ב״ה
Le
jeûne d'Esther n'a pas de raison d'être
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Ce
Mercredi 23 Mars 2016 (13 `adhor Shéni 5776), la majorité des Juifs
commémoreront ce qu'on appelle « Ta´anith `astér » (le
jeûne d'Esther). Nous avions déjà expliqué que ce jeûne n'avait
aucune source traditionnelle sur laquelle s'appuyer. (Voir l'article
intitulé « Le
Jeûne d'Esther ».) À présent, nous allons voir
certains des arguments avancés par certains Ri`shônim pour
néanmoins la légitimer.
Le
Ra`ava''d ז״ל
(cité
par le Ra''n1
ז״ל)
affirme que la source du jeûne d'Esther se trouve dans la Maghillath
`astér elle-même. Là, nous lisons les versets suivants2 :
Et
on expédia des lettres à tous les Juifs dans les cent vingt-sept
provinces de l'empire de `ahashwérôsh,
comme un message de paix et de vérité,
à
l'effet d'instituer ces jours de Pourim à leurs dates, comme le
Juif Mordokhay et la reine `astér les avaient acceptés pour leur
compte et pour le compte de leurs descendants,
en
ce qui concerne les jeûnes et les lamentations y afférentes.
|
וַיִּשְׁלַח
סְפָרִים אֶל-כָּל-הַיְּהוּדִים,
אֶל-שֶׁבַע
וְעֶשְׂרִים וּמֵאָה מְדִינָה--מַלְכוּת,
אֲחַשְׁוֵרוֹשׁ:
דִּבְרֵי
שָׁלוֹם,
וֶאֱמֶת.
לְקַיֵּם
אֶת-יְמֵי
הַפֻּרִים הָאֵלֶּה בִּזְמַנֵּיהֶם,
כַּאֲשֶׁר
קִיַּם עֲלֵיהֶם מָרְדֳּכַי הַיְּהוּדִי
וְאֶסְתֵּר הַמַּלְכָּה,
וְכַאֲשֶׁר
קִיְּמוּ עַל-נַפְשָׁם,
וְעַל-זַרְעָם:
דִּבְרֵי
הַצּוֹמוֹת,
וְזַעֲקָתָם
|
Le
Ra`ava''d croit que les mots דִּבְרֵי
הַצּוֹמוֹת « en
ce qui concerne les jeûnes » se réfèrent au jeûne
d'Esther. D'après cette approche, l'observance de la Ta´anith
`astér n'est pas une simple coutume (Minhogh), mais plutôt une
obligation rabbinique basée sur une source biblique (Divré
Qabboloh). En outre, le Ra`ava''d déclare que le jeûne d'Esther
fait partie intégrante du décret imposant la célébration de
Pourim.
Premièrement,
le texte biblique fait mention de « jeûnes », au
pluriel, et non d'un « jeûne ». Par conséquent, ces
versets ne peuvent même pas être employés pour justifier la
Ta´anith `astér.
Deuxièmement,
ceux qui soutiennent cette position veulent nous faire croire que
c'est également celle que soutenait le Ramba''m ז״ל.
Leur argument est qu'il mentionne ce jeûne dans son Mishnéh Tôroh3,
et cite aussi les versets susmentionnés comme étant la source de ce
jeûne. Or, ce n'est pas tout à fait exact ! En effet, voici
les propos même du Ramba''m :
Et
tous les Israélites se sont accoutumés,
en ces temps-ci, à jeûner le treize du mois de
`adhor, en souvenir des jeûnes qui furent observés durant les
jours de Homon, car il est dit4 :
« en ce qui concerne les jeûnes et les lamentations ».
|
וְנָהֲגוּ
כָּל יִשְׂרָאֵל בִּזְמַנִּים
אֵלּוּ,
לְהִתְעַנּוֹת
בִּשְׁלוֹשָׁה עָשָׂר בַּאֲדָר,
זֵכֶר
לְתַעְנִית שֶׁנִּתְעַנּוּ בִּימֵי
הָמָן,
שֶׁנֶּאֱמָר
דִּבְרֵי הַצּוֹמוֹת,
וְזַעֲקָתָם
|
Ainsi,
bien que le Ramba''m cite effectivement les mêmes versets que le
Ra`ava''d, il est clair sur le fait qu'il ne s'agit que d'une
coutume, mais absolument pas d'un décret rabbinique, et encore moins
d'une prescription biblique. C'est juste que cette coutume utilise
ces versets pour être légitimée. Mais ce ne sont ni la Tôroh ni
HaZa''l qui l'ont instituée. En fait, le Ramba''m est
également clair qu'elle s'est développée aux environs de son
époque. C'est donc une pratique post-talmudique de jeûner le 13
`adhor. Nous ne pouvons donc pas affirmer qu'il s'agit d'une
obligation d'ordre rabbinique. Et le Ramba''m ne fut pas le seul
Ri`shôn à émettre une telle conclusion.
Rabbi
Yôséf Qa`rô5
ז״ל
cite
Rabbénou Sidhqiyohou
ban `avrohom ´anaw qui lui-même cite Rash''i ז״ל,
qui est en désaccord avec le Ra`ava''d. Rash''i affirme que notre
observance de la Ta´anith `astér n'est ni une obligation biblique
ni une obligation rabbinique. C'est simplement une coutume.
(Exactement comme le Ramba''m.) Il explique que les versets
susmentionnés se référaient aux jeûnes que les Juifs observèrent
dans la foulée des décrets de Homon ימש״ו.
À l'inverse de Rabbénou Ta''m ז״ל
(que
nous citerons plus bas),j Rash''i sous-entend que la Ta´anith `astér
est un Minhogh post-talmudique qui commémore le jeûne de trois
jours que les Juifs observèrent lorsque `astér ע״ה
se
préparait à se présenter devant le roi `ahashwérôsh pour
plaider en leur faveur.
Rabbénou
Ta''m (cité par le Ro`''sh6
ז״ל)
adopte une position de compromis. Il croit que la Ta´anith `astér
est une obligation rabbinique (affirmation qui n'est basé sur rien
de concret). Toutefois, il affirme que la source de ce jeûne ne se
trouve pas dans la Maghillath `astér, mais plutôt dans le
Talmoudh7,
qui décrit le 13 `adhor comme étant « un temps où tous se
rassemblent ». Rabbénou Ta''m interprète ces mots comme
voulant dire que ce jour-là tous les Juifs se rassemblaient afin
d'observer la Ta´anith `astér, commémorant le jeûne que les Juifs
firent le jour précédant la bataille contre ceux qui prévoyaient
d'appliquer les décrets de Homon. Il conclut donc que ce passage
talmudique est la seule source de la Ta´anith `astér. Mais ces
arguments sont tordus, et ce, à plusieurs égards.
Premièrement,
nous n'avons aucune preuve que les Juifs jeûnèrent la veille de
cette bataille. Ce n'est qu'une supposition de Rabbénou Ta''m, qui
n'est ni mentionné dans la Maghillath, ni même sous-entendu dans le
Midhrosh ou encore le Talmoudh.
Deuxièmement,
les Juifs du temps des événements de Pourim jeûnèrent en Nison et
non en `adhor pour que Dieu leur réponde face aux plans de Homon.
Troisièmement,
comme le commente Rash''i, le passage talmudique sur lequel Rabbénou
Ta''m se repose ne parle pas du tout du fait que les Juifs des temps
talmudiques se rassemblaient le 13 `adhor, mais mentionne plutôt que
du temps des événements de Pourim tous les Juifs se rassemblèrent
le 13 `adhor pour se défendre contre ceux qui souhaitaient appliquer
les décrets de Homon.
Ainsi,
tous ceux qui prennent la Ta´anith `astér comme une obligation,
voire même une pratique « traditionnelle », se trompent
complètement. Même le Ramo''` ז״ל,
dans ses gloses sur le Shoulhon ´oroukh8,
accepte la position de Rash''i (et du Ramba''m) selon qui ce jeûne
n'est qu'une coutume, et conclut donc que la Ta´anith `astér n'est
pas une obligation. Par conséquent, il accorde certaines indulgences
en exemptant certaines personnes de jeûner, comme par exemple les
femmes enceintes, celles qui allaitent, les malades, etc.
Enfin,
le Talmoudh9
tranche en loi pratique qu'il est interdit de jeûner la veille d'un
jour mentionné dans la Maghillath Ta´anith (une œuvre rabbinique
datant de l'époque des Sages de la Mishnoh qui cite les dates de
tous les jours où nous avons l'interdiction de jeûner). Or, puisque
la Maghillath Ta´anith mentionne dans sa liste la date du 14 `adhor,
qui est Pourim, cela signifie qu'il est non seulement interdit de
jeûner à Pourim, mais également le 13 `adhor ! Ce qui
disqualifie donc la légitimité de la Ta´anith `astér.
Ceux
qui défendent ce Minhogh répondent qu'ailleurs, le Talmoudh10
affirme que depuis que le Béth Hammiqdosh a été détruit, nous ne
sommes plus tenus de respecter l'interdiction de jeûner aussi bien
les jours mentionnés dans la Maghillath Ta´anith que la veille de
ces jours-là. Ce qui rendrait donc permis le prétendu « jeûne
d'Esther » le 13 `adhor. Mais il y a deux principaux problèmes
avec cet argument.
Premièrement,
bien que ce passage talmudique affirme effectivement que l'observance
des dates mentionnées dans la Maghillath Ta´anith est désormais
suspendue, tout au long du Talmoudh nous pouvons voir des divergences
sur ce sujet. En fait, il apparaît que la majorité des Juifs
continuèrent à respecter ces dates de nombreuses années après la
destruction du Béth Hammiqdosh (cela fera l'objet d'un autre
article).
Deuxièmement,
ceux qui avancent un tel argument ne citent qu'une partie de ce
passage talmudique, qui se poursuit et conclut en affirmant qu'il
existe néanmoins deux exceptions : Hanoukkoh et Pourim.
C'est-à-dire que quand bien même on souscrirait à l'avis selon
lequel l'observance des dates mentionnées dans la Maghillath
Ta´anith est annulée, nous ne pouvons toutefois pas jeûner la
veille de Hanoukkoh et pendant Hanoukkoh, ni la veille de
Pourim et à Pourim ! C'est pour cela que de nombreux Ri`shônim
ont exprimé dans leurs écrits leur étonnement par rapport au fait
que nous jeûnons le 13 `adhor, qui est pourtant la veille de Pourim.
Différentes tentatives de réponses furent avancées, mais aucune
n'est réellement satisfaisante.
En
conclusion, différentes théories existent dans les écrits dans les
écrits des Ri`shônim pour expliquer le jeûne d'Esther. Ces
approches varient de la simple coutume à l'obligation biblique. Mais
en dépit de cette diversité d'opinions, seuls qui, comme Rash''i ou
encore le Ramba''m, affirment que ce n'est qu'une simple coutume qui
n'a aucune valeur obligatoire, et qui s'est en plus développée
uniquement après l'époque talmudique, ont des arguments cohérents
vérifiables et pouvant être soutenus par la Maghillath `astér et
le Talmoudh lui-même.
En
fait, trois sources dans les documents retrouvés dans la Ganizoh du
Caire, ainsi que les Chapitres 17 et 21 du traité Sôfrim révèlent
que la pratique des Juifs Palestiniens des temps talmudiques et
au-delà consistait à jeûner un Lundi, un Jeudi, et le Lundi
suivant durant le mois de `adhor, en commémoration des trois jours
de jeûne observés par `astér durant le mois de Nison. Là encore,
il ne s'agit que d'un Minhogh et pas d'une obligation, mais révèle
bien le fait que les Juifs ne jeûnaient pas le 13 `adhor !
Les
gens pourraient avoir des « explications » pour justifier
cette pratique, mais la vérité est qu'eux-mêmes ne savent même
pas la raison réelle pour laquelle ils jeûnent la veille de Pourim.
Et c'est ce qui arrive toujours lorsqu’une coutume naît du néant ;
plusieurs explications divergentes et contradictoires naissent, ainsi
que certaines légendes, jusqu'à ce qu'on oublie l'origine réelle
de la pratique en question.
1Sur
Ta´anith 7a
2`astér
9:30-31
3Hilkôth
Ta´niyôth 5:5
4`astér
9:31
5Béth
Yôséf, `ôrah Hayim 686
6Sur
Maghilloh 1:1
7Maghilloh
2a
8`ôrah
Hayim 686:2
9Ta´anith
18a
10Rô`sh
Hashonoh 19b