dimanche 4 octobre 2015

Nous ne sommes pas liés par les passages `aggadiques du Talmoudh

ב״ה

Nous ne sommes pas liés par les passages `aggadiques du Talmoudh


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Il y a une erreur qui est fréquemment commise par bon nombre de Juifs, et plus particulièrement dans les milieux Harédhi. Cette erreur récurrente consiste à prendre tout ce qui se trouve dans le Talmoudh comme faisant partie de la Tôroh Orale, et cela inclut même les récits `aggadiques et midrashiques contenus dans le Talmoudh.

Nous avons déjà expliqué à travers divers articles que les Midhroshim n'avaient aucune nature contraignante, et qu'ils ne devaient surtout pas être compris littéralement, mais comme des homélies faites par nos Sages afin de nous transmettre des leçons et messages moraux. De ce fait, lorsqu'on est confronté à un Midhrosh sur un passage biblique, la question n'est pas de savoir si le récit rapporté est vrai, car ce n'est jamais le cas, mais plutôt ce qu'ont tenté de nous faire comprendre nos Sages à travers cette histoire parabolique.

Quant aux `aggodhôth (histoires) rapportées dans le Talmoudh, elles ne sont elles non plus pas du tout contraignantes. Parfois, ces histoires sont vraies, parfois pas du tout, parfois il s'agit d'exagérations. De même, le fait que des passages bibliques se retrouvent cités dans des `aggodhôth n’indique pas non plus qu'il s'agit d'une `aggodhoh rapportant une tradition orale. Il s'agit bien souvent de raisonnements personnels faits par certains Sages et rabbins, qui interprétaient un certain verset d'une certaine manière afin de soutenir leur opinion. Leur interprétation personnelle pouvait ainsi tout à fait être correcte, tout comme elle pourrait ne pas du tout l'être. Nous avons de nombreux cas tout au long du Talmoudh d'interprétations de versets rejetées ou auxquelles d'autres Sages se sont opposés. De ce fait, il est erroné de penser que tout ce qui est rapporté dans le Talmoudh est contraignant. En fait, le Ramba''m זצ״ל (et d'autres) est très clair dans son Mishnéh Tôroh (Hilkhôth Talmoudh Tôroh) sur le fait que la Tôroh Orale n'inclut que ce qui se trouve dans la Mishnoh, alors que la Gamoro` n'est qu'un commentaire et développement de la Mishnoh, et n'est donc pas incluse dans l'expression « Tôroh Orale ». De ce fait, tout ce qui se trouve dans la Gamoro` n'est pas contraignant. Il faut faire le tri entre le contenu halakhique de la Gamoro` et son contenu midrashique et `aggadique.

Les Juifs qui croient que toute chose rapportée dans le Talmoudh est contraignante et vraie citent fréquemment le passage de Bakhôrôth 8a comme preuve de la capacité de nos Sages de déduire des faits scientifiques à partir uniquement de la Tôroh. Sur cette page du Talmoudh est rapporté un débat sur le temps de gestation du serpent, et le Talmoudh y affirmerait que le temps de gestation du serpent serait de sept ans. Et il y a deux semaines, j'ai reçu l'e-mail suivant de quelqu'un qui me demandait ceci : « Dans le commentaire de référence Bekhorot 8a sur Bereshit 3:14, Hazal enseignent que la gestation du serpent dure 7 ans. Or, la durée maximale de la gestation du serpent est inférieure à cela. Comment le Rov explique cela ? ». C'est une excellente question qu'a posée là cette personne.

Premièrement, ce passage de la Gamoro` attribut cette affirmation selon laquelle le temps de gestation d'un serpent serait de sept ans à Rébbi Yahôshoua´ ban Hananyo` ז״ל. Il n'a jamais été dit dans ce passage que ce serait la conclusion de HaZa''l ou même une tradition orale.

Deuxièmement, nous sommes face à une interprétation personnelle de Baré`shith 3:14 par Rébbi Yahôshoua´. Le Hotho''m Sôfér1 זצ״ל et le Ramba''m2, entre autres, affirment sans détour que ce genre de déduction est d'origine humaine et non Divine. Lorsque nos Sages expriment des positions scientifiques, ils peuvent avoir raison comme ils peuvent avoir tort, car ces déductions et interprétations ne sont pas d'origines Divines. Par exemple, l'exégèse talmudique faite sur la nature du firmament n'est absolument pas correcte, et ne peut donc être une tradition remontant au Sinaï. D'ailleurs, le Talmoudh dit noir sur blanc que cette exégèse sur la gestation du serpent est un enseignement qui remonte jusqu'à Rébbi Yahôshoua´ ban Hananyo`, sous-entendant par-là que personne avant lui n'avait jamais avancé une telle hypothèse sur la base de ce verset de Baré`shith 3:14. Cela est encore plus clair dans le Yalqout Shim´ôni3, qui rapporte une version différente de la Gamoro` susmentionnée :

Un certain philosophe cherchait à connaître la période de gestation du serpent. Il en observa certains qui s'accouplaient, les captura, les plaça dans un ustensile, et les nourrit. Lorsque les anciens arrivèrent à Rome, ils virent Rabbon Gamli`él et lui demandèrent « Après combien de temps un serpent donne-t-il naissance ? ». Il fut incapable de leur répondre, et son visage tomba4. Rébbi Yahôshoua´ le rencontra et lui demanda pourquoi il était si abattu. Il répondit : « On m'a posé une question, et je fus incapable d'y répondre ! ». Rébbi Yahôshoua´ lui demanda : « Et quelle était-elle ? ». Il répondit : « Après combien de temps un serpent donne-t-il naissance ? ». Rébbi Yahôshoua´ dit : « Après sept ans ! ». Rabbon Gamli`él lui demanda : « Comment le sais-tu ? ». Rébbi Yahôshoua´ répondit : « Le chien est un animal sauvage impur et donne naissance après cinquante jours, et un animal domestique impur donne naissance donne naissance après douze mois. Or, il est dit [au sujet du serpent] : ''Maudit sois-tu parmi tous les animaux domestiques et parmi tous les animaux sauvages des champs''.5 Tout comme un animal domestique est maudit sept fois plus qu'un animal sauvage, de même, le serpent est maudit sept fois plus qu'un animal domestique ». Vers la soirée, Rabbon Gamli`él sortit et leur répondit. [le philosophe] commença à cogner sa tête contre un mur et dit : « J'ai travaillé et me suis consacré à cela pendant sept ans, et voici que celui-ci vient et parvient à répondre aisément ! »

Nous pouvons clairement voir que cette conclusion de sept ans de gestation chez le serpent n'est pas une tradition orale remontant au Sinaï, mais bien le fruit des propres déductions et interprétations de Rébbi Yahôshoua´, à tel point que même Rabbon Gamli`él n'en avait jamais entendu parler avant que Rébbi Yahôshoua´ ne la lui apprenne.

Troisièmement, le Talmoudh lui-même affirme que les Sages n'avaient aucune tradition orale, ni même de sources de connaissances spéciales, concernant le monde naturel. Par exemple, le Talmoudh rapporte que les rabbins apprenaient de nombreuses informations relatives à l'agriculture auprès des descendants de Sé´ir. À une autre occasion, le Talmoudh rapporte que Rov ז״ל passa dix-huit mois avec un berger afin d'apprendre les différentes plaies pouvant affecter les brebis. Ailleurs, le Talmoudh rapporte que Rébbi Shim´ôn ban Halafto` ז״ל faisait de nombreuses expériences pour découvrir certaines informations. Le Talmoudh signale que le manque de connaissances que Rébbi Zéro` ז״ל avait des sciences naturelles le rendirent incapable de prendre des décisions halakhiques sur le sang menstruel. (Et cela dit en passant, le manque de connaissances scientifiques de l'écrasante majorité des rabbins d'aujourd'hui les discrédite totalement lorsqu'ils prennent des décisions relatives à la technologie, alors qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent. De même, puisque les Harédhim n’observent pas la création et ne s'y intéressent pas, allant jusqu'à bannir la science, ils ne sont pas crédibles dans bon nombre de domaine, comme par exemple lorsqu'il s'agit de déterminer la mesure de la taille d'une olive ou d'un œuf.) Et enfin, le Talmoudh lui-même rapporte que Rébbi Yahoudhoh Hannosi` ז״ל (le compilateur de la Mishnoh) considérait que plusieurs savants non Israélites avaient démontré que certains Sages étaient dans l'erreur concernant des sujets fondamentaux relatifs à l'astronomie. Dans la version même rapportée dans le Yalqout, nous voyons clairement que tous les Sages n'étaient pas capables de déduire de la Tôroh des choses relatives à la biologie, la zoologie, etc.

Après avoir dit tout cela, la gestation du serpent dure-t-elle réellement sept ans ?

Pour éviter de dire que des Sages ont pu commettre des erreurs, se tromper, etc. (alors que le Talmoudh contient un traité entièrement consacré aux erreurs halakhiques de nos Sages et la façon dont on les corrigeait, indiquant par-là qu'ils n'étaient pas infaillibles, contrairement à ce que croient les Harédhim, qui attribuent une qualité d'infaillibilité même aux rabbins d'aujourd'hui et à leurs Rébbé im. Les Sages étaient des êtres humains, et donc capables d'erreurs, et le Talmoudh n'a pas peur de l'affirmer), certains comme le Rov Shaya font des acrobaties pour ne pas répondre clairement à la question (voir ici).

Il a été confirmé que les serpents femelles donnent parfois naissance quelques années après l'accouplement. Cela semble dû à leur capacité à stocker du sperme. Il a été avancé que dans certains cas extrêmes, cela résultait même de la « momification » à long terme des embryons. Dans d'autres cas, il a été observé que des serpents étaient capables de se reproduire par parthénogenèse, c'est-à-dire sans mâle. Certains scientifiques avançaient dans le passé que tous les cas de femelles enceintes seules sont à la parthénogenèse, et non pas au stockage de sperme ou d'embryons d'une copulation antérieure. Mais récemment, des recherches génétiques ont montré que dans au moins certains cas, du sperme avait été stocké de copulations antérieures.

Néanmoins, bien que l'affirmation de Rébbi Yahôshoua´ semble être un exemple étonnant d'une information scientifique déduite à partir de la Tôroh elle-même, elle pose de nombreuses difficultés.

Premièrement, bien que dans un cas il fut rapporté qu'un acrochordus arafurae accoucha exactement sept ans après la copulation, ce fut un cas unique. Le temps de gestation maximum à avoir été observé est de neuf ans, et c'est produit avec un thamnophis. Là encore, un cas unique. La majorité des serpents ne stockent pas du tout de sperme, et même dans le cas de ceux qui le font, c'est généralement pour une période inférieure à sept ans. Il n'existe aucun type se serpent ayant une gestation de sept ans. Par contre, des serpents à un niveau individuel peuvent donner naissance n'importe quel nombre d'années après la copulation, de quelques semaines à neuf ans ou plus.

Deuxièmement, la source talmudique de l'affirmation faire par Rébbi Yahôshoua est une exégèse basée sur la comparaison de la gestation du serpent avec celle d'un âne, et la gestation d'un âne par rapport à celle d'un chat (ou d'un chien, dans la version du Yalqout), et il y est dit que la gestation d'un âne durant un an, celle d'un serpent dure sept fois plus, c'est-à-dire sept ans. Mais bien que la gestation d'un âne est bien d'un an, la période de gestation des chats dure entre 61 et 69 jours, tandis que celle des chiens dure entre 59 et 65 jours, ce qui est beaucoup plus que les 52 et 50 jours mentionnés dans ce passage de la Gamoro (le passage étant assez long, je ne l'ai pas traduit ici, mais j'invite tous ceux qui sont capables de lire Bakhôrôth 8a-b par eux-mêmes de le faire, même via un texte traduit. Certains sites proposent de lire le Talmoudh en anglais pour ceux qui ne seraient pas capables de le lire en araméen). Dans ce cas, les données sur les animaux utilisées par Rébbi Yahôshoua´ comme base de son exégèse sont incorrectes !

En conclusion, comme je l'ai dit à la personne qui m'a soumis cette question :
  1. Ce n'est pas HaZa''l qui ont dit que le serpent avait une gestation de sept ans, mais Rébbi Yahôshoua´ ban Hananyo` ;
  2. c'est une interprétation personnelle du verset de Baré`shith 3:14 que fit Rébbi Yahôshoua´, et non pas une tradition sinaïtique. Par conséquent, l'opinion qu'il avance n’implique que lui, et non HaZa''l ;
  3. le Hotho''m Sôfér et le Ramba''m (et d'autres Ri`shônim et `aharônim) que ce genre de passages talmudiques sont des déductions humaines et non pas d'origines Divines. Par conséquent, si ce genre de propos sont scientifiquement corrects, on peut les accepter, sinon on doit les rejeter. Il ne s'agit en aucun cas de passages halakhiques ;
  4. il ne faut pas croire que parce que quelque chose est rapporté dans le Talmoudh c'est que cela signifie qu'il s'agit d'une vérité absolue ou qui engage HaZa''l dans leur ensemble.

Dans le cas de la gestation du serpent, bien que parfois il peut être vrai qu'un serpent peut être en gestation pendant sept ans, en fin de compte il est faux d'affirmer que les serpents ont une période de gestation de sept ans, d'autant plus que les données sur lesquelles se base ce calcul n'étaient pas correctes.

La Tôroh Orale est la tradition qui s'est transmise sur l'application des Miswôth. Tout le reste rapporté dans le Talmoudh n'a pas de valeur contraignante. Voilà pourquoi les Ga`ônim et les Ri`shônim ne reprenaient du Talmoudh que le contenu halakhique, laissant de côté le contenu `aggadique et midrashique. C'est pour cela, par exemple, qu'il n'y a aucune `aggodhoh dans le Mishnéh Tôroh. Par contre, ceux qui veulent lire les `aggodhôth et les Midhroshim du Talmoudh, sans le contenu halakhique, peuvent évidemment lire le célèbre ouvrage intitulé עין יעקב « ´én Ya´aqôv » (que vous pouvez acheter en français notamment ici ou encore ici).

Il n'y a donc pas de honte à dire que certains de nos Sages ont pu commettre des erreurs ou se tromper, surtout dans des domaines n'ayant rien à voir avec la Halokhoh ! Vous pouvez donc dormir tranquille, car tout ce qui est dans le Talmoudh n'est pas contraignant. Ce sont en fait ceux qui ne reconnaissent pas cela, mais attribuent une origine Divine à chaque affirmation contenue dans le Talmoudh, qui sont dans des problèmes et sont confrontés à des contradictions entre ce qu'ils croient être Divin et la réalité. C'est ainsi qu'au lieu de reconnaître que certains Sages se sont trompés, bon nombre de Harédhim diront que ce sont simplement les scientifiques qui sont en retard et qui se trompent. Ironique de la part de gens qui, eux-mêmes, ne connaissent rien à la science !

1Dans son commentaire sur so` 5a
2Dans son introduction à son « Commentaire sur la Mishnoh »
3Baré`shith 3, `ôth 30
4C'est-à-dire qu'il en fut affligé

5Baré`shith 3:14
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