mercredi 2 mars 2016

Y a-t-il en soi une obligation de lire deux fois la Maghilloh ?

ב״ה

Y a-t-il en soi une obligation de lire deux fois la Maghilloh ?


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Le Ramba''m ז״ל tranche ceci dans son Mishnéh Tôroh1 :

Il est une Miswoh de la lire intégralement, et la Miswoh consiste à la lire durant la nuit et durant la journée. Toute la nuit est valable pour la lecture de la nuit, et toute la journée est valable pour la lecture de la journée.
מִצְוָה לִקְרוֹת אֶת כֻּלָּהּ. וּמִצְוָה לִקְרוֹתָהּ בַּלַּיְלָה, וּבַיּוֹם; וְכָל הַלַּיְלָה כָּשֵׁר לִקְרִיאַת הַלַּיְלָה, וְכָל הַיּוֹם כָּשֵׁר לִקְרִיאַת הַיּוֹם

De même, Rabbi Yôséf Qa`rô ז״ל tranche ceci dans son Shoulhon ´oroukh2 :

L'homme a l'obligation de lire la Maghilloh durant la nuit, et de la répéter durant la journée. [Concernant la lecture] de la nuit, sa plage horaire s'étend sur toute la nuit. [Concernant la lecture] de la journée, sa plage horaire s'étend sur toute la journée, à partir du lever du soleil jusqu'à la fin de la journée. Mais si on a [commencé à] la lire à partir de l'aube, on est quitte.
חייב אדם לקרות המגילה בלילה ולחזור ולשנותה ביום. ושל לילה – זמנה כל הלילה, ושל יום – זמנה כל היום, מהנץ החמה עד סוף היום; ואם קראה משעלה עמוד השחר – יצא

La plupart des rabbins d'aujourd'hui considèrent comme allant de soi que l'on doit lire deux fois la Maghilloh à Pourim ; une première fois la veille au soir, et une seconde fois le lendemain matin. Mais nous verrons qu'historiquement et halakhiquement parlant, ce n'est pas forcément correct. Quant au Ramba''m et à Rabbi Yôséf Qa`rô, nous avons déjà rapporté dans divers articles qu'il ne convenait pas de trancher la Halokhoh uniquement sur base de leurs ouvrages (Mishnéh Tôroh et Shoulhon ´oroukh), mais qu'il était plutôt un devoir de toujours rechercher les sources talmudiques sur lesquels ils s'appuient et vérifier par soi-même si la Halokhoh talmudique est réellement conforme à ce qu'ils tranchent.3 Et nous allons voir qu'en lisant le Talmoudh, il ressort que lire deux fois la Maghilloh n'est pas forcément la Halokhoh.

Nous lisons ceci dans la Mishnoh4 :

On ne peut lire ‎la Maghilloh, ni faire la circoncision, ni s'immerger [au Miqwah], ni asperger [avec les eaux de la vache rousse5], et de ‎même la femme observant chaque jour son état de pureté ne s'immergera ‎pas, avant le lever du soleil. Et tous, si on les a faits dès ‎l'aube, c’est valable.
אֵין קוֹרִין אֶת הַמְּגִלָּה, וְלֹא מָלִין, וְלֹא טוֹבְלִין וְלֹא מַזִּין, וְכֵן שׁוֹמֶרֶת יוֹם כְּנֶגֶד יוֹם לֹא תִּטְבֹּל, עַד שֶׁתָּנֵץ הַחַמָּה. וְכֻלָּן שֶׁעָשׂוּ מִשֶּׁעָלָה עַמּוּד הַשַּׁחַר, כָּשֵׁר
[Pendant] tout le jour, c’est valable de lire la Maghilloh, de lire le ‎Hallél, de sonner le Shôfor6, de prendre le Lôlov7, de réciter la Tafillath Hammousofin8, de [‎sacrifier] les Mousofin, de réciter la confession [qui accompagne ‎le sacrifice] des taureaux [expiatoires]9, de réciter la confession [qui ‎accompagne] le Ma´asér10, de réciter la confession de Yôm Hakkippourim, de poser les mains11, de faire l’égorgement [d’un animal], le balancement [du ´^omar12], ‎l’approche [de l’offrande de farine], sa prise en une poignée pleine, sa ‎combustion, l’égorgement des tourterelles et colombes13, la réception14, la projection15, faire boire la femme Sôtoh16, briser la nuque de la génisse17, et la [cérémonie de] purification du Masôro´
כָּל הַיּוֹם כָּשֵׁר לִקְרִיאַת הַמְּגִלָּה, וְלִקְרִיאַת הַהַלֵּל, וְלִתְקִיעַת שׁוֹפָר, וְלִנְטִילַת לוֹלָב, וְלִתְפִלַּת הַמּוּסָפִין, וְלַמּוּסָפִין, וּלְוִדּוּי הַפָּרִים, וּלְוִדּוּי הַמַּעֲשֵׂר, וּלְוִדּוּי יוֹם הַכִּפּוּרִים, לִסְמִיכָה, לִשְׁחִיטָה, לִתְנוּפָה, לְהַגָּשָׁה, לִקְמִיצָה וּלְהַקְטָרָה, לִמְלִיקָה, וּלְקַבָּלָה, וּלְהַזָּיָה, וּלְהַשְׁקָיַת סוֹטָה, וְלַעֲרִיפַת הָעֶגְלָה, וּלְטָהֳרַת הַמְּצֹרָע

La Mishnoh nous dit que la lecture de la Maghilloh doit se faire en journée, de préférence après le lever du soleil, bien que si on l'a faite à partir de l'aube c'est valable. Puis, elle énumère toute une liste d'activités ne pouvant se réaliser qu'en journée, et la lecture de la Maghilloh y est inclue. La Gamoro`18 se demande si le fait que cette Mishnoh ne dise rien sur une lecture nocturne de la Maghilloh peut être considéré comme une réfutation de la position de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi ז״ל (que nous analyserons plus bas), qui a tranché que la Maghilloh devait être lue la nuit et relue durant la journée. Mais la Gamoro` avance que l'on pourrait tout à fait répondre que la Mishnoh ne voulait parler que de la lecture de la Maghilloh en journée.

Mais cette réponse de la Gamoro` ne résout absolument pas le problème. Même si cette Mishnoh ne voulait traiter que de la lecture en journée, ou plus généralement des Miswôth devant se réaliser en journée, la Mishnoh suivante19 traite des Miswôth devant se réaliser la nuit, et aucune mention n'est faite de la lecture de la Maghilloh, indiquant clairement que la lecture de la Maghilloh n'est pas une Miswoh que l'on peut accomplir la nuit ! Une plus grande réfutation contre cette Gamoro` se trouve dans la Tôsafto` qui, comme la Mishnoh, sous-entend clairement qu'il n'y a qu'une seule lecture de la Maghilloh à Pourim, et déclare explicitement que cette Miswoh ne doit pas s'accomplir la nuit20 : קראה בלילה לא יצא ידי חובתו « Celui qui la lit durant la nuit n'est pas quitte de son obligation ». Il ressort donc que durant toute la période tannaïque, il n'y avait pas de lecture nocturne de la Maghilloh, et que la position de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi était une innovation.

Son raisonnement est traité dans la Gamoro` de la manière suivante21 :

Et Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi a dit : L'homme a l'obligation de lire la Maghilloh durant la nuit, et de la répéter durant la journée, car il est dit22 : « Mon Dieu, j'appelle de jour et Tu ne réponds pas ; de nuit, et il n'est pas de trêve pour moi »
ואריב"ל חייב אדם לקרות את המגילה בלילה ולשנותה ביום שנאמר אלהי אקרא יומם ולא תענה ולילה ולא דומיה לי

La Gamoro` poursuit en disant que ses disciples prirent cet enseignement comme voulant dire que la Maghilloh devait être lue durant la nuit, et que la Mishnoh qui s'y rapportait (à savoir, le Traité Maghilloh) devait être étudiée durant la journée. En effet, le verbe לשנותה « Lishnôthoh », que l'on a traduit ici par « la répéter », peut également se comprendre par « l'étudier », comme dans la célèbre maxime23 : תנא דבי אליהו: כל השונה הלכות בכל יום מובטח לו שהוא בן עולם הבא « Tono` Dhavé `éliyohou : Kol Hashônah Halokhôth Bakhol Yôm Mouvtah Lô Shahou` Ban Ho´ôlom Habbo` - Il a été enseigné par l’École de `éliyohou : Quiconque étudie des Halokhôth chaque jour s'assure d'être un fils du Monde-à-Venir ». Mais Rébbi Yirmayoh ז״ל leur a répondu qu'il a entendu de Rov Hiyo` bar `abbo` ז״ל que le terme « Lishnôthoh » avait ici le sens de « répétition », et non pas d'étude, et donc, que Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi voulait dire que la lecture de la Maghilloh devait être répétée en journée.

Ce dernier base sa décision sur une lecture homilétique d'un verset tiré du Tahillim 22, que la tradition homilétique associe à l'histoire de Pourim. En d'autres mots, ce n'est qu'une `asmakhto`, et une déduction personnelle de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi. De la réaction de ses disciples, qui pensaient qu'il voulait dire que la Maghilloh devait être lue durant la nuit et que les Mishnoyôth du traité Maghilloh devaient être étudiées en journée, nous pouvons aisément voir qu'une double lecture de la Maghilloh, la nuit et en journée, n'était pas une pratique connue. Et du fait qu'il a fallu attendre la génération suivante des `ammôro`im (Rébbi Yirmayoh et Rébbi Halbô ז״ל) pour clarifier et confirmer qu'il devait y avoir deux lectures de la Maghilloh démontre que le doute à longtemps subsisté quant au sens à donner aux propos de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi, car le Sanhédhrin n'a jamais institué deux lectures, mais une seule.

Le Touré `avan ז״ל (Rabbi `aryéh Leib Gunzberg, 1695-1785) fut le tout premier talmudiste de premier plan à admettre que la lecture nocturne de la Maghilloh pourrait ne pas du tout faire partie des lois originelles de Pourim. Sa conclusion fut que la lecture en journée est requise Middivré Sôfrim (par décret de nos Sages qui existaient du temps des événements de Pourim), tandis que la lecture nocturne n'est qu'une institution rabbinique d'une origine tardive.24 Mais il fut loin d'être le seul. Le Nôdha´ BiYhoudhoh ז״ל (Rabbi Yahazqé`l ban Yahoudhoh Landau, 1713-1793) soutenait exactement la même position que lui.25

Le Minhath Bikkourim ז״ל (Rabbi Shamou`él `avighdôr de Karlin, 1806-1866) alla plus loin encore, en déclarant ouvertement que la lecture nocturne de la Maghilloh suit de plusieurs siècles l'institution de la fête de Pourim.26 Le Pari Maghadhim ז״ל (Rabbi Yôséf ban Mé`ir Ta`ômim, 1727-1792) soutient la même chose.27

Le Binyan Shalômôh ז״ל (Rabbi Shalômôh Hakkôhén de Wilno`, 1828-1905) alla plus loin encore, et affirma que la lecture nocturne n'était pas même une obligation rabbinique, mais la simple institution de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi.28 En d'autres mots, il n'existe pas même une obligation rabbinique de lire deux fois la Maghilloh, qui est une pratique basée sur une opinion personnelle.

Le Pané Yahôshoua´ ז״ל (Rabbi Ya´aqôv Yahôshoua´ ban Savi Hirsch Falk, 1680-1756) explique que la lecture principale de la Maghilloh est celle qui a lieu en journée, car c'est en journée que la victoire miraculeuse des Israélites a eu lieu (les batailles ne sont pas livrées durant la nuit). Il définit la lecture nocturne comme n'étant qu'une « simple Miswoh », c'est-à-dire, quelque chose que l'on fait juste comme ça, par habitude, par coutume.

Le Har Savi (Rabbi Savi Pésah Frank, 1873-1960) rejeta toutes les preuves historiques avancées par le Binyan Shalômôh et d'autres, et écrit ceci :

Il est difficile de dire que du temps de Mordokhay et `astér, et tout au long de la période du Deuxième Béth Hammiqdosh et durant l'ère tannaïque, ce qui fait plus de 600 ans, la Maghilloh n'était pas lue la nuit. Est-il possible que durant les glorieuses années de Jérusalem aucune autorité ne trouva sage de légiférer cette ordonnance, mais que durant l'ère qui suivit la destruction [de Jérusalem] les Sages estimèrent nécessaire de le faire ?

Pour défendre l'antiquité de la lecture nocturne de la Maghilloh, le Rov Frank avance comme argument qu'aucun des Ri`shônim n'a même jamais mentionné l'origine tardive de cette pratique29, et cite même deux Ri`shônim (le Ra''n ז״ל et le Ritva''` ז״ל) qui croyaient que la lecture nocturne était une pratique remontant aux époques même de Mordokhay et `astér.

Les arguments qu'il avance sont complètement vides de sens. Le fait qu'aucun des Ri`shônim n'ait suggéré que la lecture nocturne de la Maghilloh était d'une origine tardive, n'est une preuve de rien ; ces Ri`shônim étaient des Pôsqim, pas des historiens ! En outre, tout le raisonnement du Rov Frank est biaisé, et ne prend pas en compte les preuves historiques des Pôsqim précédemment mentionnés, puisqu'il commence son analyse en rejetant d'entrée la possibilité que cette pratique ait pu se développer au fur et à mesure du temps (ce qui est pourtant un fait discernable à partir des sources talmudiques elles-mêmes). Ainsi, avant même de se pencher sur les preuves, il commence par dire דבר זה קשה לאומרו « il est difficile de dire une telle chose ». Il n'y a aucune objectivité dans sa démarche !

Bien que Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi soit la source la plus ancienne pour l'exigence de lire la Maghilloh durant la nuit, certaines sources suggèrent clairement, contrairement à ce qu'avance le Rov Frank, que l'on a progressivement évolué d'une absence totale de lecture nocturne vers une lecture nocturne quasiment obligatoire.

  1. Lectures nocturnes partielles

Dans le traité Sôfrim30, après avoir cité la déclaration de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi, il est fait mention du fait que certaines communautés avaient la coutume de lire la moitié de la Maghilloh la nuit du premier Shabboth du mois de `adhor, et la seconde moitié de la Maghilloh la nuit du deuxième Shabboth du mois de `adhor. Le traité Sôfrim ajoute que Rébbi Mé`ir ז״ל s'opposa à cette pratique jusqu'à ce qu'on lui expliqua que les gens le faisaient afin de glorifier Dieu, et non pas afin d'accomplir l'obligation halakhique de lire la Maghilloh.

Nous pouvons donc voir que les gens étaient conscients du fait que lire la Maghilloh de nuit ne permettait pas d'accomplir son devoir ! C'est pour cela qu'ils le faisaient juste pour glorifier Dieu, et s'acquittaient donc de leur devoir uniquement au moment de la lecture de la Maghilloh ayant lieu la journée de Pourim.

  1. Lecture nocturne à Sepphoris

Une seule fois dans sa vie, Rébbi Yôhonon ban Nouri ז״ל lut la Maghilloh durant la nuit à Sepphoris. Rébbi Yôsé ז״ל tenta de démontrer, à partir de cet épisode, que l'exigence halakhique de lire la Maghilloh pouvait s'accomplir la nuit du 14 `adhor. Mais les Sages lui répondirent que rien ne devait être déduit de cet épisode, parce que cela s'était produit à une période de persécutions, durant laquelle les préceptes religieux étaient réalisés même de façon non conformes à la Halokhoh, car mieux valait faire quelque chose plutôt que rien du tout.31

Cet épisode s'est produit en 117 de l’Ère Courante, lorsque les répercussions tragiques de la révolte avortée des Juifs de la diaspora se ressentirent jusqu'en Judée sous la domination du général Romain, Lusius Quietus. Nous voyons là encore que les Sages étaient catégoriquement opposés à une lecture nocturne de la Maghilloh, mais qu'ils ne le permirent cette année-là qu'en raison de la situation particulière dans laquelle les Israélites se trouvaient.

  1. La décision de Rébbi Haninoh

Le Talmoudh Yarousholmi32 rapporte une déclaration halakhique qui est très similaire de celle émise par Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi :

´oulloh Biriyoh, Rébbi La´ozor au nom de Rébbi Haninoh : Celui qui en a l'habitude doit la lire durant la nuit, et la répéter durant la journée
עולה בירייה ר' לעזר בשם ר' חנינה רגיל צריך לקרותה בלילה ולשנותה ביום

Deux mots sont d'une grande importance et font toute la différence avec la position de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi : רגיל « Raghil » (avoir l'habitude) et צריך « Sorikh » (doit). Rébbi Haninoh ז״ל n'impose la lecture nocturne de la Maghilloh qu'à ceux qui avaient déjà l'habitude de le faire, tandis que Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi l'applique à tout le monde. Cependant, Rébbi Haninoh emploie le mot צריך « Sorikh », qui est beaucoup plus faible que le terme חייב « Hayyov » employé par Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi en matière d'obligation religieuse, et indique qu'il n s'agit pas là d'une obligation halakhique, contrairement à la position de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi, mais d'une pratique admissible que l'on peut perpétuer.

Nous voyons que dans les temps mishnaïques, au 2ème siècle de l'E.C., certaines communautés lisaient la Maghilloh la nuit, soit en raison des persécutions qui empêchaient les rassemblements en journée, soit en guise de coutume, mais certainement pas comme une obligation halakhique. À un certain moment, la pratique s'étant déjà répandue, certains Sages, tel que Rébbi Haninoh, approuvèrent cette pratique, et dirent que ceux qui s'étaient déjà habitués à le faire pouvaient continuer à lire la Maghilloh la nuit de Pourim. Enfin, Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi déclara que l'entièreté de la communauté juive devait adopter la pratique de la lecture nocturne de la Maghilloh. Mais même là, il exista une ambiguïté sur ses propos, qui pouvaient être compris soit comme voulant dire que la Maghilloh devait être lue la nuit, puis étudier en journée les Mishnoyôth du traité Maghilloh, soit comme voulant dire que la Maghilloh devait être lue la nuit, puis lue à nouveau en journée (car c'est réellement en journée que la Miswoh s'accomplit. Par conséquent, la lecture nocturne ne suffit pas). Une génération plus tard, il fut acquis que la Maghilloh devait être lue deux fois, une première fois la nuit et une deuxième fois en journée. Mais avant cela, il aurait été inimaginable d'observer la fête de Pourim durant la nuit. D'ailleurs, au fur et à mesure que la coutume de la lecture nocturne se répandit, les gens commencèrent également à tenir leur repas de Pourim la nuit, alors que la Halokhoh exige qu'il ait lieu en journée, puisque c'est en journée que se sont produits les événements de Pourim. C'est la raison pour laquelle Ravo` ז״ל trancha au 4ème siècle que quiconque prenait son repas de Pourim la nuit du 14 `adhor n'était pas quitte de son obligation.33 Une Halokhoh que la quasi totalité des Juifs ne respectent pas ! Étrange ! N'en déplaise donc au Rov Frank, nous avons démontré que la lecture de la Maghilloh n'était pas faite de nuit du temps de Mordokhay et `astér, mais que cela fut instituée beaucoup plus tard par des phases successives, et qu'il est raisonnable de conclure que cette lecture nocturne n'est pas halakhique en elle-même, mais tout au plus une pratique acceptable, de sorte que celui qui ne lit pas la Maghilloh la nuit de Pourim, mais uniquement en journée, ne transgresse absolument pas la Halokhoh.

Ce qui est dramatique, est le fait que la lecture nocturne de la Maghilloh est devenue le principal moyen d'observer la fête de Pourim. En effet, les synagogues sont généralement beaucoup plus remplies pour la lecture nocturne de la Maghilloh qu'elles ne le sont pour la lecture du lendemain matin, alors que c'est cette dernière lecture qui est obligatoire d'après la Halokhoh. De même, les repas de la nuit de Pourim sont beaucoup plus copieux que ceux de la journée de Pourim, alors que la Halokhoh interdit de prendre son repas de fête la nuit de Pourim ! (Même le Ramba''m tranche que celui qui prend son repas de fête la nuit de Pourim n'accomplit pas la Miswoh34, conformément au Pasaq de Ravo`.)

Reconnaître le fait que la lecture nocturne de la Maghilloh est une évolution tardive est la clef pour répondre à une question qui a beaucoup troublé les Ri`shônim. Puisque la lecture nocturne est la première fois que la Maghilloh est lue à Pourim, la bénédiction de שהחיינו « Shahahayonou » doit être faite avant cette lecture. La logique voudrait qu'elle ne soit pas répétée lors de la lecture du lendemain en journée, puisqu'à ce moment-là, la Miswoh n'est plus nouvelle (étant donné qu'elle avait été accomplie la veille au soir). Et pourtant, le Talmoudh ne fait aucune distinction entre la nuit et le jour au niveau des bénédictions à faire avant la lecture.35 La question qui se pose est pourquoi ce silence ?

Les Ri`shônim Safaradhim, tel que le Ramba''m, tranchent que « Shahahayonou » n'est pas récité avant la lecture qui se fait en journée.36 À l'inverse, les Ri`shônim `ashkanazim disent qu'il faudrait le réciter également en journée. Remarquant la contradiction et le problème sous-jacent, le Rashba''m ז״ל (Rabbénou Shamou`él ban Mé`ir, 1085-1158), qui est pourtant un `ashkanazi, trancha que la Halokhoh suivait l'avis des Safaradhim. Son jeune frère, Rabbénou Ta''m ז״ל (Rabbénou Ya´aqôv ban Mé`ir, 1100-1171) tenta de justifier la pratique ashkénaze en avançant comme théorie que la lecture en journée est la méthode principale pour publier plus grandement le miracle, tandis que la lecture nocturne est la méthode secondaire.37 (Explication qui ne tient non seulement pas la route, mais qui est en plus contredite par le fait qu'il y a plus de gens la nuit que le jour dans les synagogues pour la lecture de la Maghilloh.)

D'un point de vue historique, il est facile de comprendre ce qui s'est passé et d'où provient le problème. Avant que la pratique de lire la Maghilloh la nuit de Pourim ne se développa, « Shahahayonou » n'était récitée qu'avant la lecture de la journée, puisque la Maghilloh n'était pas lue de nuit. Après que la pratique de la lecture nocturne se développa et se répandit, il devint nécessaire de réciter « Shahahayonou » la nuit, rendant ainsi la lecture en journée superflue. En effet, d'après les règles relatives aux bénédictions faites en vain, il est raisonnable d'arguer qu'il doit être interdit de réciter « Shahahayonou » en journée si on l'a fait la nuit. C'est pour cela que les Safaradhim interdisent la récitation de « Shahahayonou » en journée, et cela démontre, même malgré les Safaradhim, que la Halokhoh n'impose en réalité qu'une seule lecture de la Maghilloh.

Par contre, chez les `ashkanazim, en dépit de la protestation du Rashba''m, la bénédiction fut maintenue, non pas pour de bonnes raisons, ni même pour des considérations halakhiques, mais simplement parce qu'il est difficile de retirer des bénédictions à la liturgie une fois que les gens se sont habitués à les faire. La théorie aberrante de Rabbénou Ta''m est simplement une tentative désespérée de justifier une pratique qui ne s'est développée qu'à la suite d'incidents historiques.

Enfin, lire la Maghilloh de nuit pose un problème par rapport aux autres Miswôth de Pourim, qui ne peuvent se réaliser qu'en journée. Il n'y a aucune raison que la lecture de la Maghilloh fasse exception.

Les choses qui peuvent paraître comme solidement gravées dans la roche ne le sont pas nécessairement lorsqu'on prend la peine d'analyser les sources d'origine de ces pratiques.

La conclusion est qu'il n'y a non seulement aucune obligation de lire la Maghilloh la nuit de Pourim, mais on pourrait en plus arguer qu'il est inconvenant de le faire. Dans la littérature talmudique, il est clair et évident que c'est par la lecture de la Maghilloh en journée que l'on s'acquitte de son devoir, et que c'est uniquement en raison de la persécution que se développa petit à petit la pratique de la lire également la nuit. Et même ceux qui le faisaient la nuit ne le faisaient pas pour s'acquitter de leur devoir (à moins qu'il soit impossible de la lire en journée), mais pour glorifier Dieu, un peu comme la lecture nocturne du Hallél à Pésah.

1Hilkôth Maghilloh Wahanoukkoh 1:3
2`ôrah Hayim 687:1
4Maghilloh 2:4-5
5Pour quelqu'un qui a touché un mort
6À Rô`sh Hashonoh
7À Soukkôth
8Qui était faite dans le Béth Hammiqdosh les jours où le sacrifice additionnel était offert au Béth Hammiqdosh, le Shabboth, à Yôm Tôv, Hôl Hammo´édh et Rô`sh Hôdhash
9À Yôm Hakkippourim
10La dîme
11Sur la tête de l'animal avant qu'il ne soit sacrifié
12Entre Pésah et Shovou´ôth
13Pour les sacrifices d'oiseaux
14La réception du sang jaillissant du cou de l'animal égorgé dans un ustensile approprié pour le projeter après sur l'autel
15La projection du sang recueilli sur l'autel et le rideau séparateur
16Soupçonnée d'adultère par son mari
17En cas d'un mort retrouvé dans un village
18Ibid., 20a
19Ibid., 2:6
20Tôsafto`, Ibid., 2:2
21Ibid., 4a
22Tahillim 22:3
23Tano` Dhavé `éliyohou Zouto`, Chapitre 2 ; Maghilloh 28b ; Niddoh 73a
24Gloses sur la Gamoro` de Maghilloh 4b
25Qammo`, `ôrah Hayim 41
26Gloses sur la Tôsafto` de Maghilloh 2:2
27`éshél `avrohom 692:2
28Binyan Shalômôh, Paragraphe 58
29Har Savi, `ôrah Hayim 2:120
30Sôfrim 14:15-16
31Voir Tôsafto`, Maghilloh 2:2
32Maghilloh 20b (Chapitre 2, Halokhoh 4)
33Talmoudh, Maghilloh 7b
34Mishnéh Tôroh, Hilkôth Maghilloh Wahanoukkoh 2:15
35Le Ro`''sh, Maghilloh 1:6
36Mishnéh Tôroh, Hilkôth Maghilloh Wahanoukkoh 1:3

37Tôsofôth, Maghilloh 4a
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