mercredi 11 février 2015

« un œil contre un œil »

ב״ה

« un œil contre un œil »


Cet article peut être téléchargé ici.

L'un des passages les connus de la Tôroh est celui-ci1 :

Un œil contre un œil, une dent contre une dent, une main contre une main, un pied contre un pied, une brûlure contre une brûlure, une blessure contre une blessure, un coup contre un coup.
עַיִן תַּחַת עַיִן, שֵׁן תַּחַת שֵׁן, יָד תַּחַת יָד, רֶגֶל תַּחַת רָגֶל. כְּוִיָּה תַּחַת כְּוִיָּה, פֶּצַע תַּחַת פָּצַע, חַבּוּרָה, תַּחַת חַבּוּרָה

Les non Israélites appellent faussement cela la « loi du talion ». À première vue, le texte semble clairement parler de punitions corporelles et de vengeance. Mais d'après la Halokhoh et l'interprétation de nos Sages de mémoire bénie, il parle plutôt de compensations financières.

Le Ramba''m ז״ל formule la Halokhoh au Chapitre 1 des Hilkôth Hôvél Oumazziq (lois relatives à la blessure et au dédommagement) de son Mishnéh Tôroh :

1. Celui qui blesse son coreligionnaire est condamné à lui payer cinq choses : le dommage, la douleur, le traitement médical, le chômage2, et la honte [ressentie par la victime].
א  הַחוֹבֵל בַּחֲבֵרוֹ, חַיָּב לְשַׁלַּם לוֹ חֲמִשָּׁה דְּבָרִים--נֶזֶק, וְצַעַר, וְרִפּוּי, וְשֶׁבֶת, וּבֹשֶׁת
2. « Le dédommagement » : de quoi s'agit-il ? S'il a coupé la main de son coreligionnaire, ou son pied, nous considérons [théoriquement ce dernier] comme un esclave vendu au marché [aux esclaves] et évaluons sa valeur avant [la blessure] et sa valeur depuis [la blessure], et celui qui a causé la blessure doit payer la dévalorisation de sa valeur, car il est dit3 « un œil contre un œil, etc. ». De tradition orale, ils nous ont appris que « contre » signifiait qu'il faut payer de l'argent.
ב  נֶזֶק כֵּיצַד: שְׁאִם קָטַע יַד חֲבֵרוֹ, אוֹ רַגְלוֹ--רוֹאִין אוֹתוֹ כְּאִלּוּ הוּא עֶבֶד נִמְכָּר בַּשּׁוּק, כַּמָּה הָיָה יָפֶה וְכַמָּה הוּא יָפֶה עַתָּה; וּמְשַׁלֵּם הַפְּחָת שֶׁהִפְחִית מִדָּמָיו: שֶׁנֶּאֱמָר "עַיִן תַּחַת עַיִן..." --מִפִּי הַשְּׁמוּעָה לָמְדוּ שֶׁזֶּה שֶׁנֶּאֱמָר "תַּחַת", לְשַׁלַּם מָמוֹן הוּא

Comment le Ramba''m justifie-t-il l'apparente déviation du sens simple et littéral du texte ? Il dit ici que la Halokhoh peut être déduite du mot תַּחַת « Tahath », que nous avons traduit par « contre », mais il n'explique pas concrètement comment déduire cela à partir de ce mot.

Ensuite, le Ramba''m passe à un autre passage de la Tôroh qui semble sous-entendre des punitions corporelles :

3. Voici ce qui est dit dans la Tôroh [au verset suivant]4 : « tout comme il a causé une blessure chez un homme, ainsi on lui en causera une ». Cela ne veut pas dire qu'il faille blesser celui-ci comme il a blessé son coreligionnaire. Plutôt, [cela signifie] qu'il mériterait de perdre un membre ou qu'on le blesse comme ce qu'il a fait, et par conséquent il lui paie une compensation financière. Et voici ce qui est dit5 : « et tu ne prendras pas une compensation financière pour celui qui a commis un meurtre ». [C'est-à-dire,] c'est uniquement dans le cas d'un meurtre qu'il n'y a pas de compensation financière. Mais pour la perte des membres [du corps] ou des blessures, il y a une compensation financière !
ג  זֶה שֶׁנֶּאֱמָר בַּתּוֹרָה "כַּאֲשֶׁר יִתֵּן מוּם בָּאָדָם, כֵּן יִנָּתֶן בּוֹ" --אֵינוּ לַחְבֹּל בְּזֶה כְּמוֹ שֶׁחָבַל בַּחֲבֵרוֹ, אֵלָא שְׁהוּא רָאוּי לְחַסְּרוֹ אֵבֶר אוֹ לַחְבֹּל בּוֹ כְּמוֹ שֶׁעָשָׂה; וּלְפִיכָּךְ מְשַׁלֵּם נִזְקוֹ. וַהֲרֵי הוּא אוֹמֵר "וְלֹא-תִקְחוּ כֹפֶר לְנֶפֶשׁ רֹצֵחַ", לָרוֹצֵחַ בִּלְבָד הוּא שְׁאֵין כֹּפֵר; אֲבָל לְחֶסְרוֹן אֵבָרִים אוֹ לְחַבְלוֹת, יֵשׁ כֹּפֶר

Ici, le Ramba''m rapporte un résumé bref et clair d'une des Daroshôth que l'on retrouve dans le Talmoudh6, arguant que le passage tiré de Wayyiqro` 24 ne sous-entend pas du tout une punition corporelle. Comme le fait remarquer le Laham Mishnéh, cela ne fait que démontrer qu'une compensation financière est permise dans des cas autre que le meurtre, mais cela ne démontre pas qu'une punition corporelle soit interdite.

C'est pourquoi, le Ramba''m poursuit son analyse et fournit enfin la preuve irréfutable qui démontre que « un œil contre un œil » n'implique pas, et ne sous-entend pas, une punition corporelle :

5. Et quelle est la source [pour affirmer] que ce qui est dit concernant les blessures, « un œil contre un œil », se réfère aux compensations ? Car il est dit7 : « un coup contre un coup ». Or, il est explicitement dit8 : « Lorsqu'un homme frappe son prochain avec une pierre ou un poing...Toutefois, il paiera son chômage et les frais de guérison ». Tu apprends donc que [le mot] « contre », qui est mentionné concernant un coup, se réfère à un paiement. Et la règle est la même pour le [mot] « contre » mentionné concernant un œil et le reste des membres [du corps].
ה  וּמְנַיִן שֶׁזֶּה שֶׁנֶּאֱמָר בָּאֵבָרִים "עַיִן תַּחַת עַיִן ...", תַּשְׁלוּמִין הוּא--שֶׁנֶּאֱמָר "חַבּוּרָה, תַּחַת חַבּוּרָה", וּבַפֵּרוּשׁ נֶאֱמָר "וְכִי יַכֶּה-אִישׁ אֶת-רֵעֵהוּ, בְּאֶבֶן אוֹ בְאֶגְרֹף ... רַק שִׁבְתּוֹ יִתֵּן, וְרַפֹּא יְרַפֵּא". הַא לָמַדְתָּ שֶׁ"תַּחַת" שֶׁנֶּאֱמָר בְּחַבּוּרָה תַּשְׁלוּמִין, וְהוּא הַדִּין לְ"תַחַת" הַנֶּאֱמָר בָּעַיִן וּבִשְׁאָר אֵבָרִים

C'est là encore le résumé d'une Daroshoh rapportée dans le Talmoudh.9 Il est une chose classique dans la littérature rabbinique de commencer par des arguments réfutables pour finir par des arguments irréfutables. Dans Shamôth 21:18-19, quelques versets à peine avant le fameux « un œil contre un œil, une dent contre une dent, etc. », la Tôroh avait déjà clairement établi que dans le cas d'un coup porté contre son prochain, il fallait que l'agresseur verse une compensation financière pour l'incapacité de travail et les frais médicaux. Par conséquent, lorsque six versets plus loin la Tôroh affirme חַבּוּרָה, תַּחַת חַבּוּרָה « un coup contre un coup », il ne peut s'agir que d'une compensation financière, et non d'une exhortation à donner à l'agresseur le même coup qu'il avait porté contre sa victime ! S'il en est ainsi s'agissant d'un coup, il en est alors de même lorsque la Tôroh déclare : « Un œil contre un œil, une dent contre une dent, une main contre une main, un pied contre un pied, une brûlure contre une brûlure, une blessure contre une blessure, un coup contre un coup ». Dans tous ces cas, cela signifie seulement que l'auteur du coup, de la blessure ou de la brûlure, devra payer pour tous les dégâts causés, car en payant il va se rendre compte de la valeur du membre du corps qu'il a endommagé. « Un œil contre un œil » signifie donc que pour un œil endommagé, c'est comme si l'agresseur paiera un œil neuf (les frais médicaux, l'opération, le nombre de jours que la personne n'a pas pu travailler à cause de son œil endommagé, etc.).

Il n'existe donc pas, contrairement à ce qu'affirment les ignorants, une « loi du talion » dans le Judaïsme ! Et mentionnons au passage que la vengeance est strictement interdite dans la Tôroh, qui nous enseigne que la vengeance n'appartient qu'à Dieu seul. C'est Lui seul qui décide et applique la vengeance, comme il est écrit10 : לִי נָקָם וְשִׁלֵּם, לְעֵת תָּמוּט רַגְלָם: כִּי קָרוֹב יוֹם אֵידָם, וְחָשׁ עֲתִדֹת לָמוֹ « À Moi la vindicte et les représailles à l'heure où leur pied doit glisser; car il approche, le jour de leur catastrophe, et l'avenir accourt sur eux ! ». Ainsi, lorsqu'un homme a commis un crime pour lequel des hommes ne l'ont pas puni, il n'appartient pas aux hommes de se faire justice eux-mêmes. Lorsque les hommes ne punissent pas les crimes et les criminels, viendra un jour où HaShem ית׳ Lui-même se chargera de cela. C'est ainsi que nos Sages disent que quelqu'un qui a tué mais a échappé à la justice des hommes, il se pourrait très bien qu'un jour, en faisant des travaux sur le toit de sa maison, il en tombe, se brise la nuque, et meurt. Pour certains, ce pourrait n'être qu'un accident, une coïncidence, mais c'est en fait le jugement Divin. C'est ce que nous appelons « la mort par la main des Cieux ».

Par conséquent, lorsqu'on a été blessé à l’œil, il est interdit de se venger en blessant aussi l’œil de notre agresseur ou en envoyant des amis pour le passer à tabac ! On doit passer par la justice des hommes et réclamer qu'il paie pour les dégâts qu'il nous aura causés. Et s'il arrive qu'il a échappé à la justice des hommes et n'a pas été condamné à verser des compensations financières, l'affaire sera alors prise en charge par HaShem Lui-même, qui peut soit appliquer Sa vengeance dans ce Monde-ci, ou dans le Monde-à-Venir, voire dans les deux !

1Shamôth 21:24-25
2C'est-à-dire, le nombre de jours où il n'a pas pu aller travailler
3Shamôth 21:24 ; Wayyiqro` 24:20
4Wayyiqro` 24:20
5Bamidhbor 35:31
6Bavo` Qammo` 83b
7Shamôth 21:25, le verset qui vient juste après
8Ibid., 21:18-19
9Bavo` Qammo` 83b

10Davorim 32:35
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