jeudi 5 mai 2016

Le Ramba''m fut-il influencé par la philosophie grecque ?

ב״ה

Exposer les fausses notions

Le Ramba''m fut-il influencé par la philosophie grecque ?


Cet article peut être téléchargé ici.

Le Ramba''m ז״ל fut fréquemment accusé par ses détracteurs d'avoir été influencé par les philosophes grecs, en particulier Aristote. Dans ses désaccords avec le Ramba''m le Ramba''n ז״ל y fait allusions à de nombreuses reprises. C'est également ce qu'exprima le Go`ôn de Wilno`1 ז״ל en formulant son opposition face à la position du Ramba''m sur les amulettes et les démons. Cette accusation est si encrée dans l'esprit des gens que Rabbi Nahmon de Breslev alla jusqu'à affirmer qu'il était certain que Dieu pardonnera au Ramba''m d'avoir rédigé le Môréh Navoukhim, qui serait imprégné de philosophie grecque. Ce qui est incroyable, c'est qu'aujourd'hui aucun de ceux qui avancent cet argument n'a même jamais lu par lui-même le Môréh Navoukhim et n'a la moindre connaissance de la philosophie grecque (ils seraient incapables de dire où est-ce que le Ramba''m s'appuya sur la philosophie grecque dans ses ouvrages), mais ils se contentent juste de répéter les même allégations qu'ils considèrent vraies juste parce qu'elles furent émises par d'illustres rabbins d'antan.

Il est important de bien comprendre que dans le cadre de sa mission de réfutation des doctrines païennes et étrangères qui s'étaient frayées un chemin au sein de la communauté juive de son époque, le Ramba''m s'est énormément penché sur les écrits de bon nombre de Gôyim. Il a autant lu les livres de cultes idolâtres que les philosophes grecs, arabes ou autres. Personne ne l'accusa d'être sous influence zoroastrienne ou musulmane parce qu'il avait lu les livres des zoroastriens et le Qour`an !

Dans le Môréh Navoukhim, le Ramba''m écrit quelque chose qui renvoie à la figure de ses détracteurs leur accusation. Ses propos nous donnent également un avant-goût de son honnête intellectuelle et du courage dont il faisait preuve dans sa lutte contre toute idée qui allait à l'encontre de la pensée rationnelle.

Dans le cadre de son exposé sur la notion de Providence Divine2, le Ramba''m présente cinq opinions différentes. Les deux premières sont celles des atomistes, une école de philosophes grecs, et celle d'Aristote. Bien qu'il soit d'accord avec Aristote sur certaines de ses idées, il estime que celle-ci va à l'encontre de la pensée juive. Il passe ensuite aux opinions des asharistes, une école de philosophes musulmans qui croyaient que tout est prédestiné et que rien n'arrivait sans l'implication de Dieu dans les moindres détails. Rien n'arrive par chance ni hasard. Ils furent par conséquent contraints de renier le concept de récompense et de punition et voyaient Dieu comme un capricieux et un être fondamentalement injuste. (Que Dieu nous préserve d'un tel blasphème !)

Il passe ensuite aux mutazilistes qui croient que l'homme a une liberté de choix et que Dieu est juste, mais que Ses voies sont trop profondes et dépassent notre compréhension. Lorsqu'on voit un homme juste qui souffre, on doit l'accepter comme étant de la justice bien que l'on ne sache pas du tout en quoi cela est-il juste. On doit supposer que Dieu le récompensera dans le Monde-à-Venir. Parfois, quelqu'un souffre tellement qu'il pourra obtenir une plus grande récompense dans l'au-delà. Si cette doctrine des mutazilistes vous semble familiers, c'est normal, puisque c'est en réalité l'approche normative dominante du Judaïsme aujourd'hui ! Le Ramba''m explique clairement que bien que cette doctrine soit similaire à la notion de יִסּוּרִים שֶׁל אַהֲבָה « Yissourim Shal `ahavoh – afflictions par amour » défendue par certains Sages dans le Talmoudh au traité Barokhôth, elle n'a aucune source dans la Tôroh ! Il avance également que certains des Ga`ônim furent influencés par cette école dans leur pensée philosophique après avoir entendu cette doctrine directement des mutazilistes.

Le Ramba''m se lance alors dans une réfutation systémique et analytique de chacune de ces positions, démontrant de façon magistrale les failles que chacune d'elles comprend. Il présente alors ses propres idées sur la question de la Providence Divine en prenant soin de les introduire de la manière suivante :

Je vais maintenant t'exposer ce que je pense moi-même sur ce principe fondamental, à savoir sur la Providence Divine. Dans cette croyance dont je vais te parler, je ne m'appuie pas sur des preuves démonstratives, mais plutôt sur ce qui m'a paru être l'intention évidente du Livre de Dieu et des écrits des Prophètes. Mais l'opinion que j'admets offre moins d’invraisemblance que les opinions précédentes et s'approche davantage du raisonnement de l'Intelligence.

Ses opinions ne seront pas basées sur les philosophes grecs ou musulmans, ni même les écrits rabbiniques, mais purement et simplement sur la Tôroh et les écrits des Prophètes et la façon la plus rationnelle et intelligente de les comprendre !

En outre, dans son Môréh Navoukhim, le Ramba''m consacre deux chapitres entiers à expliquer d'où il tirait ses idées.3

Il y a une profondeur remarquable dans cette déclaration du Ramba''m et elle a des implications sur de nombreux sujets de la théologie juive. C'est comme cela que l'on doit analyser chaque point de la pensée juive. Le Ramba''m offre un équilibre et une dialectique constante entre la réalité et la façon de la comprendre. Ceux qui l'accusent d'avoir été sous influence de philosophies étrangères sont ceux qui n'ont rien compris ! Les illustres rabbins qui ont lancé une telle accusation contre lui avaient tout simplement un problème avec sa faculté de toujours tenter de concevoir des explications rationnelles, ce qui amena le Ramba''m a rejeté certaines positions philosophiques de nos Sages de mémoire bénie. Ces illustres rabbins se disaient donc que la seule chose pouvant expliquer cela était que le Ramba''m fut sous influence d'écoles de pensée non juives, ce qui est complètement faux !

Le Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל, dans son commentaire sur le Séfar Yasiroh, fait comprendre que les Tanno`im (Sages de l'époque de la Mishnoh) possédait déjà une tradition de rationalisation de la religion et l’impératif de la vivre sous une perspective rationnelle. À l'évidence, donc, le Ramba''m n'était pas un innovateur lorsqu'il expliquait rationnellement le Judaïsme et puisait dans la science de son temps. C'était au contraire une méthode de pensée qui remontait à l'antiquité. Le fait de lire les ouvrages des Gôyim, même idolâtres, ne diminue en rien son œuvre ni la minutie et le génie de sa pensée. Au contraire, cela réduit au silence les critiques lancées contre lui selon quoi il se serait laissé égarer par les grecs. Le Ramba''m ne faisait que ce que les Israélites avaient fait depuis de nombreuses générations tandis que ce sont ses détracteurs qui avaient perdu le contact avec leur tradition !

1Yôréh Dé´oh 179
2Môréh Navoukhim, Volume 3, Chapitre 17

3Ibid., Chapitres 22 et 23
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...