lundi 23 mars 2015

Que vaut réellement une Kazzayith ? - Première Partie

ב״ה

Que vaut réellement une Kazzayith ?

L'histoire halakhique de l'augmentation de la Kazzayith


Première Partie

Par le rabbin Nothon Slifkin.

Cet article peut être téléchargé ici.

  • Introduction

Rabbi Môshah Sôfér (le Hatha''m Sôfér, 1762-1839) fait remarquer qu'aujourd'hui, alors qu'il n'y a plus de Temple, il ne reste plus qu'une seule Miswoh d'origine biblique impliquant le manger : celle de consommer de la Massoh la première nuit de Pésah.1 C'est pourquoi, il insiste sur le fait de veiller à être minutieux dans l'accomplissement de cette Miswoh. En plus de la Miswoh imposant un type spécifique d'aliment, il y a aussi une exigence d'avoir une quantité minimale suffisante de cet aliment pour être considéré l'avoir « mangé ». Cette quantité est définie dans le Midhrosh2 : « Il n'y a pas de ''manger'' avec moins qu'une Kazzayith (l'équivalent d'une olive). »

À quoi équivaut cette quantité ? Rabbi Hayim de Volozhin (1749-1821) est partout révéré comme étant le père du monde de la Yashivoh. Mais ce qui est moins connu et certainement moins répandu dans le monde de la Yashivoh est son opinion quant à la taille de la Massoh que l'on a l'obligation de consommer à Pésah. Rabbi Hayim était d'avis que cette Kazzayith équivaut effectivement à la taille d'une olive, aux environs de trois ou quatre centimètres cubes.3 Cela nous donne un morceau de Massoh faisant approximativement la moitié de la taille d'une carte de crédit.

Et pourtant, cela contraste radicalement avec la coutume communément répandue aujourd'hui. La politique répandue consiste à quantifier une Kazzayith comme valant 28,8 centimètres cubes. Le Mishnoh Barouroh va même jusqu'à dire que l'on devrait consommer un volume équivalent à un œuf, c'est-à-dire, approximativement 55 centimètres cubes. Et il existe des boites de Massôth faites à la machine qui mentionnent sur l'emballage qu'une Massoh entière équivaut à une Kazzayith ! La plus grande ironie dans tout cela est que sous prétexte de vouloir accomplir la Miswoh aussi scrupuleusement que possible, certains s'adonnent à de la `akhiloh Gasoh (se gaver), ce qui n'est sans aucun doute pas l'intention de la Miswoh et empêche d'accomplir son obligation.

Récemment, certains individus ont consenti des efforts pour démontrer que la Kazzayith devait être revue à la baisse, mais ils n'ont pas rencontré beaucoup de succès et ont été confrontée à beaucoup d'opposition. Dans cette étude, tout en démontrant que la Kazzayith vaut la taille d'une olive ordinaire, l'accent sera mis sur une exposition des raisons pour lesquelles tant de Pôsqim l'ont tranchée trop largement, et pourquoi il est difficile de vaincre cette façon de voir les choses, en dépit des preuves qui l'invalident.

En toute logique, pour parvenir à la conclusion qu'une Kazzayith est beaucoup plus large que les olives d'aujourd'hui, deux positions distinctes doivent être prises : Premièrement, que les olives des temps anciens étaient plus grosses, et deuxièmement, que nous avons l'obligation de suivre la taille des olives d'antan plutôt que celles d'aujourd'hui. Aucune de ces positions ne suffit à elle seule pour exiger une mesure plus large ; c'est pourquoi elles furent adoptées les deux à la fois. Commençons par évaluer ces deux positions l'une après l'autre.

  • Les olives étaient-elles plus grosses dans les temps anciens ?

Les olives des temps bibliques et talmudiques étaient-elles plus grosses que celles d'aujourd'hui ? Du point de vue de l'archéologie, il y a des preuves évidentes que les olives des temps anciens n'étaient pas plus grosses que celles d'aujourd'hui. De nombreux noyaux d'olives des temps anciens ont été découverts, parmi lesquels un grand nombre dans les débris des implantations de Masada et dans les grottes du Désert de Judée datant de la révolte de Bar Kokhvo`. Ces noyaux provenaient essentiellement de la souche d'olives Nabali, mais incluaient aussi les variétés locales Souri et Malisi, ainsi que les grosses olives Shami Tôhaffi qui furent importées d'autres pays comme produits de luxe. Tous ces noyaux ne sont pas différents en taille de façon significative des noyaux des souches d'olives d'aujourd'hui. Certains pourraient affirmer que la ratio de la chair entourant le noyau pouvait avoir été plus large, mais cela est improbable, et ne doit pas être accepté sans preuve concluante.4

En outre, il existe des dizaines d'oliviers vivantes aujourd'hui de la variété Souri, en Israël et ailleurs, qui datent d'environs deux mille ans, et sept en Israël qui ont plus de trois mille ans. Ces arbres produisent encore des fruits, qui ne sont aucunement différents en taille des fruits produits par des oliviers plus jeunes. Certains pourraient avancer que dans les temps anciens ils produisaient des fruits plus larges, mais cela est fortement improbable d'un point de vue botanique.

Toutes les preuves empiriques indiquent donc que dans les temps talmudiques, et même bibliques, les olives n'étaient pas plus grosses que celles que l'on trouve aujourd'hui. La Mishnoh précise d'ailleurs laquelle des différentes souches est visée lorsque l'olive est donnée comme mesure halakhique5 :

La Kazzayith dont ils parlent n'est ni de grande [taille], ni de petite [taille], mais de [taille] moyenne ; c'est le `aggôri.
כזית שאמרו--לא גדול ולא קטן, אלא בינוני: זה אגורי

La grande olive dont parle la Mishnoh correspond au Shami, qui mesure environs 12-13 centimètres cubes, et la petite olive dont parle la Mishnoh correspond au Mélisi, qui mesure environs 0,5-1 centimètres cubes. La taille moyenne correspond au Souri dominant et/ou à la souche Nabali dont les olives sont légèrement plus grosses que celles de la souche Souri. Le Souri varie de 2,5 à 3,5 centimètres cubes, tandis que le Nabali varie de 4 à 6 centimètres cubes. La Kazzayith du Talmoudh, qui est la même que la Kazzayith d'aujourd'hui, varierait entre 2,5 et 6 centimètres cubes, avec une moyenne tournant autour de 4 centimètres cubes.

  • Les Ga`ônim : suivre ce que l’œil voit

Nous voyons donc déjà qu'il semble n'y avoir aucune raison de même supposer qu'une olive des temps anciens était plus large que les olives d'aujourd'hui. Mais qu'en serait-il si, pour quelque raison que ce soit, quelqu'un croit néanmoins que les olives des temps anciens étaient plus grosses ? Aurait-il l'obligation de reproduire cette quantité ? Les Ga`ônim ont tranché qu'il n'en est pas ainsi ! Il y a approximativement 130 ans d'ici, trois responsas sur ce sujet de la période gaonique furent découvertes. La première provient du Rov Shariro` Go`ôn (Babylone, 906-1006)6 :

Tu m'as demandé d'expliquer s'il y a un poids donné pour la figue, l'olive, la datte et d'autres mesures, dans le poids des pièces arabes, et tu as expliqué que le Rov Hila`y Go`ôn a précisé que le poids d'un œuf vaut 16 pièces d'argent et 2/3. [Tu t'es demandé ceci] : si les autres ne se sont pas vu attribuer un poids, pourquoi l’œuf s'est-il fait attribuer un poids ?

Il est connu que ces autres mesures ne se sont vu attribuer aucun poids équivalent en argent, que ce soit dans la Mishnoh ou le Talmoudh. Si [les Sages] avaient désiré donner une mesure de poids en dinarim, ils l'auraient fait dès le départ. Plutôt, ils donnent les mesures en se référant à des céréales et des fruits, qui sont toujours disponibles, et personne ne doit dire qu'ils ont changé.

...Nous pratiquons d'après la directive de la Mishnoh : Tout est déterminé selon ce que l’œil voit... Et de même, concernant l'olive et la datte, il est expliqué dans cette Mishnoh que cela e se réfère pas à une grosse olive, ni à une petite olive, mais plutôt à une olive moyenne ; et cela se détermine également d'après ce que l’œil voit. La raison pour laquelle certains rabbins ont exprimé leur opinion quant à la taille d'un œuf, et n'en ont pas fait de même avec une olive, une datte ou une figue, c'est parce que beaucoup de choses dépendent de la taille d'un œuf : le Kav, la Sa´oh, la `éfoh, le ´ômar ; tous s'évaluent en fonction des œufs, et c'est pourquoi ils l'ont estimé d'après leurs opinions. Mais ces autres mesures sont laissées à l'opinion de ce que l’œil de chacun voit...

Le fils du Rov Shariro` Go`ôn, le Rov Hay Go`ôn (Babylone, 939-1038), écrit ceci7 :

C'est pourquoi la Tôroh a donné des mesures en se rapportant aux œufs et aux fruits (car les Divré Sôfrim furent donnés au Sinaï), parce qu'on peut trouver des œufs et des fruits partout. Car il est connu et révélé devant Celui qui parla et le monde fut, que [le peuple d']Israël est destiné à être éparpillé parmi les nations, et que les poids et mesures qui avaient cours du temps de Môshah et ceux qui furent ajoutés en `aras Yisro`él ne seraient pas préservés, et que les mesures changent en différentes époques et différents endroits... Par conséquent, les Sages ont rapporté les quantités aux fruits et aux œufs, qui existent toujours et ne changent jamais. Ils ont fait dépendre la quantité d'un œuf sur ce que l’œil de chacun voit.

Une dernière responsa, d'un Go`ôn anonyme, stipule8 :

Et concernant ce que tu as écrit au sujet de la taille d'une grosse figue et d'une figue moyenne, et de même au sujet d'une olive grosse, petite et moyenne, ce sont sans aucun doute des mesures, et comment peut-il y avoir une mesure pour une mesure ? Et si tu prétends que c'est un problème [pour lequel] un poids [doit être fixé], nos Rabbins n'ont pas précisé de poids, et Celui qui est Saint n'a pas non plus estimé approprié de nous fixer un poids. Chaque individu, qui agit selon sa propre estimation, a accompli son devoir, et il n'y a nulle besoin d'aller voir la quantité d'un autre...

Dans toutes ces responsas, nous voyons qu'une Kazzayith doit être estimée, très simplement, par chaque individu selon ce qu'il constate en observant lui-même une olive. Même si quelqu'un croit que les olives des temps talmudiques étaient plus grosses que celles d'aujourd'hui, il n'y aurait aucune utilité à tenter de reproduire cette quantité ! Avec les Ga`ônim, nous voyons une présomption selon laquelle la taille des olives ne change de toute façon pas, et qu'en tout cas chacun est censé suivre sa propre estimation de la taille d'une olive.9 C'était d'ailleurs là le raisonnement sous-jacent de la Tôroh lorsqu'elle a prescrit des quantités en se référant à des fruits familiers plutôt qu'à un système de mesure indépendant.

1Responsa Hatha''m Sôfér, Hôshén Mishpot 196
2Tôrath Kôhanim, `aharé 12:2 ; `amôr 4:16
3QahillathYa´aqôv, Pésahim 38. Voir aussi Sha´aré Rahamim, page 19, #165, note de bas de page 3
4Il est vrai que le Talmoudh (Sôtoh 48a) déclare que depuis la destruction du Temple le « Shoumon » des olives fut réduit. Sauf que ce passage talmudique ne fut jamais cité par quelque Ri`shôn que ce soit dans leurs discussions halakhiques. La raison en est très simple : ce passage se réfère aux bienfaits nutritionnels plutôt qu'à la taille de la chair
5Kélim 17:8
6Cité dans le Séfar Ha`ashkôl, Volume 2, Hilkôth Halloh 13, page 52
7Ibid., pages 56-57
8Tashouvôth Hagga`ônim 268

9Toutes ces Responsa sont également citées par Rabbi `ali´azar Waddenberg, dans Sis `ali´azar, Volume 13, 76:3
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