jeudi 3 mars 2016

Yôkhavadh et la durée de l'asservissement égyptien

ב״ה

Yôkhavadh et la durée de l'asservissement égyptien


Cet article peut être téléchargé ici.

Question :

Il y a quelque chose qui me trouble énormément dans la Tôroh. Si Yôkhavadh était la fille de Léwi (le fils de Ya´aqôv `ovinou), la tante et épouse de ´amrom, et la mère de Môshah Rabbénou, il est difficile de parvenir à 210 ans d'asservissement, et encore moins à 400 ans. Comment peut-on résoudre ce problème apparent ?

Réponse :

La durée d'asservissement en Égypte des Israélites fut de 210 ou 400 ans. Et effectivement, si la durée de vie de Yôkhavadh ע״ה et celle de Môshah Rabbénou ע״ה s'étendent tout au long de cette longue période d'asservissement, il y a un énorme problème. Disons qu'elle dura 210 ans. Môshah Rabbénou délivra les Israélites à l'âge de 80 ans. 210-80=130. Si Yôkhavadh est née, comme le dit le Midhrosh, au moment où Ya´aqôv `ovinou ע״ה et ses fils passèrent les portes de l’Égypte, elle devait alors avoir 130 ans lorsqu'elle a accouché de Môshah Rabbénou ! C'est le calcul de Rash''i ז״ל, basé sur le Midhrosh. (Et si nous disons que l'asservissement a duré 400 ans, elle avait alors 320 ans en accouchant de Môshah Rabbénou !)

Nous avons déjà expliqué à maintes reprises les problèmes auxquels on se heurtait en prenant littéralement les Midhroshim, et le fait que de très nombreux Sages et Ri`shônim, comme le Ramba''m ז״ל, le Ramba''n ז״ל, le `ibn ´azro` ז״ל, et d'autres, ont dénoncé la lecture littérale des Midhroshim. Par exemple, nous avions montré dans l'article intitulé « Rivqoh avait-elle trois ans lorsqu'elle a épousé Yishoq ? » comment le Ramba''n et le ibn ´azro` rejetaient l'affirmation de Rash''i selon quoi Rivqoh `imménou ע״ה aurait été âgée d'à peine trois ans lorsqu'elle se maria à Yishoq `ovinou ע״ה. Rahmono` Lislon de croire une telle chose ! (Ce calcul de Rash''i est basé sur une affirmation erronée selon quoi Soroh `imménou ע״ה serait décédé le jour de la ´aqédhoh.)

Là aussi, dans le cas qui nous occupe actuellement, le `ibn ´azro` et le Ralba''g rejettent des deux mains ce calcul de Rash''i, parce que c'est un miracle plus grand encore que celui par lequel Soroh `imménou a accouché de Yishoq `ovinou à l'âge de 90 ans, et si ce miracle supérieur avait été réel la Tôroh nous en aurait certainement parlé. Par conséquent, ils placent tous deux la naissance de Yôkhavadh beaucoup plus tard, de sorte qu'elle n'était pas si âgée lorsqu'elle donna naissance à Môshah Rabbénou.

Le Ramba''n s'oppose lui aussi à la conclusion de Rash''i, mais fait remarquer une faille apparente dans le raisonnement du `ibn ´azro` et du Ralba''g : si l'on situe la naissance de Yôkhavadh beaucoup plus tard que la descente en Égypte, on est confronté à un autre « miracle ». En effet, puisque la Tôroh déclare que Yôkhavadh était la fille de Léwi ע״ה, qui lui-même était le fils de Ya´aqôv `ovinou, cela voudrait dire Léwi a engendré Yôkhavadh à un âge très très avancé, que l'asservissement ait duré 210 ans ou 400 ans (et évidemment, s'il a duré 400 ans, Léwi et Yôkhavadh étaient extraordinairement vieux, au-delà de toute raisons, lorsque Môshah Rabbénou est né.) Nous sommes donc devant une impasse !

Mais en réalité, le problème ne se trouve pas du tout dans le texte de la Tôroh, qui est parfait, mais dans les interprétations qui en ont été faites par X et Y, au point que les gens supposent que tout commentaire qu'ils ont lu sur un texte de la Tôroh est forcément le sens que le texte a et qu'il n'existe qu'une seule lecture possible, celle qu'on leur a enseignée. Mais ce qu'ils oublient, est que ces commentaires sont souvent basés sur des suppositions, et contredisent à l'occasion le sens simple du texte. Et ici, ces erreurs de compréhension sont nées de trois versets différents. Le premier est celui-ci1 :

Un homme de la maison de Léwi partit et prit une fille de Léwi.
וַיֵּלֶךְ אִישׁ, מִבֵּית לֵוִי; וַיִּקַּח, אֶת-בַּת-לֵוִי

En lisant ce verset, beaucoup supposent donc que Yôkhavadh était l'une des filles de Léwi, le fils de Ya´aqôv `ovinou. De ce fait, il n'y aurait que trois générations à la durée de l'asservissement égyptien, à savoir, Léwi, Yôkhavadh, et Môshah Rabbénou. Or, בַּת-לֵוִי « Bath Léwi – fille de Léwi » peut très bien également vouloir dire que Yôkhavadh était une femme de la tribu de Léwi, c'est-à-dire une Lévite, exactement comme ´amrom ע״ה est décrit, dans le même verset, comme étant אִישׁ, מִבֵּית לֵוִי « `ish Mibbéth Léwi – un homme de la maison de Léwi ». C'est très habituel pour la Tôroh de nous donner l'appartenance tribale d'un personnage inconnu avant de finalement nous donner, plus tard, son identité. C'est donc une espèce d'introduction. Le verset peut donc se comprendre comme voulant dire qu'un homme de la tribu de Léwi alla épouser une femme de la tribu de Léwi. Les deux lectures sont donc possibles.

Le deuxième verset « problématique » est celui-ci2 :

´amrom prit Yôkhavadh, sa tante, pour épouse, et lui enfanta `aharôn et Môshah. Les années de la vie de ´amrom furent de cent trente sept ans.
וַיִּקַּח עַמְרָם אֶת-יוֹכֶבֶד דֹּדָתוֹ, לוֹ לְאִשָּׁה, וַתֵּלֶד לוֹ, אֶת-אַהֲרֹן וְאֶת-מֹשֶׁה; וּשְׁנֵי חַיֵּי עַמְרָם, שֶׁבַע וּשְׁלֹשִׁים וּמְאַת שָׁנָה

Le mot דֹּדָתוֹ « Dôdhothô » pourrait bien signifier « sa tante ». S'il en est ainsi, cela confirmerait la première explication susmentionnée, selon quoi Yôkhavadh était littéralement la fille de Léwi. Mais c'est là que les choses deviennent intéressantes ! Le mot « Dôdhothô » n'a pas qu'une seule signification. En effet, dans le Makhilto`3 (qui est une compilation de Midhroshim halakhiques, et non `aggadiques, de nos Sages de mémoire bénie), il est expliqué que « Dôdhothô » signifie « sa bien-aimée ». Et même dans le Targoum Yônothon, le verset de Shamôth 6:20 susmentionné, est traduit en araméen de la façon suivante : « ´amrom prit Yôkhavadh, sa bien-aimée, pour épouse ». Le Makhilto` explique que lorsque Yôkhavadh tomba enceinte, ´amrom se joua des Égyptiens. Comment ? En raison du décret passé par Pharaon, selon quoi tous les enfants Hébreux de sexe masculin devaient être tués, ´amrom répudia Yôkhavadh lorsqu'elle tomba enceinte, et tous les autres hommes Hébreux en firent de même avec leurs épouses. Trois mois plus tard, il épousa à nouveau Yôkhavadh, et c'est à partir de ce moment-là que les Égyptiens commencèrent à compter les mois de grossesse. Lorsque les Égyptiens arrivèrent à six mois, Môshah Rabbénou avait évidemment atteint les neuf mois de sa gestation et pu naître au nez et à la barbe des Égyptiens. C'est ainsi qu'ils purent empêcher que leur fils ne meurt. Et c'est à que le récit biblique reprend le relais. Ainsi, quand il est dit que « ´amrom prit Yôkhavadh, sa bien-aimée, pour épouse », c'est-à-dire qu'il épousa à nouveau, après l'avoir répudiée, celle qu'il aimait. Nous pouvons donc voir que nos Sages de mémoire bénie (du moins, plusieurs d'entre eux), ne lisaient pas « sa tante » mais « sa bien-aimée ». Lu de cette manière, cela accrédite la deuxième explication susmentionnée, selon quoi ´amorom a simplement épousé une femme appartenant à la tribu de Léwi, et non pas littéralement une des filles de Léwi, le fils de Ya´aqôv `ovinou.

Il y a un autre sens au mot « Dôdhothô » proposé par le Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל. Dans son rassemblement de commentaires sur la Tôroh, nous trouvons ceci :


En gros, plutôt que traduire « Dôdhothô » par « sa tante », il explique que ce terme peut vouloir dire « la fille de son oncle ». Cela ferait donc de Yôkhavadh la cousine de premier degré de ´amrom.

Ces deux interprétations alternatives résolvent aisément tous les problèmes chronologiques causés par le commentaire de Rash''i, qui n'est absolument pas l'autorité absolue sur le sens à donner aux textes de la Tôroh ! En outre, cela résout également le problème de l'inceste. En effet, comment un homme aussi éminent que ´amrom aurait-il pu épouser sa propre tante. Lorsqu'on comprend que « Dôdhothô » ne signifie pas nécessairement « sa tante », et qu'il existe deux autres lectures tout à fait valable du terme, le problème de l'inceste n'existe plus.

(À noter toutefois que d'autres sources anciennes soutiennent la lecture selon quoi Yôkhavadh était la sœur du père de ´amrom, en d'autres mots sa tante. On pourrait expliquer qu'étant donné que cela s'est passé à une époque où la Tôroh ne fut pas encore donnée, une telle relation ne constitue pas, en elle-même, un problème, puisque c'est seulement après le Don de la Tôroh qu'épouser sa tante fut interdit, tout comme le fait d'épouser deux sœurs en même temps, comme l'a fait Ya´aqôv `ovinou, acte que la Tôroh n'interdira que plus tard.)

Le troisième et dernier verset « problématique » est celui-ci4 :

Le nom de l'épouse de ´amrom était Yôkhavadh, fille de Léwi, qu'elle5 avait enfanté à Léwi en Égypte. Et elle enfanta à ´amrom, `aharôn, Môshah et Miryom, leur sœur.
וְשֵׁם אֵשֶׁת עַמְרָם, יוֹכֶבֶד בַּת-לֵוִי, אֲשֶׁר יָלְדָה אֹתָהּ לְלֵוִי, בְּמִצְרָיִם; וַתֵּלֶד לְעַמְרָם, אֶת-אַהֲרֹן וְאֶת-מֹשֶׁה, וְאֵת, מִרְיָם אֲחֹתָם

Là encore, ce verset peut être pris comme indiquant que Yôkhavadh était littéralement la fille de Léwi, fils de Ya´aqôv `ovinou. Mais les arguments donnés lors de l'analyse du premier des trois versets « problématiques » peuvent être utilisés ici aussi. Ainsi, « Léwi » peut tout simplement se comprendre comme désignant la tribu de Léwi, et non pas Léwi le fils de Ya´aqôv `ovinou, tandis que « fille de Léwi » pourrait se comprendre, une fois encore, comme voulant dire qu'elle fut enfantée à la tribu de Léwi en Égypte. Une autre lecture ayant été proposée, et qui est tout à fait plausible, et se base sur l'explication du Rov Sa´adhyoh Go`ôn susmentionnée, est que ce verset signifie simplement que Yôkhavadh était la fille de Gérshon, l'oncle de ´amrom. Et de ce fait, elle était la petite-fille de Léwi, et non sa fille. Et nous savons qu'à travers la Tôroh, de nombreux petits-enfants sont fréquemment décrits comme les enfants de leurs grands-parents.

En conclusion, il n'y a pas qu'une seule lecture des versets, et l'on ne doit jamais oublier qu'un mot peut avoir d'innombrables sens. Dans ce genre de cas, il convient de parcourir les différentes interprétations (Rash''i n'a pas le monopole de l'interprétation de la Tôroh), les comparer, prendre en compte le contexte, et user de la raison. Et quand cela est fait, dans le cas qui nous intéresse, l'explication de Rash''i n'est pas crédible et est celle qui cause le plus de problèmes, notamment chronologiques, mais également au niveau rationnel ! Or, lorsqu'on considère que Yôkhavadh n'était pas littéralement la fille de Léwi, et qu'il existe également deux autres sens parfaitement possibles du mot « Dôdhothô », tous les problèmes chronologiques et irrationnels s'envolent, et le texte de la Tôroh devient plus compréhensible et logique.

1Shamôth 2:1
2Ibid., 6:20
3Parashath Wo`éro`
4Bamidhbor 26:59

5La mère de Yôkhavadh
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