œuf !
Il
est important de signaler qu'aucune de ces autorités ne désire
préciser la taille d'une olive, ou établir une règle sur sa taille
(contrairement à ce que nous verrons dans le cas des Ri`shônim de
`ashkanaz). Notre connaissance de leur position sur la taille d'une
olive, ou la limite maximale de la taille d'une olive, est déduite
de déclarations qu'ils ont faites en parlant d'autres choses.
L'implication claire est qu'ils prenaient comme une chose allant de
soi qu'une Kazzayith vaut la taille d'une olive ordinaire, et il
n'était nulle besoin de l'expliciter.
Dans
le même ordre d'idée, le fait retentissant que la majorité des
autorités de cette période n'aient fait aucune déclaration
relative à la taille d'une olive ne signifie pas que nous n'avons
aucune idée de ce qu'était leur opinion. Pour quelqu'un pour qui
une Kazzayith est à l'évidence une olive, il n'est nulle besoin de
faire le moindre commentaire sur le sujet. On peut supposer que la
raison pour laquelle ils n'ont pas commenté la taille d'une
Kazzayith est qu'il était évident pour eux qu'une Kazzayith est une
Kazzayith.7
- Les Ri`shônim de `ashkanaz
C'est
en `ashkanaz que nous voyons l'olive évoluer à cause de
déclarations faites par les Ri`shônim eux-mêmes. (Cela signifie
que ce sont leurs déclarations qui ont causé les erreurs que nous
connaissons aujourd'hui.) Les Ri`shônim de `ashkanaz traduisirent la
taille d'une olive en une proportion d'un œuf, mais donnèrent
différentes quantités. Ces incohérences sont basées sur diverses
tentatives de résoudre différents passages du Talmoudh. À un
endroit, le Talmoudh déclare que l'on peut avaler de la nourriture
jusqu'à la taille de deux olives8 :
« Les Sages ont évalué que la gorge ne peut contenir plus
que deux olives ». Mais ailleurs, le Talmoudh déclare que
l'on peut avaler de la nourriture jusqu'à la taille d'un œuf9 :
« Les Sages ont évalué que la gorge ne peut contenir plus
qu'un œuf de poule ». Ces passages semblent donc indiquer
qu'une olive vaut la moitié de la taille d'un œuf. Mais à un
troisième endroit, une conclusion différente émerge. Le Talmoudh10
discute de la quantité de nourriture requise pour un ´érouv. Deux
des opinions citées expriment leur position en termes de Kavim, qui
peuvent ensuite être traduites en quantités d’œufs (puisqu'un
Kav équivaut à 24 œufs) :
- Rébbi Shim´ôn : deux repas valent 2/9 d'un Kav, qui équivaut à 5 œufs et un tiers.
- Rébbi Yôhonon ban Barôqah : deux repas valent ¼ d'un Kav, ce qui équivaut à 6 œufs.
Ailleurs,
le Talmoudh déclare que deux repas équivalent à 18 figues sèches.11
Comme nous l'avons vu plus tôt, une olive est connue pour être plus
petite qu'une figue sèche.12
Cela donne les calculs suivants :
- Rébbi Shim´ôn : deux repas = 5 œufs et 1/3 = 18 figues sèches ; ainsi, une olive vaut moins que 3/10 d'un œuf.
- Rébbi Yôhonon ban Barôqah : deux repas = 6 œufs = 18 figues sèches ; ainsi, une olive vaut moins qu'un tiers d'un œuf.
Comment
toutes ces sources peuvent-elles être réconciliées ?
Le
R''i (Rabbi Yishoq ban Shamou`él l'Ancien de Dampierre, 12ème
siècle) conclut à partir des passages qui parlent d'avaler de la
nourriture qu'une olive vaut la moitié de la taille d'un œuf.13
Quant au passage dans ´érouvin, il déclare que nous ne suivons ni
l'opinion de Rébbi Shim´ôn, ni celle de Rébbi Yôhonon ban
Barôqah ; cette discussion n'a donc aucune pertinence quant au
sujet de la taille d'une olive. La position du R''i selon qui une
olive équivaut à la moitié de la taille d'un œuf fut adoptée par
Rabbi Mordokhay ban Hillél (Allemagne, 1240-1298)14,
Rabbi Alexander Zusslein Hakkôhén (France-Allemagne, décédé en
1348)15,
et Rabbi Ya´aqôv Weil (Allemagne, 15ème siècle)16.
Rabbénou
Ta''m (Ya´aqôv ban Mé`ir Tam, France, 1100-1171), de l'autre côté,
déclare que nous tranchons d'après l'opinion de Rébbi Shim´ôn,
et une olive doit faire moins que 3/10 d'un œuf. Concernant les
déclarations faites sur le fait d'avaler de la nourriture, et qui
indiquent qu'une olive vaut la moitié de la taille d'un œuf,
Rabbénou Ta''m suggère que les aliments dont on parle sont dans un
état différent qui affecte le volume pouvant être avalé. Un œuf
est beaucoup plus facile à avaler qu'un volume équivalent d'olives.
Puisque les olives sont dures et contiennent des noyaux, seules deux
olives peuvent être avalées à la fois, bien qu'elles soient
beaucoup plus petites qu'un simple œuf entier, qui peut être avalé
d'un trait.
Dans
une variante de cette position, le Tôsofôth Yashanim suggère que
ces passages sont les descriptions de différentes façons d'avaler
des aliments. Lorsque le Talmoudh parle de quelqu'un étant capable
d'avaler deux olives, il faisait référence à ce qu'on est capable
d'avaler en mangeant normalement. Mais quand il parle de quelqu'un
étant capable d'avaler un œuf entier, il faisait référence au
maximum que quelqu'un est capable d'avaler en forçant un peu.
L'approche
de Rabbénou Ta''m ne tire aucune conclusion quant à la taille
absolue d'une olive, mais stipule seulement qu'elle doit valoir moins
de 3/10 d'un œuf (ce qui, évidemment, est vrai). Cependant, là
encore, très étrangement, cette opinion fut plus tard interprétée
comme voulant dire qu'une olive vaut 3/10 d'un œuf. (La proportion
de 3/10 fut plus tard légèrement augmentée en 1/3, pour des
raisons obscures ; peut-être que c'est une quantité plus
facile à estimer.)
- Raisons de l'augmentation de la taille d'une olive par les `ashkanazim
Pourquoi
les Pôsqim `ashkanazim transposèrent-ils la taille d'une olive à
la taille d'un œuf, plus particulièrement lorsqu'on voit que cela a
eu pour conséquence de faire l'erreur de considérer, du moins pour
le R''i, qu'une olive valait la moitié de la taille œuf ?
Pourquoi n'ont-ils pas suivi la position des Pôsqim Safaradhim, pour
qui une Kazzayith vaut simplement la taille d'une olive ordinaire ?
La
réponse est assez simple, et fut donnée par Rabbi ´aqivo` Yôséf
Schlesinger (1835-1922). Il écrit17 :
La mesure d'un œuf
ne se trouve nulle part dans la Tôroh, qui parle plutôt d' « une
terre d'olives, etc. » ; c'est pourquoi toutes ces mesures
sont comme des olives, et cette olive fut également transposée en
mesure d'un œuf pour ceux qui n'avaient pas d'olives.
Mais cela n'est pas pour nous, qui voyons de nos yeux l'olive. Il
n'est nulle besoin de renoncer au ´iqqor pour le Tofél !18
Les
Pôsqim `ashkanazim du Moyen-Âge n'avaient jamais vu d'olives de
leurs vies. Nous avons effectivement tendance à l'oublier de par le
fait que nous trouvons aujourd'hui des olives dans bon nombre de nos
pays occidentaux, mais les olives ne poussaient pas du tout dans le
Nord ; elles ne poussaient que dans la région méditerranéenne.
Dans l'Europe médiévale, importer et transporter des produits était
très coûteux, et ne se faisait que pour des aliments pour lesquels
il y avait une forte demande. De nombreux aliments étaient tout
bonnement inconnus dans certaines régions. Au 15ème siècle, dans
une traduction bavaroise d'une pharmacopée arabe, le traducteur
Allemand dû décrire à ses lecteurs ce qu'étaient concrètement
certains des aliments mentionnés dans le document (comme par
exemple, les graines de sésame et les pistaches). Dans l'Europe du
Nord, contrairement à la région méditerranéenne, les olives ne
faisaient pas partie des menus et on en avait pratiquement jamais
entendu parler. Seule l'huile d'olive était importée, et même cela
coûtait très cher et n'était utilisée que par les riches. Dans le
livre de cuisine le plus ancien, datant de 1350, aucune olive n'est
mentionnée, et l'huile (qui pourrait même ne pas être de l'huile
d'olive) n’apparaît qu'une seule fois.
Ainsi,
les Ri`shônim de `ashkanaz n'étaient tout simplement pas familiers
avec les olives. Ils ne pouvaient que tenter de calculer la taille
d'une olive sur la base de suppositions et déductions imprécises
tirées de divers passages du Talmoudh. À cause de cela, ils
augmentèrent et exagérèrent radicalement la taille d'une
Kazzayith.
Rabbi
`ali´azar ban Yô`él Halléwi (Allemagne, 1140-1225) reconnaît
explicitement que sa communauté à `ashkanaz savait qu'elle ne
jouissait pas de la possibilité d'observer d'elle-même ce qu'était
une olive, et qu'ils décidèrent, par conséquent, d'adopter une
position volontairement erronée par prudence19 :
Et
chaque fois qu'une Kazzayith est requis, l'aliment doit être mesuré
généreusement, étant donné que nous ne sommes pas
familiers avec la mesure d'une olive,
et afin que la bénédiction ne soit pas récitée en vain.
Une
autre « confession » révélatrice nous vient d'un des
Ri`shônim de la génération du Ro`''sh. Il répondait à une
question qui lui fut posée concernant le fait que le Talmoudh
rapporte qu'Hillél consommait, lors du Sédhar de Pésah,
simultanément une Kazzayith de Massoh, une Kazzayith de Moror
et une Kazzayith de Harôsath, ce qui, évidemment, était
problématique pour tous ceux qui croyaient que deux olives était le
maximum qu'une gorge peut contenir. Ce rabbin fit remarquer que
d'après ce qu'il avait vu par lui-même lors de ses voyages en `aras
Yisro`él, cela ne constituait en aucun cas une difficulté20 :
Pour moi, il n'y a
aucune difficulté, car j'ai vu des olives en Israël et à
Jérusalem, et même six n'étaient pas aussi larges qu'un œuf.
Nous
voyons donc que les Ri`shônim de `ashkanaz eux-mêmes
reconnaissaient qu'étant donné qu'ils vivaient en `ashkanaz, ils
n'avaient jamais vu d'olives. Notez qu'aucun Ri`shôn n'a affirmé
avoir mesuré l'olive et vu qu'elle valait la moitié ou le tiers
d'un œuf. Ils ont tous fait usage d'arguments textuels indirects
pour tenter de déterminer la taille d'une olive. Le Ri`shôn
`ashkanazi susmentionné est le seul à avoir décrit une olive sur
la base d'une observation directe, et il dit qu'une olive vaut même
moins qu'un sixième d'un œuf.
Cela
répond donc à la question suivante : quand bien même le R''i
affirmerait que le Talmoudh tranche qu'une olive vaut la moitié de
la taille d'un œuf, pourquoi supposer que cela signifie que les
olives d'antan étaient plus grosses ? Pourquoi ne pas plutôt
expliquer que les œufs d'antan étaient plus petits ? Cette
question est plus particulièrement forte lorsqu'on garde à l'esprit
que la mesure fondamentale des Miswôth relatives à
l'alimentation est donnée en termes d'olives, et non en termes
d’œufs. Pourquoi, donc, prendre une unité de mesure différente
comme baromètre ?
La
réponse est que le R''i, et beaucoup d'autres après lui, n'avait
pas d'expérience personnelle et directe avec les olives. De l'autre
côté, ils étaient familiers avec les œufs. Étant donné que
l'olive était l'aliment dont ils ne connaissaient pas la taille et
qu'ils tentaient de déterminer, il était naturel pour eux de
supposer que l’œuf du Talmoudh était le même que leur œuf, et
que l'olive valait donc la moitié de cette taille. Il n'y avait,
pour eux, aucune raison de supposer autre chose. Mais aujourd'hui,
alors que nous savons que les olives ne sont pas et n'étaient pas
aussi grosses, et que nous savons également qu'en réalité les œufs
étaient d'antan plus petits, il n'y a aucune raison, même pour
réconcilier les passages talmudiques sur les olives et les œufs,
que cela nous amène à la conclusion que les olives devaient avoir
été plus grosses.
Il
y a un autre point à considérer pour évaluer l'adoption de la
position erronée des Ri`shônim de `ashkanaz. Le R''i et Rabbénou
Ta''m n'ont pas délibéré de la taille d'une Kazzayith afin
d'émettre un Pasaq Din (décision halakhique), mais dans une
tentative de résoudre un conflit dans le Talmoudh. Il n'est pas du
tout clair qu'ils étaient d'avis que pour sa propre obligation,
chacun devait toujours reproduire la raille d'une olive talmudique.
Il est tout à fait possible qu'ils souscrivaient à l'opinion des
Ga`ônim selon qui, si quelqu'un a accès à des olives, il doit
suivre la raille d'une olive de son époque et du lieu où il se
trouve. Peut-être qu'à l'origine les décisions des Ri`shônim
`ashkanazim furent adoptées parce que personne n'avait autre chose
de mieux à proposer. Et même plus tard, lorsque les `ashkanazim
découvrirent des alternatives (et virent de leurs yeux ce qu'était
vraiment une olive), les déclarations de ces Pôsqim avaient déjà
été acceptées comme des décisions formelles concernant ce que
devait être la taille d'une Kazzayith.
1Mishnéh
Tôroh, Hilkôth ´érouvin 1:9
2Shabboth
91a
3Voir
le Mishnoh Barouroh 486:1
4Commentaire
sur la Mishnoh, ´édhouyôth 1:2, Kélim 2:2 ; Mishnéh Tôroh,
´érouvin 1:12
5Rashba''`,
Mishmarath Habbayith 4:1
6Ritva''`
sur Shabboth 76b
7Ajoutons
à cela que les olives étaient très répandues dans les pays
séfarades. Par conséquent, tous les Safaradhim savaient ce que
valait une olive et à quoi elle ressemblait. Il était donc inutile
de se pencher même sur le sujet
8Karithôth
14a
9Yômo`
80a
10´érouvin
80b
11Ibid.
12Shabboth
91a
13Tôsofôth
sur Yômo` 80a. (La même déduction est apparemment faite par
le Séfar Hahinoukh, Miswoh
n°313.)
14Le
Mordokhay, à la fin de Pésahim, Sédhar
Léyl Pésah
15Séfar
Ho`agoudhoh, ´érouvin 82b
16Mahar''i
Weil 193
17Tal
Talpiyôth, Shavot 5661, page 103
18C'est-à-dire,
à partir du moment où nous pouvons estimer de nos propres yeux ce
que vaut une olive, qui est la mesure principale dans la Tôroh,
pourquoi perdre son temps à estimer une olive en termes d’œufs,
qui n'est pas une mesure biblique ?
19Ravyo''h,
Barokhôth 107
20Pisqé
Rabbothénou Shabba`ashkanaz, Môriyoh 2:3